Les
événements du printemps
2003
La
détermination, la dureté, la violence
de ce mouvement m'ont surpris. Je ne m'y attendais
pas. Et je suis très inquiet que nous
n'ayons pas eu de véritable " sortie de
crise " : pas de signe symbolique marquant que la
crise était terminée et qu'on passait
à une autre étape, à d'autres
problèmes. Donc pas de catharsis possible
pour les acteurs.
Mais je
voudrais aussi insister sur le fait que des
maladresses très graves ont
été commises par le gouvernement.
Maladresses dans la gestion même du conflit
qui est apparue extrêmement chaotique :
était-on dans la discussion, dans la
concertation, dans la négociation ? Sur quoi
exactement ? Avec quels interlocuteurs ? Tout cela
a été très confus. Maladresses
aussi dans les attitudes d'un pouvoir qui est
apparu très arrogant, voire méprisant
à l'égard des personnes qui,
précisément, font le travail " en bas
", au quotidien et à qui l'on se contentait
de dire : " Mais il n'y a pas de
problème
C'est vous qui n'y comprenez
rien et refusez toute réforme ! ". Or, le
mépris engendre toujours la
violence.(
)
En agissant
comme il l'a fait, le gouvernement a, à mes
yeux, pris une terrible responsabilité : il
a fait le lit d'une gauche extrême - bien
loin de l'extrême gauche des années
1970-1980 - qui fait de la surenchère et
risque de nous conduire à la montée,
en face, de l'extrême droite. Cette gauche
extrême raisonne, d'ailleurs, d'une
manière tout à fait comparable au
capitalisme libéral qu'elle dénonce :
" Je veux l'argent auquel j'ai droit. Je ne veux
pas savoir où l'on va le trouver ni à
qui l'on va le prendre. " C'est un vrai recul pour
la démocratie et la solidarité
sociale.
Il
faut bien comprendre qu'après la faillite du
marxisme et devant la difficulté des
socialistes à définir un projet de
société alternatif, les enseignants
se sont, majoritairement, retrouvés
orphelins, sans idéologie de
référence. Ils sont alors devenus
réceptifs à un discours
anti-mondialiste sommaire
Un discours qu'on
peut tenir tout en continuant soi-même
à acheter ses produits de consommation au
moindre coût et à entériner
ainsi le système que l'on conteste
Un
discours qui stigmatise comme libéral tout
appel à la responsabilité
individuelle ou collective
Mais un
discours qui permet d'identifier un bouc
émissaire et de se libérer ainsi de
sa culpabilité professionnelle : " Si
nous ne parvenons pas à faire fonctionner
l'ascenseur social, si nous n'arrivons pas à
faire réussir comme nous le voudrions les
élèves des milieux
défavorisés, c'est à cause de
la mondialisation libérale ! " Entendez-moi
bien : je ne dis pas qu'il n'existe pas de vrais et
graves dangers dans la mondialisation, je ne dis
pas qu'il faut déserter ce terrain-là
ni renoncer à militer pour une juste
répartition des richesses sur la
planète. Mais je m'inquiète de la
manière dont certains groupes et certaines
organisations syndicales parviennent à
habiller d'un discours généreux des
attitudes d'égoïsme corporatiste et
paralysent ainsi toute véritable
réflexion, en particulier sur le
système éducatif et les pratiques
pédagogiques. (Haut
de page)
|
Autrement
dit ce qui arrive est à lire
à plusieurs niveaux: celui des
décisions prises par des personnes
mais également celui des effets
systémiques et des fantasmes
collectifs.
systèmes
Il y a
effectivement un risque important pour que
le débat ne porte que sur les
moyens et non sur les buts et
méthodes
|
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Le " malaise "
enseignant
Les enseignants
sont nombreux à avoir le sentiment de devoir
ramer seuls, à contre courant.
Ils sont nombreux à se demander comment
incarner au quotidien les valeurs de l'école
républicaine quand la société
tout entière semble promouvoir les valeurs
inverses : la séduction contre la
réflexion, la violence contre
l'intelligence, la facilité contre
l'exigence, l'individualisme contre la
solidarité, l'élimination du "
maillon faible " contre le pari de
l'éducabilité de tous. Les
politiques ont, à cet égard, une
responsabilité déterminante. Ils
n'ont pas mesuré à quel point la
télévision représente un des
enjeux fondamentaux des années à
venir. Ils ont abandonné ce secteur
à la concurrence des marchés
publicitaires, alors qu'il s'agit d'un domaine
où l'État devrait avoir une forte
présence, non pour censurer, mais pour
impulser une vraie politique culturelle, non pour
tout diriger mais pour favoriser une
réflexion citoyenne sur cet outil qui est au
cur de la vie quotidienne de tous les
Français. Je suis, d'ailleurs, très
étonné de la timidité de
l'Éducation nationale dans ce domaine
J'aimerais qu'elle s'inspire du courage qu'eut,
jadis, Jules Ferry pour lutter, par l'école,
contre l'obscurantisme religieux. Car, aux plus
beaux moments de l'école laïque, les
élèves n'ont jamais passé
autant de temps au catéchisme qu'ils n'en
passent aujourd'hui devant les âneries de la
télévision ! (
) Nous sommes
bien trop timorés : en classe, nous
ignorons la télévision ou, au mieux,
n'évoquons que les émissions
culturelles. Je voudrais que nous retrouvions
la passion pour l'intelligence et la liberté
des grands laïcs du XIXe siècle. Et je
suis certain, d'ailleurs, que cela donnerait aux
enseignants une perspective susceptible de leur
rendre leur dignité.(
)
Les enseignants
ont le sentiment de ne plus pouvoir faire
fonctionner l'ascenseur social, d'être
devenus impuissants à combattre la
fatalité sociale. Ils ont
intériorisé l'échec d'une
école républicaine qui ne parvient
pas à faire émerger au moins quelques
élus parmi les fils des exclus. Ils en
ressentent une souffrance à la mesure de
leur générosité : ce sont
des hommes et femmes progressistes qui se vivent
comme incapables collectivement de réaliser
l'idéal auquel ils adhèrent. Je
crois, pour ma part, qu'ils ont tort et que la
pédagogie peut toujours permettre de lutter
contre la fatalité
Mais je comprends
leur souffrance. Je comprends qu'ils retournent
celle-ci contre un système qu'ils rendent
responsable de leur échec.
(
)
Si les
enseignants sont méfiants à
l'égard d'une politique scolaire qui
basculerait dans la loi du marché, c'est
parce qu'il existe quand même des indices qui
montrent que le danger existe : le
développement des officines privées
de soutien scolaire, l'arrivée des cours
payants sur Internet, l'accroissement des
écarts entre les établissements
prestigieux de centre ville et les
établissements de banlieue
Et
j'ajouterai, pour ma part, la réduction des
savoirs scolaires à des marchandises, de
simples moyens de réussir des examens.
C'est, d'ailleurs, ce qu'ont toujours
dénoncé les pédagogues
(Haut
de page)
|
C'est
aussi la question de la
reconnaissance
qui leur manque, entre
autres.
Je
pense qu'il n'existe pas encore de
réflexion suffisante sur le pouvoir
des journalistes qui se cache
derrière la croyance qu'ils ont de
refléter la réalité,
alors que souvent ils l'influencent dans
une interaction
avec elle.
|
|
Le
pédagogisme
Je ne me
définirai évidemment pas comme un "
pédagogiste ". Je prétends simplement
que, s'il est vrai que l'on enseigne toujours
quelque chose, il est non moins vrai qu'on
l'enseigne toujours à quelqu'un.
Sur les
années 1970-1990, (
) on ne peut
absolument pas parler d'une renonciation
généralisée des enseignants
à leur autorité. Après la
récréation de 1968, l'ordre est vite
revenu. Depuis, les sanctions dans l'école
n'ont pas cessé d'augmenter. Et je refuse
complètement d'assimiler la volonté
d'impliquer l'élève dans ses
apprentissages avec la généralisation
du spontanéisme. C'est tout le contraire :
cette implication demande un travail
pédagogique considérable !
Bien sûr,
je reconnais qu'il existe une forme de "
pédagogie active " - libérale en
quelque sorte - qui profite aux enfants ayant
trouvé leur costume d'écolier au pied
de leur berceau, ceux qui font les exposés
spontanément, qui fréquentent les
maisons des jeunes et de la culture, les
associations ou les organisations culturelles. Mais
vous semblez ignorer qu'il faut surtout mobiliser
les autres sur les savoirs scolaires et que cela
passe, évidemment, par le fait de les rendre
actifs. Car, les enseignants sont
confrontés aujourd'hui à la
nécessité de transmettre des savoirs
à des élèves qui ne veulent
pas toujours apprendre et ne voient pas bien ce
qu'ils font à l'école
et cela
est bien affaire de pédagogie. C'est
même la grande affaire de la pédagogie
!
En
réalité, trop d'enseignants,
légitimement sensibles à l'amour de
leur discipline, vivent son refus ou son rejet par
leurs élèves comme une blessure
personnelle. Ils ont alors tendance à se
durcir, voire à croire que l'autoritarisme
et les sanctions sont les seuls remèdes. En
les y encourageant, le gouvernement actuel les
mène à l'échec. Il faudrait,
au contraire, leur faire entendre quelles sont les
exigences spécifiques de
l'école.(Haut
de page)
|
C'est
toute la question de l'opposition fausse
entre instruire
et
éduquer
mais derrière se joue le
modèle
de la
personne
:
l'élève
est il une personne globale dont
l'intelligence est tributaire de
l'affectif etc...
ou
est-ce un individu morcelé qui
n'intéresse que par son
intelligence?
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L'institution
scolaire
L'école
n'est pas une juxtaposition d'enseignements
disciplinaires. C'est une institution
particulière qui a ses principes et ses
règles. Ce n'est ni la rue ni la famille.
À l'école, celui qui a raison n'est
pas celui qui crie le plus fort, mais celui qui
démontre le mieux. L'école est un
lieu où comprendre est plus important que
réussir, où l'exigence de rigueur, de
justesse et de vérité doit
constamment s'incarner : on ne peut pas faire dire
n'importe quoi à un texte, ni cacher une
partie des données recueillies lors d'une
expérience. De plus, l'école est un
lieu où, non seulement l'erreur est
tolérée, mais utilisée pour
progresser. Felix culpa, disaient les
Jésuites : " Heureux sois-tu qui te trompes,
car tu pourras analyser ton erreur et ne plus te
tromper. ".
Or, ce qui me
paraît caractériser la situation
vécue par beaucoup d'enseignants
aujourd'hui, c'est que ces principes ne vont plus
de soi. Chaque professeur doit en quelque sorte "
reconstruire l'école " s'il veut " faire
l'école ". La tâche est ardue :
l'école, bien souvent, va à
contre-courant de l'idéologie dominante.
Elle prétend que chacun peut et doit
apprendre, quand la télévision
explique qu'il vaut mieux éliminer " le
maillon faible ". Elle exige effort, attention et
patience, quand la publicité vante le "
tout-tout-de-suite ". Plus que jamais, dans ces
conditions, l'enseignant a besoin de
pédagogie.(
)
Je crois, pour
ma part, que l'acquisition des savoirs est
inséparable de celle des règles du "
vivre ensemble " : apprendre à respecter
celui qui raisonne juste et convainc sans violence
relève bien de la mission première de
l'école.
C'est donc
à l'occasion de la transmission des savoirs,
en réfléchissant à la
manière d'organiser les apprentissages que
se construit le " vivre ensemble ". Cela se fait en
travaillant sur des textes littéraires ou
des expériences scientifiques. Je n'ai
jamais été partisan de la
cohésion de l'établissement et la
paix sociale à tout prix. L'école
n'est pas d'abord faite pour être bien
ensemble, mais pour apprendre
et apprendre
ensemble.(Haut
de page)
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La
gestion
du
temps
pour le maître est fondamentale,
l'apprentissage du "surseoir au plaisir"
est la base de l'apprentissage comme de
l'éducation et c'est effectivement
à l'opposé du "zapping"! et
cette gestion demande effectivement une
bonne dose de pédagogie ou de
savoir-faire que la formation peut
apporter
|
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Le goût
d'apprendre
L 'essentiel
est de leur faire entendre que les savoirs ne leur
sont pas imposés de manière
arbitraire et dans une perspective purement
scolaire, mais qu'il s'agit d'occasions d'entrevoir
et d'obtenir des satisfactions intellectuelles plus
importantes que les renoncements provisoires qu'on
leur impose. L'enseignant doit pouvoir montrer que
les apprentissages sont véritablement
libérateurs et qu'on ne demande à
personne de s'assujettir bêtement à
l'autorité d'un maître ou d'une
institution.
D'ailleurs,
quand Jules Ferry explique, il y a plus d'un
siècle, qu'il faut apprendre à lire,
écrire et compter, la lecture est pour lui,
dans la tradition protestante, l'occasion de se
libérer de toutes les formes de
cléricature, de tous ceux qui voudraient
qu'on les croie sur parole. Il prône le libre
examen, la possibilité d'aller
vérifier dans le texte l'exactitude d'un
propos, de le confronter avec d'autres textes
Le plus extravagant est qu'aujourd'hui la
lecture, qui est un moyen extraordinaire
d'échapper à toutes les formes
d'emprise, est vécue par les
élèves comme un assujettissement, une
soumission au pouvoir d'adultes qui leur demandent
de mettre en uvre une technique sans leur en
montrer le formidable pouvoir émancipateur.
Apprendre à lire, ce devrait être
se réjouir de pouvoir, enfin, choisir
soi-même son programme de
télévision, chercher l'information
pour contredire ses parents et tenter
d'accéder, à travers le livre, au
secret des choses. C'est devenu échapper
à une punition, réussir une
évaluation ou faire plaisir à son
enseignant !
Car nous ne
parvenons plus à faire entendre le potentiel
libérateur des savoirs. Et, faute de pouvoir
exprimer son désir de grandir et
d'être indépendant dans les
apprentissages intellectuels ou dans la
création artistique, le jeune s'affirme dans
des transgressions qui mettent en péril son
intégrité psychologique et physique :
rouler à grande vitesse, prendre de la
drogue, s'aliéner à des bandes en
rupture
L'école, aujourd'hui, ne peut
se contenter d'imposer des savoirs, il lui revient
aussi d'en montrer " la saveur ".(Haut
de page)
|
Ceci n'est
pas si étonnant quand on sait
"la
peur
d'apprendre"
qui existe chez bien des
jeunes.
Ceci
montre également combien un
enseignant doit être averti des
processus imaginaires et des
représentations
des élèves
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La crise de
l'autorité
La crise de
l'autorité dans notre société
n'est pas simplement le fruit de la
démission des adultes en
général et des enseignants en
particulier
elle est un
phénomène plus général.
C'est le corollaire de la fin de toute
théocratie : il n'y a plus
d'idéologie qui s'impose à tous, ni
dans le Ciel ni dans le Parti. La
démocratie permet qu'on discute librement de
toutes les opinions ; elle valorise le débat
comme un moyen d'identifier l'intérêt
général. Les élèves
vivent dans un environnement où tout est
discutable. Ils ont du mal à comprendre
qu'à l'école, la discussion doit
être régulée par la recherche
de la vérité, de la précision,
de la justesse, recherche que,
précisément, le maître incarne.
Dès lors que les élèves ne
sont pas formés à faire la
différence entre le registre des convictions
qui s'expriment légitimement dans un
État démocratique et celui des
vérités qui s'enseignent tout aussi
légitimement à l'école, la
confusion s'installe. Et, si le maître ne
travaille pas à instituer cette distinction
fondamentale, s'il cherche à passer en force
dans tous les domaines, à imposer le savoir
scolaire comme une opinion qui doit triompher des
autres opinions, il va au-devant de durcissements
et de rejets chez ses
élèves.
Dans une classe
de CM1 que je visitais, il y a quelques jours, le
maître s'est fait interrompre par un
élève qui lui a demandé : "
D'où tiens-tu ce que tu dis ? " On voit bien
que la contestation de l'autorité de
l'enseignant tourne parfois au conflit d'opinions :
l'enseignant a une opinion, l'élève
également ; chacun des deux l'exprime et
celui qui a le pouvoir l'impose. Pis,
l'autorité est parfois vécue comme
un affrontement entre deux caprices ou une
soumission aux règles d'une autre tribu.
C'est ce que renvoient certains jeunes de banlieue
: " Tu me dis de faire cela
Mais pourquoi
ta loi serait-elle meilleure que la mienne ?
"
C'est pourquoi
l'enseignant qui impose sa position par la force
savonne la planche sur laquelle il devrait se tenir
debout. Ce n'est pas le fait qu'il soit le plus
fort qui lui donne sa stature d'enseignant
c'est parce qu'il parle plus juste, qu'il est le
plus proche de la vérité et qu'il
sait le faire entendre à ses
élèves. En réalité,
c'est parce qu'il autorise ses élèves
à accéder à une
vérité dont il n'est que le vecteur,
qui existe en dehors de lui et d'eux, que chacun
peut vérifier et qui résiste à
leur imaginaire réciproque, qu'il peut
sortir du conflit d'opinions. S'imposer par la
contrainte, c'est se mettre dans une situation
où l'autre risque de confronter sa propre
force à celle qu'on lui impose. Cela donne
lieu à des parties de bras de fer inutiles
où les enseignants s'épuisent, alors
qu'il conviendrait qu'ils consacrent plutôt
leur énergie à inventer des
situations qui rendent légitime la
transmission des connaissances.(Haut
de page)
|
Il y a
effectivement à retrouver le sens
du rapport
à la Loi et aux
lois
dans l'école mais pas uniquement
là!
L'autorité
n'est effectivement plus la même
qu'autrefois et ses conditions sont
à repenser
|
|
Violences et
incivilités
D'abord, je
voudrais qu'on évite de stigmatiser
systématiquement les comportements des
enfants d'origine maghrébine. Il est vrai
que certains d'entre eux - des garçons en
grande majorité - commettent des
excès indéfendables. Mais cela ne
doit pas faire oublier les transgressions bien
réelles, quoique plus " convenables ", des
autres élèves : de ceux qui, par
exemple, n'insultent pas l'enseignant mais le
méprisent en silence royalement ! De
ceux qui l'utilisent comme un valet et le traitent
avec dédain ! Et puis, il y a autant
d'obscurantisme et même de barbarie dans
certaines formes de bizutage que dans les
manifestations d'un communautarisme qui,
bizarrement, ne concernerait que la
communauté musulmane.
Ensuite,
il est évident qu'il existe aujourd'hui des
classes où les enfants se comportent de
façon absolument inacceptable : certains se
lèvent tout d'un coup, d'autres jettent
leurs affaires, d'autres encore s'interpellent ou
insultent l'enseignant... Mais, dans ces
cas-là, il est inutile de tenter de crier
plus fort que les élèves. Cela
tourne trop souvent, en effet, aux jeux du cirque :
" Tu n'as pas ton cahier, eh bien tu vas sortir !
", déclare le professeur. " Non je ne
sortirai pas ! ", répond
l'élève. Ou bien : " Je reviendrai
avec mon frère et tu verras
". Ou
encore : " Je vais sortir, mais je ne reviendrai
plus ! Tant pis pour vous ! " Et le rapport de
force s'engage. Les autres élèves,
d'ailleurs, recréent mentalement
l'arène : ils observent l'affrontement et se
demandent qui va rester au tapis. Le professeur,
de toutes façons, en sortira
épuisé et, s'il réussit
à résoudre le problème sur le
moment, n'aura pas forcément, pour autant,
contribué à la construction de la loi
scolaire dans la classe.
Cette loi
scolaire, en réalité, ne se construit
pas seulement dans des situations de crise, mais
dans le moindre exercice quotidien. Je me souviens
avoir visité une de mes stagiaires,
professeur des écoles. Elle avait mis les
élèves par deux pour effectuer un
travail de géométrie, en leur
expliquant qu'ils devaient parler à voix
basse. Un élève l'a
interpellée du fond de la classe. Elle lui a
répondu tout fort. Quelques instants plus
tard, un autre l'a sollicitée en lui posant
la même question. Elle a à nouveau
obtempéré. En quelques minutes,
cette jeune femme a donc fait passer trois messages
à sa classe : le premier est que,
contrairement à la consigne, on peut parler
fort. Le second est qu'il n'est pas important
d'écouter ce que disent ses camarades. Le
troisième qu'on peut même se dispenser
d'écouter ce qu'elle dit puisqu'elle le
répète systématiquement.
Ici, comme
ailleurs, les règles se travaillent et se
construisent : elles s'imposent non pour faire
plaisir au maître, mais parce qu'elles sont
cohérentes avec le projet même de
l'école : trop d'élèves
croient qu'en classe, on leur ordonne le silence
pour les brimer, alors qu'il s'agit de
découvrir avec eux la concentration et
l'intériorité nécessaires pour
réfléchir. (
)
Enfin, le
rôle des professeurs principaux a-t-il
été trop négligé.
Alors qu'ils devaient être le ciment d'une
équipe enseignante, se trouver en liaison
étroite avec le chef d'établissement
et en mesure d'exprimer les exigences de
l'institution auprès des
élèves et des parents, ils ont
été dévalorisés et
considérés comme de simples courroies
de transmission administratives. Cela n'aide pas
à structurer l'univers scolaire.
L'élève n'a pas toujours
d'interlocuteur pédagogique identifié
capable d'avoir une vision globale de son travail,
de le suivre dans ses apprentissages, de faire avec
lui les bilans nécessaires et de prendre les
décisions qui s'imposent. C'est ce
rôle pédagogique là qu'il faut
renforcer en donnant au professeur principal les
moyens d'exercer vraiment sa responsabilité.
C'est comme cela qu'on retrouvera la
véritable autorité des
enseignants.(Haut
de page)
|
Si les
enseignants connaissaient mieux la
culture
du
maghreb
, peut-être que ces jeunes se
sentiraient mieux
reconnus...
La
nécessité d'une,formation
autre que celle de la discipline montre
là sa nécessité.
voir: dossier la
violence
C'est
la question de l'isomorphisme entre "le
dire "et le "faire"; mais cet isomorphisme
devrait déjà être
à la base de la formation en
IUFM!
|
|
Une école sans
projet ?
Nous avons
démocratisé l'accès à
l'école, mais, faute d'un travail
pédagogique suffisant, nous n'avons pas
démocratisé la réussite dans
l'école. D'où les frustrations et,
parfois même, la rancur des uns ou des
autres. Mais je ne voudrais pas, pour autant, que
nous laissions penser que rien de constructif ne
s'est fait depuis vingt ans et que rien de positif
ne se fait aujourd'hui. Il y a des enseignants qui
font un travail extraordinaire avec une
énergie et un enthousiasme
considérables. Il y a de grandes
réussites, y compris dans les zones les plus
difficiles. Des élèves qui
réussissent enfin quelque chose, des classes
qui retrouvent le goût d'apprendre et passent
du Loft à Marivaux .
S'il y a crise,
en réalité, c'est parce que les
enseignants manquent d'un projet social et
politique clair. Ils ne savent plus très
bien ce que l'on attend d'eux. Ce n'est pas
seulement la faute des hommes politiques, c'est
la responsabilité de la
société tout entière qui est
engagée ici.
À
l'époque où j'ai travaillé
avec Claude Allègre sur la réforme du
lycée, j'ai constamment plaidé pour
qu'un débat parlementaire soit
organisé, pour que le Parlement tranche en
dernier ressort sur les orientations fondamentales.
Car, dès lors qu'il n'y a pas d'orientation
forte clairement identifiée, les enseignants
et les parents se sentent livrés à
eux-mêmes et les conflits
d'intérêts sont inévitables.
Si rien ne vient arbitrer entre les demandes des
uns et des autres, c'est la loi du plus fort qui
s'installe derrière la façade
réglementaire.
Paradoxalement,
seule l'école catholique dispose aujourd'hui
d'un projet pour faire face aux revendications
consuméristes des familles. Elle peut au
moins leur opposer les valeurs
évangéliques dont elle se
réclame, le souci du plus pauvre, par
exemple, pour contrer la demande de classes
d'élite ! (
)
Lorsque
j'étais enfant, mes parents m'ont
envoyé à l'école comme
aujourd'hui on pénètre dans un avion
: sans avoir la prétention d'aller expliquer
au pilote comment il doit se comporter.
Aujourd'hui, les enseignants expliquent qu'ils sont
sans arrêt sollicités par des familles
qui veulent savoir ce qu'ils font et pensent avoir
leur mot à dire sur ce qui se passe dans la
classe. Cela est dû, sans doute, à
l'augmentation du niveau d'études des
parents et au fait que le statut social des
enseignants a été
écorné, même si c'est loin
d'être aussi vrai qu'ils l'imaginent. Mais
c'est dû, surtout, au fait que les demandes
individuelles de réussite ne sont plus
contenues par un projet collectif : on poursuit son
propre intérêt sans relâche et
l'on n'a aucune raison d'y renoncer puisqu'on ne
voit pas au profit de quel intérêt
collectif !(Haut
de page)
|
c'est
là le point du futur débat
qui me semble le plus important mais
sera-t-il abordé ou
évité?
|
|
Les ghettos
scolaires
il faudrait
peut-être leur donner les moyens de vivre. Il
faudrait éviter de les laisser s'enfoncer
dans le découragement ou la révolte.
Il faudrait agir d'urgence pour ne pas pousser
les parents à changer leurs enfants
d'école et les enseignants à demander
leur mutation.
Il existe, dans
la banlieue lyonnaise, un collège qui perd
des élèves chaque année. La
totalité d'entre eux habite dans la
même cité et tous les parents, ou
presque, vivent de l'aide sociale. Dès que
ces derniers trouvent du travail, leur premier
réflexe est de déménager dans
un quartier pavillonnaire où ils ont le
sentiment qu'ils pourront trouver un
établissement mieux adapté, où
la violence sera moins grande. Il n'est pas
question, pour moi, de stigmatiser ces parents en
les traitant de mauvais républicains parce
qu'ils veulent un bon collège pour leurs
enfants, mais ces comportements,
individuellement légitimes, provoquent des
effets collectifs dévastateurs. Au bout
de quelques années, ce genre de
collège ne peut que se transformer en baril
de nitroglycérine, et les enseignants,
même avec des bonus, ne veulent plus aller y
travailler. Là non plus, je ne jette la
pierre à personne : on sait à quel
point il est difficile de tenir dans la
durée face à des situations trop
difficiles. Mais, là encore, je
constate un cercle vicieux : puisqu'on ne parvient
pas à stabiliser dans ces
établissements des professeurs
chevronnés et des équipes stables,
ils s'enfoncent dans les difficultés et sont
fuis des familles qui le peuvent. Les autres y
restent, mais nourrissent la rancur
inévitable de ceux qui se sentent
assignés à résidence.
Qui pose
clairement ces questions aujourd'hui ? Qui envisage
des solutions concrètes, quitte à
fâcher tel ou tel groupe de pression ? Qui
affiche des choix clairs pour éviter la
dérive des continents scolaires ? Qui a
évoqué ce problème lors des
dernières échéances
électorales ?
Alain Savary
avait fait, en 1981, le choix des Zones
d'éducation prioritaires. C'était un
choix essentiel et courageux : donner plus à
ceux qui ont moins. Aujourd'hui il faut aller plus
loin : donner mieux à ceux qui ont
moins : les meilleures sections, les meilleurs
équipements, les projets culturels les plus
ambitieux, les meilleurs chefs
d'établissement et les meilleurs
enseignants. Inverser résolument la tendance
qui consiste à donner toujours l'argent aux
plus riches. Et faire des signes symboliques
forts : je suis partisan de mettre des BEP de
mécanique auto dans le cinquième
arrondissement de Paris et des classes
préparatoires aux grandes écoles dans
le 93. Au début, il est possible que les
élèves ne fassent qu'y passer, mais
ce sera toujours ça
au moins, ils
connaîtront " l'autre monde ". Et, petit
à petit, on peut espérer renverser la
fatalité. Car, tant que l'école ne
renversera pas la fatalité sociale, elle ne
retrouvera pas la confiance collective des
Français.(Haut
de page)
|
Les
tensions
systémiques
ne peuvent être gérées
que par la prise de conscience du plus
grand nombre; sinon il ne sera question
que de rapport de forces et de groupes de
pression qui n'influenceront guère
les résultats
|
|
Illettrisme
Ne
faut pas s'étonner de la fragilisation du
niveau en lecture et en écriture, dès
lors que les horaires dévolus au
français à l'école primaire
ont diminué en vingt ans de 30 % environ. Il
a fallu attendre les programmes publiés en
2002 pour qu'on commence à redresser la
barre.
Il faut
savoir, en effet, que l'école est soumise en
permanence à de multiples pressions pour
enseigner de nouvelles disciplines ou
s'intéresser à de nombreux
domaines. Tant que cela a été
possible, on a pris sur l'instruction religieuse.
C'est ainsi qu'on a pu développer
l'éducation physique. Mais, lorsqu'il n'y a
plus eu de discipline à bouter hors de
l'école, on a empiété sur le
français en disant qu'il était, de
toutes façons, pratiqué dans toutes
les matières. C'est parfaitement exact, mais
pour que cela devienne opérationnel, il
fallait un changement radical dans les pratiques
pédagogiques qui n'a pas eu lieu.
Car la
réforme des cycles imposée par la loi
de 1989 n'a jamais vraiment été
appliquée : il s'agissait de faire
travailler les maîtres en équipe et
d'individualiser les parcours au sein de chaque
cycle afin d'éviter les pertes de temps et
les redoublements. Il s'agissait aussi
d'approcher les apprentissages de manière
plus globale et rigoureuse à la fois, avec
un meilleur suivi des élèves. Cela
devait permettre un accès de tous à
une meilleure maîtrise linguistique.
Malgré de belles tentatives, la
réforme s'est ensablée. Aujourd'hui,
la rupture entre la maternelle et le primaire sur
la question de l'acquisition du langage est encore
trop forte. La place dévolue à
l'écrit par l'école reste trop
formelle, déconnectée des
expériences des élèves,
insuffisamment centrée sur la
découverte progressive de soi et du
monde. Par ailleurs, dans ces domaines,
l'effort qui doit être fait par
l'école n'est pas suffisamment relayé
par l'ensemble de la société.
Dès lors que plus personne n'écrit
à ses amis ou à sa famille mais passe
son temps à leur téléphoner,
il devient vraiment difficile d'exiger des enfants
qu'ils donnent un sens à l'apprentissage de
l'écriture.
L'école
primaire a également subi de plein fouet les
effets pervers d'une décentralisation, sans
doute nécessaire, mais qui a
été mal maîtrisée.
L'inégalité des dotations municipales
prend aujourd'hui des proportions très
inquiétantes et met en péril
l'égalité des chances que la France
offre à ses enfants dans tous les domaines
(informatique, langues étrangères,
pratiques artistiques et sportives). Je suis
partisan d'une péréquation des
dotations sur la base d'un cahier des charges
national très précis. En tout
état de cause, les droits et devoirs de
l'État au regard des municipalités et
des municipalités au regard de l'État
devraient être mieux
définis.
Il reste que
l'école primaire française,
contrairement à ce que l'on dit,
résiste bien. Elle est plutôt efficace
et n'a pas à rougir devant les
systèmes éducatifs étrangers.
Les enseignants du premier degré sont des
professionnels compétents,
dévoués à leur travail. Je
suis, pour ma part, très choqué de la
manière dont ils sont stigmatisés
aujourd'hui comme responsables de l'illettrisme
!(Haut
de page)
|
On
s'apercevra peut- être plus tard que
nous avons traité nos enfants comme
nos ancêtres traitaient les leurs
dans les mines!
La
suppression de certaines disciplines et la
réduction des programmes, loin de
baisser le niveau, permettraient
assurément de
l'élever. Ce qui baisserait
c'est nos fantasmes sur des savoirs
soit-disant connus!
C'est
la question fondamentale:
partir
de soi pour aller vers les
autres
et non l'inverse, pour les
élèves comme dans la
formation des
maîtres.
|
|
Ecrire
L'écrit
doit être revalorisé de toutes les
manières et par tous les moyens. À
l'école, bien sûr, et dans toute la
société.
Depuis que je
suis jeune enseignant, j'ai toujours écrit
à mes élèves. Des lettres pour
évoquer leur comportement, leurs
progrès... Lorsque j'étais professeur
en lycée professionnel, j'écrivais
à mes élèves chez eux. C'est
d'ailleurs les seules lettres qu'ils recevaient en
dehors de dépliants publicitaires. Certains
m'ont répondu, mais tous ceux que je revois
aujourd'hui me disent avoir précieusement
gardé ces courriers.
Donner du
sens à l'écrit comme outil
d'accès à la réflexion par le
sursis à l'acte, valoriser l'écriture
en en faisant un outil de découverte de soi
et des autres, travailler sur la
réécriture pour permettre la mise en
ordre des idées et l'expression la plus
juste
tout cela est un travail de longue
haleine. Et un effort dont l'école ne peut
pas porter seule la responsabilité.
L'engagement des parents, des médias, de
toute la politique du gouvernement est
nécessaire. Vous devriez
décréter la revalorisation de
l'écrit priorité nationale absolue !
(
)
En
réalité, il est indispensable de
travailler beaucoup plus en amont. L'apprentissage
de la lecture et de l'écriture devrait
pouvoir s'étaler sur l'ensemble de la
scolarité primaire, dès
l'école maternelle, en délestant un
peu le CP de la charge intellectuelle et affective
qu'il représente, en particulier
auprès des parents et des enseignants. Il
n'est pas acceptable d'exiger d'un
élève qu'il sache totalement lire
à la fin du CP, il est stupide
d'évaluer son illettrisme éventuel
à ce niveau. " L'important en
éducation, expliquait Rousseau, est de
savoir perdre du temps pour en gagner. "
Il
faut aussi développer les structures de
soutien. Des réseaux d'aide existent
actuellement : ils comprennent des enseignants
spécialisés qui viennent apporter
leur aide aux professeurs d'école pour tel
ou tel élève en situation très
difficile : c'est une bonne formule car on soutient
les enfants sans les exclure de la classe. Mais ces
réseaux ne sont pas assez denses et je
crains que nous n'allions pas vers leur
renforcement. (Haut
de page)
|
|
Illettrisme
scientifique
En effet,
même s'il semble moins intéresser les
intellectuels, l'illettrisme scientifique existe
aussi, avec son cortège de dérives
vers la pensée magique. Il ne faut donc
nullement sous-estimer la formation aux techniques
opératoires et à la démarche
expérimentale.
L'utilisation
de la calculette pose, à cet égard,
des problèmes spécifiques. Elle peut
efficacement stimuler l'enfant, mais fait obstacle
aussi à la formalisation nécessaire
et à la construction des opérations
mentales qui seront requises ensuite.
On ne peut se
satisfaire de voir des enfants appuyer sur des
boutons pour avoir des résultats. La
formation scolaire, dans sa
spécificité, exige l'inverse : il
faut comprendre ce qui se passe dans la
boîte. Plus généralement,
apprendre, à l'école, ne signifie pas
" trouver juste ", mais comprendre " comment faire
juste ". C'est travailler sur la procédure
pour obtenir un résultat et pas seulement se
procurer le résultat par le moyen le plus
rapide et le plus économique.
Ce qui fait
problème, c'est que l'école est ici
à contre-courant : nous sommes dans une
société où réussir est
toujours plus important que comprendre. Où
l'on cherche à obtenir les résultats
le plus vite possible, avec le moins
d'apprentissages possibles. C'est
légitime en matière de progrès
technique - nous ne pouvons pas comprendre en
détail tous les appareils que nous utilisons
- mais, transposé dans l'école, cela
aboutit ainsi à ces fêtes de fin
d'année où, la veille, la
maîtresse fait tous les dessins avec deux ou
trois bons élèves pour que les
parents pensent qu'il s'agit d'une bonne
classe.(Haut
de page)
|
Je ne
suis pas sûr que la calculette y
soit pour grand chose la dedans! C'est un
reste des peurs des parents d'il y a 10
ans . Par contre c'est bien vrai
qu'il y a une résurgence de la
"pensée
magique"
et que la science n'est plus suffisamment
mise en valeur
|
|
La
sixième
En septembre,
les élèves arrivent avec deux
cartables pour être sûrs d'avoir tout
ce dont ils ont besoin ; en juin, les enseignants
peinent à obtenir qu'ils apportent un stylo.
En début d'année, les enfants
paniquent devant la masse de travail ; en fin
d'année, ils ont compris qu'il n'en faut
faire qu'une partie et se débrouiller, quand
on ne sait pas, pour ne pas être
interrogé. Disons les choses clairement : la
6e déstructure. Les élèves, en
particulier les plus fragiles et ceux qui n'ont
guère de soutien familial,
désapprennent, qu'il s'agisse des
méthodes de travail, de leur capacité
à lire des consignes, voire à lire
tout simplement. Certes, une fois encore,
garçons et filles se comportent
différemment, les premiers sont bien plus
touchés que les secondes. Mais cette classe
est ravageuse
Aussi, ne
suffit-t-il pas de créer quelques
6èmes particulières, c'est l'ensemble
des classes de 6e qu'on doit repenser. En y
installant d'abord une vraie période
d'accueil assez longue pour être
efficace, et assurée par l'ensemble des
professeurs : la dernière réforme du
collège a montré la voie dans ce
domaine. En revalorisant, ensuite, de
manière toute particulière ici, le
professeur principal. Il devrait être
déchargé d'une partie de ses
enseignements pour assurer un suivi
spécifique, avec une attention
particulière sur la lecture, y compris
d'ouvrages susceptibles de nourrir la
réflexion des élèves : nous
sommes à une période charnière
où l'enfant doit entrer dans l'adolescence
par la réflexion et non par la
transgression.
Enfin, la 6e
impose une concertation approfondie des
enseignants, ne serait-ce que pour
déterminer les exigences communes en
matière de méthodes et d'organisation
du travail des élèves. Très
concrètement, il faut s'intéresser de
près aux objets les plus triviaux qui sont
souvent tout à fait déterminants :
les classeurs sont une catastrophe pour
l'organisation du travail individuel des
élèves, car les fiches y sont mises
n'importe comment et deviennent des boules de
papier que l'on retrouve au fond des cartables
à la fin de la semaine. Il faut
arrêter l'inflation des photocopies, les
exercices distribués n'importe comment...
(Haut
de page)
|
Tout
à fait d'accord, l'accueil
suffisamment long, l'importance du
professeur principal, la concertation des
enseignants, tout cela me paraît
très important.
|
|
Le collège
unique
Les
questions autour du collège unique sont de
fausses bonnes questions, car le collège
unique n'a jamais vraiment été
réalisé. Il existe, depuis
toujours, des cursus spécifiques à
côté des sections unifiées. En
outre, nos concitoyens ne sont pas naïfs et
savent bien que les collèges de centre ville
et les collèges de banlieue sont parfois
très différents.
À mes
yeux, pourtant, la réalisation du
collège unique est toujours
d'actualité. Elle est liée à
la revalorisation indispensable de l'instruction
obligatoire et à sa fonction de creuset
républicain. N'oublions pas, en effet, que
la scolarité obligatoire entretient un
rapport organique avec l'État puisqu'elle
est inscrite dans la Constitution. À ce
titre, ses objectifs devraient être beaucoup
plus fermement identifiés et validés
par la représentation nationale. Celle-ci
doit définir le type de citoyen dont la
France veut. Ensuite, que spécialistes et
experts déclinent ces orientations par
niveaux de classes et par disciplines est tout
à fait légitime. Mais il leur faut
une boussole.
La fin de la
scolarité obligatoire correspond en effet,
pour l'essentiel, à la fin des années
collège. On devrait alors exiger de
chaque élève qu'il ait acquis,
à la sortie de 3e, un certain nombre de
compétences et de savoirs qu'on juge
indispensables pour comprendre et agir dans notre
monde. Au niveau de la scolarité
obligatoire, on ne peut accepter de
sélection : sauf à se résigner
à avoir des citoyens à deux vitesses
! (
)
René
Haby avait pris la précaution, en installant
le collège unique, de mettre en place un
système de soutien, pour les
élèves en difficulté, et
d'approfondissement, pour ceux qui pouvaient aller
plus loin. Mais nous n'avons jamais vraiment
joué le jeu. Ces heures ont très vite
été utilisées en classes
complètes. C'est vraiment dommage, car ce
système avait un avantage pédagogique
très important. Il obligeait les enseignants
à se poser, chaque semaine, une question
très simple : quels sont ceux de mes
élèves qui ont réussi à
atteindre l'objectif que je poursuis, et qui
peuvent donc aller plus loin, et ceux qui, au
contraire, ont besoin d'une reprise ? Cette
interrogation était exigeante pour les
enseignants. Certes, elle ne pouvait pas
fonctionner à 100 %, mais elle permettait de
suivre de très près la façon
dont chacun de leurs élèves
avançait dans sa scolarité. Si nous
avions appliqué cela rigoureusement, nombre
de dérives constatées au
collège actuellement auraient pu être
évitées.
Pour
réussir le collège, je suis partisan
d'y réintroduire la polyvalence des
enseignants, afin de diminuer progressivement le
nombre de professeurs par élève, au
moins en 6e et en 5e. La majorité d'entre
eux y est aujourd'hui opposée, mais on
pourrait proposer systématiquement aux
volontaires de se former à une
deuxième discipline. Et,
progressivement, par un phénomène de
tache d'huile, des professeurs enseigneraient,
à un bon niveau d'exigence universitaire,
plusieurs disciplines.
Il faut
ensuite, impérativement, renforcer
l'enseignement de la technologie. Aujourd'hui,
l'orientation en cours ou en fin de collège
se fait essentiellement de manière
négative, à partir de l'échec
en mathématiques, en français et en
langue vivante. Il faudrait que les
élèves puissent se déterminer
pour des filières technologiques ou
professionnelles non parce qu'ils échouent
dans les enseignements généraux, mais
parce qu'ils ont découvert dans
l'enseignement technologique des centres
d'intérêt. L'enseignement de la
technologie est aujourd'hui beaucoup trop
réduit ; il a été
extrêmement chaotique et ses objectifs
restent assez confus. Pour moi, la technologie
devrait être une discipline enseignée
à hauteur du français. Car, il faut
bien avoir à l'esprit que la moitié
des élèves se dirige vers
l'enseignement technologique et professionnel. Cela
ne peut continuer à se faire par
défaut.
Le
collège poursuit deux objectifs
inséparables. Un objectif politique - au
sens le plus noble du terme - qui vise à
réunir l'ensemble des élèves
d'une même classe d'âge, quelles que
soient leurs origines, dans ce qui constitue un
creuset républicain. Et un objectif social -
au bon sens du terme - qui est de leur permettre
d'accéder tous au niveau requis à la
fin de la scolarité obligatoire.
Ces deux buts
ne sont pas facilement compatibles. Le premier
suppose des groupes
hétérogènes que les
enseignants disent avoir du mal à
gérer. Le deuxième induit des groupes
homogènes que les enseignants savent
appréhender, mais qui sont
générateurs de filières
prématurées, souvent même
à l'insu des familles. Ainsi, certaines
d'entre elles n'apprennent-elles qu'au mois de mai
que la 6e E est celle des élèves qui
n'ont aucune chance d'aller en lycée dans la
filière générale
Les
critères de constitution des classes sont
rarement rendus publics et l'opacité ne
profite qu'aux initiés.(Haut
de page)
|
|
L'hétérogénéité
des classes
L'hétérogénéité
des niveaux des élèves ne pose
jamais vraiment problème aux enseignants. Il
n'est pas très difficile de s'occuper de
quelques élèves plus lents ou plus en
difficulté, s'ils ne perturbent pas le
fonctionnement de la classe. Les maîtres de
classe unique rurale y font face aisément
dans le primaire. Les problèmes les plus
graves sont liés à
l'hétérogénéité
des comportements, quand deux ou trois
élèves absorbent 80 % de
l'énergie psychique et pédagogique de
l'enseignant. Je comprends les difficultés
de mes collègues face à ces
situations, mais je me refuse à ce que les
empêcheurs de tourner en rond soient
progressivement écartés, par un
système de déversoirs successifs,
vers des classes qui les prennent en charge d'une
manière définitive
sans aucune
possibilité de rémission, sans droit
au retour. C'est là la grande
différence entre les classes-relais telles
que nous les avions imaginées - avec un
contact maintenu avec le collège et un
professeur référent dans la
perspective d'une réintégration -
et celles que vous développez qui risquent
de devenir des voies de
relégation.
Et puis, ne
soyons pas dupes : quand on enlève le
dernier wagon, il y a toujours un dernier
wagon
On commence par se débarrasser
d'un gêneur et l'on finit par faire des
classes triées sur le volet. Il serait bien
plus profitable de conserver des classes
hétérogènes, mais avec des
temps particuliers réservés à
des enseignants qui auraient choisi de travailler
d'une manière spécifique avec les
élèves ayant des problèmes
soit de comportement, soit de niveau.
(
)
Une
publicité du métro parisien explique
que " les mauvaises notes ne sont pas une
fatalité ". Elle est malheureusement
accolée au nom d'une institution
privée particulièrement
onéreuse. Ce devrait être au ministre
de l'Éducation de signer une telle formule.
De défendre l'idée qu'on peut
toujours trouver, dans l'école, l'aide dont
on a besoin.
Des
expériences allant dans ce sens ont
été menées depuis longtemps.
Je pense à l'opération SOS maths :
à l'heure du déjeuner ou le soir
après les cours, des enseignants de
mathématiques se mettent à
disposition des élèves de toutes
classes pour revoir, à la demande, un point
qui n'a pas été compris ou reprendre
une explication qui n'a pas été
assimilée.
Une enquête
récente montre qu'environ 35 % des
élèves de 3e font relire leurs
devoirs de français par leurs parents, avant
de les remettre aux enseignants. Les parents
soulignent les fautes d'orthographe, pointent les
formulations approximatives... Que seuls 35 % des
élèves bénéficient de
ce soutien n'est pas juste. Les autres devraient
pouvoir trouver ce recours gratuitement au
collège auprès d'un enseignant
disponible et compétent. Et je souhaite que
cela soit un autre enseignant que celui qui le
notera ensuite : on n'est pas facilement
entraîneur et arbitre !(Haut
de page)
|
La
distinction entre hétérogénéité
de niveaux et de comportements est riche .
Cela montre une fois de plus que la
formation des maîtres n'a pas de
lacune au niveau des savoirs mais au
niveau de la gestion
des
groupes.
|
|
L'enseignement
privé
Je suis
très à l'aise sur cette question car
j'ai longuement collaboré avec un
établissement privé sous contrat dont
le projet pédagogique me semblait
exemplaire... tandis que je rechignerais à
travailler avec des établissements publics
dont la politique sélective est contraire,
à mes yeux, aux idéaux
républicains.
La question
centrale est celle de l'exigence que les
établissements se donnent dans l'accueil des
publics.
Quand on
inscrit sur le fronton de l'école " Nul
n'entre ici s'il n'est déjà bien
élevé ", on n'a guère de
mérite
et guère besoin de
pédagogie ! On peut mettre en place
quantité d'activités
intéressantes sans problèmes ! En
revanche, quand on prend le risque d'accueillir "
le tout venant ", il faut une vraie mobilisation.
C'est cela, pour moi, le sens du projet
d'établissement : une équipe s'empare
du défi républicain du collège
unique et se demande comment le réaliser au
mieux. À l'inverse, si l'autonomie des
établissements permet de s'exonérer
des exigences de la République pour se
mettre au service d'un groupe de pression
quelconque, alors il y a un vrai danger de
démantèlement du service
public.
Et ce danger
est d'autant plus grand que nous n'avons pas de
serment d'Hippocrate du professeur. Les avocats
possèdent un code de déontologie tout
comme les journalistes ou les médecins mais
pas les enseignants, alors qu'ils ont l'avenir de
la nation entre leurs mains. Sans doute
n'était-ce pas nécessaire du temps
des Hussards noirs de la République. Ils
vivaient alors dans une sorte de surchauffe
idéologique qui faisait qu'ils
étaient parfaitement mobilisés autour
de valeurs identifiées. Aujourd'hui
où le recrutement des enseignants est
beaucoup plus diversifié, il semblerait
important de stabiliser les valeurs du
métier. Et particulièrement
celle-là : nul n'est
irrécupérable, tout enfant est
éducable.(Haut
de page)
|
|
L'orientation
Sur
l'orientation, de façon plus
générale, il existe de multitudes
pistes à approfondir. D'abord, la
formation des professeurs principaux des classes de
3e qui sont souvent insuffisamment
sensibilisés à ces questions. Il faut
également aider les élèves
à découvrir des métiers qu'ils
ne connaissent pas ou dont ils ont une idée
totalement fausse. Qu'est-ce qu'un
élève de 3e connaît, par
exemple, de la chaudronnerie ? Il pense parfois que
c'est le métier de quelqu'un qui tape avec
un marteau sur de la tôle, alors qu'il s'agit
d'un salarié qui commande une machine
numérique et qui fabrique les
réservoirs de la fusée
Ariane.
Il serait
souhaitable aussi de redonner toute sa place
à la seconde de détermination
pour dégager partiellement le collège
de la pression de l'orientation. Il faudrait qu'on
puisse avoir, en seconde, une présentation
un peu approfondie des différentes
perspectives qui s'ouvrent afin de choisir en toute
connaissance de cause. J'avais proposé, dans
la réforme du lycée sur laquelle j'ai
travaillé, de mettre en place des secondes
de détermination dans l'enseignement
technologique et professionnel : les
élèves pourraient ainsi s'orienter
progressivement et non brutalement à la fin
du collège. Le grand paradoxe du
système français, c'est que moins
vous êtes préparé à
décider de votre avenir, plus on vous
demande de le choisir tôt ! Et de
manière irréversible !
Enfin, dans la
même perspective, il faut absolument
développer les " classes passerelles
". Nous savons bien que certains
élèves se réveillent un peu
tard. Ils se découvrent alors des centres
d'intérêt qu'ils n'ont pas eu la
chance d'aborder assez tôt. Un
élève qui a commencé en
lycée professionnel doit
bénéficier de la possibilité
de réintégrer une première
d'enseignement général ; à
l'inverse, un jeune qui a commencé dans une
classe d'enseignement général et qui
se découvre une vocation pour un
enseignement plus technologique doit pouvoir y
aller sans déchoir. Dans le même
état d'esprit, nous devons faire
connaître et développer les textes
existants sur la scolarité par
récurrence. C'est la possibilité de
reprendre des études après les avoir
interrompues plus ou moins longtemps. Les jeunes
qui arrêtent à 16 ans et qui ont des
expériences professionnelles chaotiques
peuvent avoir, deux ou trois ans plus tard, envie
de retourner à l'école. Les textes le
permettent, mais les établissements
rechignent, arguant du fait qu'il est difficile de
rassembler, dans une même classe, des
élèves de vingt ans avec des
élèves de quinze ans. Mais, au
contraire, cela pourrait donner aux jeunes la
possibilité d'en côtoyer d'autres qui
peuvent témoigner de ce que veut dire
décharger des camions aux halles tous les
matins à 5 heures, et, a contrario, du
plaisir qu'il peut y avoir à renouer avec
les études comme de la chance que cela
représente.
C'est la raison
pour laquelle je suis partisan de développer
des bassins de formation autour des
collèges, avec des cités scolaires
comportant l'ensemble des sections
générales, technologiques et
professionnelles. Cela favoriserait la mise en
place des passerelles et pourrait également
permettre aux professeurs qui le souhaitent de
passer d'une filière à une autre. Un
tel système, d'ailleurs, devrait être
naturel dans une société où
l'on explique que chaque individu va devoir changer
de métier plusieurs fois dans sa vie
professionnelle. Décloisonner
l'école, assouplir les passages d'une
filière à l'autre, tel devrait
être l'un des objectifs à
venir.(Haut
de page)
|
Là
encore un choix de société;
une orientation couperet et
définitive ou une orientation
progressive, remodelable?
|
|
Le
lycée
La
hiérarchisation des lycées est
scandaleuse. On ne cesse d'annoncer la
nécessité de revaloriser le
lycée professionnel et celui-ci est toujours
vécu comme celui qu'il faut éviter.
Ce n'est guère étonnant puisqu'en
même temps qu'on prêche sa
revalorisation, on explique qu'il faut y envoyer
les élèves en difficulté.
Heureusement, il y a des initiatives superbes : le
meilleur journal lycéen de France est
publié par un lycée professionnel de
Saint-Amand Montrond, Le Mur. Pour les
lycéens embarqués dans cette
aventure, c'est une formidable
réconciliation avec une possible
réussite.
Il faudrait
améliorer la lisibilité des
formations en lycée professionnel en
regroupant les métiers par grandes familles.
Mais je crois aussi qu'il faut des gestes forts :
introduire l'enseignement de la philosophie dont
les lycéens sont très demandeurs,
donner une véritable dimension culturelle
aux métiers en s'intéressant à
leur histoire, aux textes littéraires qui en
parlent, à leurs enjeux économiques.
On pourrait, à cet égard, regarder de
près l'enseignement agricole qui a
été très intelligemment
rénové par une loi proposée
par Michel Rocard lorsqu'il était ministre
de l'Agriculture, et votée à
l'unanimité.
Dans
l'enseignement général, il faut
absolument combattre la hiérarchie stupide
des filières. La filière
littéraire devrait redevenir une
filière d'excellence, comporter des
enseignements artistiques, insister sur les
langues, y compris les langues anciennes. La
filière économique et sociale
où des méthodes pédagogiques
particulièrement intéressantes ont
été développées, doit
être mieux articulée à
l'enseignement supérieur. La filière
scientifique doit faire une vraie place, de son
côté, aux sciences
expérimentales et éviter de se
laisser phagocyter par la seule formalisation
mathématique.
Beaucoup a
été fait sur le plan
pédagogique. Si les modules, qui devaient
permettre des ouvertures culturelles, sont
malheureusement en perdition, les TPE et les PPCP
connaissent un vrai succès : les
élèves, dans leur immense
majorité, apprécient ce travail
interdisciplinaire par dossier ; ils y font de
remarquables réalisations. Le suivi
individualisé, même s'il est
réduit à deux disciplines
(français et mathématiques) et
à la classe de seconde permet de mettre en
place un vrai recours pour les élèves
en difficulté. L'ECJS permet une
réflexion approfondie sur les
réalités du monde
contemporain.
Reste encore
à lutter contre le bachotage. N'en
déplaise aux éditeurs qui font des
bénéfices colossaux sur les petits
livres parascolaires spécialisés, il
est extrêmement néfaste pour la
formation de l'intelligence. Car le bachotage n'est
pas - loin s'en faut - une préparation
à l'enseignement supérieur ou
à l'entrée dans la vie
professionnelle : il ne développe ni la
curiosité, ni la recherche documentaire, ni
l'esprit d'initiative ou la gestion de
l'imprévu. Il fait fonctionner la
mémoire immédiate, favorise les
procédures de divination
et, surtout,
presque tout ce qui est acquis là est
oublié bien vite. (Haut
de page)
|
Les
T.P.E.
ne sont pas seulement un succès,
ils sont surtout une véritable
révolution dans les méthodes
de travail et donc dans les objectifs de
formation de
l'école.
|
|
Le
baccalauréat
Je crois au
caractère formateur d'un travail intensif
pour préparer un examen : cela permet de
s'investir complètement dans un projet, avec
les aspects obsessionnels inévitables de cet
investissement ; on apprend là à
s'organiser et à gérer son stress ;
c'est, enfin, un rituel qui correspond à des
périodes charnières dans la vie des
élèves. Mais je trouve scandaleux
de voir la lecture diminuer à ce point en 1e
et en terminale, au profit de condensés et
de résumés purement utilitaires.
Je trouve grave que le type d'épreuves
proposées rabattent tous les savoir-faire (y
compris en physique et chimie) sur le " papier
crayon ". Je trouve absurde que des
élèves de terminale disent n'avoir
aucun temps pour lire le journal et abandonnent
tout engagement associatif. (
)
Il était
sans doute légitime, en 1989, d'affirmer un
objectif fort dont le but était d'augmenter
le niveau général de qualification de
la population. Mais cette barre un peu arbitraire
de 80 % a un aspect un peu choquant pour les 20 %
qui restent. Comme si la France pouvait se
satisfaire de laisser un cinquième de la
population au bord du chemin.
Parallèlement,
ce slogan manquait de contenu. Qu'est-ce que
cela signifie avoir le niveau du bac ? On ne l'a
pas suffisamment défini. À mes yeux,
ce devrait être deux choses : d'une part,
détenir une culture générale
suffisante pour comprendre le monde et lire, par
exemple, un quotidien national en étant
capable de décoder à la fois la
rubrique économique, la rubrique de
politique internationale ou la rubrique culture.
C'est, d'autre part, avoir une
spécialisation dans un domaine de
compétence dont on peut dire,
légitimement, qu'elle permet
d'accéder à un niveau d'étude
supérieure ou à un niveau
d'entrée dans la vie
professionnelle.
Nous en sommes
très loin. Faute, d'abord, d'une meilleure
définition du " niveau du bac " et des
différentes modalités pour atteindre
ce niveau. À cause, aussi, de la
hiérarchisation des baccalauréats
dont nous avons déjà parlé.
Dire aujourd'hui aux jeunes et aux Français
que tout le monde obtient le même
baccalauréat est une imposture. Plus de 80 %
des jeunes titulaires d'un baccalauréat
professionnel et qui se lancent dans des
études universitaires échouent. Il en
va de même pour certains baccalauréats
technologiques. Il ne faudrait pas que le mot,
devenu totem, cache la diversité des
diplômes réels qui sont
délivrés.(Haut
de page)
|
Là
encore bien des tabous! Il y a la question
abordée ici de la signification du
bac mais il se pose également les
questions de la responsabilité
qu'acceptent les enseignants en
introduisant ou non le contrôle
continu; ainsi que la question liée
à l'orientation d'un bac par
unités capitalisables permettant
des rattrapages tout au long de la vie.
|
|
Une véritable
qualification
Si on veut
qualifier 100 % des jeunes et leur permettre
d'accéder à des métiers
où ils puissent faire preuve d'initiative,
il nous faut effectivement réfléchir
sur la formation à la prise de
décisions dans des situations
complexes. Car, dans la vie professionnelle,
comme dans la vie tout court, la
réalité n'est pas
découpée selon les disciplines
scolaires et il faut être capable de
prendre en compte des données
hétérogènes. Il faut aussi,
anticiper et faire des choix en pesant les
conséquences
toutes choses qu'on
apprend vraiment très peu à
l'école, ou de manière beaucoup trop
informelle.
Pourtant, cela
commence à se faire un peu avec des
logiciels informatiques de simulation. Dans
certains lycées, les jeunes travaillent sur
des logiciels de gestion de ville : ils font varier
les impôts, les investissements, le nombre
des entreprises et apprennent ainsi à
anticiper les décisions en fonction des
conséquences qu'elles sont susceptibles de
produire. Il existe aussi de bons logiciels qui
permettent de repérer les effets sur un
texte de la variation d'un temps ou d'un point de
vue. Voilà, je crois, de bonnes utilisations
de l'informatique, car elles permettent de faire ce
qu'on ne pourrait pas faire sans elle.
Sans en
faire une discipline supplémentaire, cette
question de l'apprentissage de la décision
dans la complexité doit être prise en
compte dans les classes
Car c'est là
que se joue vraiment la qualification authentique.
Une personne " qualifiée " ne réagit
pas de manière automatique en appliquant une
décision existante à un
problème, mais en analysant la
complexité et en prenant la décision
correspondante. L'école a encore, dans ce
domaine, de gros progrès à faire.
(
)
Toutes les
études montrent qu'il n'y a pas
contradiction mais corrélation entre
formation générale et
spécialisation. Ceux et celles qui ont une
bonne formation générale se
spécialisent plus vite et les gens qui se
sont spécialisés intelligemment ont
acquis, par là, des capacités
mentales qui leur permettent d'accéder
à la culture
générale.
Il
est donc souhaitable que, dès le
lycée, l'on articule, mieux que cela ne se
fait aujourd'hui, un tronc commun de culture
générale et une spécialisation
rigoureuse. C'est la fécondation
réciproque de ces deux
éléments qui permet de former, tout
à la fois, un " honnête homme " et un
" professionnel qualifié ". Mais on en est
encore loin ! Dans les lycées technologiques
et professionnels, on a mis le curseur beaucoup
trop du côté de la
spécialisation et, dans les lycées
d'enseignement général, on a mis le
curseur beaucoup trop du côté de la
généralité : il faut imaginer
de nouveaux équilibres
Sinon, nous
n'aurons pas assez de jeunes vraiment
qualifiés pour affronter
l'avenir.(Haut
de page)
|
C'est
la question des contenus de formation,
doit-on les voir sous forme de
"disciplines" ou sous d'autres formes? Les
T.P.E. sont déjà une
évolution; y en a t-il d'autres?
voir:évolution
des savoirs
|
|
Refonder le métier
d'enseignant
Il faut
absolument redonner au métier d'enseignant,
plus qu'une dignité, une noblesse. Cela
ne passe pas seulement par des paroles mais par
l'instauration d'une véritable confiance,
d'abord entre les politiques et les enseignants,
ensuite entre les enseignants et la nation. Que les
politiques tiennent parole dans leurs engagements.
Que la nation tout entière les reconnaisse
comme des hommes et des femmes de culture
chargés d'une mission fondamentale pour son
avenir. Que les politiques évitent de
démentir dans leurs actes ce qu'ils
prêchent par ailleurs. Que la nation sache
leur manifester plus clairement son estime. Je suis
convaincu qu'on peut, comme Jack Lang s'est
efforcé de le faire, redonner aux
enseignants le sens de la noblesse de leur
métier, qu'ils se sentent de
véritables intellectuels, des cadres partie
prenante de leur institution. (
)
Un vrai danger
guette l'Éducation nationale : lorsqu'elle
peine à recruter un nombre suffisamment
important de diplômés de haut niveau,
elle compense par une masse considérable de
contractuels embauchés, dans le meilleur des
cas, à bac plus trois, parfois à bac
plus deux et, dans le pire des cas, à bac
tout court. On l'a vu dans le passé.
À la rentrée 2002, dans la plupart
des rectorats, il y a eu à peu près
autant de contractuels embauchés que de
nouveaux titulaires nommés. Ce qui veut dire
qu'actuellement, l'Éducation nationale
fonctionne déjà avec un corps
professoral à deux vitesses. Et les
contractuels sont deux fois plus nombreux dans
l'enseignement professionnel où les
élèves sont réputés
plus difficiles. Je crains que, si nous
n'anticipons pas plus l'avenir, nous en soyons
réduits à des expédients pires
encore : nous faudra-t-il augmenter
considérablement les effectifs des classes,
réduire massivement l'enseignement des
disciplines scientifiques, livrer un nombre
important d'élèves au marché
de l'enseignement à distance sans
accompagnement suffisant ?
Si nous voulons
éviter de recourir continuellement aux
contractuels et si nous ne voulons pas faire
à l'Éducation nationale le même
choix que celui du ministère de la
Santé pour les infirmières , il
faudra puiser ailleurs que dans le vivier
universitaire traditionnel.
Celui-ci, en
effet, ne pourra pas permettre de renouveler les
enseignants dans les dix ans qui viennent.
Actuellement, moins de 20 % des titulaires d'une
licence se dirigent vers l'enseignement. Pour
couvrir les besoins en 2006, il faudrait qu'il y
ait au moins 40 % des titulaires d'une licence qui
se dirigent vers l'enseignement. Cela paraît
impossible dans un marché de l'emploi
où les entreprises et les administrations
vont se faire une concurrence acharnée pour
remplacer la génération du baby
boom.
Je suis
convaincu qu'il existe un vivier très
intéressant, celui des personnes qui
souhaitent reprendre des études et se
reconvertir. Après avoir
élevé un, deux ou trois enfants,
après avoir " fait le tour " d'un
métier qui apparaît un peu routinier,
des hommes et des femmes se demandent
légitimement s'ils ne pourraient pas
consacrer une partie de leur temps à
transmettre des connaissances aux jeunes
générations. Je suis persuadé
que les personnes dans cette situation sont bien
plus nombreuses qu'on ne croit. D'ailleurs, la
motivation pour le métier d'enseignant -
toutes les enquêtes le montrent - baisse, de
manière significative, chez les adolescents
et les jeunes adultes mais ne cesse d'augmenter
chez les adultes que l'on dit " en milieu de vie ".
C'est d'ailleurs, un phénomène
très encourageant : au moment où les
observateurs s'accordent pour dire à quel
point les jeunes manquent d'adultes auprès
d'eux, au moment où les circuits
traditionnels de transmission entre les
générations tendent à
disparaître, ce serait assez formidable que
chaque adulte puisse consacrer une partie de sa vie
à transmettre ce qu'il sait aux
générations qui arrivent. Ce serait
aussi une manière de donner un peu de
contenu au slogan, trop souvent vide, de "
l'éducation tout au long de la vie "
Et, enfin, de permettre une mobilité
professionnelle plus que jamais nécessaire
au moment où, pour faire face au
problème des retraites, le nombre
d'années d'activité
s'allonge.
Lorsque Jack
Lang avait lancé une campagne pour informer
les Français sur le métier
d'enseignant, j'avais été
sollicité par une multitude de personnes qui
souhaitaient devenir professeurs, venant de tous
les horizons. Je me souviens de cette sage-femme
d'une quarantaine d'années qui m'avait
expliqué : " Je n'ai pas de problème
d'emploi puisqu'on manque de sages-femmes partout.
Néanmoins, mes deux filles viennent de
quitter la maison et, maintenant que je me sens un
peu libérée de cette charge,
j'aimerais bien faire un peu d'enseignement.
Peut-être pas à plein temps.
Peut-être pas jusqu'à la retraite.
Mais je crois que je pourrai apporter quelque chose
à des élèves. Bien sûr,
il faudra m'aider : je veux bien enseigner les
Sciences et vie de la terre, mais je suis loin de
connaître tout le programme. La
géologie, par exemple, je n'y connais rien.
J'ai besoin d'une vraie formation, tant sur les
contenus que sur les méthodes. " Ma
conviction est qu'il faut vraiment regarder ces
demandes de très près. On pourrait
créer une formule comme celle qui existe
dans l'enseignement supérieur et permet
d'embaucher des personnes à mi-temps, sur
des contrats de cinq ans renouvelables une
fois.(Haut
de page)
|
Puiser
ailleurs c'est admettre qu'il peut y avoir
plusieurs parcours possibles, c'est
admettre que des capacités acquises
ailleurs qu'en Universités peuvent
avoir de l'intérêt, c'est
enfin poser la question des
méthodes de recrutement des
enseignants autrement dit d'un profil de
poste à établir! Voir:
une
expérience de formation à
Reims
|
|
Les IUFM
Commençons
par régler la question de l'avis des
professeurs stagiaires, l'ouvrage La
République des enseignants montre que les
enseignants, dans leur ensemble, sont bien moins
critiques à l'égard des IUFM
qu'à l'égard de l'inspection et des
inspecteurs. Au palmarès de
l'inutilité et de la technocratie
tatillonne, ce sont les inspecteurs qui arrivent en
tête ! Il est donc surprenant que ceux qui
veulent supprimer les IUFM au motif que les
professeurs stagiaires n'en sont pas contents ne
soient pas les premiers à demander la
suppression de l'inspection ! Cela dit,
évidemment, non pour demander la suppression
des inspections, mais pour nous obliger à
relativiser les enquêtes de satisfaction que
l'on ne prend, en général, en compte
que quand leurs résultats nous arrangent
!
Quant à
la pédagogie qui se serait constituée
comme discipline autonome, je me permets de vous
dire que c'est un fantasme. D'ailleurs, si cela
avait été le cas, j'en aurais
été particulièrement content.
Je regrette, en effet, l'abandon progressif de
toute véritable culture pédagogique.
Je regrette que nos jeunes enseignants ignorent
tout de Comenius , de Jacotot ou de Cousinet . Je
regrette que la question de la violence, celle des
relations avec les parents ou celle de la
construction du projet d'établissement ne
soient pas suffisamment abordées et que,
précisément, la formation soit trop
enfermée à l'intérieur des
disciplines. Je regrette que les contradictions
fondatrices de l'acte pédagogique - qui est
toujours, en même temps, domestication et
émancipation - ne soient jamais vraiment
abordées.
N'oublions
pas, d'ailleurs, que, depuis l'instauration des
IUFM, nous assistons à une diminution
systématique des épreuves
professionnelles dans les concours de recrutement
d'enseignants au profit des épreuves dites
académiques. Seuls les concours de
Conseiller principal d'éducation, de
documentaliste ou de professeur d'éducation
physique et sportive comportent de vraies
épreuves à caractère
professionnel. Pour les autres disciplines du
second degré, les concours n'évaluent
pratiquement pas la capacité à
enseigner. C'est extraordinaire : un peu comme si
l'on recrutait des médecins sur leurs
simples savoirs scientifiques, en dehors de toute
compétence à traiter
réellement un malade !
Mais c'est,
peut-être, une manière pour
l'Éducation nationale d'afficher sa toute
puissance : elle pense que l'on peut faire
n'importe quoi avec n'importe qui en matière
professionnelle. Du moment que quelqu'un
connaît la géographie, il saura
forcément la transmettre à des
élèves de 6e ou de seconde ! C'est
le mythe de la formation toute-puissante. Un mythe
qui, en conduisant au métier d'enseignant,
des jeunes qui n'en ont pas les compétences
pédagogiques, produit
précisément
une institution
impuissante à faire réussir ses
élèves ! On refuse de
sélectionner pour l'école des "
enseignants pédagogues "
ce qui
amène l'école à
sélectionner les seuls bons
élèves qui pourront réussir
quand même !
L'organisation
des IUFM est marquée, à mes yeux, par
un péché originel : la
présence du concours de recrutement au
milieu des deux années de formation. La
commission dont je faisais partie, en 1990, qui a
réfléchi à la mise en place
des IUFM, était partagée entre deux
formules : ceux qui défendaient le concours
à la fin des deux années de formation
professionnelle et ceux qui proposaient un concours
au début de ces deux années.
Finalement, pour tenter un compromis tant politique
que budgétaire, on a placé le
concours au milieu. Conséquence : une
première année dominée, de
manière écrasante, par la
préparation du concours et une
deuxième année de formation en
alternance, bien trop courte et chargée.
Personne n'imagine une école
d'ingénieurs avec un concours au milieu de
la scolarité, et bien c'est ce que nous
avons pour les enseignants !
C'est pourquoi,
je suis partisan du modèle " trois plus deux
" : une licence, un concours et deux années
de vraie formation professionnelle conduisant
à un mastère . Pendant ces deux
années, une véritable alternance avec
une montée en charge progressive des
responsabilités et un niveau d'exigence
universitaire de réflexion approfondie sur
le métier : on ne forme pas des
exécutants, mais des cadres. Seul le statut
universitaire des IUFM garantit une
véritable ambition pour nos enseignants.
De toute évidence, le CAPES et
l'Agrégation, tels qu'ils sont aujourd'hui,
n'ont plus leur place dans le schéma LMD
. (
)
Je trouve
absurde, pour ma part, que tout se joue dans les
concours de début de carrière. Je
trouve scandaleux que nous considérions que
plus le niveau du concours passé est
élevé, moins on a d'heures de cours,
moins on a des élèves difficiles et
plus on est payé. C'est un système
qui marche sur la tête ! Ces
hiérarchies archaïques
héritées du siècle dernier
sont totalement inadaptées.
Certes, je ne
suis pas naïf : je sais qu'un gouvernement qui
toucherait à cela se mettrait toute la
profession à dos. Certains enseignants
estiment encore que leur investissement en
formation initiale leur donne des droits, en
particulier celui de ne s'adresser qu'à des
bons élèves. C'est pourquoi, il faut
poser la question des missions et du service des
enseignants dans une réflexion plus globale
sur ce que les Français attendent de leur
école.(Haut
de page)
|
Je
souscris pleinement à l'analyse
dans son intégralité et
j'admire le fait que Meirieu n'ait pas la
langue de bois!
Ceci
dit se pose également la question
des méthodologies de la formation
des enseignants, aspect important qui
n'est pas abordé
Quand
on voit les méandres des
diverses
réformes
je me demande si une réforme
n'exigera pas encore bien des
années!
|
|
Les enseignants dans
l'établissement
Beaucoup
d'enseignants seraient favorables à une
certaine perméabilité des
différents secteurs d'investissement au sein
des établissements scolaires. Un
enseignant de français pourrait
décider, durant quelques années, de
partager son service entre ses classes et un
service en documentation sous la
responsabilité du documentaliste. De
même pour les fonctions
d'encadrement.
D'ailleurs,
la France est un des rares pays européens
où il n'existe pas de cadre
intermédiaire entre le professeur de base et
le chef d'établissement. Nous aurions besoin
de coordinateurs par disciplines, par niveaux de
classes (les 6es, les 5es, etc.) ou par projets
(les TPE, le suivi individualisé, les
technologies de l'information et de la
communication, etc.). Actuellement, tout cela se
fait presque clandestinement, sur la base du
volontariat et sans guère de gratification,
ni dans la carrière, ni dans la
reconnaissance institutionnelle. Avec un
accompagnement par la formation continue, cela
permettrait d'offrir de la mobilité aux
professeurs et d'améliorer
considérablement le maillage éducatif
de l'établissement. Cela complèterait
efficacement le système des professeurs
principaux dont j'ai déjà dit
l'urgence de
l'évolution
(Haut
de page)
|
|
La
décentralisation
J'ai
été surpris de cette méfiance
viscérale des enseignants à
l'égard des collectivités
territoriales. D'ailleurs, j'ai rencontré de
nombreux élus locaux, à gauche comme
à droite, qui se disaient choqués de
la suspicion dont ils étaient l'objet. Ils
faisaient remarquer, très justement, que les
fonctionnaires territoriaux ne sont pas plus mal
traités que les autres.
Cela dit, la
façon dont le gouvernement a
présenté son projet pouvait, en
effet, permettre de nourrir certaines craintes. On
a pu croire - non sans raison - qu'il s'agissait de
donner satisfaction à des forces de
pression, comme certains conseils
généraux ou régionaux,
plutôt que d'améliorer vraiment la
qualité du service public. La manière
dont les choses se sont passées a
ressemblé à un marchandage, les
collectivités territoriales venant faire
leur marché dans le service public et
l'État cédant au plus
offrant
Nous avons
déjà évoqué les
conseillers d'orientation psychologues qui, pour
être plus près des
élèves et des parents, doivent
être encore mieux arrimés aux
établissements et non satellisés.
Nous pourrions évoquer les médecins
et les assistants sociaux dont nous avons de plus
en plus besoin et qui doivent collaborer au plus
près avec les équipes
éducatives. De même, il peut
paraître logique de vouloir transférer
aux collectivités territoriales la charge
des personnels ATOSS qui assurent l'entretien des
bâtiments, puisque celles-ci assurent
déjà les investissements
Mais
on doit entendre également l'argument selon
lequel il est absolument nécessaire d'avoir
une unité de pilotage au niveau de
l'établissement et de ne pas couper les uns
des autres les personnels qui y travaillent. Je
fais partie de ceux qui croient à
l'importance décisive de la présence
des personnels d'entretien et de service pour le
bon fonctionnement de l'établissement ; je
crois même à la
nécessité de mieux les associer aux
questions pédagogiques - comme la formation
des élèves à la
citoyenneté et la lutte contre la violence.
Cette intégration dans une unité
fonctionnelle n'est pas très compatible avec
le fait d'appartenir à des fonctions
publiques différentes, avec toutes les
tensions que cela disque d'engendrer.
Pour moi, il y
a dans la décentralisation telle qu'elle a
été présentée une forme
de régression par rapport à une
autonomie régulée des
établissements. Le risque est très
grand qu'au lieu de rapprocher le service du
public, elle rende plus confus et encore moins
lisibles les services, multiplie les interlocuteurs
et pénalise ceux et celles qui ne savent pas
se débrouiller dans la jungle des
administrations. (
)
Pour
ma part et en étant résolument
adversaire de la logique libérale en
éducation, je n'ai aucun a priori contre la
décentralisation. Lorsque le Préfet
de la région Rhône-Alpes m'a
demandé d'animer, en décembre 2002,
les Assises régionales de la
décentralisation, je l'ai fait volontiers.
J'ai entendu là des choses passionnantes et
j'ai rencontré des acteurs sociaux et
politiques très responsables. Mais j'ai
entendu aussi, très fortement, le besoin
d'un cadrage national qui garantisse une
équité de traitement et permette
à chaque partenaire de s'inscrire dans un
projet national clair. Ce que j'en ai retenu,
c'est que la décentralisation sera d'autant
mieux acceptée que les finalités
seront réassurées. Dès lors
qu'il existera un ancrage dans un projet fort, la
décentralisation n'apparaîtra plus
comme un
démantèlement.
À cet
égard, une inversion de calendrier aurait
été préférable. Il
aurait fallu commencer par le débat sur
l'école que vous aviez annoncé,
stabiliser les lignes de force pour le
système scolaire, et sur ces bases, engager
la décentralisation. Elle serait apparue
alors comme arrimée à des
orientations politiques et non pas comme un
renoncement à une ambition nationale pour
l'éducation. (
)
Pour
être efficace et équitable à la
fois, une décentralisation ne peut
s'envisager qu'en reconsidérant
complètement les procédures de
contrôle de l'administration. Il faut
passer du contrôle administratif assez formel
- nombre de classes, nombre d'heures dans chaque
discipline - à une évaluation des
missions de l'école.
Les
priorités sont connues : accès aux
langages fondamentaux et aux éléments
constitutifs de notre culture, formation au travail
individuel et collectif, lutte contre la violence,
éducation à la citoyenneté,
soutien aux élèves en
difficulté, orientation et aide à la
préparation du projet professionnel, accueil
et participation des parents... Ces
éléments doivent donner lieu à
un vrai cahier des charges national qui s'impose
à tous. Et c'est à partir de ce
cahier des charges et pour le réaliser que
doivent se mobiliser les écoles et les
établissements.
Aujourd'hui,
nous sommes centralisateurs et autoritaires sur les
procédures et totalement libéraux sur
les objectifs. C'est évidemment l'inverse
qu'il faut faire : être très
ferme sur les objectifs et décentralisateur
sur les méthodes. Il est inacceptable
qu'un établissement qui respecte simplement
les cadres administratifs qu'on lui impose, puisse
se permettre de mener une politique de
sélection contraire aux orientations
nationales, de ne pas organiser correctement la
formation des délégués
d'élèves et l'accueil des familles.
Il serait plus démocratique que
l'établissement soit contraint d'afficher
clairement ce qu'il fait dans chacun de ces
domaines et, donc, conduit à mettre son
autonomie au service du projet national.
Beaucoup
d'enseignants et de chefs d'établissement
ont le sentiment d'être
contrôlés sur le plan administratif
mais laissés totalement libres sur le plan
politique. Lorsqu'il y a une bonne équipe,
avec un chef d'établissement tonique, cela
se passe très bien. Lorsque ce n'est pas le
cas, l'établissement s'essouffle ou
s'effondre.
Il est possible
de mobiliser les équipes, dès lors
qu'un cahier des charges national est défini
précisément. Et la
décentralisation, alors, ne fera plus peur.
Au contraire : elle ne sera plus associée
à un hypothétique
démantèlement du service public mais
à un renforcement de son unité et de
sa cohérence. Elle apportera un cadre aux
enseignants en encourageant leur prise de
responsabilité. Elle donnera confiance aux
parents sans entraîner une uniformisation
impossible. Elle permettra une véritable
évaluation des établissements sur
leur politique éducative et non sur des
résultats scolaires qu'une bonne
sélection permet toujours
d'atteindre.(Haut
de page)
|
C'est
toute la question du passage d'un
contrôle à priori à un
contrôle à posteriori. Mais
c'est valable pour toute la fonction
publique!
|
|
La loi de
1989
J'estime que la
loi de 1989 est toujours d'actualité.
Elle reste même encore très en
avance sur ce que nous faisons aujourd'hui : la
réforme des cycles , inscrite dans cette loi
et qui aurait dû permettre de personnaliser
le suivi des élèves en
éradiquant le redoublement, reste à
mettre en place. Quant à l'expression de "
l'élève au centre ", elle est
parfaitement fondée. C'est même
quasiment un truisme. Comme de dire que
l'hôpital est fait pour les malades ! "
L'élève au centre " ne veut pas dire
" l'enfant roi " ; c'est même tout le
contraire. Mettre " l'élève au centre
", c'est destituer l'enfant tout puissant et
l'aider à se construire face à la
résistance des êtres et des choses,
dans la relation aux savoirs et aux
autres.
S'il y avait un
point sur lequel la loi de 1989 n'est pas encore
suffisante et qui, pour moi, doit être mis en
avant, c'est sur le fait que, comme nous en avons
déjà parlé, " l'école
doit être son propre recours ". C'est
là l'enjeu essentiel pour les parents, pour
les élèves, pour la nation, pour tous
ceux qui militent pour la qualité du service
public et ne se résignent pas à ce
que les officines privées et le
marché prospèrent sur les
échecs de l'école. C'est un axe
politique très fort : ne jamais laisser une
famille ou un élève dans une
situation d'échec ou de difficulté,
sans lui proposer un recours.
Enfin, au
travers des attaques contre la loi de 1989 que l'on
entend, je discerne la nostalgie d'une
époque où l'on pouvait encore
apprendre tranquillement dans les
établissements parce que " les barbares "
n'y étaient pas admis. La nostalgie
d'élèves " prêts à
l'emploi ", formatés par les familles et
à qui l'on n'aurait qu'à
déverser tranquillement des connaissances.
Ce serait tellement pratique de mettre au fronton
des établissements, à la place de "
Liberté, égalité,
fraternité ", " Nul n'entre ici s'il n'est
déjà bien éduqué, poli,
capable d'écouter un cours, de faire ses
exercices et son travail à la maison sans
être aidé par ses professeurs...
"(Haut
de page)
|
On peut se
battre pour savoir ce que veut dire "au
centre" mais ce que dit Meirieu est pour
moi une évidence!
|
|
La nostalgie du " bon
vieux temps "
L'ordre
scolaire que certains regrettent ressemble plus au
" charme discret de la bourgeoisie " qu'à
l'universel kantien. C'est, par exemple, la
capacité à s'ennuyer poliment. Une
femme, autrefois, ne devait jamais montrer à
un homme qu'il l'ennuyait. Eh bien, il en allait de
même pour les élèves avec leurs
professeurs. Il ne s'agit pas là d'un
véritable ordre scolaire mais plutôt
d'un dressage culturel posé en
préalable à la scolarisation. Pour
une démocratie, c'est
inacceptable.
Car, en
réalité, si l'on regarde bien, la
culture des lascars de banlieue n'est pas
nécessairement plus détestable que
les méthodes utilisées par les fils
des familles d'intellectuels en classes
préparatoires aux grandes écoles :
j'en ai vu déchirer des pages de certains
documents pour piéger leurs propres
camarades pendant la préparation des
concours.
Un ordre
scolaire pour tous doit donc être construit.
Il est juste de dire qu'il doit être
très strict. Il y a des interdits fondateurs
: l'interdit de la violence, l'interdit de nuire et
l'interdit de l'inceste ce qui,
scolairement, signifie que le maître
n'appartient pas à ses chouchous mais
à la totalité de la classe.
Travaillons sur la manière de faire entendre
aux élèves que ces interdits
autorisent : ils les autorisent à vivre
ensemble et à se développer chacun,
ils les autorisent à être libres. Il
ne s'agit pas de faire accepter à
l'école ceux qui sont socialement en
affinité avec les enseignants et qui parlent
le même langage qu'eux tout en disant aux
autres qu'ils ne valent rien. Il s'agit de
constituer un ordre valable pour tous et qui ne
soit pas vécu par les enfants de milieux
défavorisés comme une forme de
colonisation de l'intérieur, qui les
amènerait à se renier eux-mêmes
pour adopter les règles et les coutumes de
la tribu adverse. (
)
Dans ce
contexte, ce que certains prennent pour l'ordre
scolaire n'est que le confort de la classe moyenne.
Et les jeunes enseignants, insuffisamment
sensibilisés à ces questions, sont
très inquiets d'être nommés
à Créteil ou dans une autre
académie difficile. Ils paniquent moins
parce que l'ordre scolaire est en train de
s'effondrer autour d'eux que parce que leur univers
culturel est menacé par la rencontre avec un
autre monde qu'ils connaissent mal. Il est vrai
que le choc du " foulard Hermès " et de "
nique ta mère " est parfois violent. Mais ce
n'est pas une raison pour rejeter hors du cercle
des éducables toute une partie des
élèves.(Haut
de page)
|
|
L'Education
populaire
L'éducation
populaire, qui est apparue en France dans les
années 1930, a, malheureusement, du mal
à survivre aujourd'hui. Autrefois, beaucoup
d'enseignants passaient par cette formation,
à travers le scoutisme, les associations
sportives ou culturelles. En ce qui me concerne,
j'ai évidemment appris les contenus
d'enseignement à transmettre à
l'université. Mais gérer un groupe
difficile, faire face à des
élèves qui m'insultent, cela je l'ai
appris dans des mouvements de jeunes ou en
étant directeur de colonie de vacances.
J'ai ainsi découvert des hommes et des
femmes aussi différents
idéologiquement que Baden-Powell et Fernand
Deligny , Maria Montessori, Jean Vilar, Paulo
Freire ou Célestin Freinet... Tous m'ont
fourni des éclairages décisifs et des
outils particulièrement utiles. Cette
culture pédagogique semble oubliée
aujourd'hui et nous en souffrons.
(
)
Pour ma part,
je me suis battu sous tous les ministères
pour que les mouvements pédagogiques
bénéficient d'un tout petit peu plus
de place. En vain. Et le refus s'est toujours fait
au nom de la primauté des savoirs. C'est
stupide. Un enseignant qui ne sait pas prendre
la parole devant un groupe, ou réagir sans
entrer en conflit avec un élève en
difficulté, ne pourra rien transmettre.
Il sera complètement absorbé par des
problèmes de discipline.
En
réalité, vous contribuez à
marginaliser cette culture pédagogique de
base en concentrant la formation des futurs
professeurs autour des seuls enseignements
académiques. Les concours de recrutement ne
prennent nullement en compte les expériences
professionnelles socioculturelles ou
socio-éducatives. Pourtant, cela devrait
aller de soi : un jeune qui a fait du soutien
scolaire dans un quartier en difficulté, qui
a animé des mouvements de jeunes ou une
troupe de théâtre, qui a
entraîné des jeunes à un sport
quelconque.... devrait pouvoir faire valoir ces
expériences. Cela ne suffit
évidemment pas, mais il est évident
que c'est un plus pour enseigner. Vous
êtes trop agenouillé devant la
Société des agrégés
!(Haut
de page)
|
Que
cela est vrai! Mais cela pose
le
problème des méthodes de
recrutement et de formation des
enseignants car dans ces mouvements les
méthodes de formation sont les
méthodes de "formation d'adultes"
avec mise
en
situatiuon
et non des formations universitaires sous
forme de cours!
|
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Le rôle des
syndicats dans le service public
On ne peut pas
mettre toutes les organisations syndicales sur le
même plan. Néanmoins, il est vrai que
les choses se sont tendues. À mon avis, les
ministres successifs, qu'ils soient de droite ou de
gauche, ont trop privilégié le jeu
avec les grands appareils syndicaux parisiens au
détriment d'un dialogue plus direct avec les
enseignants. Or, dans ce jeu, la défaite de
l'adversaire est parfois plus importante que le
progrès de l'école.
De plus, il me
semble que les syndicats d'enseignants - et,
particulièrement, le plus puissant d'entre
eux, la FSU, et son syndicat du second
degré, le SNES - ne sont plus, autant qu'ils
ont pu l'être, porteurs d'un projet de
société crédible et
alternatif. Malgré leurs efforts, ils
restent souvent sur des revendications
quantitatives, quand ils ne pratiquent pas le culte
systématique des préalables : " Oui
à la réforme
Mais avec plus
d'argent, plus de concertation, plus de temps, plus
de postes, etc. " Autant dire : " D'accord
mais jamais ! " Une telle attitude est,
inévitablement, source de durcissements
réciproques.
Enfin, il me
semble que les organisations syndicales ne mettent
pas suffisamment au premier plan la question
fondamentale : comment garantir aujourd'hui la
qualité du service public d'éducation
? Les Français - les enseignants les
premiers - ne veulent plus d'un service public
ultra jacobin, ultra centralisé, dont la
qualité serait garantie par un
système hiérarchique et pyramidal
d'inspecteurs qui démultiplient les ordres
venus d'en haut. Mais, d'un autre
côté, les syndicats ne veulent pas
entendre parler - à raison - d'une mise en
concurrence des établissements entre eux
qu'ils perçoivent comme une dérive
néolibérale. Or, sans la garantie du
contrôle hiérarchique ni la garantie
du marché, comment garantir la
qualité ? C'est, à mes yeux, la
grande question sur laquelle la gauche n'a pas su
trouver de réponse satisfaisante : elle n'a
pas su montrer qu'on pouvait accéder
à un service public de qualité sans
le libéraliser.
Les
Français veulent une école de
qualité pour leurs enfants. Ils ne veulent
pas du libéralisme pour lui-même. Ils
veulent de la qualité. À nous de
prouver qu'on peut produire cette qualité au
sein du service public.
C'est parce que je
pensais qu'il avait cette analyse et cette
volonté que je me suis engagé
auprès de Claude Allègre et que j'ai
travaillé à la réforme du
lycée. D'ailleurs, quand nous avons
proposé cette réforme, nous avons eu
le soutien des deux grandes
fédérations de parents
d'élèves sur cette base. Pour la
première fois, la FCPE , qui a
été créée par des
enseignants contre la PEEP suspectée de
vendre l'école aux parents, s'est
alliée à la PEEP pour en demander
l'application. Elles ont été
soutenues par tous les mouvements
pédagogiques mais aussi par deux grands
syndicats, le Syndicat des enseignants (SE-UNSA)
issu de la FEN , et le SGEN-CFDT.
C'est la
première fois, je crois, qu'a
été vraiment posée
publiquement la question du " contrôle de la
qualité du service public ", seule
alternative à la privatisation. Les
Français y ont été sensibles,
même s'ils n'ont pas suivi le ministre dans
ses outrances. Je crois même que beaucoup ont
été déçus que Claude
Allègre n'aille pas plus loin dans ce sens.
Il aurait fallu, je crois, que les syndicats
relaient massivement cette démarche,
à la fois au plan national et au plan local
en associant les parents à une
véritable " démocratie scolaire de
proximité ". Il s'agit bien, en effet,
d'inventer un système qui permette
d'associer les acteurs de l'école, ses
usagers et la société civile tout
entière à la régulation du
service public.
La vraie
césure du quinquennat de Lionel Jospin
correspond au départ de Claude
Allègre et de Christian Sauter . À ce
moment-là, Lionel Jospin a fait savoir au
pays que le bien-être des fonctionnaires
était plus important que la qualité
du service public. Les Français l'ont
entendu : ils ont multiplié les
montées corporatistes dans tous les
domaines, y compris la gendarmerie et la police. De
très belles choses ont été
faites ensuite par Jack Lang, en particulier la
mise en place du " Plan Arts et Cultures ", mais je
crains que le message venant de Matignon n'ait
été trop bien
entendu.(Haut
de page)
|
Là
aussi pas de langue de bois! Ceci dit, les
syndicats font parfois ce qu'ils peuvent
dans la mesure où les prises de
conscience de leurs mandants n'ont pas eu
lieu!
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|
Un débat national
sur l'école
Vous avez
raison de souhaiter un débat national,
mais il faudra qu'il débouche vraiment
sur la mise au point d'objectifs nationaux capables
de servir de référents communs
à tous les établissements. C'est
une nouvelle étape de la création de
l'école de la République qu'il faut
engager.
Jules Ferry a
réussi parce qu'il a su créer une
alliance politique entre la bourgeoisie
éclairée et la frange
réformiste du prolétariat,
écartant, d'un côté, les
conservateurs cléricaux et, de l'autre, les
révolutionnaires et les anarchistes. Cela a
abouti au modèle scolaire qui a
prévalu des années 1880 aux
années 1930. Après les tentatives
particulièrement courageuses du Front
populaire et de son ministre de l'Instruction
publique, Jean Zay , le deuxième mouvement
fort s'est produit à la Libération.
Là encore, on a assisté à une
alliance étonnantes entre les instituteurs -
communistes pour beaucoup - et la classe moyenne
gaulliste
Ils ont réussi à
accomplir la massification de
l'école.
Aujourd'hui, je
crois nécessaire de construire une alliance
forte entre les enseignants-citoyens et les
parents-citoyens, tant au plan national que local.
C'est ainsi qu'on sortira de la crise actuelle.
(
)
Les parents,
tout comme les enseignants et les chefs
d'établissement, doivent savoir ce qu'il
faut attendre de l'école, ce que la nation
attend de son école. Ils doivent pouvoir
disposer d'outils construits à partir de
critères communs, leur permettant
d'évaluer la qualité de leur
école. Tous les Français se veulent
spécialistes de l'école, mais chacun
porte un jugement par le prisme de son seul
enfant.
J'ai
proposé à plusieurs reprises que
chaque établissement français soit
évalué correctement à partir
d'un tableau de bord précis et non en
fonction de la rumeur ou des seuls résultats
aux examens. Je souhaite qu'un groupe issu du
conseil d'administration et comprenant des
enseignants, des parents et des
élèves identifie quatre ou cinq
critères sur lesquels il puisse mener une
démarche d'évaluation dans la
durée.
L'État
doit faire en sorte que les critères
d'élaboration de l'intérêt
collectif soient les plus clairs possibles et que
les institutions publiques - au premier rang
desquelles l'école - poursuivent cet
intérêt collectif. Ce n'est plus le
cas aujourd'hui : bien des parents
soupçonnent que l'Éducation nationale
a été kidnappée par une partie
de la population au détriment d'une autre,
et ils ont toujours peur que leurs enfants ne
soient pas assez bien traités.
C'est la raison
pour laquelle un nouveau " contrat scolaire "
s'avère nécessaire. Si, par exemple,
l'Etat décide, après
réflexion, que, pour l'équilibre
futur du pays et pour l'avenir personnel et
professionnel des jeunes, il faut qu'il y ait
jusqu'au bout du collège un maximum de
mixité sociale, cela n'empêchera pas,
miraculeusement, certains parents de rechercher des
classes homogènes d'élite dès
la 6e
Mais, au moins, les
établissements sauront qu'ils doivent
résister, au nom de l'intérêt
collectif, à ces velléités
individuelles. (
)
Certains grands
lycées publics ont des politiques scolaires
contradictoires avec les principes de la
République. En termes de sélection,
par exemple, ils sont parfois plus
sévères que des établissements
privés et constituent des ghettos
sociologiques impénétrables. Ce n'est
pas normal. Il revient à l'Etat de rappeler
que l'école est une institution au service
de tous et non pas un organisme quelconque au
service de quelques groupes de pression,
fussent-ils corses, bretons ou du 16e
arrondissement de Paris.
La
différence entre un service et une
institution est que la qualité du premier
s'évalue à la satisfaction de ses
usagers - c'est le cas, par exemple, d'un service
après-vente d'un grand magasin - alors que
la qualité de la seconde s'évalue
à sa capacité à incarner des
valeurs : c'est le cas de la Justice, de
l'Armée, de
l'École
(Haut
de page)
|
C'est
à nous de veiller à utiliser
ce temps pour réfléchir et
faire réfléchir; c'est ce
que s'efforce de faire ce
site!
|
|
Améliorer le
service public
Il me semble
qu'en conclusion, nous pourrions d'abord rappeler
quelques-uns des " péchés capitaux "
de l'Éducation nationale contre lesquels
nous devons combattre ensemble,
indépendamment de nos différences de
convictions politiques et de sensibilités
pédagogiques, pour la qualité du
service public d'éducation. Il nous faudrait
ainsi lutter contre la désinvolture
institutionnelle qui sévit encore trop
souvent dans un système qui impose aux
usagers des délais qu'il ne respecte pas,
qui, parfois, ne daigne même pas
répondre au courrier, qui commence toujours
par refuser un projet, avant même de se
demander s'il est réalisable. Il nous faut
lutter contre la routine qui totémise
le statu quo. Instaurer le sens de l'accueil, en
particulier à l'égard des parents, la
clarté de fonctionnement à
l'égard des citoyens. Il nous faudrait,
aussi, apprendre à reconnaître le
dévouement plutôt qu'à le
suspecter
Sur tout cela, je crois que nous
pourrions être d'accord.
Il
me vient ensuite une interrogation. Nous avons dit,
à plusieurs reprises, que les
élèves étaient, aujourd'hui,
plus difficiles qu'hier et que les enseignants
avaient à faire un nouveau métier.
Est-ce si sûr ? Est-ce le métier qui a
changé ou bien l'ambition qui le porte ?
D'une certaine manière, les " grands
pédagogues " que j'étudie depuis
longtemps ont toujours eu affaire à des
sauvageons, à des marginaux, à des
enfants qui ne voulaient pas d'eux. Simplement, ils
avaient fait le choix de les éduquer, de ne
pas les rejeter au dehors du cercle des humains.
Quand le docteur Itard , en 1789 - deux
siècles avant la loi de 1989 - décide
d'adopter Victor de l'Aveyron il fait le choix
d'éduquer un enfant qui ne sait pas parler,
qui lui crache dessus et qui refuse ce qu'on veut
lui enseigner. Il aurait pu suivre les conseils de
certains de ses contemporains et rejeter cet enfant
en le considérant comme un " débile
de naissance ". Il ne l'a pas fait. Il a fait ce
que j'ai appelé, dans le titre d'un de mes
livres, " le choix d'éduquer "
Aujourd'hui,
c'est la nation qui a fait le choix d'instruire
et d'éduquer tous ses enfants. D'une
certaine manière, la loi d'orientation de
1989, qui place l'élève au centre du
système, est la traduction politique de ce
choix. C'est tout à notre honneur et c'est
pour cela que je la défends. Mais une
institution peut-elle, en faisant un choix
politique, exonérer les individus qui la
composent du choix éthique fondateur de leur
métier ? Doit-on faire semblant d'oublier
qu'au bout de la chaîne, c'est le
professeur qui tranche, par le moindre de ses
gestes, la moindre de ses paroles ? Doit-on
ignorer que c'est lui qui, au quotidien, laisse
entendre à l'élève qu'il peut
réussir ou qu'il est condamné
à l'exclusion ? Suffit-il de
décréter politiquement un choix
éthique pour qu'il s'incarne dans toutes les
classes de France ?
D'où mon
troisième point : nous avons besoin d'une
institution moderne et qui marche bien. Nous avons
aussi besoin d'un idéal capable de gonfler
les voiles du navire, d'impulser une dynamique,
d'accompagner chaque professeur dans le choix qu'il
doit faire de l'éducabilité de ses
élèves. Or, à plusieurs
reprises dans nos entretiens, vous avez
affirmé que mes propositions vous
paraissaient utopiques. Pour moi l'utopie est
nécessaire. J'irai même plus loin :
dans une démocratie, le ministère de
l'Éducation nationale devrait être le
ministère de l'utopie. L'utopie fondatrice
de toute espérance, celle d'une culture
émancipatrice de tous les hommes. Je crois,
Monsieur le Ministre que, pour la tâche qui
nous attend, la plus grande utopie, c'est de croire
que l'on peut se passer d'utopie.(Haut
de page)
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C'est
certain que le "bout de la chaîne"
est important, que c'est là que se
joue le sort de bien des
élèves . C'est
"la
parole"
de l'enseignant qui agit; c'est pourquoi
les deux questions des modes de
recrutement et de la formation
des
enseignants
sont si fondamentales.
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