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Extraits et commentaires du livre de

Philippe Meirieu  

           On lira ci-dessous des extraits d'un livre qui aurait dû paraître sous le titre "Libre propos sur l'école". Ce livre reproduisait un dialogue entre le ministre délégué à l'enseignement scolaire, Xavier Darcos, et Philippe Meirieu, directeur de l'Institut universitaire de formation des maîtres (IUFM) de Lyon. (Ce livre va en définitive paraître début Décembre2003) (Voir: http://meirieu.com/LIVRES/li_dvpue.htm )

           J'ai mis en gras ce qui avait eu un écho particulier en moi et mis sur le côté droit quelques remarques et renvois possibles dans le site.

Les thèmes

Les évènements du printemps 2003 - Le " malaise " enseignant - Le pédagogisme - L'institution scolaire - Le goût d'apprendre - La crise de l'autorité - Violences et incivilités - Une école sans projet ? - Les ghettos scolaires - Illettrisme - Ecrire - Illettrisme scientifique - La sixième - Le collège unique - L'hétérogénéité des classes - L'enseignement privé - L'orientation - Le lycée - Le baccalauréat - Une véritable qualification - Refonder le métier d'enseignant - Les IUFM - Les enseignants dans l'établissement - La décentralisation - La loi de 1989 - La nostalgie du " bon vieux temps " - L'Education Populaire - Le rôle des syndicats dans le service public - Un débat national sur l'école - Améliorer le service public -

Les événements du printemps 2003

           La détermination, la dureté, la violence de ce mouvement m'ont surpris. Je ne m'y attendais pas. Et je suis très inquiet que nous n'ayons pas eu de véritable " sortie de crise " : pas de signe symbolique marquant que la crise était terminée et qu'on passait à une autre étape, à d'autres problèmes. Donc pas de catharsis possible pour les acteurs.

           Mais je voudrais aussi insister sur le fait que des maladresses très graves ont été commises par le gouvernement. Maladresses dans la gestion même du conflit qui est apparue extrêmement chaotique : était-on dans la discussion, dans la concertation, dans la négociation ? Sur quoi exactement ? Avec quels interlocuteurs ? Tout cela a été très confus. Maladresses aussi dans les attitudes d'un pouvoir qui est apparu très arrogant, voire méprisant à l'égard des personnes qui, précisément, font le travail " en bas ", au quotidien et à qui l'on se contentait de dire : " Mais il n'y a pas de problème… C'est vous qui n'y comprenez rien et refusez toute réforme ! ". Or, le mépris engendre toujours la violence.(…)

           En agissant comme il l'a fait, le gouvernement a, à mes yeux, pris une terrible responsabilité : il a fait le lit d'une gauche extrême - bien loin de l'extrême gauche des années 1970-1980 - qui fait de la surenchère et risque de nous conduire à la montée, en face, de l'extrême droite. Cette gauche extrême raisonne, d'ailleurs, d'une manière tout à fait comparable au capitalisme libéral qu'elle dénonce : " Je veux l'argent auquel j'ai droit. Je ne veux pas savoir où l'on va le trouver ni à qui l'on va le prendre. " C'est un vrai recul pour la démocratie et la solidarité sociale.

         Il faut bien comprendre qu'après la faillite du marxisme et devant la difficulté des socialistes à définir un projet de société alternatif, les enseignants se sont, majoritairement, retrouvés orphelins, sans idéologie de référence. Ils sont alors devenus réceptifs à un discours anti-mondialiste sommaire… Un discours qu'on peut tenir tout en continuant soi-même à acheter ses produits de consommation au moindre coût et à entériner ainsi le système que l'on conteste… Un discours qui stigmatise comme libéral tout appel à la responsabilité individuelle ou collective… Mais un discours qui permet d'identifier un bouc émissaire et de se libérer ainsi de sa culpabilité professionnelle : " Si nous ne parvenons pas à faire fonctionner l'ascenseur social, si nous n'arrivons pas à faire réussir comme nous le voudrions les élèves des milieux défavorisés, c'est à cause de la mondialisation libérale ! " Entendez-moi bien : je ne dis pas qu'il n'existe pas de vrais et graves dangers dans la mondialisation, je ne dis pas qu'il faut déserter ce terrain-là ni renoncer à militer pour une juste répartition des richesses sur la planète. Mais je m'inquiète de la manière dont certains groupes et certaines organisations syndicales parviennent à habiller d'un discours généreux des attitudes d'égoïsme corporatiste et paralysent ainsi toute véritable réflexion, en particulier sur le système éducatif et les pratiques pédagogiques. (Haut de page)

Autrement dit ce qui arrive est à lire à plusieurs niveaux: celui des décisions prises par des personnes mais également celui des effets systémiques et des fantasmes collectifs.

systèmes

Il y a effectivement un risque important pour que le débat ne porte que sur les moyens et non sur les buts et méthodes

Le " malaise " enseignant

           Les enseignants sont nombreux à avoir le sentiment de devoir ramer seuls, à contre courant. Ils sont nombreux à se demander comment incarner au quotidien les valeurs de l'école républicaine quand la société tout entière semble promouvoir les valeurs inverses : la séduction contre la réflexion, la violence contre l'intelligence, la facilité contre l'exigence, l'individualisme contre la solidarité, l'élimination du " maillon faible " contre le pari de l'éducabilité de tous. Les politiques ont, à cet égard, une responsabilité déterminante. Ils n'ont pas mesuré à quel point la télévision représente un des enjeux fondamentaux des années à venir. Ils ont abandonné ce secteur à la concurrence des marchés publicitaires, alors qu'il s'agit d'un domaine où l'État devrait avoir une forte présence, non pour censurer, mais pour impulser une vraie politique culturelle, non pour tout diriger mais pour favoriser une réflexion citoyenne sur cet outil qui est au cœur de la vie quotidienne de tous les Français. Je suis, d'ailleurs, très étonné de la timidité de l'Éducation nationale dans ce domaine… J'aimerais qu'elle s'inspire du courage qu'eut, jadis, Jules Ferry pour lutter, par l'école, contre l'obscurantisme religieux. Car, aux plus beaux moments de l'école laïque, les élèves n'ont jamais passé autant de temps au catéchisme qu'ils n'en passent aujourd'hui devant les âneries de la télévision ! (…) Nous sommes bien trop timorés : en classe, nous ignorons la télévision ou, au mieux, n'évoquons que les émissions culturelles. Je voudrais que nous retrouvions la passion pour l'intelligence et la liberté des grands laïcs du XIXe siècle. Et je suis certain, d'ailleurs, que cela donnerait aux enseignants une perspective susceptible de leur rendre leur dignité.(…)

           Les enseignants ont le sentiment de ne plus pouvoir faire fonctionner l'ascenseur social, d'être devenus impuissants à combattre la fatalité sociale. Ils ont intériorisé l'échec d'une école républicaine qui ne parvient pas à faire émerger au moins quelques élus parmi les fils des exclus. Ils en ressentent une souffrance à la mesure de leur générosité : ce sont des hommes et femmes progressistes qui se vivent comme incapables collectivement de réaliser l'idéal auquel ils adhèrent. Je crois, pour ma part, qu'ils ont tort et que la pédagogie peut toujours permettre de lutter contre la fatalité… Mais je comprends leur souffrance. Je comprends qu'ils retournent celle-ci contre un système qu'ils rendent responsable de leur échec. (…)

           Si les enseignants sont méfiants à l'égard d'une politique scolaire qui basculerait dans la loi du marché, c'est parce qu'il existe quand même des indices qui montrent que le danger existe : le développement des officines privées de soutien scolaire, l'arrivée des cours payants sur Internet, l'accroissement des écarts entre les établissements prestigieux de centre ville et les établissements de banlieue… Et j'ajouterai, pour ma part, la réduction des savoirs scolaires à des marchandises, de simples moyens de réussir des examens. C'est, d'ailleurs, ce qu'ont toujours dénoncé les pédagogues… (Haut de page)

C'est aussi la question de la reconnaissance qui leur manque, entre autres.

 

 

 

Je pense qu'il n'existe pas encore de réflexion suffisante sur le pouvoir des journalistes qui se cache derrière la croyance qu'ils ont de refléter la réalité, alors que souvent ils l'influencent dans une interaction avec elle.

Le pédagogisme

           Je ne me définirai évidemment pas comme un " pédagogiste ". Je prétends simplement que, s'il est vrai que l'on enseigne toujours quelque chose, il est non moins vrai qu'on l'enseigne toujours à quelqu'un.

           Sur les années 1970-1990, (…) on ne peut absolument pas parler d'une renonciation généralisée des enseignants à leur autorité. Après la récréation de 1968, l'ordre est vite revenu. Depuis, les sanctions dans l'école n'ont pas cessé d'augmenter. Et je refuse complètement d'assimiler la volonté d'impliquer l'élève dans ses apprentissages avec la généralisation du spontanéisme. C'est tout le contraire : cette implication demande un travail pédagogique considérable !

           Bien sûr, je reconnais qu'il existe une forme de " pédagogie active " - libérale en quelque sorte - qui profite aux enfants ayant trouvé leur costume d'écolier au pied de leur berceau, ceux qui font les exposés spontanément, qui fréquentent les maisons des jeunes et de la culture, les associations ou les organisations culturelles. Mais vous semblez ignorer qu'il faut surtout mobiliser les autres sur les savoirs scolaires et que cela passe, évidemment, par le fait de les rendre actifs. Car, les enseignants sont confrontés aujourd'hui à la nécessité de transmettre des savoirs à des élèves qui ne veulent pas toujours apprendre et ne voient pas bien ce qu'ils font à l'école… et cela est bien affaire de pédagogie. C'est même la grande affaire de la pédagogie !

           En réalité, trop d'enseignants, légitimement sensibles à l'amour de leur discipline, vivent son refus ou son rejet par leurs élèves comme une blessure personnelle. Ils ont alors tendance à se durcir, voire à croire que l'autoritarisme et les sanctions sont les seuls remèdes. En les y encourageant, le gouvernement actuel les mène à l'échec. Il faudrait, au contraire, leur faire entendre quelles sont les exigences spécifiques de l'école.(Haut de page)

C'est toute la question de l'opposition fausse entre instruire et éduquer mais derrière se joue le modèle de la personne :

l'élève est il une personne globale dont l'intelligence est tributaire de l'affectif etc...

ou est-ce un individu morcelé qui n'intéresse que par son intelligence?

L'institution scolaire

           L'école n'est pas une juxtaposition d'enseignements disciplinaires. C'est une institution particulière qui a ses principes et ses règles. Ce n'est ni la rue ni la famille. À l'école, celui qui a raison n'est pas celui qui crie le plus fort, mais celui qui démontre le mieux. L'école est un lieu où comprendre est plus important que réussir, où l'exigence de rigueur, de justesse et de vérité doit constamment s'incarner : on ne peut pas faire dire n'importe quoi à un texte, ni cacher une partie des données recueillies lors d'une expérience. De plus, l'école est un lieu où, non seulement l'erreur est tolérée, mais utilisée pour progresser. Felix culpa, disaient les Jésuites : " Heureux sois-tu qui te trompes, car tu pourras analyser ton erreur et ne plus te tromper. ".

           Or, ce qui me paraît caractériser la situation vécue par beaucoup d'enseignants aujourd'hui, c'est que ces principes ne vont plus de soi. Chaque professeur doit en quelque sorte " reconstruire l'école " s'il veut " faire l'école ". La tâche est ardue : l'école, bien souvent, va à contre-courant de l'idéologie dominante. Elle prétend que chacun peut et doit apprendre, quand la télévision explique qu'il vaut mieux éliminer " le maillon faible ". Elle exige effort, attention et patience, quand la publicité vante le " tout-tout-de-suite ". Plus que jamais, dans ces conditions, l'enseignant a besoin de pédagogie.(…)

           Je crois, pour ma part, que l'acquisition des savoirs est inséparable de celle des règles du " vivre ensemble " : apprendre à respecter celui qui raisonne juste et convainc sans violence relève bien de la mission première de l'école.

           C'est donc à l'occasion de la transmission des savoirs, en réfléchissant à la manière d'organiser les apprentissages que se construit le " vivre ensemble ". Cela se fait en travaillant sur des textes littéraires ou des expériences scientifiques. Je n'ai jamais été partisan de la cohésion de l'établissement et la paix sociale à tout prix. L'école n'est pas d'abord faite pour être bien ensemble, mais pour apprendre… et apprendre ensemble.(Haut de page)

La gestion du temps pour le maître est fondamentale, l'apprentissage du "surseoir au plaisir" est la base de l'apprentissage comme de l'éducation et c'est effectivement à l'opposé du "zapping"! et cette gestion demande effectivement une bonne dose de pédagogie ou de savoir-faire que la formation peut apporter

Le goût d'apprendre

        L 'essentiel est de leur faire entendre que les savoirs ne leur sont pas imposés de manière arbitraire et dans une perspective purement scolaire, mais qu'il s'agit d'occasions d'entrevoir et d'obtenir des satisfactions intellectuelles plus importantes que les renoncements provisoires qu'on leur impose. L'enseignant doit pouvoir montrer que les apprentissages sont véritablement libérateurs et qu'on ne demande à personne de s'assujettir bêtement à l'autorité d'un maître ou d'une institution.

           D'ailleurs, quand Jules Ferry explique, il y a plus d'un siècle, qu'il faut apprendre à lire, écrire et compter, la lecture est pour lui, dans la tradition protestante, l'occasion de se libérer de toutes les formes de cléricature, de tous ceux qui voudraient qu'on les croie sur parole. Il prône le libre examen, la possibilité d'aller vérifier dans le texte l'exactitude d'un propos, de le confronter avec d'autres textes… Le plus extravagant est qu'aujourd'hui la lecture, qui est un moyen extraordinaire d'échapper à toutes les formes d'emprise, est vécue par les élèves comme un assujettissement, une soumission au pouvoir d'adultes qui leur demandent de mettre en œuvre une technique sans leur en montrer le formidable pouvoir émancipateur. Apprendre à lire, ce devrait être se réjouir de pouvoir, enfin, choisir soi-même son programme de télévision, chercher l'information pour contredire ses parents et tenter d'accéder, à travers le livre, au secret des choses. C'est devenu échapper à une punition, réussir une évaluation ou faire plaisir à son enseignant !

           Car nous ne parvenons plus à faire entendre le potentiel libérateur des savoirs. Et, faute de pouvoir exprimer son désir de grandir et d'être indépendant dans les apprentissages intellectuels ou dans la création artistique, le jeune s'affirme dans des transgressions qui mettent en péril son intégrité psychologique et physique : rouler à grande vitesse, prendre de la drogue, s'aliéner à des bandes en rupture… L'école, aujourd'hui, ne peut se contenter d'imposer des savoirs, il lui revient aussi d'en montrer " la saveur ".(Haut de page)

Ceci n'est pas si étonnant quand on sait "la peur d'apprendre" qui existe chez bien des jeunes.

Ceci montre également combien un enseignant doit être averti des processus imaginaires et des représentations des élèves

La crise de l'autorité

           La crise de l'autorité dans notre société n'est pas simplement le fruit de la démission des adultes en général et des enseignants en particulier… elle est un phénomène plus général. C'est le corollaire de la fin de toute théocratie : il n'y a plus d'idéologie qui s'impose à tous, ni dans le Ciel ni dans le Parti. La démocratie permet qu'on discute librement de toutes les opinions ; elle valorise le débat comme un moyen d'identifier l'intérêt général. Les élèves vivent dans un environnement où tout est discutable. Ils ont du mal à comprendre qu'à l'école, la discussion doit être régulée par la recherche de la vérité, de la précision, de la justesse, recherche que, précisément, le maître incarne. Dès lors que les élèves ne sont pas formés à faire la différence entre le registre des convictions qui s'expriment légitimement dans un État démocratique et celui des vérités qui s'enseignent tout aussi légitimement à l'école, la confusion s'installe. Et, si le maître ne travaille pas à instituer cette distinction fondamentale, s'il cherche à passer en force dans tous les domaines, à imposer le savoir scolaire comme une opinion qui doit triompher des autres opinions, il va au-devant de durcissements et de rejets chez ses élèves.

           Dans une classe de CM1 que je visitais, il y a quelques jours, le maître s'est fait interrompre par un élève qui lui a demandé : " D'où tiens-tu ce que tu dis ? " On voit bien que la contestation de l'autorité de l'enseignant tourne parfois au conflit d'opinions : l'enseignant a une opinion, l'élève également ; chacun des deux l'exprime et celui qui a le pouvoir l'impose. Pis, l'autorité est parfois vécue comme un affrontement entre deux caprices ou une soumission aux règles d'une autre tribu. C'est ce que renvoient certains jeunes de banlieue : " Tu me dis de faire cela… Mais pourquoi ta loi serait-elle meilleure que la mienne ? "

           C'est pourquoi l'enseignant qui impose sa position par la force savonne la planche sur laquelle il devrait se tenir debout. Ce n'est pas le fait qu'il soit le plus fort qui lui donne sa stature d'enseignant… c'est parce qu'il parle plus juste, qu'il est le plus proche de la vérité et qu'il sait le faire entendre à ses élèves. En réalité, c'est parce qu'il autorise ses élèves à accéder à une vérité dont il n'est que le vecteur, qui existe en dehors de lui et d'eux, que chacun peut vérifier et qui résiste à leur imaginaire réciproque, qu'il peut sortir du conflit d'opinions. S'imposer par la contrainte, c'est se mettre dans une situation où l'autre risque de confronter sa propre force à celle qu'on lui impose. Cela donne lieu à des parties de bras de fer inutiles où les enseignants s'épuisent, alors qu'il conviendrait qu'ils consacrent plutôt leur énergie à inventer des situations qui rendent légitime la transmission des connaissances.(Haut de page)

Il y a effectivement à retrouver le sens du rapport à la Loi et aux lois dans l'école mais pas uniquement là!

L'autorité n'est effectivement plus la même qu'autrefois et ses conditions sont à repenser

Violences et incivilités

           D'abord, je voudrais qu'on évite de stigmatiser systématiquement les comportements des enfants d'origine maghrébine. Il est vrai que certains d'entre eux - des garçons en grande majorité - commettent des excès indéfendables. Mais cela ne doit pas faire oublier les transgressions bien réelles, quoique plus " convenables ", des autres élèves : de ceux qui, par exemple, n'insultent pas l'enseignant mais le méprisent en silence royalement ! De ceux qui l'utilisent comme un valet et le traitent avec dédain ! Et puis, il y a autant d'obscurantisme et même de barbarie dans certaines formes de bizutage que dans les manifestations d'un communautarisme qui, bizarrement, ne concernerait que la communauté musulmane.

         Ensuite, il est évident qu'il existe aujourd'hui des classes où les enfants se comportent de façon absolument inacceptable : certains se lèvent tout d'un coup, d'autres jettent leurs affaires, d'autres encore s'interpellent ou insultent l'enseignant... Mais, dans ces cas-là, il est inutile de tenter de crier plus fort que les élèves. Cela tourne trop souvent, en effet, aux jeux du cirque : " Tu n'as pas ton cahier, eh bien tu vas sortir ! ", déclare le professeur. " Non je ne sortirai pas ! ", répond l'élève. Ou bien : " Je reviendrai avec mon frère et tu verras… ". Ou encore : " Je vais sortir, mais je ne reviendrai plus ! Tant pis pour vous ! " Et le rapport de force s'engage. Les autres élèves, d'ailleurs, recréent mentalement l'arène : ils observent l'affrontement et se demandent qui va rester au tapis. Le professeur, de toutes façons, en sortira épuisé et, s'il réussit à résoudre le problème sur le moment, n'aura pas forcément, pour autant, contribué à la construction de la loi scolaire dans la classe.

           Cette loi scolaire, en réalité, ne se construit pas seulement dans des situations de crise, mais dans le moindre exercice quotidien. Je me souviens avoir visité une de mes stagiaires, professeur des écoles. Elle avait mis les élèves par deux pour effectuer un travail de géométrie, en leur expliquant qu'ils devaient parler à voix basse. Un élève l'a interpellée du fond de la classe. Elle lui a répondu tout fort. Quelques instants plus tard, un autre l'a sollicitée en lui posant la même question. Elle a à nouveau obtempéré. En quelques minutes, cette jeune femme a donc fait passer trois messages à sa classe : le premier est que, contrairement à la consigne, on peut parler fort. Le second est qu'il n'est pas important d'écouter ce que disent ses camarades. Le troisième qu'on peut même se dispenser d'écouter ce qu'elle dit puisqu'elle le répète systématiquement.

           Ici, comme ailleurs, les règles se travaillent et se construisent : elles s'imposent non pour faire plaisir au maître, mais parce qu'elles sont cohérentes avec le projet même de l'école : trop d'élèves croient qu'en classe, on leur ordonne le silence pour les brimer, alors qu'il s'agit de découvrir avec eux la concentration et l'intériorité nécessaires pour réfléchir. (…)

           Enfin, le rôle des professeurs principaux a-t-il été trop négligé. Alors qu'ils devaient être le ciment d'une équipe enseignante, se trouver en liaison étroite avec le chef d'établissement et en mesure d'exprimer les exigences de l'institution auprès des élèves et des parents, ils ont été dévalorisés et considérés comme de simples courroies de transmission administratives. Cela n'aide pas à structurer l'univers scolaire. L'élève n'a pas toujours d'interlocuteur pédagogique identifié capable d'avoir une vision globale de son travail, de le suivre dans ses apprentissages, de faire avec lui les bilans nécessaires et de prendre les décisions qui s'imposent. C'est ce rôle pédagogique là qu'il faut renforcer en donnant au professeur principal les moyens d'exercer vraiment sa responsabilité. C'est comme cela qu'on retrouvera la véritable autorité des enseignants.(Haut de page)

Si les enseignants connaissaient mieux la culture du maghreb , peut-être que ces jeunes se sentiraient mieux reconnus...

 

 

 

 La nécessité d'une,formation autre que celle de la discipline montre là sa nécessité. voir: dossier la violence

 

 

 

 

 

 

C'est la question de l'isomorphisme entre "le dire "et le "faire"; mais cet isomorphisme devrait déjà être à la base de la formation en IUFM!

Une école sans projet ?

           Nous avons démocratisé l'accès à l'école, mais, faute d'un travail pédagogique suffisant, nous n'avons pas démocratisé la réussite dans l'école. D'où les frustrations et, parfois même, la rancœur des uns ou des autres. Mais je ne voudrais pas, pour autant, que nous laissions penser que rien de constructif ne s'est fait depuis vingt ans et que rien de positif ne se fait aujourd'hui. Il y a des enseignants qui font un travail extraordinaire avec une énergie et un enthousiasme considérables. Il y a de grandes réussites, y compris dans les zones les plus difficiles. Des élèves qui réussissent enfin quelque chose, des classes qui retrouvent le goût d'apprendre et passent du Loft à Marivaux .

           S'il y a crise, en réalité, c'est parce que les enseignants manquent d'un projet social et politique clair. Ils ne savent plus très bien ce que l'on attend d'eux. Ce n'est pas seulement la faute des hommes politiques, c'est la responsabilité de la société tout entière qui est engagée ici.

           À l'époque où j'ai travaillé avec Claude Allègre sur la réforme du lycée, j'ai constamment plaidé pour qu'un débat parlementaire soit organisé, pour que le Parlement tranche en dernier ressort sur les orientations fondamentales. Car, dès lors qu'il n'y a pas d'orientation forte clairement identifiée, les enseignants et les parents se sentent livrés à eux-mêmes et les conflits d'intérêts sont inévitables. Si rien ne vient arbitrer entre les demandes des uns et des autres, c'est la loi du plus fort qui s'installe derrière la façade réglementaire.

           Paradoxalement, seule l'école catholique dispose aujourd'hui d'un projet pour faire face aux revendications consuméristes des familles. Elle peut au moins leur opposer les valeurs évangéliques dont elle se réclame, le souci du plus pauvre, par exemple, pour contrer la demande de classes d'élite ! (…)

           Lorsque j'étais enfant, mes parents m'ont envoyé à l'école comme aujourd'hui on pénètre dans un avion : sans avoir la prétention d'aller expliquer au pilote comment il doit se comporter. Aujourd'hui, les enseignants expliquent qu'ils sont sans arrêt sollicités par des familles qui veulent savoir ce qu'ils font et pensent avoir leur mot à dire sur ce qui se passe dans la classe. Cela est dû, sans doute, à l'augmentation du niveau d'études des parents et au fait que le statut social des enseignants a été écorné, même si c'est loin d'être aussi vrai qu'ils l'imaginent. Mais c'est dû, surtout, au fait que les demandes individuelles de réussite ne sont plus contenues par un projet collectif : on poursuit son propre intérêt sans relâche et l'on n'a aucune raison d'y renoncer puisqu'on ne voit pas au profit de quel intérêt collectif !(Haut de page)

c'est là le point du futur débat qui me semble le plus important mais sera-t-il abordé ou évité?

Les ghettos scolaires

           il faudrait peut-être leur donner les moyens de vivre. Il faudrait éviter de les laisser s'enfoncer dans le découragement ou la révolte. Il faudrait agir d'urgence pour ne pas pousser les parents à changer leurs enfants d'école et les enseignants à demander leur mutation.

           Il existe, dans la banlieue lyonnaise, un collège qui perd des élèves chaque année. La totalité d'entre eux habite dans la même cité et tous les parents, ou presque, vivent de l'aide sociale. Dès que ces derniers trouvent du travail, leur premier réflexe est de déménager dans un quartier pavillonnaire où ils ont le sentiment qu'ils pourront trouver un établissement mieux adapté, où la violence sera moins grande. Il n'est pas question, pour moi, de stigmatiser ces parents en les traitant de mauvais républicains parce qu'ils veulent un bon collège pour leurs enfants, mais ces comportements, individuellement légitimes, provoquent des effets collectifs dévastateurs. Au bout de quelques années, ce genre de collège ne peut que se transformer en baril de nitroglycérine, et les enseignants, même avec des bonus, ne veulent plus aller y travailler. Là non plus, je ne jette la pierre à personne : on sait à quel point il est difficile de tenir dans la durée face à des situations trop difficiles. Mais, là encore, je constate un cercle vicieux : puisqu'on ne parvient pas à stabiliser dans ces établissements des professeurs chevronnés et des équipes stables, ils s'enfoncent dans les difficultés et sont fuis des familles qui le peuvent. Les autres y restent, mais nourrissent la rancœur inévitable de ceux qui se sentent assignés à résidence.

           Qui pose clairement ces questions aujourd'hui ? Qui envisage des solutions concrètes, quitte à fâcher tel ou tel groupe de pression ? Qui affiche des choix clairs pour éviter la dérive des continents scolaires ? Qui a évoqué ce problème lors des dernières échéances électorales ?

           Alain Savary avait fait, en 1981, le choix des Zones d'éducation prioritaires. C'était un choix essentiel et courageux : donner plus à ceux qui ont moins. Aujourd'hui il faut aller plus loin : donner mieux à ceux qui ont moins : les meilleures sections, les meilleurs équipements, les projets culturels les plus ambitieux, les meilleurs chefs d'établissement et les meilleurs enseignants. Inverser résolument la tendance qui consiste à donner toujours l'argent aux plus riches. Et faire des signes symboliques forts : je suis partisan de mettre des BEP de mécanique auto dans le cinquième arrondissement de Paris et des classes préparatoires aux grandes écoles dans le 93. Au début, il est possible que les élèves ne fassent qu'y passer, mais ce sera toujours ça… au moins, ils connaîtront " l'autre monde ". Et, petit à petit, on peut espérer renverser la fatalité. Car, tant que l'école ne renversera pas la fatalité sociale, elle ne retrouvera pas la confiance collective des Français.(Haut de page)

Les tensions systémiques ne peuvent être gérées que par la prise de conscience du plus grand nombre; sinon il ne sera question que de rapport de forces et de groupes de pression qui n'influenceront guère les résultats

Illettrisme…

         Ne faut pas s'étonner de la fragilisation du niveau en lecture et en écriture, dès lors que les horaires dévolus au français à l'école primaire ont diminué en vingt ans de 30 % environ. Il a fallu attendre les programmes publiés en 2002 pour qu'on commence à redresser la barre.

           Il faut savoir, en effet, que l'école est soumise en permanence à de multiples pressions pour enseigner de nouvelles disciplines ou s'intéresser à de nombreux domaines. Tant que cela a été possible, on a pris sur l'instruction religieuse. C'est ainsi qu'on a pu développer l'éducation physique. Mais, lorsqu'il n'y a plus eu de discipline à bouter hors de l'école, on a empiété sur le français en disant qu'il était, de toutes façons, pratiqué dans toutes les matières. C'est parfaitement exact, mais pour que cela devienne opérationnel, il fallait un changement radical dans les pratiques pédagogiques qui n'a pas eu lieu.

           Car la réforme des cycles imposée par la loi de 1989 n'a jamais vraiment été appliquée : il s'agissait de faire travailler les maîtres en équipe et d'individualiser les parcours au sein de chaque cycle afin d'éviter les pertes de temps et les redoublements. Il s'agissait aussi d'approcher les apprentissages de manière plus globale et rigoureuse à la fois, avec un meilleur suivi des élèves. Cela devait permettre un accès de tous à une meilleure maîtrise linguistique. Malgré de belles tentatives, la réforme s'est ensablée. Aujourd'hui, la rupture entre la maternelle et le primaire sur la question de l'acquisition du langage est encore trop forte. La place dévolue à l'écrit par l'école reste trop formelle, déconnectée des expériences des élèves, insuffisamment centrée sur la découverte progressive de soi et du monde. Par ailleurs, dans ces domaines, l'effort qui doit être fait par l'école n'est pas suffisamment relayé par l'ensemble de la société. Dès lors que plus personne n'écrit à ses amis ou à sa famille mais passe son temps à leur téléphoner, il devient vraiment difficile d'exiger des enfants qu'ils donnent un sens à l'apprentissage de l'écriture.

           L'école primaire a également subi de plein fouet les effets pervers d'une décentralisation, sans doute nécessaire, mais qui a été mal maîtrisée. L'inégalité des dotations municipales prend aujourd'hui des proportions très inquiétantes et met en péril l'égalité des chances que la France offre à ses enfants dans tous les domaines (informatique, langues étrangères, pratiques artistiques et sportives). Je suis partisan d'une péréquation des dotations sur la base d'un cahier des charges national très précis. En tout état de cause, les droits et devoirs de l'État au regard des municipalités et des municipalités au regard de l'État devraient être mieux définis.

           Il reste que l'école primaire française, contrairement à ce que l'on dit, résiste bien. Elle est plutôt efficace et n'a pas à rougir devant les systèmes éducatifs étrangers. Les enseignants du premier degré sont des professionnels compétents, dévoués à leur travail. Je suis, pour ma part, très choqué de la manière dont ils sont stigmatisés aujourd'hui comme responsables de l'illettrisme !(Haut de page)

 

 

On s'apercevra peut- être plus tard que nous avons traité nos enfants comme nos ancêtres traitaient les leurs dans les mines!

La suppression de certaines disciplines et la réduction des programmes, loin de baisser le niveau, permettraient assurément de l'élever. Ce qui baisserait c'est nos fantasmes sur des savoirs soit-disant connus!

 

 

C'est la question fondamentale: partir de soi pour aller vers les autres et non l'inverse, pour les élèves comme dans la formation des maîtres.

Ecrire

           L'écrit doit être revalorisé de toutes les manières et par tous les moyens. À l'école, bien sûr, et dans toute la société.

           Depuis que je suis jeune enseignant, j'ai toujours écrit à mes élèves. Des lettres pour évoquer leur comportement, leurs progrès... Lorsque j'étais professeur en lycée professionnel, j'écrivais à mes élèves chez eux. C'est d'ailleurs les seules lettres qu'ils recevaient en dehors de dépliants publicitaires. Certains m'ont répondu, mais tous ceux que je revois aujourd'hui me disent avoir précieusement gardé ces courriers.

           Donner du sens à l'écrit comme outil d'accès à la réflexion par le sursis à l'acte, valoriser l'écriture en en faisant un outil de découverte de soi et des autres, travailler sur la réécriture pour permettre la mise en ordre des idées et l'expression la plus juste… tout cela est un travail de longue haleine. Et un effort dont l'école ne peut pas porter seule la responsabilité. L'engagement des parents, des médias, de toute la politique du gouvernement est nécessaire. Vous devriez décréter la revalorisation de l'écrit priorité nationale absolue ! (…)

           En réalité, il est indispensable de travailler beaucoup plus en amont. L'apprentissage de la lecture et de l'écriture devrait pouvoir s'étaler sur l'ensemble de la scolarité primaire, dès l'école maternelle, en délestant un peu le CP de la charge intellectuelle et affective qu'il représente, en particulier auprès des parents et des enseignants. Il n'est pas acceptable d'exiger d'un élève qu'il sache totalement lire à la fin du CP, il est stupide d'évaluer son illettrisme éventuel à ce niveau. " L'important en éducation, expliquait Rousseau, est de savoir perdre du temps pour en gagner. "

         Il faut aussi développer les structures de soutien. Des réseaux d'aide existent actuellement : ils comprennent des enseignants spécialisés qui viennent apporter leur aide aux professeurs d'école pour tel ou tel élève en situation très difficile : c'est une bonne formule car on soutient les enfants sans les exclure de la classe. Mais ces réseaux ne sont pas assez denses et je crains que nous n'allions pas vers leur renforcement. (Haut de page)

Voir: le témoignage d'un rééducateur et tout le travail important que font ces personnes

Illettrisme scientifique

           En effet, même s'il semble moins intéresser les intellectuels, l'illettrisme scientifique existe aussi, avec son cortège de dérives vers la pensée magique. Il ne faut donc nullement sous-estimer la formation aux techniques opératoires et à la démarche expérimentale.

           L'utilisation de la calculette pose, à cet égard, des problèmes spécifiques. Elle peut efficacement stimuler l'enfant, mais fait obstacle aussi à la formalisation nécessaire et à la construction des opérations mentales qui seront requises ensuite.

           On ne peut se satisfaire de voir des enfants appuyer sur des boutons pour avoir des résultats. La formation scolaire, dans sa spécificité, exige l'inverse : il faut comprendre ce qui se passe dans la boîte. Plus généralement, apprendre, à l'école, ne signifie pas " trouver juste ", mais comprendre " comment faire juste ". C'est travailler sur la procédure pour obtenir un résultat et pas seulement se procurer le résultat par le moyen le plus rapide et le plus économique.

           Ce qui fait problème, c'est que l'école est ici à contre-courant : nous sommes dans une société où réussir est toujours plus important que comprendre. Où l'on cherche à obtenir les résultats le plus vite possible, avec le moins d'apprentissages possibles. C'est légitime en matière de progrès technique - nous ne pouvons pas comprendre en détail tous les appareils que nous utilisons - mais, transposé dans l'école, cela aboutit ainsi à ces fêtes de fin d'année où, la veille, la maîtresse fait tous les dessins avec deux ou trois bons élèves pour que les parents pensent qu'il s'agit d'une bonne classe.(Haut de page)

Je ne suis pas sûr que la calculette y soit pour grand chose la dedans! C'est un reste des peurs des parents d'il y a 10 ans . Par contre c'est bien vrai qu'il y a une résurgence de la "pensée magique" et que la science n'est plus suffisamment mise en valeur

La sixième

           En septembre, les élèves arrivent avec deux cartables pour être sûrs d'avoir tout ce dont ils ont besoin ; en juin, les enseignants peinent à obtenir qu'ils apportent un stylo. En début d'année, les enfants paniquent devant la masse de travail ; en fin d'année, ils ont compris qu'il n'en faut faire qu'une partie et se débrouiller, quand on ne sait pas, pour ne pas être interrogé. Disons les choses clairement : la 6e déstructure. Les élèves, en particulier les plus fragiles et ceux qui n'ont guère de soutien familial, désapprennent, qu'il s'agisse des méthodes de travail, de leur capacité à lire des consignes, voire à lire tout simplement. Certes, une fois encore, garçons et filles se comportent différemment, les premiers sont bien plus touchés que les secondes. Mais cette classe est ravageuse…

           Aussi, ne suffit-t-il pas de créer quelques 6èmes particulières, c'est l'ensemble des classes de 6e qu'on doit repenser. En y installant d'abord une vraie période d'accueil assez longue pour être efficace, et assurée par l'ensemble des professeurs : la dernière réforme du collège a montré la voie dans ce domaine. En revalorisant, ensuite, de manière toute particulière ici, le professeur principal. Il devrait être déchargé d'une partie de ses enseignements pour assurer un suivi spécifique, avec une attention particulière sur la lecture, y compris d'ouvrages susceptibles de nourrir la réflexion des élèves : nous sommes à une période charnière où l'enfant doit entrer dans l'adolescence par la réflexion et non par la transgression.

           Enfin, la 6e impose une concertation approfondie des enseignants, ne serait-ce que pour déterminer les exigences communes en matière de méthodes et d'organisation du travail des élèves. Très concrètement, il faut s'intéresser de près aux objets les plus triviaux qui sont souvent tout à fait déterminants : les classeurs sont une catastrophe pour l'organisation du travail individuel des élèves, car les fiches y sont mises n'importe comment et deviennent des boules de papier que l'on retrouve au fond des cartables à la fin de la semaine. Il faut arrêter l'inflation des photocopies, les exercices distribués n'importe comment... (Haut de page)

Tout à fait d'accord, l'accueil suffisamment long, l'importance du professeur principal, la concertation des enseignants, tout cela me paraît très important.

Le collège unique

           Les questions autour du collège unique sont de fausses bonnes questions, car le collège unique n'a jamais vraiment été réalisé. Il existe, depuis toujours, des cursus spécifiques à côté des sections unifiées. En outre, nos concitoyens ne sont pas naïfs et savent bien que les collèges de centre ville et les collèges de banlieue sont parfois très différents.

           À mes yeux, pourtant, la réalisation du collège unique est toujours d'actualité. Elle est liée à la revalorisation indispensable de l'instruction obligatoire et à sa fonction de creuset républicain. N'oublions pas, en effet, que la scolarité obligatoire entretient un rapport organique avec l'État puisqu'elle est inscrite dans la Constitution. À ce titre, ses objectifs devraient être beaucoup plus fermement identifiés et validés par la représentation nationale. Celle-ci doit définir le type de citoyen dont la France veut. Ensuite, que spécialistes et experts déclinent ces orientations par niveaux de classes et par disciplines est tout à fait légitime. Mais il leur faut une boussole.

           La fin de la scolarité obligatoire correspond en effet, pour l'essentiel, à la fin des années collège. On devrait alors exiger de chaque élève qu'il ait acquis, à la sortie de 3e, un certain nombre de compétences et de savoirs qu'on juge indispensables pour comprendre et agir dans notre monde. Au niveau de la scolarité obligatoire, on ne peut accepter de sélection : sauf à se résigner à avoir des citoyens à deux vitesses ! (…)

           René Haby avait pris la précaution, en installant le collège unique, de mettre en place un système de soutien, pour les élèves en difficulté, et d'approfondissement, pour ceux qui pouvaient aller plus loin. Mais nous n'avons jamais vraiment joué le jeu. Ces heures ont très vite été utilisées en classes complètes. C'est vraiment dommage, car ce système avait un avantage pédagogique très important. Il obligeait les enseignants à se poser, chaque semaine, une question très simple : quels sont ceux de mes élèves qui ont réussi à atteindre l'objectif que je poursuis, et qui peuvent donc aller plus loin, et ceux qui, au contraire, ont besoin d'une reprise ? Cette interrogation était exigeante pour les enseignants. Certes, elle ne pouvait pas fonctionner à 100 %, mais elle permettait de suivre de très près la façon dont chacun de leurs élèves avançait dans sa scolarité. Si nous avions appliqué cela rigoureusement, nombre de dérives constatées au collège actuellement auraient pu être évitées.

           Pour réussir le collège, je suis partisan d'y réintroduire la polyvalence des enseignants, afin de diminuer progressivement le nombre de professeurs par élève, au moins en 6e et en 5e. La majorité d'entre eux y est aujourd'hui opposée, mais on pourrait proposer systématiquement aux volontaires de se former à une deuxième discipline. Et, progressivement, par un phénomène de tache d'huile, des professeurs enseigneraient, à un bon niveau d'exigence universitaire, plusieurs disciplines.

           Il faut ensuite, impérativement, renforcer l'enseignement de la technologie. Aujourd'hui, l'orientation en cours ou en fin de collège se fait essentiellement de manière négative, à partir de l'échec en mathématiques, en français et en langue vivante. Il faudrait que les élèves puissent se déterminer pour des filières technologiques ou professionnelles non parce qu'ils échouent dans les enseignements généraux, mais parce qu'ils ont découvert dans l'enseignement technologique des centres d'intérêt. L'enseignement de la technologie est aujourd'hui beaucoup trop réduit ; il a été extrêmement chaotique et ses objectifs restent assez confus. Pour moi, la technologie devrait être une discipline enseignée à hauteur du français. Car, il faut bien avoir à l'esprit que la moitié des élèves se dirige vers l'enseignement technologique et professionnel. Cela ne peut continuer à se faire par défaut.

           Le collège poursuit deux objectifs inséparables. Un objectif politique - au sens le plus noble du terme - qui vise à réunir l'ensemble des élèves d'une même classe d'âge, quelles que soient leurs origines, dans ce qui constitue un creuset républicain. Et un objectif social - au bon sens du terme - qui est de leur permettre d'accéder tous au niveau requis à la fin de la scolarité obligatoire.

           Ces deux buts ne sont pas facilement compatibles. Le premier suppose des groupes hétérogènes que les enseignants disent avoir du mal à gérer. Le deuxième induit des groupes homogènes que les enseignants savent appréhender, mais qui sont générateurs de filières prématurées, souvent même à l'insu des familles. Ainsi, certaines d'entre elles n'apprennent-elles qu'au mois de mai que la 6e E est celle des élèves qui n'ont aucune chance d'aller en lycée dans la filière générale… Les critères de constitution des classes sont rarement rendus publics et l'opacité ne profite qu'aux initiés.(Haut de page)

Il y a là un choix de société.Voir:

http://www.collegeunique.org/

 

 

 

 

 

La solution proposée est intéressante. Reste à faire évoluer également les méthodes de travail!

L'hétérogénéité des classes

           L'hétérogénéité des niveaux des élèves ne pose jamais vraiment problème aux enseignants. Il n'est pas très difficile de s'occuper de quelques élèves plus lents ou plus en difficulté, s'ils ne perturbent pas le fonctionnement de la classe. Les maîtres de classe unique rurale y font face aisément dans le primaire. Les problèmes les plus graves sont liés à l'hétérogénéité des comportements, quand deux ou trois élèves absorbent 80 % de l'énergie psychique et pédagogique de l'enseignant. Je comprends les difficultés de mes collègues face à ces situations, mais je me refuse à ce que les empêcheurs de tourner en rond soient progressivement écartés, par un système de déversoirs successifs, vers des classes qui les prennent en charge d'une manière définitive… sans aucune possibilité de rémission, sans droit au retour. C'est là la grande différence entre les classes-relais telles que nous les avions imaginées - avec un contact maintenu avec le collège et un professeur référent dans la perspective d'une réintégration - et celles que vous développez qui risquent de devenir des voies de relégation.

           Et puis, ne soyons pas dupes : quand on enlève le dernier wagon, il y a toujours un dernier wagon… On commence par se débarrasser d'un gêneur et l'on finit par faire des classes triées sur le volet. Il serait bien plus profitable de conserver des classes hétérogènes, mais avec des temps particuliers réservés à des enseignants qui auraient choisi de travailler d'une manière spécifique avec les élèves ayant des problèmes soit de comportement, soit de niveau. (…)

           Une publicité du métro parisien explique que " les mauvaises notes ne sont pas une fatalité ". Elle est malheureusement accolée au nom d'une institution privée particulièrement onéreuse. Ce devrait être au ministre de l'Éducation de signer une telle formule. De défendre l'idée qu'on peut toujours trouver, dans l'école, l'aide dont on a besoin.

           Des expériences allant dans ce sens ont été menées depuis longtemps. Je pense à l'opération SOS maths : à l'heure du déjeuner ou le soir après les cours, des enseignants de mathématiques se mettent à disposition des élèves de toutes classes pour revoir, à la demande, un point qui n'a pas été compris ou reprendre une explication qui n'a pas été assimilée.

Une enquête récente montre qu'environ 35 % des élèves de 3e font relire leurs devoirs de français par leurs parents, avant de les remettre aux enseignants. Les parents soulignent les fautes d'orthographe, pointent les formulations approximatives... Que seuls 35 % des élèves bénéficient de ce soutien n'est pas juste. Les autres devraient pouvoir trouver ce recours gratuitement au collège auprès d'un enseignant disponible et compétent. Et je souhaite que cela soit un autre enseignant que celui qui le notera ensuite : on n'est pas facilement entraîneur et arbitre !(Haut de page)

La distinction entre hétérogénéité de niveaux et de comportements est riche . Cela montre une fois de plus que la formation des maîtres n'a pas de lacune au niveau des savoirs mais au niveau de la gestion des groupes.

L'enseignement privé

           Je suis très à l'aise sur cette question car j'ai longuement collaboré avec un établissement privé sous contrat dont le projet pédagogique me semblait exemplaire... tandis que je rechignerais à travailler avec des établissements publics dont la politique sélective est contraire, à mes yeux, aux idéaux républicains.

           La question centrale est celle de l'exigence que les établissements se donnent dans l'accueil des publics.

           Quand on inscrit sur le fronton de l'école " Nul n'entre ici s'il n'est déjà bien élevé ", on n'a guère de mérite… et guère besoin de pédagogie ! On peut mettre en place quantité d'activités intéressantes sans problèmes ! En revanche, quand on prend le risque d'accueillir " le tout venant ", il faut une vraie mobilisation. C'est cela, pour moi, le sens du projet d'établissement : une équipe s'empare du défi républicain du collège unique et se demande comment le réaliser au mieux. À l'inverse, si l'autonomie des établissements permet de s'exonérer des exigences de la République pour se mettre au service d'un groupe de pression quelconque, alors il y a un vrai danger de démantèlement du service public.

           Et ce danger est d'autant plus grand que nous n'avons pas de serment d'Hippocrate du professeur. Les avocats possèdent un code de déontologie tout comme les journalistes ou les médecins mais pas les enseignants, alors qu'ils ont l'avenir de la nation entre leurs mains. Sans doute n'était-ce pas nécessaire du temps des Hussards noirs de la République. Ils vivaient alors dans une sorte de surchauffe idéologique qui faisait qu'ils étaient parfaitement mobilisés autour de valeurs identifiées. Aujourd'hui où le recrutement des enseignants est beaucoup plus diversifié, il semblerait important de stabiliser les valeurs du métier. Et particulièrement celle-là : nul n'est irrécupérable, tout enfant est éducable.(Haut de page)

L'orientation

           Sur l'orientation, de façon plus générale, il existe de multitudes pistes à approfondir. D'abord, la formation des professeurs principaux des classes de 3e qui sont souvent insuffisamment sensibilisés à ces questions. Il faut également aider les élèves à découvrir des métiers qu'ils ne connaissent pas ou dont ils ont une idée totalement fausse. Qu'est-ce qu'un élève de 3e connaît, par exemple, de la chaudronnerie ? Il pense parfois que c'est le métier de quelqu'un qui tape avec un marteau sur de la tôle, alors qu'il s'agit d'un salarié qui commande une machine numérique et qui fabrique les réservoirs de la fusée Ariane.

           Il serait souhaitable aussi de redonner toute sa place à la seconde de détermination pour dégager partiellement le collège de la pression de l'orientation. Il faudrait qu'on puisse avoir, en seconde, une présentation un peu approfondie des différentes perspectives qui s'ouvrent afin de choisir en toute connaissance de cause. J'avais proposé, dans la réforme du lycée sur laquelle j'ai travaillé, de mettre en place des secondes de détermination dans l'enseignement technologique et professionnel : les élèves pourraient ainsi s'orienter progressivement et non brutalement à la fin du collège. Le grand paradoxe du système français, c'est que moins vous êtes préparé à décider de votre avenir, plus on vous demande de le choisir tôt ! Et de manière irréversible !

           Enfin, dans la même perspective, il faut absolument développer les " classes passerelles ". Nous savons bien que certains élèves se réveillent un peu tard. Ils se découvrent alors des centres d'intérêt qu'ils n'ont pas eu la chance d'aborder assez tôt. Un élève qui a commencé en lycée professionnel doit bénéficier de la possibilité de réintégrer une première d'enseignement général ; à l'inverse, un jeune qui a commencé dans une classe d'enseignement général et qui se découvre une vocation pour un enseignement plus technologique doit pouvoir y aller sans déchoir. Dans le même état d'esprit, nous devons faire connaître et développer les textes existants sur la scolarité par récurrence. C'est la possibilité de reprendre des études après les avoir interrompues plus ou moins longtemps. Les jeunes qui arrêtent à 16 ans et qui ont des expériences professionnelles chaotiques peuvent avoir, deux ou trois ans plus tard, envie de retourner à l'école. Les textes le permettent, mais les établissements rechignent, arguant du fait qu'il est difficile de rassembler, dans une même classe, des élèves de vingt ans avec des élèves de quinze ans. Mais, au contraire, cela pourrait donner aux jeunes la possibilité d'en côtoyer d'autres qui peuvent témoigner de ce que veut dire décharger des camions aux halles tous les matins à 5 heures, et, a contrario, du plaisir qu'il peut y avoir à renouer avec les études comme de la chance que cela représente.

           C'est la raison pour laquelle je suis partisan de développer des bassins de formation autour des collèges, avec des cités scolaires comportant l'ensemble des sections générales, technologiques et professionnelles. Cela favoriserait la mise en place des passerelles et pourrait également permettre aux professeurs qui le souhaitent de passer d'une filière à une autre. Un tel système, d'ailleurs, devrait être naturel dans une société où l'on explique que chaque individu va devoir changer de métier plusieurs fois dans sa vie professionnelle. Décloisonner l'école, assouplir les passages d'une filière à l'autre, tel devrait être l'un des objectifs à venir.(Haut de page)

Là encore un choix de société; une orientation couperet et définitive ou une orientation progressive, remodelable?

Le lycée

           La hiérarchisation des lycées est scandaleuse. On ne cesse d'annoncer la nécessité de revaloriser le lycée professionnel et celui-ci est toujours vécu comme celui qu'il faut éviter. Ce n'est guère étonnant puisqu'en même temps qu'on prêche sa revalorisation, on explique qu'il faut y envoyer les élèves en difficulté. Heureusement, il y a des initiatives superbes : le meilleur journal lycéen de France est publié par un lycée professionnel de Saint-Amand Montrond, Le Mur. Pour les lycéens embarqués dans cette aventure, c'est une formidable réconciliation avec une possible réussite.

           Il faudrait améliorer la lisibilité des formations en lycée professionnel en regroupant les métiers par grandes familles. Mais je crois aussi qu'il faut des gestes forts : introduire l'enseignement de la philosophie dont les lycéens sont très demandeurs, donner une véritable dimension culturelle aux métiers en s'intéressant à leur histoire, aux textes littéraires qui en parlent, à leurs enjeux économiques. On pourrait, à cet égard, regarder de près l'enseignement agricole qui a été très intelligemment rénové par une loi proposée par Michel Rocard lorsqu'il était ministre de l'Agriculture, et votée à l'unanimité.

           Dans l'enseignement général, il faut absolument combattre la hiérarchie stupide des filières. La filière littéraire devrait redevenir une filière d'excellence, comporter des enseignements artistiques, insister sur les langues, y compris les langues anciennes. La filière économique et sociale où des méthodes pédagogiques particulièrement intéressantes ont été développées, doit être mieux articulée à l'enseignement supérieur. La filière scientifique doit faire une vraie place, de son côté, aux sciences expérimentales et éviter de se laisser phagocyter par la seule formalisation mathématique.

           Beaucoup a été fait sur le plan pédagogique. Si les modules, qui devaient permettre des ouvertures culturelles, sont malheureusement en perdition, les TPE et les PPCP connaissent un vrai succès : les élèves, dans leur immense majorité, apprécient ce travail interdisciplinaire par dossier ; ils y font de remarquables réalisations. Le suivi individualisé, même s'il est réduit à deux disciplines (français et mathématiques) et à la classe de seconde permet de mettre en place un vrai recours pour les élèves en difficulté. L'ECJS permet une réflexion approfondie sur les réalités du monde contemporain.

           Reste encore à lutter contre le bachotage. N'en déplaise aux éditeurs qui font des bénéfices colossaux sur les petits livres parascolaires spécialisés, il est extrêmement néfaste pour la formation de l'intelligence. Car le bachotage n'est pas - loin s'en faut - une préparation à l'enseignement supérieur ou à l'entrée dans la vie professionnelle : il ne développe ni la curiosité, ni la recherche documentaire, ni l'esprit d'initiative ou la gestion de l'imprévu. Il fait fonctionner la mémoire immédiate, favorise les procédures de divination… et, surtout, presque tout ce qui est acquis là est oublié bien vite. (Haut de page)

Les T.P.E. ne sont pas seulement un succès, ils sont surtout une véritable révolution dans les méthodes de travail et donc dans les objectifs de formation de l'école.

Le baccalauréat

           Je crois au caractère formateur d'un travail intensif pour préparer un examen : cela permet de s'investir complètement dans un projet, avec les aspects obsessionnels inévitables de cet investissement ; on apprend là à s'organiser et à gérer son stress ; c'est, enfin, un rituel qui correspond à des périodes charnières dans la vie des élèves. Mais je trouve scandaleux de voir la lecture diminuer à ce point en 1e et en terminale, au profit de condensés et de résumés purement utilitaires. Je trouve grave que le type d'épreuves proposées rabattent tous les savoir-faire (y compris en physique et chimie) sur le " papier crayon ". Je trouve absurde que des élèves de terminale disent n'avoir aucun temps pour lire le journal et abandonnent tout engagement associatif. (…)

           Il était sans doute légitime, en 1989, d'affirmer un objectif fort dont le but était d'augmenter le niveau général de qualification de la population. Mais cette barre un peu arbitraire de 80 % a un aspect un peu choquant pour les 20 % qui restent. Comme si la France pouvait se satisfaire de laisser un cinquième de la population au bord du chemin.

           Parallèlement, ce slogan manquait de contenu. Qu'est-ce que cela signifie avoir le niveau du bac ? On ne l'a pas suffisamment défini. À mes yeux, ce devrait être deux choses : d'une part, détenir une culture générale suffisante pour comprendre le monde et lire, par exemple, un quotidien national en étant capable de décoder à la fois la rubrique économique, la rubrique de politique internationale ou la rubrique culture. C'est, d'autre part, avoir une spécialisation dans un domaine de compétence dont on peut dire, légitimement, qu'elle permet d'accéder à un niveau d'étude supérieure ou à un niveau d'entrée dans la vie professionnelle.

           Nous en sommes très loin. Faute, d'abord, d'une meilleure définition du " niveau du bac " et des différentes modalités pour atteindre ce niveau. À cause, aussi, de la hiérarchisation des baccalauréats dont nous avons déjà parlé. Dire aujourd'hui aux jeunes et aux Français que tout le monde obtient le même baccalauréat est une imposture. Plus de 80 % des jeunes titulaires d'un baccalauréat professionnel et qui se lancent dans des études universitaires échouent. Il en va de même pour certains baccalauréats technologiques. Il ne faudrait pas que le mot, devenu totem, cache la diversité des diplômes réels qui sont délivrés.(Haut de page)

Là encore bien des tabous! Il y a la question abordée ici de la signification du bac mais il se pose également les questions de la responsabilité qu'acceptent les enseignants en introduisant ou non le contrôle continu; ainsi que la question liée à l'orientation d'un bac par unités capitalisables permettant des rattrapages tout au long de la vie.

Une véritable qualification

           Si on veut qualifier 100 % des jeunes et leur permettre d'accéder à des métiers où ils puissent faire preuve d'initiative, il nous faut effectivement réfléchir sur la formation à la prise de décisions dans des situations complexes. Car, dans la vie professionnelle, comme dans la vie tout court, la réalité n'est pas découpée selon les disciplines scolaires et il faut être capable de prendre en compte des données hétérogènes. Il faut aussi, anticiper et faire des choix en pesant les conséquences… toutes choses qu'on apprend vraiment très peu à l'école, ou de manière beaucoup trop informelle.

           Pourtant, cela commence à se faire un peu avec des logiciels informatiques de simulation. Dans certains lycées, les jeunes travaillent sur des logiciels de gestion de ville : ils font varier les impôts, les investissements, le nombre des entreprises et apprennent ainsi à anticiper les décisions en fonction des conséquences qu'elles sont susceptibles de produire. Il existe aussi de bons logiciels qui permettent de repérer les effets sur un texte de la variation d'un temps ou d'un point de vue. Voilà, je crois, de bonnes utilisations de l'informatique, car elles permettent de faire ce qu'on ne pourrait pas faire sans elle.

           Sans en faire une discipline supplémentaire, cette question de l'apprentissage de la décision dans la complexité doit être prise en compte dans les classes… Car c'est là que se joue vraiment la qualification authentique. Une personne " qualifiée " ne réagit pas de manière automatique en appliquant une décision existante à un problème, mais en analysant la complexité et en prenant la décision correspondante. L'école a encore, dans ce domaine, de gros progrès à faire. (…)

           Toutes les études montrent qu'il n'y a pas contradiction mais corrélation entre formation générale et spécialisation. Ceux et celles qui ont une bonne formation générale se spécialisent plus vite et les gens qui se sont spécialisés intelligemment ont acquis, par là, des capacités mentales qui leur permettent d'accéder à la culture générale.

         Il est donc souhaitable que, dès le lycée, l'on articule, mieux que cela ne se fait aujourd'hui, un tronc commun de culture générale et une spécialisation rigoureuse. C'est la fécondation réciproque de ces deux éléments qui permet de former, tout à la fois, un " honnête homme " et un " professionnel qualifié ". Mais on en est encore loin ! Dans les lycées technologiques et professionnels, on a mis le curseur beaucoup trop du côté de la spécialisation et, dans les lycées d'enseignement général, on a mis le curseur beaucoup trop du côté de la généralité : il faut imaginer de nouveaux équilibres… Sinon, nous n'aurons pas assez de jeunes vraiment qualifiés pour affronter l'avenir.(Haut de page)

C'est la question des contenus de formation, doit-on les voir sous forme de "disciplines" ou sous d'autres formes? Les T.P.E. sont déjà une évolution; y en a t-il d'autres? voir:évolution des savoirs

Refonder le métier d'enseignant

           Il faut absolument redonner au métier d'enseignant, plus qu'une dignité, une noblesse. Cela ne passe pas seulement par des paroles mais par l'instauration d'une véritable confiance, d'abord entre les politiques et les enseignants, ensuite entre les enseignants et la nation. Que les politiques tiennent parole dans leurs engagements. Que la nation tout entière les reconnaisse comme des hommes et des femmes de culture chargés d'une mission fondamentale pour son avenir. Que les politiques évitent de démentir dans leurs actes ce qu'ils prêchent par ailleurs. Que la nation sache leur manifester plus clairement son estime. Je suis convaincu qu'on peut, comme Jack Lang s'est efforcé de le faire, redonner aux enseignants le sens de la noblesse de leur métier, qu'ils se sentent de véritables intellectuels, des cadres partie prenante de leur institution. (…)

           Un vrai danger guette l'Éducation nationale : lorsqu'elle peine à recruter un nombre suffisamment important de diplômés de haut niveau, elle compense par une masse considérable de contractuels embauchés, dans le meilleur des cas, à bac plus trois, parfois à bac plus deux et, dans le pire des cas, à bac tout court. On l'a vu dans le passé. À la rentrée 2002, dans la plupart des rectorats, il y a eu à peu près autant de contractuels embauchés que de nouveaux titulaires nommés. Ce qui veut dire qu'actuellement, l'Éducation nationale fonctionne déjà avec un corps professoral à deux vitesses. Et les contractuels sont deux fois plus nombreux dans l'enseignement professionnel où les élèves sont réputés plus difficiles. Je crains que, si nous n'anticipons pas plus l'avenir, nous en soyons réduits à des expédients pires encore : nous faudra-t-il augmenter considérablement les effectifs des classes, réduire massivement l'enseignement des disciplines scientifiques, livrer un nombre important d'élèves au marché de l'enseignement à distance sans accompagnement suffisant ?

           Si nous voulons éviter de recourir continuellement aux contractuels et si nous ne voulons pas faire à l'Éducation nationale le même choix que celui du ministère de la Santé pour les infirmières , il faudra puiser ailleurs que dans le vivier universitaire traditionnel.

           Celui-ci, en effet, ne pourra pas permettre de renouveler les enseignants dans les dix ans qui viennent. Actuellement, moins de 20 % des titulaires d'une licence se dirigent vers l'enseignement. Pour couvrir les besoins en 2006, il faudrait qu'il y ait au moins 40 % des titulaires d'une licence qui se dirigent vers l'enseignement. Cela paraît impossible dans un marché de l'emploi où les entreprises et les administrations vont se faire une concurrence acharnée pour remplacer la génération du baby boom.

           Je suis convaincu qu'il existe un vivier très intéressant, celui des personnes qui souhaitent reprendre des études et se reconvertir. Après avoir élevé un, deux ou trois enfants, après avoir " fait le tour " d'un métier qui apparaît un peu routinier, des hommes et des femmes se demandent légitimement s'ils ne pourraient pas consacrer une partie de leur temps à transmettre des connaissances aux jeunes générations. Je suis persuadé que les personnes dans cette situation sont bien plus nombreuses qu'on ne croit. D'ailleurs, la motivation pour le métier d'enseignant - toutes les enquêtes le montrent - baisse, de manière significative, chez les adolescents et les jeunes adultes mais ne cesse d'augmenter chez les adultes que l'on dit " en milieu de vie ". C'est d'ailleurs, un phénomène très encourageant : au moment où les observateurs s'accordent pour dire à quel point les jeunes manquent d'adultes auprès d'eux, au moment où les circuits traditionnels de transmission entre les générations tendent à disparaître, ce serait assez formidable que chaque adulte puisse consacrer une partie de sa vie à transmettre ce qu'il sait aux générations qui arrivent. Ce serait aussi une manière de donner un peu de contenu au slogan, trop souvent vide, de " l'éducation tout au long de la vie "… Et, enfin, de permettre une mobilité professionnelle plus que jamais nécessaire au moment où, pour faire face au problème des retraites, le nombre d'années d'activité s'allonge.

           Lorsque Jack Lang avait lancé une campagne pour informer les Français sur le métier d'enseignant, j'avais été sollicité par une multitude de personnes qui souhaitaient devenir professeurs, venant de tous les horizons. Je me souviens de cette sage-femme d'une quarantaine d'années qui m'avait expliqué : " Je n'ai pas de problème d'emploi puisqu'on manque de sages-femmes partout. Néanmoins, mes deux filles viennent de quitter la maison et, maintenant que je me sens un peu libérée de cette charge, j'aimerais bien faire un peu d'enseignement. Peut-être pas à plein temps. Peut-être pas jusqu'à la retraite. Mais je crois que je pourrai apporter quelque chose à des élèves. Bien sûr, il faudra m'aider : je veux bien enseigner les Sciences et vie de la terre, mais je suis loin de connaître tout le programme. La géologie, par exemple, je n'y connais rien. J'ai besoin d'une vraie formation, tant sur les contenus que sur les méthodes. " Ma conviction est qu'il faut vraiment regarder ces demandes de très près. On pourrait créer une formule comme celle qui existe dans l'enseignement supérieur et permet d'embaucher des personnes à mi-temps, sur des contrats de cinq ans renouvelables une fois.(Haut de page)

Puiser ailleurs c'est admettre qu'il peut y avoir plusieurs parcours possibles, c'est admettre que des capacités acquises ailleurs qu'en Universités peuvent avoir de l'intérêt, c'est enfin poser la question des méthodes de recrutement des enseignants autrement dit d'un profil de poste à établir! Voir: une expérience de formation à Reims

Les IUFM

           Commençons par régler la question de l'avis des professeurs stagiaires, l'ouvrage La République des enseignants montre que les enseignants, dans leur ensemble, sont bien moins critiques à l'égard des IUFM qu'à l'égard de l'inspection et des inspecteurs. Au palmarès de l'inutilité et de la technocratie tatillonne, ce sont les inspecteurs qui arrivent en tête ! Il est donc surprenant que ceux qui veulent supprimer les IUFM au motif que les professeurs stagiaires n'en sont pas contents ne soient pas les premiers à demander la suppression de l'inspection ! Cela dit, évidemment, non pour demander la suppression des inspections, mais pour nous obliger à relativiser les enquêtes de satisfaction que l'on ne prend, en général, en compte que quand leurs résultats nous arrangent !

           Quant à la pédagogie qui se serait constituée comme discipline autonome, je me permets de vous dire que c'est un fantasme. D'ailleurs, si cela avait été le cas, j'en aurais été particulièrement content. Je regrette, en effet, l'abandon progressif de toute véritable culture pédagogique. Je regrette que nos jeunes enseignants ignorent tout de Comenius , de Jacotot ou de Cousinet . Je regrette que la question de la violence, celle des relations avec les parents ou celle de la construction du projet d'établissement ne soient pas suffisamment abordées et que, précisément, la formation soit trop enfermée à l'intérieur des disciplines. Je regrette que les contradictions fondatrices de l'acte pédagogique - qui est toujours, en même temps, domestication et émancipation - ne soient jamais vraiment abordées.

           N'oublions pas, d'ailleurs, que, depuis l'instauration des IUFM, nous assistons à une diminution systématique des épreuves professionnelles dans les concours de recrutement d'enseignants au profit des épreuves dites académiques. Seuls les concours de Conseiller principal d'éducation, de documentaliste ou de professeur d'éducation physique et sportive comportent de vraies épreuves à caractère professionnel. Pour les autres disciplines du second degré, les concours n'évaluent pratiquement pas la capacité à enseigner. C'est extraordinaire : un peu comme si l'on recrutait des médecins sur leurs simples savoirs scientifiques, en dehors de toute compétence à traiter réellement un malade !

           Mais c'est, peut-être, une manière pour l'Éducation nationale d'afficher sa toute puissance : elle pense que l'on peut faire n'importe quoi avec n'importe qui en matière professionnelle. Du moment que quelqu'un connaît la géographie, il saura forcément la transmettre à des élèves de 6e ou de seconde ! C'est le mythe de la formation toute-puissante. Un mythe qui, en conduisant au métier d'enseignant, des jeunes qui n'en ont pas les compétences pédagogiques, produit précisément… une institution impuissante à faire réussir ses élèves ! On refuse de sélectionner pour l'école des " enseignants pédagogues "… ce qui amène l'école à sélectionner les seuls bons élèves qui pourront réussir quand même !

           L'organisation des IUFM est marquée, à mes yeux, par un péché originel : la présence du concours de recrutement au milieu des deux années de formation. La commission dont je faisais partie, en 1990, qui a réfléchi à la mise en place des IUFM, était partagée entre deux formules : ceux qui défendaient le concours à la fin des deux années de formation professionnelle et ceux qui proposaient un concours au début de ces deux années. Finalement, pour tenter un compromis tant politique que budgétaire, on a placé le concours au milieu. Conséquence : une première année dominée, de manière écrasante, par la préparation du concours et une deuxième année de formation en alternance, bien trop courte et chargée. Personne n'imagine une école d'ingénieurs avec un concours au milieu de la scolarité, et bien c'est ce que nous avons pour les enseignants !

           C'est pourquoi, je suis partisan du modèle " trois plus deux " : une licence, un concours et deux années de vraie formation professionnelle conduisant à un mastère . Pendant ces deux années, une véritable alternance avec une montée en charge progressive des responsabilités et un niveau d'exigence universitaire de réflexion approfondie sur le métier : on ne forme pas des exécutants, mais des cadres. Seul le statut universitaire des IUFM garantit une véritable ambition pour nos enseignants. De toute évidence, le CAPES et l'Agrégation, tels qu'ils sont aujourd'hui, n'ont plus leur place dans le schéma LMD . (…)

           Je trouve absurde, pour ma part, que tout se joue dans les concours de début de carrière. Je trouve scandaleux que nous considérions que plus le niveau du concours passé est élevé, moins on a d'heures de cours, moins on a des élèves difficiles et plus on est payé. C'est un système qui marche sur la tête ! Ces hiérarchies archaïques héritées du siècle dernier sont totalement inadaptées.

           Certes, je ne suis pas naïf : je sais qu'un gouvernement qui toucherait à cela se mettrait toute la profession à dos. Certains enseignants estiment encore que leur investissement en formation initiale leur donne des droits, en particulier celui de ne s'adresser qu'à des bons élèves. C'est pourquoi, il faut poser la question des missions et du service des enseignants dans une réflexion plus globale sur ce que les Français attendent de leur école.(Haut de page)

Je souscris pleinement à l'analyse dans son intégralité et j'admire le fait que Meirieu n'ait pas la langue de bois!

 

 

 

Ceci dit se pose également la question des méthodologies de la formation des enseignants, aspect important qui n'est pas abordé

 

Quand on voit les méandres des diverses réformes je me demande si une réforme n'exigera pas encore bien des années!

Les enseignants dans l'établissement

           Beaucoup d'enseignants seraient favorables à une certaine perméabilité des différents secteurs d'investissement au sein des établissements scolaires. Un enseignant de français pourrait décider, durant quelques années, de partager son service entre ses classes et un service en documentation sous la responsabilité du documentaliste. De même pour les fonctions d'encadrement.

           D'ailleurs, la France est un des rares pays européens où il n'existe pas de cadre intermédiaire entre le professeur de base et le chef d'établissement. Nous aurions besoin de coordinateurs par disciplines, par niveaux de classes (les 6es, les 5es, etc.) ou par projets (les TPE, le suivi individualisé, les technologies de l'information et de la communication, etc.). Actuellement, tout cela se fait presque clandestinement, sur la base du volontariat et sans guère de gratification, ni dans la carrière, ni dans la reconnaissance institutionnelle. Avec un accompagnement par la formation continue, cela permettrait d'offrir de la mobilité aux professeurs et d'améliorer considérablement le maillage éducatif de l'établissement. Cela complèterait efficacement le système des professeurs principaux dont j'ai déjà dit l'urgence de l'évolution…(Haut de page)

Oui, très juste. Cela donnerait de la souplesse dans un univers souvent très rigide. Cela permettrait des reconnaissances de travaux, études, expériences effectués par les enseignants les plus actifs

La décentralisation

           J'ai été surpris de cette méfiance viscérale des enseignants à l'égard des collectivités territoriales. D'ailleurs, j'ai rencontré de nombreux élus locaux, à gauche comme à droite, qui se disaient choqués de la suspicion dont ils étaient l'objet. Ils faisaient remarquer, très justement, que les fonctionnaires territoriaux ne sont pas plus mal traités que les autres.

           Cela dit, la façon dont le gouvernement a présenté son projet pouvait, en effet, permettre de nourrir certaines craintes. On a pu croire - non sans raison - qu'il s'agissait de donner satisfaction à des forces de pression, comme certains conseils généraux ou régionaux, plutôt que d'améliorer vraiment la qualité du service public. La manière dont les choses se sont passées a ressemblé à un marchandage, les collectivités territoriales venant faire leur marché dans le service public et l'État cédant au plus offrant…

           Nous avons déjà évoqué les conseillers d'orientation psychologues qui, pour être plus près des élèves et des parents, doivent être encore mieux arrimés aux établissements et non satellisés. Nous pourrions évoquer les médecins et les assistants sociaux dont nous avons de plus en plus besoin et qui doivent collaborer au plus près avec les équipes éducatives. De même, il peut paraître logique de vouloir transférer aux collectivités territoriales la charge des personnels ATOSS qui assurent l'entretien des bâtiments, puisque celles-ci assurent déjà les investissements… Mais on doit entendre également l'argument selon lequel il est absolument nécessaire d'avoir une unité de pilotage au niveau de l'établissement et de ne pas couper les uns des autres les personnels qui y travaillent. Je fais partie de ceux qui croient à l'importance décisive de la présence des personnels d'entretien et de service pour le bon fonctionnement de l'établissement ; je crois même à la nécessité de mieux les associer aux questions pédagogiques - comme la formation des élèves à la citoyenneté et la lutte contre la violence. Cette intégration dans une unité fonctionnelle n'est pas très compatible avec le fait d'appartenir à des fonctions publiques différentes, avec toutes les tensions que cela disque d'engendrer.

           Pour moi, il y a dans la décentralisation telle qu'elle a été présentée une forme de régression par rapport à une autonomie régulée des établissements. Le risque est très grand qu'au lieu de rapprocher le service du public, elle rende plus confus et encore moins lisibles les services, multiplie les interlocuteurs et pénalise ceux et celles qui ne savent pas se débrouiller dans la jungle des administrations. (…)

         Pour ma part et en étant résolument adversaire de la logique libérale en éducation, je n'ai aucun a priori contre la décentralisation. Lorsque le Préfet de la région Rhône-Alpes m'a demandé d'animer, en décembre 2002, les Assises régionales de la décentralisation, je l'ai fait volontiers. J'ai entendu là des choses passionnantes et j'ai rencontré des acteurs sociaux et politiques très responsables. Mais j'ai entendu aussi, très fortement, le besoin d'un cadrage national qui garantisse une équité de traitement et permette à chaque partenaire de s'inscrire dans un projet national clair. Ce que j'en ai retenu, c'est que la décentralisation sera d'autant mieux acceptée que les finalités seront réassurées. Dès lors qu'il existera un ancrage dans un projet fort, la décentralisation n'apparaîtra plus comme un démantèlement.

           À cet égard, une inversion de calendrier aurait été préférable. Il aurait fallu commencer par le débat sur l'école que vous aviez annoncé, stabiliser les lignes de force pour le système scolaire, et sur ces bases, engager la décentralisation. Elle serait apparue alors comme arrimée à des orientations politiques et non pas comme un renoncement à une ambition nationale pour l'éducation. (…)

           Pour être efficace et équitable à la fois, une décentralisation ne peut s'envisager qu'en reconsidérant complètement les procédures de contrôle de l'administration. Il faut passer du contrôle administratif assez formel - nombre de classes, nombre d'heures dans chaque discipline - à une évaluation des missions de l'école.

           Les priorités sont connues : accès aux langages fondamentaux et aux éléments constitutifs de notre culture, formation au travail individuel et collectif, lutte contre la violence, éducation à la citoyenneté, soutien aux élèves en difficulté, orientation et aide à la préparation du projet professionnel, accueil et participation des parents... Ces éléments doivent donner lieu à un vrai cahier des charges national qui s'impose à tous. Et c'est à partir de ce cahier des charges et pour le réaliser que doivent se mobiliser les écoles et les établissements.

           Aujourd'hui, nous sommes centralisateurs et autoritaires sur les procédures et totalement libéraux sur les objectifs. C'est évidemment l'inverse qu'il faut faire : être très ferme sur les objectifs et décentralisateur sur les méthodes. Il est inacceptable qu'un établissement qui respecte simplement les cadres administratifs qu'on lui impose, puisse se permettre de mener une politique de sélection contraire aux orientations nationales, de ne pas organiser correctement la formation des délégués d'élèves et l'accueil des familles. Il serait plus démocratique que l'établissement soit contraint d'afficher clairement ce qu'il fait dans chacun de ces domaines et, donc, conduit à mettre son autonomie au service du projet national.

           Beaucoup d'enseignants et de chefs d'établissement ont le sentiment d'être contrôlés sur le plan administratif mais laissés totalement libres sur le plan politique. Lorsqu'il y a une bonne équipe, avec un chef d'établissement tonique, cela se passe très bien. Lorsque ce n'est pas le cas, l'établissement s'essouffle ou s'effondre.

           Il est possible de mobiliser les équipes, dès lors qu'un cahier des charges national est défini précisément. Et la décentralisation, alors, ne fera plus peur. Au contraire : elle ne sera plus associée à un hypothétique démantèlement du service public mais à un renforcement de son unité et de sa cohérence. Elle apportera un cadre aux enseignants en encourageant leur prise de responsabilité. Elle donnera confiance aux parents sans entraîner une uniformisation impossible. Elle permettra une véritable évaluation des établissements sur leur politique éducative et non sur des résultats scolaires qu'une bonne sélection permet toujours d'atteindre.(Haut de page)

C'est toute la question du passage d'un contrôle à priori à un contrôle à posteriori. Mais c'est valable pour toute la fonction publique!

La loi de 1989

           J'estime que la loi de 1989 est toujours d'actualité. Elle reste même encore très en avance sur ce que nous faisons aujourd'hui : la réforme des cycles , inscrite dans cette loi et qui aurait dû permettre de personnaliser le suivi des élèves en éradiquant le redoublement, reste à mettre en place. Quant à l'expression de " l'élève au centre ", elle est parfaitement fondée. C'est même quasiment un truisme. Comme de dire que l'hôpital est fait pour les malades ! " L'élève au centre " ne veut pas dire " l'enfant roi " ; c'est même tout le contraire. Mettre " l'élève au centre ", c'est destituer l'enfant tout puissant et l'aider à se construire face à la résistance des êtres et des choses, dans la relation aux savoirs et aux autres.

           S'il y avait un point sur lequel la loi de 1989 n'est pas encore suffisante et qui, pour moi, doit être mis en avant, c'est sur le fait que, comme nous en avons déjà parlé, " l'école doit être son propre recours ". C'est là l'enjeu essentiel pour les parents, pour les élèves, pour la nation, pour tous ceux qui militent pour la qualité du service public et ne se résignent pas à ce que les officines privées et le marché prospèrent sur les échecs de l'école. C'est un axe politique très fort : ne jamais laisser une famille ou un élève dans une situation d'échec ou de difficulté, sans lui proposer un recours.

           Enfin, au travers des attaques contre la loi de 1989 que l'on entend, je discerne la nostalgie d'une époque où l'on pouvait encore apprendre tranquillement dans les établissements parce que " les barbares " n'y étaient pas admis. La nostalgie d'élèves " prêts à l'emploi ", formatés par les familles et à qui l'on n'aurait qu'à déverser tranquillement des connaissances. Ce serait tellement pratique de mettre au fronton des établissements, à la place de " Liberté, égalité, fraternité ", " Nul n'entre ici s'il n'est déjà bien éduqué, poli, capable d'écouter un cours, de faire ses exercices et son travail à la maison sans être aidé par ses professeurs... "(Haut de page)

On peut se battre pour savoir ce que veut dire "au centre" mais ce que dit Meirieu est pour moi une évidence!

La nostalgie du " bon vieux temps "

           L'ordre scolaire que certains regrettent ressemble plus au " charme discret de la bourgeoisie " qu'à l'universel kantien. C'est, par exemple, la capacité à s'ennuyer poliment. Une femme, autrefois, ne devait jamais montrer à un homme qu'il l'ennuyait. Eh bien, il en allait de même pour les élèves avec leurs professeurs. Il ne s'agit pas là d'un véritable ordre scolaire mais plutôt d'un dressage culturel posé en préalable à la scolarisation. Pour une démocratie, c'est inacceptable.

           Car, en réalité, si l'on regarde bien, la culture des lascars de banlieue n'est pas nécessairement plus détestable que les méthodes utilisées par les fils des familles d'intellectuels en classes préparatoires aux grandes écoles : j'en ai vu déchirer des pages de certains documents pour piéger leurs propres camarades pendant la préparation des concours.

           Un ordre scolaire pour tous doit donc être construit. Il est juste de dire qu'il doit être très strict. Il y a des interdits fondateurs : l'interdit de la violence, l'interdit de nuire et l'interdit de l'inceste ce qui, scolairement, signifie que le maître n'appartient pas à ses chouchous mais à la totalité de la classe. Travaillons sur la manière de faire entendre aux élèves que ces interdits autorisent : ils les autorisent à vivre ensemble et à se développer chacun, ils les autorisent à être libres. Il ne s'agit pas de faire accepter à l'école ceux qui sont socialement en affinité avec les enseignants et qui parlent le même langage qu'eux tout en disant aux autres qu'ils ne valent rien. Il s'agit de constituer un ordre valable pour tous et qui ne soit pas vécu par les enfants de milieux défavorisés comme une forme de colonisation de l'intérieur, qui les amènerait à se renier eux-mêmes pour adopter les règles et les coutumes de la tribu adverse. (…)

           Dans ce contexte, ce que certains prennent pour l'ordre scolaire n'est que le confort de la classe moyenne. Et les jeunes enseignants, insuffisamment sensibilisés à ces questions, sont très inquiets d'être nommés à Créteil ou dans une autre académie difficile. Ils paniquent moins parce que l'ordre scolaire est en train de s'effondrer autour d'eux que parce que leur univers culturel est menacé par la rencontre avec un autre monde qu'ils connaissent mal. Il est vrai que le choc du " foulard Hermès " et de " nique ta mère " est parfois violent. Mais ce n'est pas une raison pour rejeter hors du cercle des éducables toute une partie des élèves.(Haut de page)

On peut voir ma critique du livre de Ferry.

 

 

 

 

 

 

Meirieu retrouve là les bases du rapport a la loi et d'une vision globale de la personne

L'Education populaire

           L'éducation populaire, qui est apparue en France dans les années 1930, a, malheureusement, du mal à survivre aujourd'hui. Autrefois, beaucoup d'enseignants passaient par cette formation, à travers le scoutisme, les associations sportives ou culturelles. En ce qui me concerne, j'ai évidemment appris les contenus d'enseignement à transmettre à l'université. Mais gérer un groupe difficile, faire face à des élèves qui m'insultent, cela je l'ai appris dans des mouvements de jeunes ou en étant directeur de colonie de vacances. J'ai ainsi découvert des hommes et des femmes aussi différents idéologiquement que Baden-Powell et Fernand Deligny , Maria Montessori, Jean Vilar, Paulo Freire ou Célestin Freinet... Tous m'ont fourni des éclairages décisifs et des outils particulièrement utiles. Cette culture pédagogique semble oubliée aujourd'hui et nous en souffrons. (…)

           Pour ma part, je me suis battu sous tous les ministères pour que les mouvements pédagogiques bénéficient d'un tout petit peu plus de place. En vain. Et le refus s'est toujours fait au nom de la primauté des savoirs. C'est stupide. Un enseignant qui ne sait pas prendre la parole devant un groupe, ou réagir sans entrer en conflit avec un élève en difficulté, ne pourra rien transmettre. Il sera complètement absorbé par des problèmes de discipline.

           En réalité, vous contribuez à marginaliser cette culture pédagogique de base en concentrant la formation des futurs professeurs autour des seuls enseignements académiques. Les concours de recrutement ne prennent nullement en compte les expériences professionnelles socioculturelles ou socio-éducatives. Pourtant, cela devrait aller de soi : un jeune qui a fait du soutien scolaire dans un quartier en difficulté, qui a animé des mouvements de jeunes ou une troupe de théâtre, qui a entraîné des jeunes à un sport quelconque.... devrait pouvoir faire valoir ces expériences. Cela ne suffit évidemment pas, mais il est évident que c'est un plus pour enseigner. Vous êtes trop agenouillé devant la Société des agrégés !(Haut de page)

Que cela est vrai! Mais cela pose

le problème des méthodes de recrutement et de formation des enseignants car dans ces mouvements les méthodes de formation sont les méthodes de "formation d'adultes" avec mise en situatiuon et non des formations universitaires sous forme de cours!

Le rôle des syndicats dans le service public

           On ne peut pas mettre toutes les organisations syndicales sur le même plan. Néanmoins, il est vrai que les choses se sont tendues. À mon avis, les ministres successifs, qu'ils soient de droite ou de gauche, ont trop privilégié le jeu avec les grands appareils syndicaux parisiens au détriment d'un dialogue plus direct avec les enseignants. Or, dans ce jeu, la défaite de l'adversaire est parfois plus importante que le progrès de l'école.

           De plus, il me semble que les syndicats d'enseignants - et, particulièrement, le plus puissant d'entre eux, la FSU, et son syndicat du second degré, le SNES - ne sont plus, autant qu'ils ont pu l'être, porteurs d'un projet de société crédible et alternatif. Malgré leurs efforts, ils restent souvent sur des revendications quantitatives, quand ils ne pratiquent pas le culte systématique des préalables : " Oui à la réforme… Mais avec plus d'argent, plus de concertation, plus de temps, plus de postes, etc. " Autant dire : " D'accord… mais jamais ! " Une telle attitude est, inévitablement, source de durcissements réciproques.

           Enfin, il me semble que les organisations syndicales ne mettent pas suffisamment au premier plan la question fondamentale : comment garantir aujourd'hui la qualité du service public d'éducation ? Les Français - les enseignants les premiers - ne veulent plus d'un service public ultra jacobin, ultra centralisé, dont la qualité serait garantie par un système hiérarchique et pyramidal d'inspecteurs qui démultiplient les ordres venus d'en haut. Mais, d'un autre côté, les syndicats ne veulent pas entendre parler - à raison - d'une mise en concurrence des établissements entre eux qu'ils perçoivent comme une dérive néolibérale. Or, sans la garantie du contrôle hiérarchique ni la garantie du marché, comment garantir la qualité ? C'est, à mes yeux, la grande question sur laquelle la gauche n'a pas su trouver de réponse satisfaisante : elle n'a pas su montrer qu'on pouvait accéder à un service public de qualité sans le libéraliser.

           Les Français veulent une école de qualité pour leurs enfants. Ils ne veulent pas du libéralisme pour lui-même. Ils veulent de la qualité. À nous de prouver qu'on peut produire cette qualité au sein du service public.

C'est parce que je pensais qu'il avait cette analyse et cette volonté que je me suis engagé auprès de Claude Allègre et que j'ai travaillé à la réforme du lycée. D'ailleurs, quand nous avons proposé cette réforme, nous avons eu le soutien des deux grandes fédérations de parents d'élèves sur cette base. Pour la première fois, la FCPE , qui a été créée par des enseignants contre la PEEP suspectée de vendre l'école aux parents, s'est alliée à la PEEP pour en demander l'application. Elles ont été soutenues par tous les mouvements pédagogiques mais aussi par deux grands syndicats, le Syndicat des enseignants (SE-UNSA) issu de la FEN , et le SGEN-CFDT.

           C'est la première fois, je crois, qu'a été vraiment posée publiquement la question du " contrôle de la qualité du service public ", seule alternative à la privatisation. Les Français y ont été sensibles, même s'ils n'ont pas suivi le ministre dans ses outrances. Je crois même que beaucoup ont été déçus que Claude Allègre n'aille pas plus loin dans ce sens. Il aurait fallu, je crois, que les syndicats relaient massivement cette démarche, à la fois au plan national et au plan local en associant les parents à une véritable " démocratie scolaire de proximité ". Il s'agit bien, en effet, d'inventer un système qui permette d'associer les acteurs de l'école, ses usagers et la société civile tout entière à la régulation du service public.

           La vraie césure du quinquennat de Lionel Jospin correspond au départ de Claude Allègre et de Christian Sauter . À ce moment-là, Lionel Jospin a fait savoir au pays que le bien-être des fonctionnaires était plus important que la qualité du service public. Les Français l'ont entendu : ils ont multiplié les montées corporatistes dans tous les domaines, y compris la gendarmerie et la police. De très belles choses ont été faites ensuite par Jack Lang, en particulier la mise en place du " Plan Arts et Cultures ", mais je crains que le message venant de Matignon n'ait été trop bien entendu.(Haut de page)

Là aussi pas de langue de bois! Ceci dit, les syndicats font parfois ce qu'ils peuvent dans la mesure où les prises de conscience de leurs mandants n'ont pas eu lieu!

Un débat national sur l'école

           Vous avez raison de souhaiter un débat national, mais il faudra qu'il débouche vraiment sur la mise au point d'objectifs nationaux capables de servir de référents communs à tous les établissements. C'est une nouvelle étape de la création de l'école de la République qu'il faut engager.

           Jules Ferry a réussi parce qu'il a su créer une alliance politique entre la bourgeoisie éclairée et la frange réformiste du prolétariat, écartant, d'un côté, les conservateurs cléricaux et, de l'autre, les révolutionnaires et les anarchistes. Cela a abouti au modèle scolaire qui a prévalu des années 1880 aux années 1930. Après les tentatives particulièrement courageuses du Front populaire et de son ministre de l'Instruction publique, Jean Zay , le deuxième mouvement fort s'est produit à la Libération. Là encore, on a assisté à une alliance étonnantes entre les instituteurs - communistes pour beaucoup - et la classe moyenne gaulliste… Ils ont réussi à accomplir la massification de l'école.

           Aujourd'hui, je crois nécessaire de construire une alliance forte entre les enseignants-citoyens et les parents-citoyens, tant au plan national que local. C'est ainsi qu'on sortira de la crise actuelle. (…)

           Les parents, tout comme les enseignants et les chefs d'établissement, doivent savoir ce qu'il faut attendre de l'école, ce que la nation attend de son école. Ils doivent pouvoir disposer d'outils construits à partir de critères communs, leur permettant d'évaluer la qualité de leur école. Tous les Français se veulent spécialistes de l'école, mais chacun porte un jugement par le prisme de son seul enfant.

           J'ai proposé à plusieurs reprises que chaque établissement français soit évalué correctement à partir d'un tableau de bord précis et non en fonction de la rumeur ou des seuls résultats aux examens. Je souhaite qu'un groupe issu du conseil d'administration et comprenant des enseignants, des parents et des élèves identifie quatre ou cinq critères sur lesquels il puisse mener une démarche d'évaluation dans la durée.

           L'État doit faire en sorte que les critères d'élaboration de l'intérêt collectif soient les plus clairs possibles et que les institutions publiques - au premier rang desquelles l'école - poursuivent cet intérêt collectif. Ce n'est plus le cas aujourd'hui : bien des parents soupçonnent que l'Éducation nationale a été kidnappée par une partie de la population au détriment d'une autre, et ils ont toujours peur que leurs enfants ne soient pas assez bien traités.

           C'est la raison pour laquelle un nouveau " contrat scolaire " s'avère nécessaire. Si, par exemple, l'Etat décide, après réflexion, que, pour l'équilibre futur du pays et pour l'avenir personnel et professionnel des jeunes, il faut qu'il y ait jusqu'au bout du collège un maximum de mixité sociale, cela n'empêchera pas, miraculeusement, certains parents de rechercher des classes homogènes d'élite dès la 6e… Mais, au moins, les établissements sauront qu'ils doivent résister, au nom de l'intérêt collectif, à ces velléités individuelles. (…)

           Certains grands lycées publics ont des politiques scolaires contradictoires avec les principes de la République. En termes de sélection, par exemple, ils sont parfois plus sévères que des établissements privés et constituent des ghettos sociologiques impénétrables. Ce n'est pas normal. Il revient à l'Etat de rappeler que l'école est une institution au service de tous et non pas un organisme quelconque au service de quelques groupes de pression, fussent-ils corses, bretons ou du 16e arrondissement de Paris.

           La différence entre un service et une institution est que la qualité du premier s'évalue à la satisfaction de ses usagers - c'est le cas, par exemple, d'un service après-vente d'un grand magasin - alors que la qualité de la seconde s'évalue à sa capacité à incarner des valeurs : c'est le cas de la Justice, de l'Armée, de l'École…(Haut de page)

C'est à nous de veiller à utiliser ce temps pour réfléchir et faire réfléchir; c'est ce que s'efforce de faire ce site!

Améliorer le service public

           Il me semble qu'en conclusion, nous pourrions d'abord rappeler quelques-uns des " péchés capitaux " de l'Éducation nationale contre lesquels nous devons combattre ensemble, indépendamment de nos différences de convictions politiques et de sensibilités pédagogiques, pour la qualité du service public d'éducation. Il nous faudrait ainsi lutter contre la désinvolture institutionnelle qui sévit encore trop souvent dans un système qui impose aux usagers des délais qu'il ne respecte pas, qui, parfois, ne daigne même pas répondre au courrier, qui commence toujours par refuser un projet, avant même de se demander s'il est réalisable. Il nous faut lutter contre la routine qui totémise le statu quo. Instaurer le sens de l'accueil, en particulier à l'égard des parents, la clarté de fonctionnement à l'égard des citoyens. Il nous faudrait, aussi, apprendre à reconnaître le dévouement plutôt qu'à le suspecter… Sur tout cela, je crois que nous pourrions être d'accord.

         Il me vient ensuite une interrogation. Nous avons dit, à plusieurs reprises, que les élèves étaient, aujourd'hui, plus difficiles qu'hier et que les enseignants avaient à faire un nouveau métier. Est-ce si sûr ? Est-ce le métier qui a changé ou bien l'ambition qui le porte ? D'une certaine manière, les " grands pédagogues " que j'étudie depuis longtemps ont toujours eu affaire à des sauvageons, à des marginaux, à des enfants qui ne voulaient pas d'eux. Simplement, ils avaient fait le choix de les éduquer, de ne pas les rejeter au dehors du cercle des humains. Quand le docteur Itard , en 1789 - deux siècles avant la loi de 1989 - décide d'adopter Victor de l'Aveyron il fait le choix d'éduquer un enfant qui ne sait pas parler, qui lui crache dessus et qui refuse ce qu'on veut lui enseigner. Il aurait pu suivre les conseils de certains de ses contemporains et rejeter cet enfant en le considérant comme un " débile de naissance ". Il ne l'a pas fait. Il a fait ce que j'ai appelé, dans le titre d'un de mes livres, " le choix d'éduquer "

           Aujourd'hui, c'est la nation qui a fait le choix d'instruire et d'éduquer tous ses enfants. D'une certaine manière, la loi d'orientation de 1989, qui place l'élève au centre du système, est la traduction politique de ce choix. C'est tout à notre honneur et c'est pour cela que je la défends. Mais une institution peut-elle, en faisant un choix politique, exonérer les individus qui la composent du choix éthique fondateur de leur métier ? Doit-on faire semblant d'oublier qu'au bout de la chaîne, c'est le professeur qui tranche, par le moindre de ses gestes, la moindre de ses paroles ? Doit-on ignorer que c'est lui qui, au quotidien, laisse entendre à l'élève qu'il peut réussir ou qu'il est condamné à l'exclusion ? Suffit-il de décréter politiquement un choix éthique pour qu'il s'incarne dans toutes les classes de France ?

           D'où mon troisième point : nous avons besoin d'une institution moderne et qui marche bien. Nous avons aussi besoin d'un idéal capable de gonfler les voiles du navire, d'impulser une dynamique, d'accompagner chaque professeur dans le choix qu'il doit faire de l'éducabilité de ses élèves. Or, à plusieurs reprises dans nos entretiens, vous avez affirmé que mes propositions vous paraissaient utopiques. Pour moi l'utopie est nécessaire. J'irai même plus loin : dans une démocratie, le ministère de l'Éducation nationale devrait être le ministère de l'utopie. L'utopie fondatrice de toute espérance, celle d'une culture émancipatrice de tous les hommes. Je crois, Monsieur le Ministre que, pour la tâche qui nous attend, la plus grande utopie, c'est de croire que l'on peut se passer d'utopie.(Haut de page)

C'est certain que le "bout de la chaîne" est important, que c'est là que se joue le sort de bien des élèves . C'est "la parole" de l'enseignant qui agit; c'est pourquoi les deux questions des modes de recrutement et de la formation des enseignants sont si fondamentales.

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