- B: Je ne sais pas, on pourrait reprendre l'histoire de DESCARTES: pourquoi est-ce que DESCARTES a voulu tout d'un coup changer l'aspect des mathématiques qui ... qui ne lui plaisait pas tellement, ou tout au moins faire le lien entre les nombres et les formes ? Enfin je crois que dans le cas de DESCARTES ... on a beaucoup épilogué parce que ça s'est fait à la suite d'un rêve et on a psychanalysé ce rêve; et je ne me rappelle d'ailleurs plus qui a fait l'étude, mais en tous cas j'avais été très frappé autrefois par ce rêve de DESCARTES qui avait précédé la découverte de la géométrie analytique: DESCARTES tombant de cheval sur le côté gauche et ne pouvant se mettre sur le côté droit, le symbolisme du gauche et du droit, il y avait quelque chose d'essentiellement affectif ... Aussi, comme exemple qui est très impressionnant pour moi aussi, c'est CANTOR. CANTOR qui a considéré l'infini comme un nombre comme les autres, ramenant enfin ce qui était difficile à regarder à une chose tout à fait vulgaire; eh bien ! CANTOR est resté toute la fin de sa vie dans un asile. Donc, cela a touché un côté affectif, sa découverte était essentiellement liée à un aspect très affectif de sa personnalité.
- N: Chez lui, oui. II a touché à quelque chose de dangereux pour lui ?
- B: Sans doute, il a voulu rabattre l'infini, malgré les pressions religieuses de l'époque. Si ce n'est pas une révolte essentielle contre beaucoup de choses ... Enfin, il l'a mal supporté apparemment ... cela a mal fini pour lui. Mais alors ce sont des exemples historiques; maintenant, dans les exemples de tous les jours, je pense qu'on peut aussi trouver ... des cas où l'attrait pour un objet mathématique provient d'une raison affective assez profonde; je pense que ... les gens qui font de la théorie des nombres, par exemple, sont des gens pour qui l'aspect magique du nombre ... l'espèce de relief qu'ils donnent à chaque nombre, comme le font les calculateurs prodiges ... Il peut y avoir des aspects assez mystérieux qui les poussent dans ce domaine-là plutôt que dans un autre; alors la plupart des gens qui font de la théorie des nombres ont en général une mémoire extraordinaire pour des nombres qui sont sans intérêt pour les autres êtres humains, même pour les autres mathématiciens.
|