- B: ... Il y a aussi plusieurs attitudes, il y a par exemple le mathématicien classique qui veut savoir systématiquement tout ce qui est nouveau, tout ce qui améliore quelque chose dont il avait déjà entendu parler, qui fait une sorte de classement et qui est obligé pour cela, de se tenir au courant de tas de directions qui vont dans tous les sens... ça c'est le mathématicien sérieux; d'autres mathématiciens sont des mathématiciens non sérieux, comme moi par exemple, parce que je ne fais malgré tout que les mathématiques qui m'amusent... Enfin, il y a entre les deux, il y a plusieurs échelons intermédiaires mais... les mathématiques c'est quand même aussi un petit peu un jeu, il faut les considérer un peu comme un jeu.
- N: Qu'est-ce que c'est qu'un jeu pour vous ? un jeu mathématique ?
- B: Un jeu, c'est une façon de jouir avec l'esprit... je crois, c'est concentrer son activité sur ce qui vous donne le maximum de jubilation...
- N: Est-ce que vous avez des souvenirs concernant les mathématiques, des choses qui vous ont frappé.
- B: Vous voulez dire des aventures personnelles ?
- N: Oui, quelque chose qui en mathématiques, a joué un rôle important dans votre vie.
- B: Mais par exemple, j'ai rencontré autrefois, un joueur d'échecs, un ancien champion de France qui buvait énormément avant de donner des séances de simultané dans lesquelles il jouait contre une vingtaine de personnes et il se trouvait que quand il buvait un peu trop, eh bien! il ne perdait pas davantage de parties mais il faisait énormément de nulles, des parties nulles, ce qui fait qu'il arrivait quand même à faire marcher ses fonctions de joueur, de champion, de maître d'échec...
- N: Oui, ...
- B: ... tout marchait correctement, mais ... malgré tout il y avait un changement notable car presque toutes ses parties devenaient nulles... Moi, par exemple, c'est pas l'alcool mais c'est fumer, par exemple. Il ne me viendrait pas à l'esprit de me mettre à réfléchir sur un problème sans un cigare ou une cigarette...
N: Oui ...
- B: C'est-à-dire à ce moment-là ça m'ennuierait. Le même travail peut me plaire ou me déplaire suivant des petits détails comme ça qui sont tout à fait extérieurs au problème.
- N: Ils ne sont pas si extérieurs que ça puisque ...
- B: ... Oh! oui ... c'est peut-être simplement une raison, enfin une façon de ... de contenir une impatience, c'est possible... Je ne sais pas, enfin, je n'ai pas réfléchi à la question, mais enfin puisqu'on parlait du plaisir à faire des mathématiques, c'est quand même assez bête mais je me dois de le signaler comme une confession ...
- N: Et vous disiez alors que parler des mathématiques, non ça n'est pas du tout pareil.
- B: J'aime beaucoup mieux écrire quelque chose que de le dire.
- N: Oui.
- B: Je ne suis pas bavard par nature... plutôt que d'aller d'une façon continue de gauche à droite et, dans un cours, on doit procéder comme ça... Évidemment, les discussions sont nécessaires, on a besoin de connaître les points de vue des collègues et si naturellement... on croit trouver quelque chose et que quelqu'un vous dit qu'une façon de traiter le problème serait tout aussi bénéfique et qu'il a réussi, il vaut mieux le savoir le plus vite possible parce qu'on ne peut pas tout savoir, mais ... au fond, je m'intéresse plus à mes problèmes qu'aux problèmes des autres (rires).
|