La guerre mathématique

- N: Quand vous faites des mathématiques, qu'est-ce que vous ressentez ?

- K: ... c'est une sorte de guerre ! parce qu'on aboutit ou on n'aboutit pas ... et ça continue tout le temps.

- N: Une sorte de guerre ?

- K: Oui ... il faut travailler beaucoup, on s'épuise ! (rires) Moi, je trouve que faire des mathématiques c'est très épuisant. On n'aboutit pas toujours à de grands résultats; ce n'est pas possible, mais néanmoins, on peut être très fatigué... Quand j'étais professeur de lycée, j'avais observé que si je travaillais tard le soir, jusqu'à deux heures du matin, le lendemain les enfants n'étaient pas obéissants, parce que j'avais les yeux trop petits et que je ne pouvais pas les diriger assez ... ! Et maintenant c'est un ennui de ma situation: il est nécessaire que je reste frais, que je puisse réagir; je ne peux pas me permettre d'être trop fatigué et cela m'ennuie au moment où je veux vraiment faire des mathématiques ...

- N: Et alors, vous sentez ça un peu comme un combat, comme une guerre ?

- K: Le mot guerre n'est pas tellement bon ... parce que je ne suis pas combatif vis-à-vis des autres gens, je ne suis pas ambitieux non plus. Parce que j'ai eu tout ce que je voulais à ce propos, je n'ai pas à avoir d'ambition; ce n'est pas nécessaire. Il y a heureusement beaucoup de grands mathématiciens qui n'ont pas d'ambition non plus, mais par contre il y en a d'autres qui en ont, même si ce sont pourtant de grands mathématiciens mondialement reconnus. La force en mathématique et l'ambition d'être reconnu sont des propriétés indépendantes !

 

Le bonheur apporté par les mathématiques

Quand on fait des mathématiques, il y a des stades divers: je me souviens d'un problème auquel j'ai réfléchi pendant quelques années: j'en parlais avec des gens, ici et là ... on avait une certaine idée: ça doit être ceci ... non pas possible de démontrer ceci. Bon, on continue; après six mois, on revient. On parle de nouveau avec les mêmes gens qui s'intéressent aussi à ce problème. Alors un certain jour j'ai dit: ah ! mais ce peut être ceci. J'étais avec un ami qui a immédiatement dit et trouvé que c'était faux. Il a hésité, mais il a dit une petite chose, découvert une petite chose très importante; et j'ai trouvé ensuite la solution, pendant un mois de "congé", source de grand bonheur.

A ce moment-là, une certaine proposition était vraie mais l'ensemble des arguments était encore laid. C'est un problème sur lequel nous avons passé quatre années; puis nous avons fait une prépublication dans un compte rendu et ensuite, nous avons encore beaucoup travaillé pour présenter une publication bien cohérente et belle. Il faut continuer à travailler, parce que si on peut remplacer trois pages par trois lignes, cela améliore la situation et on est très heureux. Si trois pages deviennent trois lignes, c'est formidable, merveilleux et donne beaucoup de bonheur.