- N: Mais
comment voyez-vous ça pour vous-même
?
- R: ...... Enfin, je
dis fixation à la mère ...... je
pense que ça n'a pas été
tellement mon cas, mais je le vois surtout chez mes
collègues, si vous voulez ... enfin,
ça me paraît être une chose
assez fréquente chez les scientifiques en
général et chez les
mathématiciens en particulier ... moi ? ...
il y aurait peut-être un livre à
écrire et qui serait
"Mathématiques et sexualité"
(rires) ...
-N: Qu'est-ce qui
vous fait penser à ça
?
- R: (rires) ... oui,
du reste ... à un certain moment, je me suis
demandé s'il n'y avait pas quelque chose en
mathématiques de privilégié,
à savoir que: un problème, c'est
résolu ou c'est pas résolu,
n'est-ce pas; il y a une sorte de
guillotine, une espèce de
couperet, une espèce d'instant
où, d'un seul coup tout se
dénoue, n'est-ce pas ? Je ne dirais plus
ça maintenant, c'est pas tellement vrai,
mais enfin on a quand même l'illusion
... on a quand même l'impression de
ça, que finalement c'est un petit peu
comme ... faire l'amour, si vous voulez,
finalement; vous parvenez à accomplir l'acte
sexuel ou vous n'y parvenez pas, n'est-ce pas ? Il
y a vraiment un instant où ... on pourrait
essayer d'établir une espèce de
parallélisme entre l'accomplissement de
l'acte sexuel et la résolution d'un
problème. En fait, bien sûr, je
crois que c'est quand même assez superficiel
ça, parce que d'abord on résout
jamais d'un seul coup un problème, il a
fallu beaucoup de tentatives, beaucoup
d'échecs pour y parvenir et puis quand on
regarde d'un petit peu plus près l'acte
sexuel, là aussi il y a beaucoup à
dire et il y a quand même tellement de
facteurs qui interviennent dans son accomplissement
que ...Est-ce que cet instant guillotine
existe ou non ? Là aussi quand on y regarde
d'un petit peu plus près ... cette
discontinuité qui semble être
parallèle entre la discontinuité
du non résolu et du résolu ou
bien de l'acte sexuel non accompli et accompli,
quand on y regarde d'un petit peu plus près,
cette discontinuité est beaucoup moins
brutale qu'il ne semble. Néanmoins, il y a
quand même là quelque chose et quelque
chose qui est plus marqué en
mathématiques qu'ailleurs ...
- N: La guillotine,
le couperet ... Qu'est-ce que c'est que cette
guillotine, ce couperet ... ?
- R: ... oui, enfin,
je crois que mes comparaisons sont très
mauvaises ... guillotine ou couperet, non, ... il
faudrait, je ne sais pas, il faudrait trouver
d'autres termes parce qu'au contraire, c'est
quelque chose qui n'est pas sinistre comme
une guillotine mais au contraire très
réjouissant ... c'est plutôt
une pièce dans l'obscurité
puis une fenêtre que l'on ouvre
d'un seul coup et les rayons du soleil
qui viennent inonder la pièce; c'est
plutôt ça, n'est-ce pas ? Non, enfin
quelque chose de très discontinu, de
très soudain ... et il y a quand même
du point de vue physiologique une certaine analogie
entre l'extrême tension que vous avez
quand vous êtes à la recherche d'un
problème et, une fois la solution
trouvée ... ce relâchement.
C'est tout à fait parallèle à
ce qui se passe dans l'acte sexuel ... avec,
peut-être aussi ce léger sentiment
de tristesse qui l'accompagne de savoir que
maintenant que le problème est
résolu, il y a quelque chose de perdu
aussi ...
Je crois que ... il y a une
très jolie formule que je peux vous citer
... je pense que vous la connaissez: c'est celle de
Simon STEVIN qui étudiait un
équilibre qui était obtenu par un
triangle dont l'hypoténuse reposait sur le
plan, et un collier de boules. Ce collier
était posé sur le triangle.
C'était à l'époque où
on faisait des recherches sur le mouvement
perpétuel.
Il y avait des gens qui
cherchaient encore à construire des machines
produisant le mouvement perpétuel et
une de ces machines était justement ceci: un
triangle rectangle, donc un côté plus
incliné que l'autre et le collier devait
tourner indéfiniment parce que la
pente était plus raide d'un
côté que de l'autre et STEVIN en
faisait le calcul pour voir quelles étaient
les forces qui s'exerçaient à droite
et à gauche. Mais lorsqu'il eût
résolu le problème, il éprouva
une certaine tristesse car il se disait:
la merveille n'est plus la merveille ...
il avait détruit une certaine illusion
...
Voilà, et alors je
crois que, dans l'acte sexuel, il y a un petit peu
de ça aussi, une certaine tristesse
parce que, je ne sais pas, inconsciemment on se dit
peut-être, finalement est-ce que je vais
parvenir à avoir autant de plaisir, autant
de jouissance en recommençant une nouvelle
expérience, c'est ça.
Il y a quand même un
certain parallélisme, mais tout ce que je
vous dis là, ce n'est pas dégrossi du
tout, c'est un petit peu comme ça me vient,
mais il y aurait quelque chose à tirer de
là, je crois. Et je crois quand même
que les mathématiques ont une position
privilégiée, parce que dans les
autres sciences, c'est quand même moins net,
c'est-à-dire que la solution vient par
morceaux, si vous voulez, elle ne vient pas comme
ça d'un seul coup ...
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