- N: C'est tout de même un mot très fort. répulsion.
- T: Oui, c'est un mot fort mais, vous savez, c'est presque un mécanisme quasi sociologique; je pense à la théorie des groupes de LIE: BOURBAKI, à l'époque, ne parlait que de ça, dans les années 1955 et tous les gens étaient très excités au fond, moi, j'ai toujours eu un peu cet espèce de sentiment que, quand une théorie est trop adulée, je préfère ne pas m'en occuper; c'est comme quand une femme est trop belle, elle a trop de soupirants, eh ! bien, en général, ça m'apparait comme un obstacle insurmontable. Il y a des théories qui ont été trop courtisées et quand une théorie était trop courtisée, je m'en écartais ...
- N: Pourquoi ?
- T: Ah ! je ne sais pas; peut-être parce que justement j'avais le sentiment de n'être pas à la hauteur de la compétition, d'une part, et puis peut-être aussi le sentiment qu'on pouvait faire aussi bien ailleurs dans des zones qui étaient moins connues.
- N: Vous comparez les mathématiques à une femme ...
- T: Oui, ce n'est peut-être pas absolument dépourvu de fondement ... il y a des théories anguleuses et des théories rondes. Enfin la chose n'est peut-être pas correcte, je dirais plutôt qu'il y a des théories propres et des théories sales, et moi j'ai toujours plus de sympathie pour une théorie sale. Les théories propres sont les théories où les choses se présentent bien, où les concepts sont clairement définis, les problèmes plus ou moins bien définis également. Tandis que les théories sales sont les théories où on ne sait pas très bien où l'on va, on ne sait pas comment organiser les choses et où sont les principales directions etc. De ce point de vue là, en effet, je n'ai jamais été Bourbakiste, parce que BOURBAKI aime les choses propres; moi, je pense qu'il faut se salir les mains et même davantage parfois en mathématiques.
- N: Davantage ?
- T: Oui, enfin, je veux dire plus que les mains (rires).
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