- N: Ce n'est plus possible ...
- T: Peut-être que ce n'est plus possible oui; je n'ai plus assez d'intérêt pour les problèmes proprement mathématiques pour me laisser accaparer par eux. Je pense que la plupart des mathématiciens connaissent dans leur existence un moment de crise où ils sont pris de doute sur la valeur de ce qu'ils ont fait. Surtout en face de la stérilité montante qui arrive avec l'âge, il est très difficile d'éviter ce genre de crise ... Moi, j'ai réagi en m'intéressant à autre chose que les mathématiques; je pense que ce n'est pas une mauvaise méthode.
- N: C'est une crise vraiment ?
- T Oui, ça se présente un peu comme une crise, je crois. Enfin, je ne sais pas si on peut en tirer des lois générales, mais ça se présente un peu comme une crise, oui. Chez moi, cette crise s'est présentée vers les années 58-60. Au fond, je crois qu'il en est en mathématiques comme dans les autres disciplines et c'est la même situation que celle que décrivait EINSTEIN à VALÉRY. EINSTEIN était allé rendre visite à VALÉRY, ou VALÉRY l'avait invité et là, évidemment, toujours très curieux de comprendre les mécanismes de la relativité, VALÉRY a posé des tas de questions à EINSTEIN et, en particulier, il lui a demandé; mais enfin, maître, est-ce que vous vous relevez la nuit pour noter vos idées sur un petit carnet ? Et EINSTEIN a laissé tomber: oh! vous savez des idées, on en a deux ou trois dans sa vie!
Bien ! c'est un peu mon impression aussi, pour mon ceuvre mathématique. Je crois que j'ai eu deux ou trois idées en mathématiques et le reste ce n'est jamais que de l'élaboration technique ... et encore, parmi ces idées, il y en a quelques unes qui étaient presqu'évidentes ...
|