Jeanne
est adjointe dans un collège dont
le Principal - c'est le nom officiel - est
aussi une femme. Elle nous parle de sa
difficulté relationnelle avec elle,
difficulté à trouver sa
place, à faire son territoire. Ses
prérogatives sont de plus en plus
amputées. Pourtant, son Principal
lui dit sa confiance et sa sympathie. "
C'est de plus en plus stressant, je me
sens menacée dans mon image
vis-à-vis des collègues,
j'en rêve la nuit, je fais de moins
en moins de choses et du coup elle
s'approprie les dossiers les plus
intéressants ". Une première
expérience d'adjointe avec un homme
s'était bien passée.
Plusieurs pistes de compréhension
s'ouvrent, autour de la rivalité
fraternelle ou avec sa mère. " Elle
me fait de l'ombre " dit-elle en parlant
de cette collègue.
J'opte pour rester sur ce qui se
passe dans cet espace où Jeanne se
trouve avec ses pairs et avec
moi-même et en me
déplaçant -avec son accord -
je lui fais de l'ombre. Je lui propose de
faire varier cette distance
elle-même, et nous observons que
plus nous sommes proches, plus l'ombre est
grande. Elle découvre aussi que
cette ombre menaçante a ses
avantages puisqu'elle lui permet de ne pas
être trop exposée aux
jugements. J'invite Jeanne à
explorer d'autres possibilités :
c'est ma chaise vide en face d'elle
qu'elle va s'approprier pour sa plus
grande satisfaction ! J'insiste sur le
fait que je n'avais pas exclu cette
hypothèse et que je lui
déléguais volontiers un
temps d'animation et
. ma chaise
provisoirement. Son plaisir a disparu
puisque la place n'est plus à
prendre !
A la fin de l'année,
Jeanne nous annonce qu'elle a obtenu sa
mutation pour un poste de Principal
où elle est sûre d'assurer sa
place légale.
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Les
chefs d'établissement sont soumis
à des
perturbations
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Ces perturbations
sont
liées:
- au
temps : de préférence
celui qui manque !
-
à l'espace : comment prendre
ma place ?
- aux
pressions de l'environnement : les
élèves, les parents, les
collaborateurs, les syndicats, le patron
ou l'adjoint, les casseurs, les media et
L'Administration !
- aux
décalages entre les valeurs
personnelles et celles qui peuvent
traverser le système ou une simple
circulaire.
- aux
messages paradoxaux : soyez efficaces
comme des chefs d'entreprise et au nom de
l'égalité, n'oubliez
personne
-
à l'ombre des inspecteurs et du
supérieur hiérarchique,
le Recteur, le Ministre
-
à l'image de soi :
être à la hauteur (de qui ou
de quoi? ), craint, respecté, et
pour les plus inconscients, être
aimés !
-
à la difficulté de vivre
les changements et pour les nouveaux,
d'assumer cette nouvelle " casquette " qui
fait quitter l'espace des " pairs "
enseignants.
- aux
résurgences du passé
particulièrement riches dans le
corps des inspecteurs et notamment des
situations inachevées.
- plus
rarement, heureusement, à des
situations extrêmes de violences
physiques pouvant conduire à des
suites judiciaires au mieux, à des
décès, au pire. Nous
n'évoquerons sur ce dernier point
que des réflexions
générales. Compte tenu de
leur caractère exceptionnel, il
serait impossible en effet, de garder
l'anonymat sur des affaires de suicide,
pédophilie ou de meurtre à
caractère local. Si l'on sait qu'un
tiers des personnels de direction a choisi
ce métier par goût pour le
management, un tiers pour évoluer
dans sa carrière et un tiers pour
quitter les conflits dans sa classe, il
n'est pas étonnant que sur les
échelles de stress, ils se situent
dans les " barreaux " les plus
exposés, ces motivations se
cumulant la plupart du temps et se
confrontant le plus souvent à un
décalage important avec la
représentation du
métier.
La " brûlure de
l'idéal ", pour reprendre une
expression de l'ouvrage " Le coût
de l'excellence " est au bout du
chemin
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On peut ainsi comprendre que les
chefs d'établissement aient parfois
besoin d'une aide pour faire face aux
situations
rencontrées.
Le coaching
peut être un moyen de trouver cette
aide.
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Une
expérience de
coaching
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L'expérience
dont je me propose de retracer l'origine, le cadre,
le fonctionnement et les
résultats a
vu le jour dans l'académie de Reims et s'est
étendue sur deux
années
Elle est issue de la rencontre
de plusieurs observations :
-
le constat fait par la directrice des
ressources humaines de la solitude des
chefs d'établissement au sortir de
leur formation de l'École des
cadres, et de leur difficulté
à trouver un lieu
ultérieurement, au cours de leur
carrière, pour partager
interrogations, échecs ou
expériences ;
-le
plaisir et l'intérêt
manifestés par eux dans les
nombreux stages de formation à la
relation ou à la communication
inter catégoriels que j'ai eu
l'occasion d'animer avec mon équipe
;
-
l'investissement de ces chefs
d'établissement dans des stages de
formation continue qui leur étaient
proposés sur les thèmes du
management, de la gestion des conflits, de
la conduite de réunion, de la
médiation, de la gestion du stress,
soit au sortir de leur formation soit dans
le cadre de leur formation
continue.
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1 - Les
objectifs
Ils sont issus de mes observations
dans les stages de formation et des
rencontres individuelles qui s'ensuivirent
et peuvent se regrouper sous quelques
points :
-
permettre l'écoute et
l'expression des difficultés de la
vie professionnelle, avec les
collaborateurs, les enseignants, les
élèves, les parents, les
partenaires de l'Éducation
nationale ;
-
aider à l'élargissement
des solutions utilisées jusque
là, grâce à la
créativité du groupe et
à des changements de
représentations ;
-
approfondir la compréhension
des phénomènes
relationnels ;
-
favoriser le réflexe d'un
travail en équipe au sein des
établissements.
Il est bien évident
qu'au cours de ces séances de
travail peuvent émerger des
problèmes personnels mais ils ne
sont pas « travaillés ».
Ils sont « entendus » et
reliés à la vie
professionnelle avec laquelle ils sont en
interaction et ne doivent pas induire de
confusion avec un quelconque travail
thérapeutique, même si tout
acte de formation réussi peut
conduire à des changements
personnels, parfois en profondeur. «
C'est en profondeur seulement que les
distances se raccourcissent. » Paul
Ricoeur
2 - Le
cadre de fonctionnement
Pour permettre aux participants du
groupe d'analyse de la pratique
professionnelle (GAPP) de travailler la
relation à leur métier et de
s'appuyer sur l'expérience des
autres, leurs difficultés et leurs
réussites, un cadre
sécurisant est indispensable.
Ce cadre est élaboré
sur le principe des stages de formation
que j'anime régulièrement et
comporte des spécificité
liées aux objectifs.
Bien entendu, ce groupe ne peut
être composé que de
volontaires, même si des suggestions
peuvent être faites avec profit pour
inciter des chefs d'établissement
à aller se ressourcer dans une
structure de ce type.
Un proviseur ou un principal ne
peuvent participer au même groupe
que leurs adjoints. Il est tout aussi
évident à
l'expérience, que là comme
ailleurs, ce ne sont pas ceux qui sont les
plus en difficulté qui y
participent.
A -
Un cadre spatial
Il est utile d'adopter un
lieu neutre où aucun des
participants n'a de responsabilité,
sous peine d'être sollicité
et dérangé par
l'institution. Les
téléphones portables sont
invités à se mettre en
veille.
B -
Un cadre temporel
Étant donné le
caractère expérimental de ce
travail nous avions prévu une
journée de 7 heures par trimestre
pour ne pas trop alourdir la charge des
participants et tenir compte de la
longueur des déplacements dans une
académie étendue.
C
- Un cadre
d'attitudes
Il est sous-tendu par les
références théoriques
et les valeurs éthiques auxquelles
je me réfère et que je
veille à mettre en pratique dans
l'animation : l'écoute
bienveillante, le respect de la
confidentialité, l'implication
contrôlée, le respect des
limites de chacun. Cette manière
d'être, adoptée aussi par les
stagiaires, ouvre ainsi sur un climat de
confiance et par isomorphisme
amène à transférer
cet esprit dans les relations au sein de
l'établissement de
rattachement.
D -
Un cadre
théorique
L'approche globale de la personne,
du groupe et de l'institution est
fondée sur une conception
systémique inspirée de
l'École de Palo-Alto et qui ouvre
sur les théories de la
complexité proposées par
Edgar Morin.
L'accueil et l'écoute
bienveillante renvoient à Carl
Rogers dont s'est beaucoup inspiré
André de Peretti ; l'écoute
de l'inconscient des personnes et du
groupe s'appuie sur la théorie
psychanalytique.
La Gestalt, à la fois dans
ses fondements de référence
au personnalisme et à
l'existentialisme fournit un appui
conceptuel qui met en valeur la
responsabilisation des personnes et la
prise en compte de la globalité de
la personne dans « l'ici et le
maintenant » du groupe et dans ses
contacts avec les différents
champs.
E
- Un cadre
méthodologique
La méthodologie de travail
s'appuie pour l'essentiel sur des cas
apportés par les stagiaires et
analysés avec différents
outils. Un temps de parole libre sans
jugement est toujours
réservé après chaque
travail et des pointages de «
théorie vivante » sont
apportés selon la
demande.
Pour explorer ces situations,
j'utilise des outils adaptés issus
de mon expérience et de mes
différentes formations et
références
théoriques. L'approche globale de
la personne et de l'institution
amène à mettre en jeu des
représentations actives des
conflits internes et externes qui animent
le participant : jeu de rôles et
psychodrame, repérage des
ressources de la personne avec utilisation
des outils de visualisation externe de
Louis Schorderet
|
Un
autre exemple où ces
méthodes sont
appliquées
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St
Bernard en mission.
Bernard est fraîchement
nommé dans un collège d'une
petite ville paisible. En partant, son
prédécesseur lui
décrit l'établissement sous
des dehors engageants. Un seul
problème : le professeur de
sciences boit . Tout le collège
porte ce problème, des inspections
ont eu lieu, des parents se sont plaints,
les collègues traquent tout signe
d'alcool, fouillent ses affaires. Le
Principal est quant à lui "
emporté " par ce courant : il
délaisse les autres
préoccupations, inquiet, craignant
à la fois des accusations de
négligence de la part de ses
supérieurs, le suicide potentiel de
ce professeur, les manifestations des
parents, et les perturbations
apportées aux élèves.
Toute l'activité du collège
semble consacrée au salut de ce
professeur. Utilisant les ressources du
groupe, je lui propose de visualiser et de
représenter les
éléments qui
caractérisent la
personne-problème : ses
qualités , ses défauts .
Curieusement , il choisira pour
représenter l'alcoolisme, la
stagiaire la plus petite et la plus menue.
L'abondance de qualités
symbolisées finit par engloutir
cette dernière. L'expérience
suit le même processus quand je
suggère à Bernard de
représenter le " problème "
dans l'ensemble des activités et
préoccupations que Bernard doit
normalement assumer.
En remaniant les figures sur le
fond, Bernard va très vite cesser
d'être envahi et d'envahir son
entourage avec cette situation. Ce sera le
cas également dans le groupe de
travail que j'animais où il
occupait tout l'espace. La pression s'est
relâchée au collège et
si le professeur de sciences naturelles
boit toujours, il est le seul
désormais à avoir un
ulcère à l'estomac et
envisage d'entreprendre une
thérapie !
|
Quels
effets sur les participants
?
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Ce groupe
d'analyse de la pratique professionnelle
pour chef d'établissement a eu pour
effets:
-
de sortir les chefs
d'établissement de leur
isolement dans lequel ils s'enferment
trop souvent débordés par le
quotidien «la solitude appelle
à la solidarité
»
-
de leur permettre de travailler les
représentations de leur
rôle (et de leurs rôles) en
les confrontant avec celles de leurs
collègues ;
-de
leur faciliter la relation à leur
fonction d'autorité souvent
délicate, notamment dans leur
première affectation où la
confrontation avec les collègues
enseignants dont ils viennent à
peine de quitter le « corps »
;
-
D'arriver à mettre en place un
fonctionnement d'équipe et les
délégations
nécessaires ;
-
de leur permettre de développer
leurs fonctions d'animation
vis-à-vis de leurs collaborateurs
;
-
de sortir du « boulevard de la
plainte » pour reprendre une
image de Louis Schorderet, pour être
plus acteur de changement;
-
d'augmenter leur capacité
à être alternativement
les hommes qui séparent pour mieux
relier ;
-
de pouvoir affronter les situations de
stress liées aux pressions
multiples et contradictoires qu'ils vivent
au quotidien (enseignants,
élèves, parents, syndicats,
organismes de tutelle ou partenaires... la
liste est longue...) et de vivre moins
douloureusement certaines situations
où les conflits internes sont
lourds, comme les signalements, les drames
vécus dans les
établissements, la gestion de
personnels en grande difficulté...
;
-
de bénéficier d'effets
imprévus sur leur vie
personnelle.
|
Un groupe ne
peut s'ouvrir qu'avec des animateurs
très
formés.
Balint faisait appel à des
médecins -psychanalystes compte
tenu du contexte de l'époque. Je
suggère en tous cas des personnes
formées à l'écoute
des personnes et du groupe, appartenant ou
non à l'Éducation nationale.
Un groupe de ce genre ne peut être
animé dans
l'amateurisme.
Les participants doivent
être volontaires et s'engager
à suivre toutes les séances
ce qui amène déjà
à une évolution de leurs
représentations de l'urgence, de la
hiérarchisation de leurs
obligations et de leur capacité
à déléguer et le
rythme des séances doit tenir
compte des réalités
géographiques et des
spécificités
locales.
Nous sommes actuellement sur des
projets en Suisse, au Luxembourg et
dans l'enseignement privé sous
contrat, qui semblent demandeurs de cette
mise en place et je me réjouis de
voir que cette initiative régionale
fait école.
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Face à un monde qui bouge,
les chefs d'établissements doivent
affronter comme d'autres catégories
de populations, l'incertitude et les
ruptures". Cet outil parmi d'autres est un
levier précieux pour devenir acteur
et non victime du
changement.
Les entreprises n'ont rien fait
d'autre en proposant à leurs
dirigeants et cadres du coaching
individuel ou en groupe. La
dénomination a seulement
répondu aux exigences de la
modernité
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Commentaires:
<<Chère
Madame Bonicel, Je me réjouis d'avoir
trouvé votre site. Je suis médecin
psychiatre, psychothérapeute
cognitiviste-comportementaliste et
spécialiste en thérapie
systémique, à Strasbourg. J'ai fait
du coaching (par exemple à ARTE), et j'ai
toujours eu envie de faire des séances de
supervision-coaching pour les enseignants qui
consultent nombreux chez moi, eu égard aux
problèmes énormes auxquels ils sont
confrontés. Ma question est d'ordre
pratique: les enseignants sont, individuellement,
très intéressés par de telles
séances, mais ils me font remarquer que cela
ne peut se faire dans le cadre de l'Education
Nationale. Quand je vous lis, je remarque que cela
est pourtant possible. Quelle est la filière
à suivre? Qui donne le feu vert? A qui
s'adresser? Merci pour votre aide. Je pense que
j'aurai d'autres questions, au fur et à
mesure que les choses se mettront en place.
Veuillez recevoir, Madame Bonicel, l'expression de
mes sentiments les meilleurs.>>
<<Bonjour
Madame Bonicel, j'apprécie chaque fois que
je me retrouve avec un discours aussi humanisant.
Une question: Dans ma commission scolaire, certains
cadres qui m'apparaissent des êtres
plutôt de "pouvoir" ont une influence parfois
désastreuse sur des chefs
d'établissement. Qu'est-ce qu'une
enseignante consciente de ces attitudes peut faire
pour aider? Toutes mes
amitiés!>>
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