Comment
comprendre ces phénomènes actuels?
Je propose
une analyse partant de l'évolution de la
représentation des sciences.
Il me semble que
les scientifiques sont tentés par deux
dérives:
-
D'une part
certains, scientifiques ou non, les
présentent comme toutes
puissantes
répondant
ou pouvant répondre dans l'avenir
à toutes les questions; qu'il
s'agisse d'extrapolations de
découvertes qui font souvent plus
partie de la science-fiction que de la
science tout court! (on compte ainsi
créer des robots humains! etc...),
ou de l'utilisation d'expressions
équivoques, (que
désigne-t-on par "le sens
esthétique du robot Cindi" comme
critère de choix de programmes, et
qu'en est-il de "l'humeur d'un robot"
etc...!) Cet anthropomorphisme qui
attribue au dieu "sciences" les
sentiments, les passions, les idées
et les actes de l'homme est
"irrationel".Comment un jeune peut-il
alors faire la différence entre ces
interprétations et la
nébuleuse des "fausses sciences"
telles que l'astrologie, la
numérologie etc...Les sectes
elles-mêmes s'emparent de cette
tendance pour essayer de fonder leurs
valeurs. C'est souvent l'
"irrationalité" qui
domine.
Cette
"science" toute puissante ne peut
qu'amuser (jeu vidéo, film
de science-fiction...) ou inversement
faire peur (elle aboutit à
la bombe atomique, elle détruit
notre planète...) ou encore
entraîner une judiciarisation
des actes scientifiques, médicaux
en particulier, (si la science est toute
puissante, si elle échoue , elle
est coupable). Dans tous les cas elle est
loin de nous et ne peut susciter le
désir d' étude.
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(Une
série d'articles du "The New-York
Times"intitulée: La science
importe-t-elle?) <<s'attache
à déméler les
sentiments contradictoires suscités
par l'avancement des sciences au cours du
dernier quart du XX e siècle. Pour
John Gibbons, ex -conseiller scientifique
de Bill Clinton, cette défiance
envers les sciences coïncide avec la
montée du mouvement
écologique dans les année
60...>> Le
Monde "Les sciences
amèricaines doutent d'elles
mêmes" 19/11/03
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-D'autre
part on nous présente une science
"objective" dont le modèle suprème
est "la mathématique"
,
science qui se veut être "la
vérité". La
vérité est
mathématique ou elle n'est pas! La
lecture de certains entretiens de
mathématiciens montre cette
tendance parfois. Il n'y a de
vérité que par les chiffres.
D'ou l'importance de "l'évaluation
chiffrée", la seul connaissance
reconnue comme valable est celle obtenue
par la démonstration
(mathématique). La recherche de
preuves absolues pour les
psychothérapies en est un exemple:
"Réglementer l'inconscient ?" titre
d'un article du monde! On a là une
science "inhumaine" au sens propre du
terme. Comment s'étonner que les
jeunes s'en détournent ! Cette
science qui ne peut plus leur parler,
parce que le "sujet" a disparu, ne peut
que leur paraître, là encore,
loin d'eux.
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<<À
l'origine de la science moderne est une
reprise du projet philosophique grec de
compréhension du monde. Cependant,
le contexte spirituel de la Renaissance a
fait que certaines conceptions grecques,
tirées principalement de Platon,
ont été investies de
nouvelles significations. Dans
l'Antiquité les sciences de la
nature, soucieuses de l'être des
choses, écartaient les
mathématiques, ou ne pouvaient
guère en tirer parti. À
l'inverse, dans la science moderne telle
qu'elle s'est développée, la
mathématisation de la nature s'est
imposée comme une fin en soi. Ce
qui lui a permis, libérée de
toute tutelle, de s'épanouir de
façon spectaculaire. Mais les
succès enregistrés sont
indissociables d'un changement d'ambition:
le monde n'est pas compris, il est
mathématisé. Si les
mathématiques traduisent ou
induisent une causalité, il est
fonctionnalisé. Par là il ne
reçoit aucun sens. Au contraire
tout sens lui est ôté :
l'homme n'y trouve plus rien qui lui
parle.>>
p. 267. Olivier
Rey."Itinéraire de
l'égarement"
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Comment
réussir à redonner un sens à
la science,
à prendre en
compte "le sujet" qui fait de la science sans
détruire les caractéristiques propres
à la science? C'est une question
difficile!
Il
me semble, en tout cas, que le retour des
jeunes vers la science ne peut se faire
qu'en réintroduisant la science
dans l'humain. C'est-à-dire
en montrant son enracinement dans
l'histoire, dans la culture, dans la
subjectivité des
chercheurs.
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Il
est aussi nécessaire de repenser
"l'humain" dans une perspective plus
large qui tiendrait compte des
découvertes scientifiques,
psychologiques, sociologiques; c'est le
travail de la philosophie dont le
développement actuel dans le public
montre une attente.
Faire
découvrir aux jeunes comment les
sciences sont intimement liées
à la vie des chercheurs,
à leur imaginaire c'est rendre la
science humaine, abordable,
intéressante.
Montrer
que des "vérités"
liées à une
époque, à un lieu, ont
dû être reprises,
modifiées, replacées dans un
contexte, une théorie
différente.
Faire
sentir qu'on ne devient pas professeur de
mathématique, de physique ou de
biologie par hasard mais parce que cette
science a et joue encore une fonction
particuliere dans la personnalité
de l'enseignant.
Donner
la parole aux élèves au
sujet de leurs "représentations"
des sciences; faire découvrir
que les filles comme les garçons
peuvent "investir" les sciences même
si leurs façons de le faire n'est
pas forcément la
même.
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<<Autant
de questions qui renvoient toutes à
la nécessité de
redéfinir l'être humain et sa
place dans la nature. « Nous sommes
dans une phase de remise en cause de
l'image que nous nous faisons de nous
mêmes », constate M. Lecourt,
qui estime qu'il faudra aller
jusqu'à « redéfinir ce
que faire de la médecine veut dire
». Il met en garde contre les
réflexes de diabolisation. «Je
suis pour une éthique inventive qui
cherche à intégrer le
meilleur et à écarter le
pire », précise le
philosophe.>>
"Humain, posthumain". Dominique Lecourt,
Ed. PUF, « Science, histoire et
société ».p 148
Le
Monde 31/10/03. Voir la page
entière sur: "Plaidoyers pour une
science plus modeste et plus
humaine".
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Tout cela
contribue à humaniser les sciences, à
les rapprocher des
élèves.
Evidemment cela
demande que notre enseignement des sciences
change,
qu'il diminue la
place de la définition exacte, de la
déduction, de l'enchaînement logique
et linéaire au profit de la recherche, de
l'observation, d'une
logique des "associations
d'idées";
en quelque sorte de "la main à la
pâte"!
Certains
chercheurs le disent bien, dans leur travail de
découverte, la partie "démonstration"
et le temps consacré à cet aspect
sont minimes par rapport à celui qui est
nécessaire pour envisager des cas,
rassembler des éléments disparates,
jouer avec les hypothèses...or dans notre
enseignement c'est l'inverse!
Cela
demande également qu'on accorde du temps
à la parole des élèves,
à leur confrontation et qu'on laisse leur
"imagination" (leur imaginaire) s'exprimer: tout
cela dans un cadre solide et avec une animation
professionnelle.
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