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L'heuristique mathématique

Le travail créateur

          <<Il n'est pas de découverte féconde, dans les sciences comme dans la création artistique, politique ou philosophique, qui ne soit une élaboration symbolique d'une attitude imaginaire vis-à-vis d'objets réels et tributaire de ce fait, des relations avec des objets internes>>

(KAES, L'appareil psychique groupal, Paris, Dunod, 1976, p. 2-3).

           Didier ANZIEU montre que l'on peut distinguer cinq phases dans toute oeuvre créatrice.

           "Le travail de la création parcourt cinq phases: éprouver un état de saisissement; prendre conscience d'un représentant psychique inconscient; l'ériger en code organisateur de l'oeuvre et choisir un matériau apte à doter ce code d'un corps; composer l'oeuvre dans ses détails; la produire au dehors"

(ANZIEU, Le corps de l'oeuvre, Paris, Gallimard, 1981, p. 93).
 

           Cette grille permet d'éclairer les entretiens de mathématiciens publiés par ailleurs sur ce site

 

La première phase

décrite par Didier ANZIEU est un saisissement intérieur, un enregistrement passif d'un contenu qui remonte de l'insconcient dans un sentiment d'élargissement des frontières du soi et dans une solitude absolue.

           Ne peut-on observer des états analogues lorsque le Professeur PISOT évoque des "déclics" qui ont parfois lieu pendant la nuit et lorsque le Professeur RIGUET décrit "une espèce d'instant où d'un seul coup tout se dénoue ... comme on fait l'amour" ? Ne peut-on reconnaître ce même état dans ces périodes de "possession par un problème" décrites par le Professeur THOM ?

 

La deuxième phase

est celle de la prise de conscience d'un représentant psychique inconscient qui se fait, entre autres, sous la forme d'une révélation visuelle ou auditive.

L'exemple donné par la révélation d'un point commun aux trois hauteurs d'un triangle, perçue comme un miracle, alors que l'attente était celle d'un triangle engendrant un autre triangle, me paraît être un cas de cette prise de conscience. Le Professeur JOYAL décrit ainsi cette révélation: "Il y a une sorte d'inconnue et puis, tout d'un coup, "il y a un petit coin de voile qui est soulevé, et puis, on voit".

           La théorie des nombres comme origine nette et claire du Professeur PISOT, la pièce obscure et la fenêtre que l'on ouvre d'un seul coup décrites par le Professeur RIGUET, me semblent exprimer cette phase de reconnaissance brusque d'un représentant psychique inconscient.

           C'est la poussée de certaines pulsions libidinales ou agressives qui permet cette remontée. Didier ANZIEU montre que ceci peut se faire, soit dans une liberté d'expression des désirs, comme le dit le Professeur BERGE qui a besoin de confort, d'un beau spectacle, de fumer pour réfléchir, soit dans un refoulement des pulsions comme le dit le Professeur RIGUET: "Il faut le refus d'une grande partie du monde extérieur, il faut que le monde qui vous est offert en tant qu'enfant ou adolescent ne présente pas tellement d'attrait pour vous, parce que c'est dur, quand même, le début des mathématiques, si vous êtes trop attiré par le monde extérieur vous n'y parvenez pas".

           C'est une phase qui ne se produit en profondeur que rarement: comme le dit le Professeur THOM, le mathématicien n'a que deux ou trois idées dans sa vie.

 

La troisième phase

est celle de l'érection de ce représentant psychique en code organisateur, qui va modeler, organiser, animer un matériau. C'est la phase décrite par le Professeur BERGE lorsqu'il parle de la cristallisation de ses pensées: "se retrouver avec des pensées qu'on a pu cristalliser et profiter du calme pour les concrétiser sur le papier"; plus loin, il s'agit de l'arrangement des objets suivant des contraintes pour former des configurations. C'est aussi le crible des règles du Professeur MALGRANGE qui permet d'examiner tous les cas possibles et de voir les choses se mettre en place et qu'elles s'organisent, qu'elles se mettent à vivre. C'est aussi le filtre et le crible du Professeur LICHNÉROWICZ.

           Didier ANZIEU décrit deux attitudes du chercheur devant ce code, soit un souci de pureté que l'on trouve à la lecture de certains passages des entretiens et qu'il associe à la rétention, soit, associée à l'expulsion, une attitude d'acceptation de se salir les mains telle qu'elle est décrite par le Professeur THOM qui fait allusion aux théories propres et aux théories sales en mathématiques.

           Ce code va animer un matériau qui a pour but "d'offrir au créateur une résistance matérielle assez forte pour l'obliger à des prouesses techniques" (ANZIEU, loc. cit., p. 121). Ainsi, le Professeur LICHNÉROWICZ trouve du plaisir à se cogner durement en mathématiques; il se bat contre des réalités et non contre des fantasmes.

           Ces trois premières phases font appel au noyau psychotique du chercheur, par leur caractère quasi hallucinatoire ou délirant. "Un jour, écrit POINCARÉ, nous montâmes dans l'omnibus, au moment où je mis le pied sur le marchepied l'idée me vint ... '. Beaucoup de mathématiciens ont des intuitions révélatrices analogues... "Ces intuitions sont psychologiquement bien voisines, pour ne pas dire identiques, à la plupart de celles de délirants, d'autant plus qu'elles s'accompagnent d'un sentiment de certitude analogue" (LEMAIRE, Psychopathologie de la pensée mathématique et du mathématicien, Thèse pour le doctorat de médecine, Paris, 1957, p. 48).

           Mais c'est cette capacité de pouvoir régresser tout en s'auto-observant qui caractérise le créateur:

           "La double capacité du moi de tolérer l'angoisse face à un moment qui peut donc être de nature psychotique et de préserver, pendant et aussitôt après la dissociation-régression, un dédoublement vigilant et auto-observateur, spécifie le créateur, en le distinguant du malade mental, à qui fait défaut au moins la première capacité, et en le distinguant de l'homme ordinaire, exposé comme tout le monde à des expériences momentanément dissociatives et régressives mais qui, dépourvu de la seconde capacité, ne les exploite pas" (ANZIEU, loc. cit., pp. 95-96).

           Ce noyau psychotique vis-à-vis duquel on sent parfois une certaine angoisse chez certains mathématiciens n'est donc pas un handicap à la création, mais bien au contraire sa source. Le handicap se situe du côté des résistances à la régression:

           "La régression créatrice est freinée par la rigidité défensive, par l'armure caractérielle, par l'armature névrotique du sujet, par la crainte justifiée d'avoir à affronter, chemin faisant, des angoisses du type psychotique (annihilation, dévoration, morcellement, persécution, retrait). La résistance à la régression est une forme de la résistance au changement: peur de l'inconnu, de l'inquiétante étrangeté de la métamorphose" (ANZIEU, loc. cit., p. 98).

           En particulier, la double capacité du schize et de la réalité, puis de la reprise en compte de cette dernière, me paraît être une des caractéristiques du mathématicien. Voici deux passages d'entretien illustrant cette double capacité. Le premier est celui d'une femme professeur de mathématiques:

<<- P: ... (en mathématiques) il y a un plaisir de sécurité qui vient du fait que, cela m'arrive par exemple si je suis déprimée ou si j'ai un problème et que je ne veux pas y penser, alors je suis tout à fait capable de passer des heures sur une situation mathématique ou paramathématique, enfin, c'est-à-dire, de pouvoir me concentrer sur une activité intellectuelle de réflexion et complètement décollée par rapport à toutes mes préoccupations. C'est comme quand je fais du rocher à Fontainebleau, c'est-à-dire en me polarisant sur une activité qui me demande une forte concentration, il m'est possible d'oublier totalement ce qui se passe au dehors, cela m'est agréable. C'est dans le domaine curatif. Les maths sont un prétexte à une certaine fuite. Le côté affectif est mis de côté.

- N: Vous comparez cela à faire du rocher ?

- P: Parce que quand je fais du rocher durant trois ou quatre heures, je ne sais pas ce qui s'est passé durant ce temps. Je regarde le rocher, je monte dessus, je réfléchis où je vais mettre mes mains et mes pieds, j'essaie éventuellement, je tombe ou je redescends. Et puis l'autre jour, je réfléchissais: je ne sais pas le temps qu'il a fait, je ne prends pas de montre, je ne sais pas combien d'heures j'ai passées. Oui, je décolle, j'oublie complètement la réalité qui est autour. Et quand je me mets dans un bouquin de maths, ça m'arrive très souvent, je commence le livre, je veux le finir, je prends des notes et je décolle complètement par rapport à la pièce où je suis. C'est un très grand plaisir pour moi. A la fois, je dis que les maths, ça me gêne qu'elles soient décollées de la réalité, et à certains moments je m'en sers quand je trouve que la réalité est pénible, j'utilise les maths pour m'en évader ...

Je me pose une question à ce sujet; je me dis, si j'arrive si facilement à décoller, c'est que les maths ne sont pas si près que cela de la réalité, sinon elles devraient m'y ramener à la réalité. Alors, là, je crois que c'est ma manière de vivre les maths comme ça. Je crois que les maths en tant que telles n'ont pas un sens ou une fonction, mais c'est ce qu'on en fait, et pour moi, en ce moment, je les vis de cette façon-là, alors qu'à d'autres moments au contraire je les raccroche à la réalité et je m'en sers pour avoir une action sur la réalité.>>

           Quand une phase dépressive apparaît, ce professeur peut la résoudre par une fuite dans la régression créative, mais à d'autres moments elle sent au contraire un besoin défensif de rattacher les mathématiques à la réalité, peut-être pour s'y rattacher elle-même.

           Le deuxième exemple est celui d'un mathématicien qui décrit ces moments de recherche:

"- M: (Les mathématiques) C'est une drogue, comment dire, dure ou douce, c'est une drogue très forte mais qui n'a pas les inconvénients qu'ont les drogues dures. C'est une drogue dure sans inconvénient donc elle est douce. Quand je me plongeais dans une petite crise de recherche ou d'admiration des maths des autres, je sortais de la réalité mais j'y rentrais ensuite facilement, je suis très équilibrée, ça c'est sûr ... Je reprends contact facilement avec la réalité; mais je ne suis pas toujours dans la même réalité. J'ai des moments où je me donne plus à tel ou tel aspect de la réalité, d'autres à tel autre. Un bon repas et bien d'autres aspects de la réalité sont très importants pour moi aussi.

- N: Vous avez l'impression de sortir de la réalité quand vous faites des maths ?

- M: Ah oui! Mieux, beaucoup mieux qu'avec un bon repas. Je suis gastronome, mais durant un bon repas ce qui est autour de moi compte, la conversation, par exemple. Je sors beaucoup mieux de la réalité avec les maths."

           On connaît le pouvoir de régression des drogues et la comparaison des mathématiques à une drogue montre bien cette capacité du mathématicien de régresser qui entraîne un investissement provisoirement moins important de la réalité objectale.

 

La quatrième phase

du travail créateur décrite par Didier ANZIEU porte sur la composition de l'oeuvre dans ses détails qu'il apparente à la névrotisation; c'est la période des formations de compromis. C'est aussi la phase de travail décrite par plusieurs mathématiciens. Le Professeur JOYAL, lorsqu'un problème lui paraît naturel, dit "j'ai davantage de motivations pour y travailler, je peux travailler durant des mois sur une question". C'est aussi la guerre épuisante du travail du Professeur KUIPER: travail qui lui permet de remplacer trois pages par trois lignes. Autrement dit, un processus de condensation, parfaitement décrit également par le Professeur RIGUET:

           "Parce que c'est toujours cette espèce de rêve que j'ai en moi de condenser, d'avoir un instrument qui me permette de condenser au maximum, qui me permette d'avoir prise sur un immense empire, si vous voulez, au moyen de tout-petits germes, de tout-petits embryons ... n'est-ce- pas ... le ne sais pas si vous vous rendez compte ... le nombre de volumes imprimés qu'on peut résumer d'un seul coup à l'aide d'un simple tome de BOURBAKI ... un énorme travail de condensation. "

           Ce petit germe, ce petit embryon, manifestation unique qui "représente à elle seule plusieurs chaînes associatives à l'intersection desquelles elle se trouve. Du point de vue économique elle est alors investie des énergies qui, attachées à ces différentes chaînes s'additionnent sur elle" (LAPLANCHE et PONTALIS, Vocabulaire de la psychanalyse, Paris, Puf, p. 89).

           On conçoit le plaisir et l'investissement qui peuvent être attachés à la découverte de pareils germes.

           Cette phase éclaire aussi le désir de polissage de l'ouvrage expliqué par le Professeur BERGE ou encore l'ascèse intellectuelle, demandée par le travail mathématique, évoquée par le Professeur LICHNÉROWICZ.

 

La cinquième phase

du travail créateur - la dernière - consiste à produire au dehors l'œuvre accomplie, accompagnée de sentiments de honte, de dépossession, de mégalomanie.

           Le Professeur MALGRANGE exprime la surprise qu'il a eue au retentissement d'une de ses découvertes: "en ayant fait ma thèse, je me suis aperçu que j'étais un spécialiste connu du sujet, alors je me suis mis à l'apprendre !".

           Le Professeur PISOT exprime, lui, le plaisir qu'il éprouve à exposer son travail "quand on a trouvé une jolie chose, il faut quand même un public auquel la raconter."

           Mais ce n'est pas toujours aussi facile. Voici un passage d'entretien d'un assistant de mathématiques qui exprime les difficultés qu'il rencontre à faire valider socialement son travail de recherche:

"- M: Dans une recherche je n'arrive pas à travailler en vue d'une validation sociale. C'est-à-dire que j'arrive à travailler quand je trouve des gens avec qui ça marche affectivement, parce que c'est très important en recherche. Oh, il faut une équipe pour que ça marche, il faut des gens avec qui on s'entende bien et puis auxquels on s'identifie, qu'il y ait quelque chose de l'ordre de l'amour dedans, sinon ça ne marche pas. Cela j'y arrive un peu. J'arrive à faire de la recherche. Là, il y a des moments d'excitation extraordinaire, c'est très chouette, mais par contre, je n'arrive pas par exemple à écrire un article, à valider ces résultats socialement. Cela, alors, pas du tout.

Je crois que je le voudrais parce qu'enfin, une fois qu'on a fait un travail, il n'y a pas de raison pour ne pas en profiter, mais je n'y arrive pas du tout. Comme on fait un travail collectif, eux ils publient, il y a mon nom dessus mais ... c'est pas moi qui arrive à rédiger les choses. Je participe activement au travail de recherche, d'élaboration, enfin cela me passionne ... quand ça marche, mais pas du tout au travail de mise en forme et de rédaction après ... La recherche c'est un plaisir vraiment personnel, il y a quelque chose de narcissique là-dedans; enfin, ce plaisir de comprendre, de dire, "moi je suis capable de comprendre".

- N: Un plaisir personnel ?

- M: Oui, et tout ce qui est social, derrière, cela me plaît moins.

- N: Un plaisir non partagé.

- M: Quand je recherche dans l'équipe de quatre ou cinq personnes dans laquelle je travaille à ... X ... au contraire, il y a un grand plaisir à partager la découverte, on délire, c'est souvent le délire, on associe, on fait des choses qui parfois ... le lendemain on s'aperçoit qu'on a raconté plein de bêtises, de conneries, mais c'est là, c'est grâce à ces séances que quelquefois, on trouve quelque chose.

- N: Un plaisir qui ne peut être reconnu, alors ?

- M: Oui, peut-être, c'est ça la reconnaissance ... Oui, ou peut être, j'ai peur de ... de faire reconnaître socialement quelque chose qui a été un plaisir, c'est-à-dire tirer de l'argent d'un plaisir, quelque chose qui ...

- N: Ah oui, comment cela ?

- M: Quelque chose qui me bloquerait là-dedans, je ne sais pas, quelque chose que je découvre là. C'est ...

- N: A quoi cela vous fait penser ?

- M: C'est ... Ah, ça me fait penser à ce que mes parents pensent du travail. C'est-à-dire le travail, c'est pour eux une mortification, c'est quelque chose qu'il faut subir. Ils me font chier, il faut le dire vulgairement, bon ... ça, c'est sûrement cela l'origine du blocage. C'est cette conception qu'ont mes parents du travail qui était leur travail, quelque chose qu'il faut subir.

- N: II faut que le travail fasse chier.

- M: Et si on ne le subit pas ... eh bien! ce n'est pas valable, enfin il y a quelque chose de cela sûrement. Pendant très longtemps, j'ai été culpabilisé et très mal dans ma peau de tout le temps que j'avais de libre. Par exemple ce temps libre que j'ai, qui est un temps dont je peux disposer, soit pour faire de la recherche, soit pour faire autre chose. La recherche n'impose pas beaucoup d'obligations quand c'est en maths puisqu'on peut la faire chez soi; donc tout ce temps libre m'a fait peur pendant très longtemps. Je ne suis pas sûr d'en être dégagé enfin. Parce que chez moi il fallait se lever à 8 heures ou à 7 heures même, il fallait aller travailler enfin c'était très important et si on n'a plus cette espèce de garde-fou, alors ... à quoi on sert ? enfin qu'est-ce qu'on fait, est-ce qu'on mérite ce qu'on gagne, je crois qu'il y a de cela.

- N: Vous avez dit peur.

M: Oui.

- N: Comment cela ?

- M: Oui, peur.

- N: Pas simplement culpabilité ?

- M: Oui, c'est plus que la culpabilité, c'est autre chose ... la peur du vide, enfin la peur de n'avoir plus rien à faire, de se retrouver face à soi-même sans ... sans garde-fous sociaux. Enfin cela arrive souvent que des gens, lorsqu'ils ne travaillent plus ou qu'ils se trouvent dans une période de non-travail, sont effrayés. C'est ce qui m'est arrivé, enfin c'est ce qui m'est arrivé très, très fort après l'adolescence ... enfin quand je me suis retrouvé dans un travail où j'avais beaucoup de temps libre.

- N: Effrayé de ...

- M: Effrayé de ce temps dont je n'avais pas l'emploi, parce que je n'étais pas passionné par quelque chose qui m'aurait pris entièrement. J'avais beaucoup de possibilités et je ne savais pas les utiliser et je ne sais toujours pas. Je fais rien, pas plus maintenant, simplement je me suis peut-être habitué à l'idée que le temps, eh bien, il pouvait passer sans qu'on en fasse rien."

           Cet assistant ne peut parcourir la cinquième phase du travail de la création car son sur-moi (à l'image de celui de ses parents) le lui interdit "on ne doit pas tirer de l'argent d'un plaisir". Il faut donc que le travail (qui rapporte de l'argent) fasse "chier". Un travail qui n'est pas une contrainte, mais qui recèle un autre danger, celui d'être rien, d'être "du vide", de se couper des autres (les garde-fous sociaux) et de se retrouver face à soi-même.

           "Il est difficile à un auteur de dire que son oeuvre est terminée. Une façon d'éviter cette difficulté est de la laisser inachevée et de s'atteler à une nouvelle oeuvre ou à une autre tâche, sans laisser le temps à l'angoisse du vide, de la perte, analogue à la dépression post-puerpérale des accouchées, de s'installer ... c'est que créer est plus une façon de se défendre que de se dégager d'une dynamique dépressive, prompte à resurgir malgré l'avancement du travail et les succès éventuels des productions antérieures." (ANZIEU, loc. cit., pp. 127-128).

 

           La lecture de ces entretiens montre que l'on trouve les mêmes thèmes que chez les professeurs de mathématiques : les mathématiques, ensemble de règles (lois), construction, puissance de l'esprit, vérité, refuge, combat, etc.

           On retrouve les mêmes désirs d'organisation, de simplicité, d'unité, de cohérence, etc.

Mais il semble qu'ici l'objet mathématique prend un sens plus personnel, avec une position plus centrale dans la dynamique de la personne. Il semble même possible parfois de percevoir une ligne continue dans les divers travaux d'un même chercheur et son enracinement dans un même fantasme central qui l'anime. Les limites matérielles, un seul entretien, rendent du reste très difficiles et très hasardeuses de telles conclusions.

           Une autre conclusion peut également s'imposer. Pour tous ces grands mathématiciens, faire des mathématiques c'est avant tout mettre en association des images, des concepts, etc. qui peuvent, à première vue, paraître éloignés: les aspects démonstration, rédaction sont très secondaires et ne leur sont utiles que pour communiquer leurs résultats. II ne s'agit du reste que de la cinquième phase de l'acte créateur d'après Anzieu.

      Or dans notre enseignement des mathématiques n'est-ce pas surtout cet aspect qui est développé ? La logique déductive n'est-elle pas omniprésente dans nos programmes, dans nos problèmes, dans ce que l'on attend des élèves et dans l'enseignement de nos classes ?

           Ne devrait-on pas d'après ces témoignages faire une plus grande place à la logique des associations d'idées. Cette logique est comme on l'a vu à la source de toute créativité. C'est aussi elle qui préside à la construction des "représentations" diverses des mathématiques dont il faudra de plus en plus tenir compte dans la formation des enseignants pour une efficacité plus grande de notre enseignement.

     

 

Voir le texte d'Anzieu   

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<< J’enseigne les mathématiques et j’irai lire de nouveau l’article. Il dit beaucoup de choses veritables et pousse à la reflection sur ce qu’on fait avec les classes, comme on le fait ... et le plaisir qu’on peut recevoir dans cette activitée.>>
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