<<Il
n'est pas de découverte
féconde, dans les sciences comme
dans la création artistique,
politique ou philosophique, qui ne soit
une élaboration symbolique d'une
attitude imaginaire vis-à-vis
d'objets réels et tributaire de ce
fait, des relations avec des objets
internes>>
Didier
ANZIEU
montre que l'on peut distinguer cinq phases dans
toute oeuvre
créatrice.
"Le travail de la création parcourt
cinq phases: éprouver un
état de saisissement; prendre
conscience d'un représentant
psychique inconscient; l'ériger en
code organisateur de l'oeuvre et choisir
un matériau apte à doter ce
code d'un corps; composer l'oeuvre dans
ses détails; la produire au
dehors"
Cette grille permet
d'éclairer les entretiens de
mathématiciens publiés par ailleurs
sur ce site La
première phase décrite par Didier
ANZIEU est un saisissement intérieur, un
enregistrement passif d'un contenu qui remonte de
l'insconcient dans un sentiment
d'élargissement des frontières du soi
et dans une solitude absolue.
Ne peut-on observer des états analogues
lorsque le Professeur
PISOT évoque des
"déclics"
qui ont parfois lieu pendant la nuit et lorsque le
Professeur
RIGUET
décrit
"une
espèce d'instant où d'un seul coup
tout se dénoue ... comme on fait
l'amour" ? Ne
peut-on reconnaître ce même état
dans ces périodes de "possession
par un
problème"
décrites par le Professeur
THOM ? est celle de la
prise de conscience d'un
représentant psychique inconscient
qui se fait, entre autres, sous la forme
d'une révélation visuelle
ou auditive. L'exemple
donné par la
révélation d'un point commun
aux trois hauteurs d'un triangle,
perçue comme un miracle,
alors que l'attente était celle
d'un triangle engendrant un autre
triangle, me paraît être un
cas de cette prise de conscience.
Le
Professeur JOYAL
décrit ainsi cette
révélation: "Il y a une
sorte d'inconnue et puis, tout d'un coup,
"il
y a un petit coin de voile qui est
soulevé, et puis, on
voit".
La
théorie des
nombres comme origine nette et
claire
du Professeur
PISOT,
la
pièce obscure et la fenêtre
que l'on ouvre d'un seul
coup
décrites par le Professeur
RIGUET, me
semblent exprimer cette phase de
reconnaissance brusque d'un
représentant psychique
inconscient.
C'est la
poussée de certaines pulsions
libidinales ou agressives qui permet cette
remontée. Didier ANZIEU montre que
ceci peut se faire, soit dans une
liberté d'expression des
désirs, comme le dit le Professeur
BERGE qui a besoin
de confort, d'un beau spectacle, de fumer
pour
réfléchir,
soit dans un refoulement des pulsions
comme le dit le Professeur
RIGUET:
"Il
faut le refus d'une grande partie du monde
extérieur,
il faut que le monde qui vous est offert
en tant qu'enfant ou adolescent ne
présente pas tellement d'attrait
pour vous, parce que c'est dur, quand
même, le début des
mathématiques, si vous êtes
trop attiré par le monde
extérieur vous n'y parvenez
pas". est celle de
l'érection de ce
représentant psychique en code
organisateur, qui va modeler, organiser,
animer un matériau. C'est la phase
décrite par le Professeur
BERGE lorsqu'il
parle de la cristallisation de ses
pensées: "se
retrouver avec des pensées qu'on a
pu cristalliser et profiter du calme pour
les concrétiser sur le
papier";
plus loin, il s'agit de l'arrangement des
objets suivant des contraintes pour former
des configurations. C'est aussi le crible
des règles du Professeur
MALGRANGE qui
permet d'examiner
tous les cas
possibles
et de voir les choses se mettre en place
et qu'elles s'organisent, qu'elles se
mettent à vivre. C'est aussi
le
filtre et le
crible
du Professeur
LICHNÉROWICZ.
Ce code va animer un
matériau qui a pour but "d'offrir au
créateur une résistance
matérielle assez forte pour l'obliger
à des prouesses techniques" (ANZIEU,
loc. cit., p. 121). Ainsi, le Professeur
LICHNÉROWICZ
trouve du plaisir
à se cogner durement en
mathématiques;
il se bat contre des réalités et non
contre des fantasmes.
Ces trois
premières phases font appel au noyau
psychotique du chercheur, par leur caractère
quasi hallucinatoire ou délirant. "Un jour,
écrit POINCARÉ, nous montâmes
dans l'omnibus, au moment où je mis le pied
sur le marchepied l'idée me vint ... '.
Beaucoup de mathématiciens ont des
intuitions révélatrices analogues...
"Ces intuitions sont psychologiquement bien
voisines, pour ne pas dire identiques, à la
plupart de celles de délirants, d'autant
plus qu'elles s'accompagnent d'un sentiment de
certitude analogue" (LEMAIRE, Psychopathologie
de la pensée mathématique et du
mathématicien, Thèse pour le doctorat
de médecine, Paris, 1957, p. 48).
Mais c'est cette
capacité de pouvoir régresser tout en
s'auto-observant qui caractérise le
créateur:
"La
double capacité du moi de
tolérer l'angoisse face à un
moment qui peut donc être de nature
psychotique et de préserver,
pendant et aussitôt après la
dissociation-régression, un
dédoublement vigilant et
auto-observateur, spécifie le
créateur, en le distinguant du
malade mental, à qui fait
défaut au moins la première
capacité, et en le distinguant de
l'homme ordinaire, exposé comme
tout le monde à des
expériences momentanément
dissociatives et régressives mais
qui, dépourvu de la seconde
capacité, ne les exploite pas"
(ANZIEU, loc. cit., pp. 95-96).
Ce noyau
psychotique vis-à-vis duquel on sent parfois
une certaine angoisse chez certains
mathématiciens n'est donc pas un handicap
à la création, mais bien au contraire
sa source. Le handicap se situe du
côté des résistances à
la régression:
"La
régression créatrice est
freinée par la rigidité
défensive, par l'armure
caractérielle, par l'armature
névrotique du sujet, par la crainte
justifiée d'avoir à
affronter, chemin faisant, des angoisses
du type psychotique (annihilation,
dévoration, morcellement,
persécution, retrait). La
résistance à la
régression est une forme de la
résistance au changement: peur
de l'inconnu, de l'inquiétante
étrangeté de la
métamorphose" (ANZIEU, loc. cit.,
p. 98).
En particulier, la
double capacité du schize et de la
réalité, puis de la reprise en compte
de cette dernière, me paraît
être une des caractéristiques du
mathématicien. Voici deux passages
d'entretien illustrant cette double
capacité. Le premier est celui d'une femme
professeur de mathématiques: <<- P:
... (en mathématiques) il y a un
plaisir de sécurité qui
vient du fait que, cela m'arrive par
exemple si je suis déprimée
ou si j'ai un problème et que je ne
veux pas y penser, alors je suis tout
à fait capable de passer des heures
sur une situation mathématique ou
paramathématique, enfin,
c'est-à-dire, de pouvoir me
concentrer sur une activité
intellectuelle de réflexion et
complètement décollée
par rapport à toutes mes
préoccupations. C'est comme quand
je fais du rocher à Fontainebleau,
c'est-à-dire en me polarisant sur
une activité qui me demande une
forte concentration, il m'est possible
d'oublier totalement ce qui se passe au
dehors, cela m'est agréable. C'est
dans le domaine curatif. Les maths sont un
prétexte à une certaine
fuite. Le côté affectif est
mis de côté. - N: Vous
comparez cela à faire du rocher
? - P: Parce
que quand je fais du rocher durant trois
ou quatre heures, je ne sais pas ce qui
s'est passé durant ce temps. Je
regarde le rocher, je monte dessus, je
réfléchis où je vais
mettre mes mains et mes pieds, j'essaie
éventuellement, je tombe ou je
redescends. Et puis l'autre jour, je
réfléchissais: je ne sais
pas le temps qu'il a fait, je ne prends
pas de montre, je ne sais pas combien
d'heures j'ai passées. Oui, je
décolle, j'oublie
complètement la
réalité qui est autour. Et
quand je me mets dans un bouquin de maths,
ça m'arrive très souvent, je
commence le livre, je veux le finir, je
prends des notes et je décolle
complètement par rapport à
la pièce où je suis. C'est
un très grand plaisir pour moi. A
la fois, je dis que les maths, ça
me gêne qu'elles soient
décollées de la
réalité, et à
certains moments je m'en sers quand je
trouve que la réalité est
pénible, j'utilise les maths pour
m'en évader ... Je me pose une
question à ce sujet; je me dis, si
j'arrive si facilement à
décoller, c'est que les maths ne
sont pas si près que cela de la
réalité, sinon elles
devraient m'y ramener à la
réalité. Alors, là,
je crois que c'est ma manière de
vivre les maths comme ça. Je crois
que les maths en tant que telles n'ont pas
un sens ou une fonction, mais c'est ce
qu'on en fait, et pour moi, en ce moment,
je les vis de cette
façon-là, alors qu'à
d'autres moments au contraire je les
raccroche à la
réalité et je m'en sers pour
avoir une action sur la
réalité.>>
Quand une phase
dépressive apparaît, ce professeur
peut la résoudre par une fuite dans la
régression créative, mais à
d'autres moments elle sent au contraire un besoin
défensif de rattacher les
mathématiques à la
réalité, peut-être pour s'y
rattacher elle-même.
Le deuxième
exemple est celui d'un mathématicien qui
décrit ces moments de recherche: "- M: (Les
mathématiques) C'est une drogue,
comment dire, dure ou douce, c'est une
drogue très forte mais qui n'a pas
les inconvénients qu'ont les
drogues dures. C'est une drogue dure sans
inconvénient donc elle est douce.
Quand je me plongeais dans une petite
crise de recherche ou d'admiration des
maths des autres, je sortais de la
réalité mais j'y rentrais
ensuite facilement, je suis très
équilibrée, ça c'est
sûr ... Je reprends contact
facilement avec la réalité;
mais je ne suis pas toujours dans la
même réalité. J'ai des
moments où je me donne plus
à tel ou tel aspect de la
réalité, d'autres à
tel autre. Un bon repas et bien d'autres
aspects de la réalité sont
très importants pour moi
aussi. - N: Vous
avez l'impression de sortir de la
réalité quand vous faites
des maths ? - M: Ah
oui! Mieux, beaucoup mieux qu'avec un bon
repas. Je suis gastronome, mais durant un
bon repas ce qui est autour de moi compte,
la conversation, par exemple. Je sors
beaucoup mieux de la réalité
avec les maths."
On connaît le
pouvoir de régression des drogues et la
comparaison des mathématiques à une
drogue montre bien cette capacité du
mathématicien de régresser qui
entraîne un investissement provisoirement
moins important de la réalité
objectale. du travail
créateur décrite par Didier
ANZIEU porte sur la composition de
l'oeuvre dans ses détails qu'il
apparente à la
névrotisation; c'est la
période des formations de
compromis. C'est aussi la phase de travail
décrite par plusieurs
mathématiciens. Le
Professeur JOYAL,
lorsqu'un problème lui paraît
naturel, dit "j'ai
davantage de motivations pour y
travailler, je peux travailler durant des
mois sur une
question".
C'est aussi la guerre épuisante du
travail du Professeur
KUIPER:
travail qui lui permet de remplacer trois
pages par trois
lignes.
Autrement dit, un
processus de
condensation,
parfaitement décrit
également par le
Professeur
RIGUET:
"Parce
que c'est toujours cette espèce de
rêve que j'ai en moi de condenser,
d'avoir un instrument qui me permette de
condenser au maximum, qui me permette
d'avoir prise sur un immense empire, si
vous voulez, au moyen de tout-petits
germes, de tout-petits embryons ...
n'est-ce- pas ... le ne sais pas si vous
vous rendez compte ... le nombre de
volumes imprimés qu'on peut
résumer d'un seul coup à
l'aide d'un simple tome de BOURBAKI ... un
énorme travail de condensation.
"
Ce petit germe, ce
petit embryon, manifestation unique qui
"représente à elle seule plusieurs
chaînes associatives à l'intersection
desquelles elle se trouve. Du point de vue
économique elle est alors investie des
énergies qui, attachées à ces
différentes chaînes s'additionnent sur
elle" (LAPLANCHE et PONTALIS, Vocabulaire de la
psychanalyse, Paris, Puf, p. 89).
On conçoit le
plaisir et l'investissement qui peuvent être
attachés à la découverte de
pareils germes.
Cette phase
éclaire aussi le
désir de polissage de
l'ouvrage
expliqué par le Professeur BERGE ou encore
l'ascèse
intellectuelle,
demandée par le travail mathématique,
évoquée par le Professeur
LICHNÉROWICZ. du travail créateur -
la dernière - consiste à produire au
dehors l'uvre accomplie, accompagnée
de sentiments de honte, de dépossession, de
mégalomanie.
Le
Professeur MALGRANGE
exprime la surprise qu'il a eue au retentissement
d'une de ses découvertes: "en
ayant fait ma thèse, je me suis
aperçu que j'étais un
spécialiste connu du sujet, alors je me suis
mis à
l'apprendre
!".
Le
Professeur PISOT
exprime, lui, le plaisir qu'il
éprouve à exposer son
travail "quand
on a trouvé une jolie chose, il
faut quand même un public auquel la
raconter."
Mais ce
n'est pas toujours aussi facile. Voici un
passage d'entretien d'un assistant de
mathématiques qui exprime les
difficultés qu'il rencontre
à faire valider socialement son
travail de recherche: "- M: Dans
une recherche je n'arrive pas à
travailler en vue d'une validation
sociale. C'est-à-dire que j'arrive
à travailler quand je trouve des
gens avec qui ça marche
affectivement, parce que c'est très
important en recherche. Oh, il faut une
équipe pour que ça marche,
il faut des gens avec qui on s'entende
bien et puis auxquels on s'identifie,
qu'il y ait quelque chose de l'ordre de
l'amour dedans, sinon ça ne marche
pas. Cela j'y arrive un peu. J'arrive
à faire de la recherche. Là,
il y a des moments d'excitation
extraordinaire, c'est très
chouette, mais par contre, je n'arrive pas
par exemple à écrire un
article, à valider ces
résultats socialement. Cela, alors,
pas du tout. Je crois que je
le voudrais parce qu'enfin, une fois qu'on
a fait un travail, il n'y a pas de raison
pour ne pas en profiter, mais je n'y
arrive pas du tout. Comme on fait un
travail collectif, eux ils publient, il y
a mon nom dessus mais ... c'est pas moi
qui arrive à rédiger les
choses. Je participe activement au travail
de recherche, d'élaboration, enfin
cela me passionne ... quand ça
marche, mais pas du tout au travail de
mise en forme et de rédaction
après ... La recherche c'est un
plaisir vraiment personnel, il y a quelque
chose de narcissique là-dedans;
enfin, ce plaisir de comprendre, de dire,
"moi je suis capable de
comprendre". - N: Un
plaisir personnel ? - M: Oui,
et tout ce qui est social,
derrière, cela me plaît
moins. - N: Un
plaisir non partagé. - M: Quand
je recherche dans l'équipe de
quatre ou cinq personnes dans laquelle je
travaille à ... X ... au contraire,
il y a un grand plaisir à partager
la découverte, on délire,
c'est souvent le délire, on
associe, on fait des choses qui parfois
... le lendemain on s'aperçoit
qu'on a raconté plein de
bêtises, de conneries, mais c'est
là, c'est grâce à ces
séances que quelquefois, on trouve
quelque chose. - N: Un
plaisir qui ne peut être reconnu,
alors ? - M: Oui,
peut-être, c'est ça la
reconnaissance ... Oui, ou peut
être, j'ai peur de ... de faire
reconnaître socialement quelque
chose qui a été un plaisir,
c'est-à-dire tirer de l'argent d'un
plaisir, quelque chose qui
... - N: Ah oui,
comment cela ? - M:
Quelque chose qui me bloquerait
là-dedans, je ne sais pas, quelque
chose que je découvre là.
C'est ... - N: A quoi
cela vous fait penser ? - M: C'est
... Ah, ça me fait penser à
ce que mes parents pensent du travail.
C'est-à-dire le travail, c'est pour
eux une mortification, c'est quelque chose
qu'il faut subir. Ils me font chier, il
faut le dire vulgairement, bon ...
ça, c'est sûrement cela
l'origine du blocage. C'est cette
conception qu'ont mes parents du travail
qui était leur travail, quelque
chose qu'il faut subir. - N: II faut
que le travail fasse chier. - M: Et si
on ne le subit pas ... eh bien! ce n'est
pas valable, enfin il y a quelque chose de
cela sûrement. Pendant très
longtemps, j'ai été
culpabilisé et très mal dans
ma peau de tout le temps que j'avais de
libre. Par exemple ce temps libre que
j'ai, qui est un temps dont je peux
disposer, soit pour faire de la recherche,
soit pour faire autre chose. La recherche
n'impose pas beaucoup d'obligations quand
c'est en maths puisqu'on peut la faire
chez soi; donc tout ce temps libre m'a
fait peur pendant très longtemps.
Je ne suis pas sûr d'en être
dégagé enfin. Parce que chez
moi il fallait se lever à 8 heures
ou à 7 heures même, il
fallait aller travailler enfin
c'était très important et si
on n'a plus cette espèce de
garde-fou, alors ... à quoi on sert
? enfin qu'est-ce qu'on fait, est-ce qu'on
mérite ce qu'on gagne, je crois
qu'il y a de cela. - N: Vous
avez dit peur. M:
Oui. - N: Comment
cela ? - M: Oui,
peur. - N: Pas
simplement culpabilité ? - M: Oui,
c'est plus que la culpabilité,
c'est autre chose ... la peur du vide,
enfin la peur de n'avoir plus rien
à faire, de se retrouver face
à soi-même sans ... sans
garde-fous sociaux. Enfin cela arrive
souvent que des gens, lorsqu'ils ne
travaillent plus ou qu'ils se trouvent
dans une période de non-travail,
sont effrayés. C'est ce qui m'est
arrivé, enfin c'est ce qui m'est
arrivé très, très
fort après l'adolescence ... enfin
quand je me suis retrouvé dans un
travail où j'avais beaucoup de
temps libre. - N:
Effrayé de ... - M:
Effrayé de ce temps dont je
n'avais pas l'emploi, parce que je
n'étais pas passionné par
quelque chose qui m'aurait pris
entièrement. J'avais beaucoup de
possibilités et je ne savais pas
les utiliser et je ne sais toujours pas.
Je fais rien, pas plus maintenant,
simplement je me suis peut-être
habitué à l'idée que
le temps, eh bien, il pouvait passer sans
qu'on en fasse rien."
"Il est
difficile à un auteur de dire que
son oeuvre est terminée. Une
façon d'éviter cette
difficulté est de la laisser
inachevée et de s'atteler à
une nouvelle oeuvre ou à une autre
tâche, sans laisser le temps
à l'angoisse du vide, de la perte,
analogue à la dépression
post-puerpérale des
accouchées, de s'installer ...
c'est que créer est plus une
façon de se défendre que de
se dégager d'une dynamique
dépressive, prompte à
resurgir malgré l'avancement du
travail et les succès
éventuels des productions
antérieures." (ANZIEU, loc.
cit., pp. 127-128).
La
lecture de ces entretiens montre que l'on
trouve les mêmes thèmes que
chez les professeurs de
mathématiques : les
mathématiques, ensemble de
règles (lois), construction,
puissance de l'esprit,
vérité, refuge, combat,
etc.
On
retrouve les mêmes désirs
d'organisation, de simplicité,
d'unité, de cohérence,
etc. Mais il semble
qu'ici l'objet mathématique prend
un sens plus personnel, avec une position
plus centrale dans la dynamique de la
personne. Il semble même
possible parfois de percevoir une ligne
continue dans les divers travaux d'un
même chercheur et son enracinement
dans un même fantasme central qui
l'anime. Les limites matérielles,
un seul entretien, rendent du reste
très difficiles et très
hasardeuses de telles
conclusions.
Une autre
conclusion peut également
s'imposer. Pour tous ces grands
mathématiciens, faire des
mathématiques c'est avant tout
mettre en association des images, des
concepts, etc. qui peuvent, à
première vue, paraître
éloignés: les aspects
démonstration, rédaction
sont très secondaires et ne leur
sont utiles que pour communiquer leurs
résultats. II ne s'agit du reste
que de la cinquième phase de l'acte
créateur d'après
Anzieu.
Or dans
notre enseignement des
mathématiques n'est-ce pas surtout
cet aspect qui est développé
? La logique déductive n'est-elle
pas omniprésente dans nos
programmes, dans nos problèmes,
dans ce que l'on attend des
élèves et dans
l'enseignement de nos classes
?
Ne
devrait-on pas d'après ces
témoignages faire une plus grande
place à la
logique des associations
d'idées.
Cette logique est comme on l'a vu à
la source de toute
créativité. C'est aussi elle
qui préside à la
construction des "représentations"
diverses des mathématiques dont il
faudra de plus en plus tenir compte dans
la formation des enseignants pour une
efficacité plus grande de notre
enseignement.
Réaction
C'est une phase qui
ne se produit en profondeur que rarement: comme le
dit le Professeur
THOM, le
mathématicien n'a que deux ou trois
idées dans sa vie.
Didier ANZIEU
décrit deux attitudes du chercheur devant ce
code, soit un souci de pureté que l'on
trouve à la lecture de certains passages des
entretiens et qu'il associe à la
rétention, soit, associée
à l'expulsion, une attitude
d'acceptation de se salir les mains telle qu'elle
est décrite par le Professeur
THOM qui fait allusion
aux théories
propres et aux théories
sales en
mathématiques.
Cet assistant ne peut
parcourir la cinquième phase du travail de
la création car son sur-moi (à
l'image de celui de ses parents) le lui interdit
"on ne doit pas tirer de l'argent d'un plaisir". Il
faut donc que le travail (qui rapporte de l'argent)
fasse "chier". Un travail qui n'est pas une
contrainte, mais qui recèle un autre danger,
celui d'être rien, d'être "du vide", de
se couper des autres (les garde-fous sociaux) et de
se retrouver face à
soi-même.
<<
Jenseigne les mathématiques et
jirai lire de nouveau larticle. Il
dit beaucoup de choses veritables et pousse
à la reflection sur ce quon fait
avec les classes, comme on le fait ... et le
plaisir quon peut recevoir dans cette
activitée.>>