Le plaisir de se cogner

- N: Et vous voyez une relation entre les mathématiques et cette période de votre enfance, cette façon de travailler seul …

- L: Peut-être … non; la vérité c'est que les mathématiques m'ont toujours apporté une joie d'honnêteté intellectuelle. Lorsque vous avez une activité proprement littéraire, vous vous auto-évaluez très mal et ceci pour l'enfant est proprement déplaisant. Ce que je trouvais extrêmement agréable en mathématiques, c'était que je me cognais durement; l'art de faire des mathématiques, aussi bien comme écolier que comme mathématicien, consiste souvent à "sécher" la moitié du temps. Quand on se cogne, on se cogne, mais quand on a vu une difficulté, triomphé d'elle, eh bien on est sûr d'y être arrivé. il y a une certaine objectivité.

Avec l'âge, j'ai appris que ce n'était pas seulement cette objectivité qui était importante, il y a à l'intérieur des mathématiques ... un jugement de valeur qui vous dit si certaines mathématiques sont belles et fécondes, ont une valeur ... mais, de toutes façons, elles sont ou elles ne sont pas? ... Ce qui est beaucoup plus difficile pour d'autres activités intellectuelles.

- N: Il y avait un certain plaisir, autrement dit, à se cogner contre quelque chose.

- L: C'était un très grand plaisir de se cogner.

 

La sécurité apportée par les mathématiques

- N: Pourquoi ?

- L: Pourquoi ... parce que vous ne vous battez pas avec des fantômes ... Vous vous battez avec votre esprit fonctionnant dans les réalités et quand les choses ne vont pas, vous vous en apercevez durement. Ce qui est un motif de sécurité et non pas d'insécurité.

- N: Se battre avec son esprit, autrement dit.

- L: Se battre avec son esprit, dans la mesure où votre esprit est l'esprit de tout le monde. Le fait que votre esprit ait vocation universelle est probablement très sécurisant.