Deux questions se
sont posées aux initiateurs et de leurs
réponses dépendaient, bien sûr,
les orientations qui ont été prises
au cours du temps.
Ces questions
restent d'actualité :
1) Comment former
des spécialistes capables de s'occuper
des questions relatives aux relations humaines
?
2) Paradoxalement, comment
pouvoir se passer de ces spécialistes
quand la demande devient trop importante et
qu'on n'en trouve pas suffisamment pour animer
les groupes qui en ont fait la
demande.
L'influence de
Freud
Pour moi,
l'origine des GAP remonte à
Freud et à la question de
savoir comment transmettre la
psychanalyse. Dès le début
il a affirmé que la psychanalyse ne
pouvait pas s'enseigner à
l'Université comme les autres
disciplines car elle demandait d'avoir
vécu soi-même une analyse.
C'est une véritable coupure
épistémologique dans la
façon d'appréhender
l'enseignement d'une discipline ou la
transmission d'un savoir.
Encore de
nos jours on a peine à la concevoir
et elle intervient dans les
représentations actuelles de
l'enseignement et des Groupes d'Analyse
des Pratiques.
Freud
institue pour résoudre ce
problème une " psychanalyse de
contrôle " où l'analyste
novice peut travailler sur l'analyse de sa
pratique avec ses premiers clients. Cette
analyse de contrôle est menée
par les premiers analystes. Elle
s'institutionnalise en 1922 et devient un
élément fondamental de la
reconnaissance
définitive.
<<
Ainsi,
dans les années 1930, au moment où
la psychanalyse
connaîtune
expansion mondiale, les principes qui
président à sa transmission sont
solidement établis. La formation des
thérapeutes est assurée par des
instituts privés, autant en raison des
résistances des universités que de
la spécificité reconnue d'une
telle formation. Résolument
orientée vers la pratique, même si
elle comporte une part importante
d'enseignements théoriques, elle exige du
candidat analyste qu'il ait exploré et
éprouvé les mécanismes
psychiques et les caractéristiques de sa
personnalité à travers une analyse
personnelle, qualifiée de didactique en
raison de ses visées formatives. Cette
exigence poursuit deux objectifs :
- Que le
candidat ait une expérience vécue
et concrète des processus inconscients et
des modalités pratiques de la
cure.
- Qu'il
puisse connaître et maîtriser les
aspects de son propre fonctionnement
impliqué dans la relation et le travail
thérapeutique (ce qui est
désigné par la notion de
contre-transfert).>>
Dès
cette époque, les objectifs de ce "
contrôle " suscitent de nombreuses
controverses : S'agit-il d'un
contrôle du candidat dans ses
analyses, est-ce un apprentissage
méthodologique, est-ce un travail
sur son contre-transfert ? Ces
controverses continuent toujours: les GAP
doivent-ils participer à une
formation méthodologique au
métier d'enseignant ou à
l'analyse des transferts des
élèves sur l'enseignant ou
du contre transfert de ce dernier ?
Le terme
de contrôle sera du reste
abandonné en faveur de celui de "
supervision " moins connoté,
vers les années 1968. Et à
cette époque on a introduit
également la " supervision
collective " en réponse,
déjà, au problème du
manque de " superviseurs qualifiés
".
Cette
pratique s'est inspirée en partie
de l'expérience des " groupes
Balint ". II s'agit d'une méthode
de supervision conçue par le
psychanalyste Michaël Balint
(fondateur de la Tavistock Clinic de
Londres qui a joué un rôle
important avec W. Bion dans l'usage du
groupe en thérapie et en
formation)
Elle était
destinée initialement aux médecins
pour leur permettre d'analyser leurs relations aux
patients et à la maladie (Balint, 1968) et a
connu un très large succès.>>
(voir ci contre)
La supervision
collective a l'avantage de laisser plus
d'espace entre les participants et l'analyste
superviseur. Elle apporte également des
effets latéraux bénéfiques par
des échanges entre participants et de ce
fait elle est moins vécue comme un "
contrôle " que comme une " aide ".
L'influence de
Balint
Quand on
parle de Balint on pense en
général à son travail
avec des groupes de médecins mais
on ne sait pas qu'il a fait d'autres
expériences bien
antérieurement. En 1955, en effet,
est paru le livre " Social casework in
marital problems " (traduit en
français en 1959 sous le titre : "
Problèmes du mariage "). Ce livre
expose les recherches du " Family
Discussion Bureau " issu entre autres du
Tavistock Clinic auquel Balint appartenait
; il s'agissait à la fois
d'étudier les problèmes qui
se posaient aux couples après la
guerre et de former des " caseworkers "
capables de recevoir les couples pour les
aider autrement qu'avec des conseils mais
plutôt en tenant compte des
recherches faites sur la dynamique
inconsciente des couples.
<<Dans
la première phase de la
réalisation, l'équipe du
Bureau se posa de nombreuses questions
au sujet de l'utilisation des principes
psychanalytiques. Dans quelle mesure
des assistantes sociales qui n'avaient
pas l'expérience d'une analyse
personnelle, pouvaient-elles comprendre
la motivation inconsciente et cela
suffisamment pour mener à bien
un travail où la relation avec
le client est l'outil principal ?
Comment pouvaient-elles apprendre
à se connaître
elles-mêmes et apprendre aussi
à utiliser la conscience accrue
non seulement des réactions
émotionnelles de leurs clients
mais aussi des leurs ? Les
psychanalystes sauraient-ils adapter
leurs méthodes de formation aux
différents besoins des
travailleurs sociaux ? Seraient-ils
assez intéressés par ce
travail et auraient-ils suffisamment
confiance dans les résultats
pour donner au projet, non seulement le
soutien médical et professionnel
nécessaire, mais aussi pour
faire l'effort de comprendre son
caractère particulier et ses
limitations ?>>
1896-1970
Ainsi, dès
cette époque se posent non seulement la
question de la possibilité de former des
personnes, en nombre important, susceptibles de
recevoir des petits groupes ( ou couples) pour
étudier des problèmes relationnels
qui tiendraient compte de l'inconscient , mais
aussi celle de trouver des spécialistes
(psychanalystes) capables de s'intéresser
à cette formation " d'assistantes sociales "
et d'y croire !
<<Lorsque,
au début, les assistantes allèrent
trouver le Dr Michael Balint pour lui demander
de leur donner des notions sur les
psycho-dynamiques de la famille, il
répondit : " Pas de cours, mais discutons
quelques cas. " C'est lui qui créa la
méthode de discussion des cas
.Dès le début, on instaura
des réunions hebdomadaires où se
retrouvaient les assistantes et les consultants
qui les aidaient à approfondir leur
compréhension des relations humaines, non
par une instruction théorique, mais en
discutant les cas réels dont ils
s'occupaient. Ensemble, assistantes et
consultants essayèrent d'étudier
le matériel vivant fourni par leur
travail quotidien : les personnalités de
ceux qui venaient au Bureau demander de l'aide
et les difficultés qu'ils avaient
rencontrées au cours de leur
mariage.>>
C'est là
que se situent les prémices des GAP,
réunions en petits groupes avec un ou
plusieurs consultants, pour approfondir la
connaissance des relations humaines, non par des
cours théoriques mais par la discussion de
cas réels apportés par les membres du
groupe. C'est donc dès 1945 que la
méthode a été, en pratique,
initiée.
En 1957
Michael Balint fait paraître à
Londres son livre " The Doctor, His Patient and The
Illness " (traduit pour la première fois en
1960 par les P.U.F. sous le titre " Le
médecin, son malade et la maladie "). Il le
présente comme une partie des
résultats d'une recherche faite avec
un groupe homogène comprenant
quatorze omnipraticiens.
On
n'est plus là dans un
essai de formation en grand
nombre de caseworkers d'origines
différentes mais dans un
travail de recherche sur un
groupe homogène de
médecins. Il y expose sa
méthode de travail et
insiste tout
particulièrement sur la
formation à
l'écoute au moyen de ce
travail de groupe. Dans la
préface à la
deuxième édition
(1963) il complète de la
façon suivante
:
<<L'aspect
le plus important de ce
développement, en ce
qui concerne le domaine
traité dans le
présent ouvrage, est
une appréciation
quelque peu modifiée du
rôle de l'omnipraticien
dans le traitement. Alors que
dans ce livre je
m'étais essentiellement
soucié de
démontrer l'importance
de l' " écoute ", en ce
qu'elle diffère de
l'anamnèse
médicale classique, une
recherche récente,
effectuée
principalement par ma femme et
par moi-même, nous a
amené à isoler
et à définir
deux autres aspects des
tâches qui incombent au
psychothérapeute,
découvertes qui ne sont
certes pas nouvelles. Il
s'agit de la "
compréhension ", et de
l'" utilisation de la
compréhension en vue
d'un effet
thérapeutique ". Ces
trois aspects sont des phases
successives d'un même
processus : 1' " écoute
" fournit le matériel
qui s'organise ensuite en "
compréhension " et il
est évident que la
compréhension doit
précéder son
utilisation..>>
Arrivée
en France des Groupes d'analyse des pratiques
En 1961,
autour du docteur Jean-G Lemaire, psychiatre
et psychanalyste, puis Professeur de psychologie
à Paris V, un petit groupe de praticiens de
la santé et du travail social a ressenti la
nécessité de répondre aux
questions nouvelles posées par les
difficultés psychologiques
rencontrées par les familles et les couples.
L'Association Française des Centres de
Consultation Conjugale (AFCCC),
reconnue d'Utilité Publique en 1968 et
agréée comme organisme de formation
en 1977, trouve son origine dans cette prise de
conscience.
Même
problème que pour les caseworkers :
comment former des " conseillers conjugaux "en grand nombre pour répondre
à la demande à partir de personnes de
bonne volonté (dont j'ai fait partie au
départ de mon parcours psychologique !) mais
dont la plupart n'ont aucune formation ? Sa
réponse est de mettre en place des
conférences théoriques et du travail
de réflexion en petits groupes
prolongé par un travail de " supervision "
inspiré de Balint. En présence de
psychanalystes, les participants exposent les
cas qu'ils ont rencontrés pour essayer
de comprendre quelque chose de la relation
inconsciente qui s'est installée entre eux
et leur client. Cette association existe toujours.
et a une revue bien faite : "Dialogue".
Passage dans le
milieu enseignant
En
1973-1975 la méthode Balint,
adaptée, est introduite dans le
milieu enseignant grâce à
Jacques Lévine qui
créa la méthode du " Soutien
au soutien ".
"
L'évolution des structures
familiales et sociales a
généré, à
l'intérieur du système
scolaire, des processus de
déstabilisation et de
déliaison auxquels personne ne
pouvait se prétendre
préparé. Des obstacles
entièrement nouveaux et encore
mal identifiés perturbent le
développement cognitif et
relationnel des élèves et
induisent chez les enseignants un doute
sur leur capacité à
éduquer. Entre la formation des
enseignants et les problèmes
à résoudre,
l'écart est tel que des lieux de
réflexion sont devenus
indispensables.
"
Il
s'agit, la plupart du temps, de groupes de
10 à 12 enseignants de
même discipline qui se
réunissent avec un psychanalyste
hors de l'institution (les
participants payent leur animateur).
"
De ce fait, le Soutien au Soutien est
un lieu de parole où peuvent se
dire les blessures narcissiques du
praticien et de l'élève;
c'est un lieu d'intelligibilité
de ce qui alimente les conduites qui
font problème; c'est un lieu de
recherche du modifiable sur le plan
pédagogique et relationnel;
c'est un lieu où chacun peut
opérer une conscientisation de
son mode de fonctionnement
professionnel.
"
Cette
méthode est fondée sur la
co-réflexion à
égalité à partir
de problèmes concrets du
terrain, le rôle de l'animateur
psychanalyste est de mettre son
expérience du fonctionnement
psychique, du transfert et du
contre-transfert, au service de la
tâche commune, mais dans des
formulations auxquelles a
été donné le nom de "
langage intermédiaire
".
Il n'y a donc pas
de transmission de type formel de son savoir par le
spécialiste. En 1993 ces groupes se
constituent en association (Loi 1901)
l'AGSAS
(Association des Groupes de Soutien au Soutien).
La multiplication des groupes amène la
même question : il n'y a pas assez de
psychanalystes intéressés par ce type
de travail. Finalement, ce problème est
résolu par l'acceptation d'abord de
psychologues cliniciens puis d'anciens enseignants
de ces groupes ayant reçu une formation
particulière.
Influence de
Rogers
En
1975,De Peretti va
introduire de nouvelles dimensions en
définissant un
protocole pour les
GAP. Par sa
position dans l'Education Nationale il
donne " droit de cité " à
cette formation pour les enseignants et
ceci dans l'institution
elle-même. Par sa formation et
sa représentativité il
apporte, en France, une coloration
rogérienne à ces groupes ;
c'est-à-dire qu'il introduit une
coupure avec la tradition purement
psychanalytique.
Ceci a le
mérite de lever certaines
résistances de l'E.N. à
l'égard de la psychanalyse et ouvre
de nouvelles possibilités pour les
GAP.
Carl
Rogers
André
De Peretti
Il va
également apporter une solution
différente aux problèmes que
posait jusqu'à présent la
formation des animateurs. En effet De
Peretti pose l'hypothèse qu'on
peut remplacer la formation d'un animateur
par la rigueur d'un protocole dans le
fonctionnement du groupe. C'est ainsi
qu'il propose cinq étapes
définies dans le détail.
L'animation du groupe se réduisant
alors au contrôle du respect du
protocole. Ce qui permet de dire que
l'animateur peut être un membre
quelconque du groupe et même,
pourquoi pas, à tour de rôle.
Il n'y a plus besoin de "
spécialiste ". On comprend que
cette solution moins coûteuse ait
rencontré du succès ! Ces
positions sont, comme toujours, le fruit
de l'expérience personnelle de leur
auteur. (Voir Livre)
Dans ce sillage
rogérien on trouve, en particulier,
Albert Moyne qui a organisé dans
l'Académie de Lyon, de 1982 à
1987 des formations pédagogiques sous
l'appellation " Pédagogie
générale ". Ces formations, sur trois
niveaux, visaient à articuler les
méthodes et les facteurs relationnels dans
l'acte d'enseigner, de façon
interdisciplinaire sous la forme d'un ensemble de
stages cohérents et complémentaires.
(voir livre)
Adaptation de
l'influence de Balint dans le milieu
enseignant
La
tradition de Balint continue pourtant chez
les enseignants: en 1982 aussi,
Claudine Blanchard Laville commence
un groupe d'analyse des pratiques avec un
groupe homogène de
professeurs de mathématiques. Son
objectif est alors la compréhension
de ce qui se passe sur un registre
psychique quand un enseignant est en
situation professionnelle, lors de son
acte d'enseignement. Ce groupe est hors
institution et l'occasion de
recherches dans son travail d'enseignant
chercheuse. Elle fait également des
recherches sur les possibilités
d'inclure l'écriture dans ces
groupes, jusque là, dit groupes de
parole. (Voir Livre)
Ce travail, s'il s'inspire de Balint, met
en place déjà des
adaptations nécessaires (les
enseignants ne sont pas des
médecins, le savoir n'est pas la
maladie, les enseignants travaillent le
plus souvent avec des groupes
d'élèves et le rapport
à l'institution est
omniprésent pour eux). (voir
livre)
Elle continuera
à animer de tels groupes et se soucie de la
formation d'animateurs pour continuer ce travail en
créant un
Masteur professionnelle de
formation d'adultes avec la
spécialité " Formation à
l'intervention et à l'analyse des pratiques
" à l'Université de Paris
X
Influence des
recherches sur la dynamique des petits
groupes
De
1979 à 1989 environ, j'ai
animé avec Marie
Françoise
Bonicel,
Maître de Conférence de
Psychologie sociale clinique et
Diplômée des Sciences
Politiques et Economiques, Pierre
Gaillard, Docteur en Psychanalyse, Annie
Mandrille, Psychologue clinicienne,
gestalt thérapeute, des petits
groupes de formation dont les objectifs
étaient de sensibiliser les
enseignants à l'écoute et
à la présence de
l'imaginaire en eux et dans les
groupes. (Voir
livre)
Ces
groupes de 10 à 14 enseignants se
réunissaient durant deux jours et
demi, 2 à 3 fois par an, durant
plusieurs années. Ces stages
avaient chacun une thématique,
(écoute de soi, écoute d'un
groupe, entretien, faire face à la
violence ). Au début du stage,
nous travaillions à partir de
situations problèmes que nous leur
proposions, dans le registre de la
thématique annoncée. Les
participants pouvaient s'impliquer pour
échanger ensuite sur ce qu'ils
avaient entendu, perçu . Puis,
très rapidement, le travail se
faisait à partir de situations
qu'ils apportaient eux-mêmes,
situations qu'ils avaient vécues et
sur lesquelles ils s'interrogeaient. Nous
leur proposions alors de les analyser
à partir de jeux
de rôle,
d'un travail sur des
objets
intermédiaires
(terre, dessin, ) ou dans
un
entretien en face à
face avec un
animateur, devant le groupe en
écoute, selon ce qui nous
paraissait le plus adapté à
la situation proposée.
Autrement dit,
nous étions bien dans une optique de GAP, de
petits groupes où des personnes peuvent
analyser des situations apportées mais pas
totalement dans la lignée de Balint (temps
plus long, utilisation de différentes
méthodologies, importance donnée
à l'imaginaire groupal ) ni dans la
lignée de De Peretti par la souplesse des
moyens utilisés, par l'existence d'un
animateur formé, par le type d'écoute
tenant compte de l'inconscient, par un souci de
formation holistique plus grand )
15
Ces groupes ont
été marqués au départ
par ma formation analytique mais également
par mes expériences de formation dans le
cadre de l'ARIP (Association pour la recherche et
l'intervention psychosociologique) fondée en
1959. Dès 1964 j'ai pu suivre des
séminaires de formation et de recherche sur
la dynamique des petits groupes avec des
chercheurs tel que le Pr. Jean Maisonneuve (mon
Directeur de thèse) (voir Livre),
les psychosociologues :André Levy 17, Jean
Rouchy (Voir Livre)18
, Eugène Enriquez19 et Mme Herbert du
Tavistok Institue qui traduira le livre de W.
Bion20 sur les petits groupes et fera sa
psychanalyse avec Balint.. C'est aussi
l'époque où Max Pagès fait
paraître son livre, unique dans son genre,
avec la transcription complète et l'analyse
de l'imaginaire d'un petit groupe, celui de la "
baleine " (Voir Livre)
Ceci m'a
amené à centrer, tout de
suite, nos formations sur l'aspect
groupal,sur l'écoute
de l'imaginaire dans les
groupeset sur l'importance du
cadre
(contenant, sécurisant). Ce qui me
paraissait d'autant plus important que
l'enseignant est, lui-même,
animateur de groupe (classe) et qu'il est
confronté continuellement à
la question de la défense du cadre
dans son enseignement.
Des
formateurs de nos groupes ayant eu, comme
moi-même par la suite, une formation
gestaltiste, on peut dire que ces groupes
ont eu une double origine : la
psychanalyse de groupe et la gestalt (voir
Livre).
Dans la mesure où elle donne une
place importante au corps et aux
émotions, cette dernière
nous paraissait particulièrement
adaptée aux enseignants qui ont
souvent une tendance à la
rationalisation.
Nous avions
également l'idée (qui s'est
avérée être un fantasme !) que
si nous formions un nombre suffisant (nombre
critique) de stagiaires dans l'Académie,
cela aurait un effet institutionnel. Nous
étions donc sensibles au
développement de ces formationssur
l'Académie de
Reims et ensuite
ailleurs (Rennes, Strasbourg, Créteil.. .)
et à l'étranger (Belgique,
Luxembourg, Suisse, Tunisie, Portugal). Nous avons
ainsi touché plus de 5000 enseignants et
effectué plus de 500 stages de formation. Ce
qui a rapidement posé le problème
classique de trouver de nouveaux animateurs.
Avec quelles formations ? Le Pr. Michel Warwrzyniak
psychanalyste est venu nous aider et nous avons
été amenés à prendre
aussi comme animateurs d'anciens enseignants
stagiaires ayant fait une formation
complémentaire gestaltiste à Paris.
Ils nous ont apporté une connaissance plus
proche des questions que se posaient les
enseignants.
Dès le
départ nous avons donné une place
importante à la coanimation. Chaque
groupe était animé par deux
animateurs (un homme et une femme), ce qui
permettait à l'un des animateurs de
participer, par exemple, comme " Moi auxiliaire "
dans un jeu de rôle tout en laissant l'autre
animateur en position d'écoute du groupe et
de rappel du cadre. Cette coanimation a
été aussi une méthodologie de
formation pour les nouveaux animateurs au fur et
à mesure de leur arrivée. Enfin elle
a permis de mettre au point une méthodologie
de la coanimation. Elle comprenait des temps
d'échange (deux fois par jour durant les
stages) où les animateurs rapportaient les "
fantaisies, association d'idées,
émotions, rêves " qu'ils avaient eus
durant les séances ou entre les
séances. Les animateurs sont , en effet,
membres du groupe et en tant que tels ils vivent la
fantasmatique du groupe. C'est leur capacité
à garder une distance par l'analyse de leurs
propres fantasmes qui leur permettait de poser des
hypothèses sur l'imaginaire groupal
et souvent de prévoir ainsi
l'évolution du groupe. Les travaux d'Anzieu
(voir Livre)
et de Käes (voir livre)ont
alimenté nos réflexions.
Nous avons fait le
choix de travailler dans l'institution et de
façon
hétérogène. Dans
l'IREM, puis dans la MAFPEN et enfin dans l'IUFM.
Hétérogène d'abord au niveau
des disciplines puis ensuite également au
niveau des fonctions : chefs d'établissement
(mais pas avec leurs enseignants !) ,
infirmières, psychologues scolaires,
conseillers d'éducation et à la
fin, également ATOS.
Hétérogénéité,
également, des établissements
d'où venaient les participants.
L'homogénéité nous
semble orienter davantage le groupe vers le
pédagogique,
l'hétérogénéité
vers le relationnel. Quelques fois des formations
homogènes ont été
proposées, par exemple, pour des
chefs
d'établissement
En
1991 sont créés trois
IUFM expérimentaux dont celui de
Reims. Les décrets invitent
à inventer des formations
interdisciplinaires et communes aux futurs
professeurs des écoles et
professeurs de lycées. Marie
Françoise Bonicel, Monique
Ghesquière, avec qui nous avons
déjà travaillé, et
moi-même, devenons Directeurs
adjoints de cet IUFM. Nous créerons
alors 40 " groupes de suivi "
animés par deux animateurs chacun.
Il s'agissait, pour la plupart, d'anciens
stagiaires de nos groupes de formation
à la MAFPEN que nous avons
aidés en les répartissant
dans 4 groupes de " supervision "
animés par l'un d'entre nous. Notre
idée était que :
<<Ce
travail ne peut se faire que dans des
"petits groupes (10 à 15
personnes)
Ces groupes
doivent être aussi proches que
possible des stagiaires donc
répartis dans toute
l'Académie, ceci leur permettant
de se retrouver en dehors des
séances en limitant au maximum
leurs
déplacements.
lls doivent
être animés par des personnes ayant
elles-mêmes vécu cette
expérience de "petit groupe" et
formées à l'animation de tels
groupes.
Ces animateurs doivent
être indépendants du système
d'évaluation dont l'I.U.F.M. doit
être doté, la fonction d'aide et
celle d'évaluation étant
incompatibles sous peine de perversion. Il est
bien évident qu'une même personne
ne peut assumer les deux fonctions
qu'auprès de personnes
différentes. C'est pourquoi nous avons
demandé aux I.E.N. de prendre un groupe
en dehors de leur
département.
Ces animateurs doivent
être aidés dans leur animation par
un travail de supervision qui leur permettra
d'analyser eux aussi leurs difficultés
dans l'animation de leur
groupe.>>
Nous avions, au
départ, rendu obligatoire la
participation à ces groupes pensant qu'une
formation aux relations humaines était
indispensable pour un enseignant. Nous avons
dû, en milieu d'année, faire machine
arrière et les rendre facultatifs et
nous avons terminé l'année, pourtant,
avec la moitié des stagiaires. Nous n'avions
pas suffisamment, sans doute, tenu compte du mode
de recrutement des enseignants toujours
décalé par rapport à la
profession qu'ils ont à exercer et de leur
représentation du métier purement
disciplinaire.
En
1992-1993 Nous avons créé dans le
cadre de la MAFPEN plusieurs Groupes d'analyse
des pratiques en établissement pour
répondre à des demandes qui nous
avaient été faites. Cela nous a
posé de nouvelles questions. Alors qu'un GAP
dans un établissement permet de créer
un groupe stable d'enseignants capables de
travailler ensemble par la suite, leur
démarrage est plus difficile dans la mesure
où les défenses sont
renforcées : les participants se connaissent
déjà et sont amenés à
se retrouver ensuite au quotidien.
Conclusion
Dès les
origines de l'analyse des pratiques, il y a eu des
questions et des choix à faire.
1)
Quelle théorie (une ou plusieurs
?) présidera au fonctionnement de ces
groupes ? La psychanalyse au départ, Rogers,
la psychanalyse de groupe, la
gestalt
De là dépend
la prise en compte, ou non, dans ces groupes de
la dynamique psychique inconsciente et de
l'imaginaire.
2)
Ces groupes devaient-ils être dans ou hors
de l'institution E.N. ? Rester hors de
l'institution laissait plus de liberté de
fonctionnement, moins de risque
d'interférences avec des problèmes
d'évaluation, un choix assuré de
volontariat et d'implication des participants. Etre
dedans pouvait donner l'impression de pouvoir
atteindre un plus grand nombre d'enseignants,
d'influencer la marche de l'institution dans une
optique systémique, de participer à
la professionnalisation du métier
d'enseignant
3) La participation
à ces groupes devait-elle être
obligatoire ou non. L'obligation pouvait se
justifier par la nécessité pour un
enseignant d'une formation aux relations humaines
dans la mesure où les problèmes
rencontrés par les enseignants touchent de
plus en plus à ces aspects (violence,
travail de groupe, travail en équipe
d'enseignants, individualisation du soutien ).
D'un autre côté, la
nécessité d'investissement personnel
dans une telle formation pouvait en écarter
certains . Seul un recrutement où les
conditions d'une telle formation seraient
clairement exposé aurait pu
l'autoriser.
4)Ces groupes devaient-ils être
homogènes, en particulier au niveau
disciplinaire, ou au contraire
hétérogènes? La
première solution accentuait l'aspect
pédagogique, la deuxième, l'aspect
relationnel. Homogène ou
hétérogène au niveau des
fonctions ? La première solution
encourage le dialogue et la compréhension
entre les niveaux hiérarchiques ; la
deuxième permet le travail sur des questions
plus pointues au niveau professionnel.
5)
Ces groupes devaient-ils être animés
par un ou plusieurs animateurs formés
(mais comment ?)ou rester entre pairs sans
la présence de spécialistes ? La
première solution étant gage d'une
présence d'un tiers avec tout ce que cela
entraîne, l'autre étant plus facile
à instaurer, à multiplier et revenant
moins chère.
Il
me semble qu'en définitive les origines de
l'analyse des pratiques se situent dans cette
coupure épistémologique et ce nouveau
paradigme, celui des savoirs qui ne peuvent se
transmettre uniquement par des cours classiques et
purement formels.
En effet,
même si tout savoir touche en
réalité la personne totale, on fait
souvent comme si l'aspect cognitif pouvait exister
seul indépendamment des affects et de
l'imaginaire.
Depuis une
diversification de la forme des groupes de
l'analyse des pratiques s'est produite, par exemple
:
- en centrant ces
groupes sur du pur pédagogique ou
même du pur disciplinaire
(didactique)
- en n'abordant que les
aspects purement cognitifs ou linguistiques de
ce qui se passe dans une classe.
- en revenant à un
enseignement purement formel mais en petits
groupes.
- en faisant de ces
groupes des lieux " d' échanges
d'idées ou d'expériences
"
-
Ces
différentes formes de Groupes d'analyse des
pratiques peuvent être des défenses
contre la prise en compte de la dynamique psychique
des participants mais également
répondre à de nouveaux besoins ou
encore à des étapes vers un
approfondissement futur.
En
définitive ces groupes ne
préfigurent-ils pas l'enseignement du XXI
ème siècle dont parle Edgar Morin
:
<<
Il est remarquable que l'éducation qui
vise à communiquer les connaissances soit
aveugle sur ce qu'est la connaissance humaine,
ses dispositifs, ses infirmités, ses
difficultés, ses propensions à
l'erreur comme à l'illusion, et ne se
préoccupe nullement de faire
connaître ce qu'est
connaître
L'être
humain est à la fois physique,
biologique, psychique, culturel, social,
historique. C'est cette unité complexe de
la nature humaine qui est complètement
désintégrée dans
l'enseignement, à travers les
disciplines, et il est aujourd'hui impossible
d'apprendre ce que signifie être humain,
alors que chacun, où qu'il soit, devrait
prendre connaissance et conscience à la
fois du caractère complexe de son
identité et de son identité
commune avec tous les autres humains.. Ainsi, la
condition humaine devrait être un objet
essentiel de tout enseignement.>>
Morin(E.) Les
7 savoirs nécessaires à
l'éducation du
futur.
Unesco. Ed. Seuil (2000)p.11-12
On pourra
consulter également:
Récit
dune expérience de formation clinique
du personnel de lÉducation nationale
dans lacadémie de Reims
<<
Psychologue retenue pour un entretien
dembauche en tant quanimateur de GAP,
jai remis le nez ds mes cours et votre
article est venu compléter les vides. Merci,
je me sens prête pour être
embauchée et faire du Bion travail
!!!>>
<<Cest
un des grands manques de la réforme en
cours, des espaces protégés pour
lanalyse de la pratique. Janime pour ma
part des GSAS, suivant la méthode de
lAGSAS et de Jacques Lévine,
cest remarquable.>>
<<Je connais
bien André de Peretti et participé au
travail dune semaine de Carl Rogers lors de
son dernier séjour en France,
accompagné de sa Fille, de ses Assistants :
Chuck (USA) & Brian Thorne (UK) et bien entendu
d André de Peretti, mon Grand Ami, mon
conseiller technique>>
<<Je vous
félicite pour cette histoire des groupes de
pratiques que j'ai trouvé passionante. Je
suis animateur d'un groupe de pairs et je traverse
des moments de confusion devant l'engouement et les
enjeux qui se nouent autour de ce
phénomène. La lecture de votre
article m'a apportée d'indispensable
clés de lecture de ma situation. Je vous
remercie pour l'éclaircissement et le
soulagement qui s'en ait suivi. Votre proposition
d'envisager que ces groupes pourraient
préfigurer l'enseignement du XXIème
siècle est confirmée. L'entreprise
qui m'emploit a mise en place un dispositif
comparable dans le cadre du cursus de formation de
ses cadres, c'est à dire qu'elle accepte
qu'une partie de cet apprentissage échappe
à son ambition de maîtrise et de
contrôle. Bien à
vous>>
<<Article
passonnant. Nous-mêmes ,association
d'accompagnement en gapp ou en individuel,avons
groupe de recherches sur le sujet,autour du
fondateur,GERARD WIEL,qui a publié à
la Chronique Sociale à
Lyon.>>