<<. Les
hypothèses de Bion. - Les conceptions du
psychiatre anglais W. R. Bion se fondent sur une
expérience intensive de groupes
thérapeutiques consistant en échanges
libres, sans ordre du jour ni leader
désigné. Bien qu'il s'inspire
largement de Freud et de M. Klein, Bion
dégage un ensemble de concepts et de
schèmes de portée
spécifiquement collective et concernant les
émotions de groupe.
Essayons de
présenter les éléments
essentiels d'un ouvrage complexe et parfois obscur
(bib).
La vie d'un groupe,
quel qu'il soit, se poursuit à deux
niveaux
- Un niveau
manifeste, rationnel, conscient, celui des
tâches, en rapport direct avec la
réalité objective. Bion nomme ce
niveau « groupe de travail » (ajoutant
même souvent « spécialisé
»). L'activité y suppose un
apprentissage et se trouve normalement
facilitée par une structure institutionnelle
et divers systèmes de contrôle
acceptés par des membres qui
coopèrent volontairement.
Un niveau
implicite, irrationnel, généralement
inconscient et irréaliste, dominé par
des fantasmes. L'activité mentale de ce "
groupe de base"
est «
instantanée et instinctive » ; elle
n'exige aucune formation ni aptitude
spéciale à coopérer, mais
suppose seulement une « valence » - terme
emprunté à la chimie pour exprimer la
disposition spontanée des individus à
entrer en combinaison avec le reste du groupe et
conformer ses sentiments et sa conduite avec ce que
Bion nomme les " hypothèses de base". Or,
ces processus viennent perturber plus gravement la
coopération rationnelle aussi longtemps
qu'ils restent non élucidés et non
maîtrisés.
Le terme
"d'hypothèse de base " désigne des
attitudes ou plutôt des schèmes
mentaux collectifs (group mentality). Après
une série de recherches, Bion fut conduit
à distinguer trois schèmes entre
lesquels oscillerait la vie émotionnelle des
groupes et qui constituent à ses yeux des "
instruments" pertinents pour démêler
le matériel chaotique qui émerge au
cours des séances de groupe.
A) La
dépendance. - Lorsque le groupe adopte
inconsciemment ce schème, il se conduit
comme s'il existait uniquement pour être
protégé par une personne ou une
idée ou un symbole dont " la fonction est
d'assurer la sécurité d'un organisme
immature", de lui fournir une nourriture
matérielle et spirituelle. Cet état
ne se maintient que si le leader accepte
complémentairement le rôle omnipotent
et protecteur, qu'on cherche à lui
conférer.
Toutefois, dans un
tel cas, le sentiment de sécurité est
lié chez plusieurs membres à un
sentiment d'impuissance et de frustration ; non
seulement chez les " ambitieux" mais chez tous ceux
qui aspireraient à se faire entendre sans
oser entrer en compétition avec le leader.
Certains se sentent même coupables dans la
mesure où ils ont l'impression d'exiger trop
et de donner peu.
B) L'attaque-fuite
(fight-flight) - Le groupe se conduit alors comme
s'il ne pouvait subsister qu'en luttant contre un
danger diffus ou en le fuyant. Le leader
correspondant à ce schème est celui
dont les interventions donnent
précisément aux membres des occasions
de fuite ou d'agression; il ressuscite des
fantasmes liés à l'image du
père terrible. Ce couple d'attitudes peut
être dirigé tantôt contre un
leader qui refuserait d'assurer la
sécurité du schème de
dépendance, tantôt contre tel membre
ou tel sous-groupe qui serait perçu comme
déviant ou traître ; ainsi s'exprime
l'incapacité actuelle du groupe à
comprendre et à aimer.
C) Le couplage
(pairing). - Alors que les émotions
liées au schème
précédent étaient à
base de colère et de haine, elles sont ici
de l'ordre de l'amour et de l'espoir. Cette
atmosphère, selon Bion, serait dans les
groupes naissants amorcée et
symbolisée par la formation de paires et de
relations d'intimité au sein du groupe; elle
impliquerait l'attente d'un " sauveur" à
naître, capable de transformer le groupe, de
l'arracher à la destruction et au
désespoir. Etat qui ne saurait subsister que
pour autant qu'il ne se prétend pas
réalisé, puisque l'espoir cesserait
en tant que tel. Ce processus de couplage,
d'affinité reposerait en dernière
analyse moins sur le souci de procréation,
de production, que sur la recherche inquiète
d'un complément.>> P.72
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