André Giordan était
depuis 30 ans professeur de didactique et
épistémologie des sciences
à luniversité de
Genève, où il a
dirigé le "Laboratoire de
Didactique et Épistémologie
des Sciences (LDES)" quil a
fondé.
Président de la "Commission
internationale de Biologie, Éthique
et Éducation (CBE-IUBS)" et expert
pour"Sciences et Société de
la Commission européenne", ses
recherches sont connues à plusieurs
titres. Il a été, dans le
champ de léducation au
développement durable, un pionnier
sur le plan international, notamment pour
lUNESCO et la Communauté
européenne.
Après
de telles laudationes de la part du
Président et du Doyen, il m'est
difficile d'en rajouter sur mes
réussites. Je renvoie au petit
fascicule sur les 30 années de
recherches au LDES
Autant parler
plutôt de mes erreurs !.. ou pour
être plus précis de mes
ratés, de mes manques, de mes
lacunes... voire de mes illusions
Pas question de parler de mes ratés
sociaux ; j'appartiens à une
génération -celle de 68- qui
pensait changer la vie, le monde. Nous
avons eu tout faux !.. Je me limiterai ce
soir à mes ratés en
éducation et n'en prendrai que
trois. J'aurais pu faire un programme pour
l'année ! J'ai pris ceux qui me
tiennent plus particulièrement
à cur, ils concernent le
partage du savoir Je me suis
toujours considéré d'abord
comme un militant du savoir. Les
recherches que j'ai entreprises n'avaient
de sens pour moi que dans cette
optique.
Je souhaiterais vous
faire partager mes préoccupations sur 3
domaines différents où j'ai
échoué ou dans lesquels j'ai
rencontré de sérieuses limites
:
1. Je n'ai pas
réussi à faire bouger la
pédagogie universitaire, et pour
commencer dans ma propre Faculté ! Bien
sûr, ce n'est pas un problème
spécifique les questions se posent
à l'identique dans les autres
facultés La pédagogie reste
un oublié de l'Université.
2. Je souhaitais au
début de ma carrière contribuer
à faire évoluer l'école.
Elle a régressé, notamment le
Cycle à Genève ou le
Collège en France
3. Mon modèle
de l'apprendre est connu certes mais
surtout à l'étranger ! Il est plus
cité sous les vocables allosteric
learning model ou modelo alosterico de
aprentizaje que sous son nom d'origine ! Un
livre vient de sortir en chinois par exemple.
J'ai peu réussi à le faire
partager en Europe et il faut que j'avoue
quelques insuffisances encore.
Les lacunes de
la pédagogie universitaire
Commençons pas ce
qui peut fâcher le plus ce soir ! La
période était favorable pour
transformer la pédagogie à
l'université. On a dû adapter nos
cursus à la Convention de Bologne. On doit
prendre en compte une société qui
change à toute vitesse, notamment par des
modifications fortes des repères
économiques et sociaux. N'est-on pas au
seuil d'une nouvelle Renaissance ?..
Pourtant -je pense qu'il
n'est pas exagéré de le dire- la
pédagogie universitaire, même en
Sciences de l'éducation à
Genève, dans cette Mecque de
l'éducation, n'est pas à la pointe.
Elle reste un " peu-pensé ". Une des
principales raisons est qu'elle n'est en aucun cas
une priorité de la vie universitaire.
Disons schématiquement pour ceux qui ne
connaissent pas ce métier qu'elle demeure un
sous-produit des enjeux, disons plutôt des
territoires de la recherche.
Le but recherché
est de " caser " un titre de cours pour
développer un domaine. Ensuite, le " cours
universitaire " -puisqu'il faut bien le faire- est
au mieux orienté vers la pertinence des
contenus, c'est-à-dire vers la connaissance
de la structure interne du domaine. Seuls sont
valorisés les savoirs qui s'adressent
à une petite frange -disons " élite
"- appelée à perpétuer
l'institution.
Certes nous avons
bien tenté d'innover à
l'intérieur de nos enseignements. Nous
avons tenté avec mes assistants de ne pas en
rester aux seuls cours, travaux dirigés ou
travaux pratiques. Nous avons mis en place de
véritables activités de recherche
scientifique, avec du matériel simple,
quotidien, pour redonner le goût des
sciences. Les échanges ont été
multiples dans les séminaires pour tester,
critiquer et améliorer les productions.
Certains groupes ont discuté ferme les
débats furent parfois passionnés,
passionnants et très critiques
En plus des
multiples projets, nous avons
proposé des défis
surprenants, pour susciter les
étudiants, les " pousser " à
chercher ou à différencier
une démarche technologique par
rapport à une démarche
scientifique. Par exemple, ils devaient
trouver un moyen de " lancer un
uf cru du 6 étage sans qu'il
se casse ! " Par là, ils
étaient conduits à inventer
des dispositifs équivalents
à ceux utilisés pour
atterrir sur Mars. Ils ont dû
imaginer des moyens de transport sans
action directe sur l'objet
transporté, la production d'objets
insolites ou du quotidien suivant un
cahier des charges Des situations "
géniales " -d'après leurs
dires- pour évoquer indirectement
des contenus de physique, sur la
mécanique, sur la propulsion, les
frottements Ce qui a
transformé parfois la salle de
cours en champ de bataille !
Nous avons
varié les exercices, y compris les
activités de modélisation.
Nous avons proposé des
investigations multiples, voire
impossibles Quelque fois les
questions posées pouvaient
paraître très étranges
comme " estimer la quantité de
nourriture ingurgitée depuis leur
naissance ", " mesurer la longueur du nez
", " compter le nombre de cheveux " ou "
calculer le probabilité de
naître ". Il s'agissait de
situations insolites pour les conduire
à réfléchir sur les
données et sur leurs
sources
En santé
et en environnement, nous avons
multiplié la conception de jeux,
mis en place des
jeux de rôle
sur des processus difficiles comme la
photosynthèse ou l'immunologie. En
Education au développement durable,
on s'est attaqué à de
nombreux tabous : l'usage du
téléphone portable, la mode
de l'eau en bouteille, la nourriture style
Mac Donald. Nous les avons t interpeller
sur leur propre consommation et
solliciter à mettre en place des
écogestes Notamment ils ont
dû produire un cadeau à
offrir à une personne aimée
de leur choix pour Noël, à
partir de matériaux trouvés
dans leur propre poubelle ! Certains
jours, il y eut de l'ambiance dans les
amphis
Dispositif
inventé par les étudiants
pour le lancement de l'uf
cru
Leurs rendus tout en
restant scientifiques pouvaient déboucher
sur des mini-spectacles Y compris lors de
l'évaluation ! Un moyen pour inventer
des façons ludiques de " transmettre " un
message.
Les
étudiants ont ainsi " aimé
produire " nombre de films, comme ces
derniers reçus sur " la
diététique de leurs copains
" ou sur le
stress
.
De plus, ces
travaux ne devaient pas seulement
être une production pour la
note Les rendus pouvaient toujours
être améliorés quand
les exigences n'étaient pas
atteintes. Nous les sollicitions
également pour que ces rendus
deviennent des ressources pour la classe
ou soit reprises dans des activités
pour la Cité, de la Semaine
européenne
,
à la Nuit de la science, aux
miniU, au 450
ou encore la semaine dernière pour
la journée EDD organisée par
le Département de l'Instruction
publique Des échanges de
savoirs entre les étudiants ont
également été mis en
place pour leur permettre de prendre
conscience qu'ils étaient tous
porteurs des savoirs et qu'ils pouvaient
les partager.
Ces activités
mi-ludiques, mi-épistémologiques
-chaque fois était posée la question
de l'intérêt de l'activité tant
sur les plans scientifique qu'éducatif-
correspondaient à une certaine attente...
Les étudiants sont venus nombreux. Par le
bouche à oreille, ils ont fini par affluer
de l'autre section et même des autres
facultés Certains se sont pris au jeu,
ils ont continué leur recherche dans le
cadre d'un mémoire, d'un master ou d'un
diplôme. Des vocations sont
nées
Nous avons
payé également de notre
personne. Nous n'avons pas craint de
revêtir les chasubles officielles
des adorables professeurs
américains, confectionnées
à partir de sacs poubelles pour les
sensibiliser à la
récupération des
déchets. Toujours pour les
étonner et les questionner, Greg
Lagger m'a fait sortir d'un paquet cadeau
; j'ai joué à la marionnette
pour approcher les processus
vitaux
Exemples
de défis
Mais tout ceci est de
l'anecdotique ! Nous n'avons pas touché
à l'essentiel du cursus Lors de mon
mandat de Président de la Section, j'ai
essayé à plusieurs reprises de
susciter quelques innovations. Nous avons
proposé des semaines centrées sur un
thème uniqueou des semaines
centrées sur des passions, etc
Rien de très original -des propositions qui
se " font " couramment dans l'enseignement
secondaire Aucun écho de la part des
collègues Nous avons proposé
des rencontres pour débattre de ce que
pourrait être une pédagogie
universitaire. Pas plus de succès !!! Et
depuis rien n'a changé... Pourtant tous les
enseignants constatent que les élèves
viennent modérément aux cours
Quand ils en ressentent vraiment le besoin, ils
peuvent les trouver sur Dokeos
Les étudiants
enchainent les rendus pour satisfaire aux
validations. Ils perdent progressivement
le goût pour le savoir ; la
curiosité, le plaisir de la
découverte et la spéculation
s'étiolent. Au surplus, ils ne font
pas de liens entre les cours, etc
Aucune pensée personnelle
n'émerge. Ce qui devrait être
le centre de la vie universitaire reste
aux " abonnés absents ".
L'accès à la recherche est
de plus en plus retardé.
Rendus
scientifiques sous forme de
mini-spectacles
Le cas de l'ex-LME
est le plus désespérant. Lors de
l'entretien d'embauche, les étudiants
paraissent très motivés. On les
retrouve 3 ans plus tard au bachelor en train de "
traîner les pieds ". La réception de
cette formation, l'appropriation des savoirs, ne
font même pas l'objet d'enquête. Nous
avons juste pu susciter quelques mémoires
sur le stress des étudiants.
Et ne parlons pas des
conditions matérielles : nous travaillons
avec des tables rivées aux sol, dans des
salles tout en longueur. Seul effort
pédagogique visible : la technologie
numérique ; toutefois, même pour
l'usage des nouveaux moyens numériques,
on
garde par facilité la cathedra
!
Comme il existe
de temps à autres des
facultés qui commencent à se
préoccuper de pédagogie
universitaire -la semaine dernière
j'étais encore consulté par
un groupe d'enseignants des
universités Paris VI/VII-, il est
indispensable de ne pas
désespérer. Il nous faut
continuer à
réfléchir. Je vois quelques
pistes pour l'université
de 2050 !.. Il nous faudra sortir au
plus vite d'un enseignement universitaire,
basé sur une suite de cours et de
séminaires -qui sont à leur
tour des cours-. Paradoxalement, je ne
suis pas pour la suppression
systématique du cours à
l'université, pas plus que pour la
suppression des " amphis " Le
vécu en direct -comme le concert- a
toujours toute sa place, mais pas comme
unique fonctionnement. Ces " grandes
messes " pour moi ont du sens à
certains moments.
Rendus
scientifiques sous forme de
films
Le professeur en
frontal présente un intérêt
pour créer le désir d'apprendre :
motiver, interpeller, concerner les
étudiants, et pour susciter l'environnement
pour apprendre Ensuite le professeur doit
rester un " repère " ; il peut faciliter les
liens, les ancrages, il fait prendre du recul et
met en perspective une fois que les
étudiants ont fait le tour d'une question.
Il peut encore évaluer les évolutions
de la pensée dans un domaine Le
reste du temps, les étudiants devraient
être sollicités pour travailler par
eux-mêmes, avec des enseignants à
disposition pour consultations
Les possibles pour sortir
des cours habituels sont nombreux, pourquoi ne
pas susciter :
- la production de
corpus, non linéaires, que les
étudiants lisent, mieux que les
étudiants élaborent à
partir de leurs propres recherches
bibliographiques et que l'on travaille ensuite
en séminaires,
- une autre conception des
dossiers, des mémoires, non pas seulement
corrigés pour une note mais
travaillés sur la durée avec
l'enseignant et ses assistants en prenant appuis
sur la démarche des
étudiants.
- des moments à
plusieurs voix,
- la mise en place
d'échanges de savoirs entre
étudiants
Pourquoi pas la
réalisation d'un chef d'uvre, une
recherche personnelle sur 4/5 ans ? Par contre,
certains cours pourraient être
enregistrés, montés avec des
illustrations de qualité. L'étudiant
pourrait les visionner seul ensuite à son
rythme. Le séminaire aurait toute sa place
après comme moments
d'approfondissement ou de
métacognition.
Pour la
pédagogie universitaire, l'important
dans un premier temps, n'est-il pas de sortir
du modèle unique ! La formation des
personnels universitaires devient
indispensable ; elle ne peut " passer
" seulement par quelques cours
académiques de pédagogies ou
par des vidéo-formation.
Le " professeur d'uni. " a
tout autant besoin -tout comme celui du primaire et
du secondaire- :
- d'outils sur la
connaissance des conceptions et des obstacles
des étudiants sur un contenu, sur la
clarification et la hiérarchisation des
messages ;
- de ressources, y compris
sur le métier d'étudiants et les
méthodes d'apprendre à apprendre :
des approches comme prendre des notes, faire une
bibliographie pertinente ne sont pas
acquises
Il demande à
être formé à tout un ensemble
de techniques allant jusqu'au
théâtre. Savoir placer son corps, sa
voix, savoir conter, intriguer font partie de la
panoplie du métier
La
régression de l'école
A côté de
nos travaux de recherche, nous nous sommes beaucoup
investis dans l'innovation scolaire, aux 3 niveaux
: primaire (dont l'école maternelle),
secondaire et secondaire supérieur. A cette
fin, nous avions monté une équipe de
choc avec des conseillers pédagogiques et
des enseignants de Genève auxquels se
sont ralliés des formateurs des autres
cantons de Suisse romande. Certains sont encore
là ce soir Nous avons multiplié
les conférences pédagogiques pour les
enseignants, participé à des
formations en didactique, monté et fait
travailler des équipes d'enseignants. Nous
avons eu presque tout faux !..
Au cours de ces trente
années, nous avons vu l'école
régresser. Non pas en termes de
résultats scolaires ; à part
l'orthographe, les résultats ne sont pas
moins bons. Ce sont surtout les " retours en
arrière " qu'il est possible de constater. A
Genève, ils sont symbolisés par le
retour des notes et les éternels
débats sur la place du latin. Certes, par
nos " anciens ", nous avons réussi à
faire passer quelques idées dans le PER
,
mais beaucoup d'enseignants n'y croient plus. Ils
sont actuellement découragés et les
responsables de l'instruction
désespérés.
En France, une multitude
de réformes non pensées, mis en place
dans l'urgence par les ministres successifs, non
préparées, non suivies, non
accompagnées, non évaluées ont
bloqué totalement le système, en
accablant les professeurs. Actuellement ce n'est
pas seulement de cours de didactique dont les
enseignants ont besoin, mais plutôt
d'accompagnement
personnel.
Il faut dire que
la société n'est pas prête
à penser une évolution de
l'école Il nous faudra travailler
maintenant côté parents. Les
parents veulent que leurs enfants
réussissent mais ils ne se posent pas la
question de quelle réussite ?.. Il ne suffit
plus de savoir lire, écrire et compter, avec
un zeste d'allemand
Les points de réflexion sont multiples
Qu'est ce qu'une école qui fait perdre le
désir ? Qu'est-ce qu'une école
où les savoirs importants pour aujourd'hui
ne sont pas partagés ? Qu'est-ce qu'une
école qui ne fournit pas les outils pour
apprendre
Nos
sociétés sont face à des
enjeux nouveaux et complexes où il faut
apprendre en permanence (mondialisation de
l'économie, questions de
génétiques ou de nanotechnologies,
réchauffement climatique) ; ces enjeux
exigent de convoquer de nouveaux champs de savoirs
(économie, droit, éthique,
épistémologie, psychologie ou
anthropologie,..) et de nouvelles approches comme
l'analyse
systémique ou
la pragmatique. Il nous faut introduire des
démarches transversales ; l'énergie
n'est pas une simple question de physique mais de
géographie, d'économie, de
géopolitique. On ne peut plus en rester
à ceux existant à la fin du
XIXème quand l'école a pris son
envol Il nous faut maintenant sensibiliser
les parents aux enjeux de l'apprendre dans une
société complexe et incertaine. Il
nous faudra leur proposer une " mallette
d'idées " pour qu'ils puissent accompagner
leurs enfants.
Ensuite, il nous
faudra intriguer côté
décideurs. Les responsables sont en
manque de culture sur ce qu'est une organisation
type école ! Le
changement dans une
organisation ne se
décrète pas. Toute injonction
crée en retour des forces
équivalentes en sens inverse Il nous
faudra mettre au point des formations pour nos
décideurs en matière de
système et de régulation. Ce que peut
faire de plus pertinent un décideur est sans
doute de valoriser les innovations, d'exiger des
évaluations, de favoriser la mutualisation,
de promouvoir la formation des enseignants et des
cadres intermédiaires
Pour le reste, on ne peut
plus se contenter de réformettes. Il y a
quelques tabous à faire sauter sans
doute
L'emploi du temps
des élèves ne devrait
être plus construit autour de la routine
des cours d'une heure, mais autour de
dispositifs très variés. Ce
pourraient être des travaux personnels
accompagnés, des séminaires, des
conférences, des ateliers, des projets,
des défis, des échanges de
savoirs, des semaines à thème,
etc...
Des
pédagogies multiples centrées sur
l'autonomie des élèves sont
à introduire . Les élèves
doivent devenir " auteurs " de leurs
apprentissages. Il n'est plus question de
subir et pour commencer d'attendre que le
prof. démarre son cours. Dès que
l'adolescent entre au Collège, il doit
être mis en situation d'apprendre, le plus
souvent par lui-même, au travers de
contrats mensuels et d'activités à
mener à bien. Il a cependant toujours
à ses côtés une personne
à consulter pour l'accompagner sur sa
question, sa préoccupation ou les
attentes du moment. ! La
médiathèque avec des studiolos et
un netable -un cartable électronique-
deviennent des outils
incontournables.
Une
nouvelle manière d'évaluer les
élèves est à
introduire. Nous militons pour la fin des notes
systématiques ! Les élèves
connaissent dès leur entrée au
Collège les éléments de
savoirs et de compétences sur lesquels
porteront les évaluations. Chaque
élève peut demander lui-même
à être évalué, quand
il se sent prêt sur l'un des objectifs
éducatifs. Il peut retravailler la
question et ses erreurs jusqu'à ce que ce
soit acquis.
Le parcours
scolaire devrait être
personnalisé par chaque adolescent.
Chacun est différent, chacun n'a pas "
les mêmes tailles de chaussures " !
Il est réparti sur 3, 4 ou 5 ans en
fonction des facilités ou des
difficultés des élèves.
L'organisation par classes disparaît au
profit de " groupes de vie ", qui regroupent des
élèves de tous
âges.
Les " profs " ne
doivent plus être les " héros " de
leur discipline, mais des spécialistes de
l'élève et des
référents de culture ! "
Metteur en savoirs ", ils interpellent
les élèves, les accompagnent, leur
donnent le goût d'apprendre, les
conduisent à prendre du recul et à
faire le point sur leurs acquis. Leur
personnalité est valorisée ; ils
deviennent avant tout des "
repères". Ils sont plus
présents dans l'établissement. Ils
ont à disposition un lieu personnel de
travail et les moyens
adéquats.
Le Collège est
une école du " positif ". Le jeune
n'est jamais stigmatisé, les efforts sont
valorisés. L'erreur n'est plus une "
faute ", mais du matériel
d'apprentissage. Ce qui ne veut pas dire qu'il
n'y ait pas d'exigences dans cet
établissement. Au contraire, celles-ci
sont priorisées par des contrats. La
sanction éventuelle devient un " plus ",
c'est-à-dire un travail pour la
communauté.
C'est dans ce sens que
nous continuerons à militer
Actuellement nous suivons deux projets : au
Luxembourg et à Montpellier Nous
sommes en négociation pour monter en France
un nouveau Collège public.
L'allostérie
présente des limites !
Nos recherches de
didactique ont mis fortement l'accent sur
l'élève. Elles ont contribué
à " faire passer " la didactique, des
recherches sur l'enseignement d'une discipline aux
recherches sur l'apprendre, de façon
transversale. Un nouveau modèle de
l'apprendre a émergé pour
dépasser les limites des modèles
constructivistes. Il a connu quelques
succès, y compris en dehors des sciences,
notamment à l'étranger.
Toutefois, certains
aspects du modèle restent à
travailler, et sur le plan de la recherche, et sur
le plan de la formation.
Sur le plan de la
recherche, nous n'avons pas réussi
à convaincre nos collègues
occidentaux, contrairement aux collègues
chinois qui l'ont adopté tout de suite
Difficile de changer les conceptions
pédagogiques d'un milieu encore très
cartésien !
Les recherches en
didactique restent très orthodoxes. Il
s'agit de faire varier un seul paramètre
à la fois, comme aimer à le pasticher
Georges Perec. Pour faire plus sérieux, on y
ajoute désormais des statistiques,
même si les catégories ne sont pas
définies avec précisions !.. Et nous
ne parlerons pas des études par
corrélations !..
Or en matière
d'éducation, chaque situation est unique ;
et ce n'est jamais un seul paramètre qui est
pertinent. C'est plutôt un réseau de
variables qui intervient. Nos recherches sont de
type systémique et qualitatif, elles
s'apparentent plus à
l'ethnométhodologie. Elles ont conduit
à repérer et à
catégoriser les variables qui facilitent
l'apprendre. Toutefois elles ne fournissent pas le
type de preuves attendues par un milieu
resté académique Il y a
là un vrai enjeu
méthodologique.
Sur le plan de la
formation, nos idées rencontrent
également quelques difficultés dans
leur diffusion. Les enseignants souhaitent recevoir
la " bonne solution ", clefs en mains de
surcroît. Or notre approche ne propose
seulement qu'un modèle, au sens
scientifique. Un modèle n'est pas " la "
solution, encore moins la panacée.
Ensuite ce
modèle est systémique, comme
nous venons de le voir. Une seule action
pédagogique reste insuffisante : le
conflit cognitif par exemple est trop
limité pour faire apprendre. C'est
un " environnement qui doit
interférer avec la pensée de
l'élève ; c'est celui-ci
qu'il s'agit de créer. En
permanence, l'enseignant doit mettre en
lien les divers paramètres ;
ceux-ci peuvent être antagonistes.
L'apprenant doit à la fois trouver
du plaisir et faire des efforts. Pour
qu'il lâche sa conception, il doit
se sentir en confiance, il doit y trouver
un plus. Il doit encore se confronter
à des arguments qui
ébranlent son système de
penser, tout en s'appuyant sur des aides
à penser : métaphore,
analogie, schéma,..,.
De plus, ce modèle
de l'apprendre ne rejette pas les autres de types-
constructiste/ behavioriste/ frontal et même
imitatif-. Tous ont leurs raisons d'être
suivant le type de savoir à acquérir.
Ce qui importe dans le choix du modèle est
la distance entre l'élève et le
savoir. Quand le savoir est attendu, on peut faire
du frontal sans souci. Quand l'apprenant doit
transformer ses conceptions ou changer de
comportement, " l'assimilation ", versus Piaget est
nettement insuffisante La pensée en
place -pour continuer la métaphore de
Piaget- " vomit " toutes informations
incompatibles. D'où l'idée introduite
de " faire avec pour aller contre ". Ce qui est
perçu et donc rejeté par les
enseignants comme un paradoxe
Or ce n'est pas le seul !
Tout est paradoxal dans l'apprendre. C'est une
nouvelle cohérence qu'il faut envisager
à travers la formation, une cohérence
née de l'émergence de tensions
antagonistes ; elle n'a rien à voir avec la
cohérence classique. Et je comprends que les
enseignants aient de grandes difficultés
à entrer dans cette autre forme de
cohérence.
C'est
l'enjeu de la formation : entrer dans une
cohérence de la complexité
et jongler avec plusieurs
modèles.
En ce qui concerne le
modèle lui-même, il reste encore trop
centré sur le cognitif. Certes nous avons
toujours pris en compte la
place de l'affectif.
Certes, nous avons été pionnier,
contre l'avis de nos collègues scientifiques
pour faire une place aux émotions, notamment
par le biais du théâtre,
dans la médiation scientifique. Mais la
dimension émotionnelle reste encore en
larges friches.
D'autres dimensions
encore interfèrent dans l'acte d'apprendre.
Elles commencent à être
repérées et travaillées, mais
il reste beaucoup à faire. La dimension
métacognitive d'abord car l'obstacle
à l'apprendre n'est pas seulement sur le
savoir lui-même mais très souvent sur
l'image
du savoir que s'en
font les apprenants. En physique, les formules
créent à elles seules un " vrai "
traumatisme pour un large public. Apprendre a de
plus en plus mauvaise presse, notamment chez les
jeunes des banlieues De plus
l'élève a fort peu de maîtrise
sur les processus qui le composent. L'apprendre
à apprendre devient un objectif
incontournable à tous les
niveaux.
La dimension
infra cognitive ensuite : celle-ci est
rarement interrogée ; elle est
l'origine de nombre de malentendus en
formation. A commencer par la
pensée
duale que
renforcent malencontreusement les
mathématiques
enseignées.
Ces dimensions
ont été plus
particulièrement
intégrées dans le
modèle allostérique
depuis que nous travaillions en
éducation thérapeutique du
patient (ETP). Avec les apports du service
d'ETP de l'Hôpital universitaire de
Genève, nous sommes arrivés
maintenant à faire travailler la
personne qui apprend sur 5 de ses
dimensions.
Les 5
dimensions de la
personne
Mais reste encore
à comprendre leurs interactions. Reste
également à mieux saisir la place de
deux autres paramètres :
Le désir
d'apprendre, -ce qu'on appelle
habituellement la
motivation
ou la curiosité- ont
été étudiées
par ailleurs. Elles demeurent toutefois
encore soit un slogan en éducation,
soit elles sont envisagées de
façon très behavioriste ou
volontariste. Il nous faut mieux lister
les paramètres du désir
et leurs soubassements pour mieux prendre
en compte ce domaine
Plusieurs fois,
nous avons été mis en
échec par des jeunes dans nos
activités en banlieue.
Au préalable,
il nous a été
nécessaire de les écouter,
de faire des détours pour approcher
leur personne avant de faire des
sciences
En l'ETP, quand le
patient est " non -observant " -c'est-à-dire
qu'il ne suit pas son traitement- il est
habituellement " envoyé " en psychanalyse,
de plus en plus souvent en thérapie
cognitico-comportementale (TCC) ou en entretien
motivationnel. Je ne reviendrai pas ici sur leurs
limites. Disons seulement qu'on constate nombre
d'effets collatéraux qui bloquent
l'apprentissage, et par là l'observance. De
plus, nombre de ces patients sont devenus anti-psy
!
Repenser la
place de la
personne
dans l'apprendre et la maladie au
même titre que le biomédical
devient indispensable. Des pistes ont
été recherchées dans
l'art thérapie. Mais tous les
patients n'entrent dans l'art. Avec Amanda
Jullion, grâce au Professeur Golay
,
nous avons mis en place
l'orthothérapie le jardin, la
Nature comme media. Immergé la
personne dans la Nature, lui faire sentir,
ressentir ; pour nombre de personnes,
leurs émotions, leurs
désirs, leurs aspirations
émergent. Emerge ce qu'on ne peut
pas dire ou faire au quotidien, en
famille
En fait, il s'agit de
développer une connaissance
de soi, une
acceptation de soi, en valorisant les ressources et
les potentiels, et travailler sur une meilleure
qualité de vie.
Y compris en envisageant
une clarification des valeurs personnelles et des
conséquences de ces valeurs sur
soi.
Certains psychologues
font ce genre de travail. Mais tout n'est pas du
ressort du psychologie, la pathologie personnelle
passe par le psychisme,
comme la maladie physiologique par le biologique.
Mais les causes peuvent venir d'ailleurs. Le
challenge serait de sortir la psychologie de son
enfermement dans son territoire ! Dans le
même temps, il s'agit d'aller au delà
du coaching,
des méthodes d'empowerment qui
prolifèrent En fait, une nouvelle
profession est à inventer où d'autres
dimensions de la personne sont à convoquer.
Pour mener à bien une telle approche, il
serait souhaitable de faire appel à la
philosophie dans ses dimensions éthique et
épistémologique, à
l'anthropologie, à la sociologie. à
la biologie et à la
didactique.
De plus, cette nouvelle
profession devrait prendre en compte
la
personne de façon transversale, dans sa
globalité et
non plus dans le contexte limité de la
thérapie. Elle devrait simplement
accompagner
la personne, tel que son histoire la constitue,
avec ses désirs, ses capacités et ses
vulnérabilités, à tracer au
mieux sa voie, nécessairement unique et
singulière, dans le monde tel qu'il
est.
Déjà Alfred
Adler, un psychologue autrichien, contemporain de
Freud refusait de limiter la psychologie à
son rôle thérapeutique. Il insistait
sur l'idée que les aspirations humaines sont
tournées vers l'avenir et pas seulement le
fruit de moteurs inconscients ou
d'expériences infantiles.
Selon Bandura, la
confiance en soi est un indicateur puissant d'un
projet de vie car elle permet d'accepter le
succès quand il arrive ; elle facilite la
prise de risques ; elle engage à continuer
d'essayer si on n'atteint pas l'objectif du premier
coup ; elle aide à contrôler ses
émotions et ses peurs quand le chemin du
succès est difficile. Cette acceptation de
soi peut commencer -me semble-t-il- quand on admet
ses erreurs, pour rebondir ou
renaître
La chance de
l'erreur
Lors de ma leçon
inaugurale, il y a 31 ans, j'avais pointé
l'importance de l'erreur dans l'apprendre. Ce
n'était pas alors l'habitude en
pédagogie ! Il est vrai que je venais des
sciences où l'erreur est le matériau
de base. On passe son temps à rectifier des
erreurs pour formuler de nouvelles
hypothèses. Je proposais de les
dédramatiser -de ne plus en faire une faute,
mais un " faux-pas ". Depuis nombre d'auteurs s'en
sont emparés
Aujourd'hui, un travail
sur l'erreur devrait sans doute être
introduit plus largement dans ce que Foucault
appelait " le soin de soi " en particulier, mais
également dans l'approche de toute situation
complexe, en général. Chaque fois que
nous souhaitons apprendre, nous devons ainsi
accepter de nous tromper. On ne peut avancer que
par erreurs rectifiées -certes dans le
respect d'un certain nb de valeurs éthiques
et de gardes-fou pour éviter les
dérapages ! Les lieux d'apprentissage
devraient être des lieux où on a droit
à l'erreur. Sans doute faut-il faire des
erreurs un passage obligé, une étape
; voire de les positiver Les erreurs
devraient être pleinement assumées
dans une dynamique.
Bien sûr, rien
n'est évident, il nous faut aller au
delà des apparences et les changements
de comportement ne sont pas évidents
!
30 ans ont passé.
J'ai perdu beaucoup de mes illusions mais
j'ai gardé mes aspirations Je vous
remercie !
"Quoi que tu
fasses est dérisoire,
mais il est
essentiel que tu le fasses."
Gandhi
"Ce n'est pas parce qu'on
est convaincu que les choses sont sans espoir qu'il
faut renoncer à vouloir changer les
choses."
<<Merci
Monsieur Giordan, Merci davoir faire naitre
en moi la certitude quil faut apprendre
à apprendre. Merci de mavoir convaincu
que la didactique et
lépistémologie sont
indispensables pour bien enseigner. Grâce
à vous, depuis 2 mois et après 10 ans
denseignement, jai repris mes
études en master en histoire, didactique et
épistémologie des sciences dans le
but de mieux enseigner...Encore MERCI MONSIEUR
GIORDAN.>>
<<Agir,
penser avec détermination vers un objectif
qui est peut être pas le plus adapté
à la réalité, mais le faire,
toujours et encore, dans l incertitude et la magie
des effets non escomptés. Notre simple
condition humaine optimiste et laborieuse nous y
pouse, sans cesse...la tête dans les
étoiles, encore et encore ... Bien à
vous, merci et bonne route pour une nouvelle
aventure !Muriel / Difep.>>
<<Merci
monsieur Giordan pour ce message plein
despoirs ... même si un soupçon
damertume semble pointer ici et là.
Que vous dire sinon que je partage à la fois
votre analyse, vos constats (sur le milieu
enseignant,notamment) mais aussi vos envies et
désirs de projets, de vie dans
lÉcole. De la part dun
professeur des écoles basique et toujours
passionné par son métier.
Cordialement>>