LES
REACTIONS SYMPTOMATIQUES PERI- ET
POST-EVENEMENTIELLES
|
Les
réactions
péri-évènementielles se
manifestent lors de la confrontation à
l'agression et dans les minutes et les heures qui
lui succèdent. Les réactions
post-évènementielles se manifestent
lorsque le danger est écarté et que
la tension liée au stress de la
confrontation est retombée,
c'est-à-dire le lendemain, les premiers
jours et les premières semaines qui suivent
l'agression....
(formes
des agressions et délais entre l'agression
et l'entretien)
Réactions
physiologiques
|
L'agression
s'accompagne des manifestations de stress
classiques que sont :
tachycardie, modification du rythme respiratoire,
chaleur, contractures musculaires, etc.
Néanmoins, la surprise que suscite
l'agression et la rapidité avec laquelle
elle se déroule le plus souvent limitent le
souvenir de ces réactions d'alarme, et les
enseignants témoignent davantage des
manifestations liées à la
décharge émotionnelle qui a suivi
l'affrontement. Les pleurs qui témoignent de
la détresse ressentie et les tremblements
sont les deux manifestations les plus
fréquemment citées.
« Je
pleurais. J'étais complètement
effondrée »
(Agnès)
,
...« Je me suis complètement
écroulée. Je me suis mise à
pleurer, j'avais des hoquets. J'étais
tendue, j'avais du mal à parler. Je crois
que je tremblais »
(Sabine)
; ...
Les crises de larmes peuvent se
répéter mais s'estompent
généralement rapidement en quelques
heures. Elles laissent place selon les enseignants
à un état d'agitation ou à un
état de calme légèrement
hébété.
«
J'étais dans un état d'agitation
extrême. Je ne suis pas une calme en temps
normal mais là, je ne tenais pas en
place. J'avais besoin de sortir, de
m'aérer... »
(Sabine)
;...
A ce
stade l'humeur est essentiellement
dépressive et
la sensation de fatigue domine dans les jours qui
suivent l'agression.
«
J'étais quand même dans un
état comateux. J'étais
sonnée, vraiment sonnée.
J'étais toute molle, crevée,
groggy. Une loque »
(Agnès) ;
...
Lorsque l'agression prend la forme d'un
harcèlement au long cours, la fatigue
perdure elle aussi pour atteindre des sommets
sinistres :
« Je
rentrais chez moi, je baissais les volets et je
me mettais au lit. Chaque fois que j'ai eu des
classes difficiles j'ai eu tendance à me
reposer en revenant chez moi. Pour
décompresser. Mais là, ça
se prolongeait. Là, c'était
terrible. Des heures ou des après-midi.
J'étais couché. Puis plus envie de
vivre » (Hervé)
; « J'étais complètement au
bout du rouleau. Je ne tenais plus debout. C'est
même le proviseur qui m'a emmenée
aux urgences »
(Aude).
Centration
de l'attention
|
L'attention
est focalisée sur le souvenir de
l'agression.
Décortiquée, la scène est
continuellement remémorée ou
transformée en une issue plus favorable.
Dans les heures qui suivent l'agression, la
première nuit, le souvenir de
l'événement envahit la conscience des
enseignants qui se distancient souvent de leurs
activités quotidiennes habituelles et
présentent des difficultés à
trouver un sommeil réparateur. Si les
enseignants ont la chance de trouver le sommeil
quelques heures, ils s'endorment et se
réveillent en y pensant. Habituellement, le
lendemain de l'agression et les jours suivants,
cette fixation de l'attention
perdure...;
« Les
premières semaines, j'y pensais tout le
temps. J'en ai rêvé. Quand je me
retrouvais seule, ça revenait tout le
temps »
(Sylvie) ;
« J'avais du mal à
dormir la nuit. On se pose un tas de questions.
On tente d'oublier mais c'est toujours
là. Se réveiller la nuit. A
revivre la scène. A revivre la
scène, une fois de plus. Dans la
journée aussi. "Qu'est-ce que ça
peut bien faire ?" : on se dit ça quand
on n'est pas bien. Ca soulage trente secondes.
Et trente secondes après on le remet. On
fonctionne en boucle. Il y a des moments
où on arrive à ne plus y penser
pendant un certain temps, tout en sachant que
c'est là dans le fond. C'est dans le
marais. Et puis ça resurgit. Et puis on
recommence, etc. »
(Renaud)
;...
Durant quelques jours, l'enseignant est
matériellement toujours amené
à y penser. Les stimuli évocateurs ne
manquent pas. Les soins médicaux et les
diverses démarches administratives
enclenchées pour le dépôt de
plainte, les ITT ou les arrêts maladie ne
sont pas propices à l'oubli. De même,
les petites attentions des proches, des
collègues ou des élèves,
à travers par exemple la question anodine
« Ca va ? », sont un constant rappel de
l'agression. Tous n'étant pas exclus de
l'établissement, la
présence même des élèves
agresseurs dans la classe de l'enseignant ou dans
l'établissement est source de
réminiscences.
« Plusieurs
fois par jour, ça revient
obligatoirement. De toute façon, il y a
la place où elle était
déjà qui vous rappelle "Tiens,
elle était là. Elle a fait ceci,
elle a fait cela". Et quand vous avez votre
listing d'élèves, elle est
là aussi. Tout ça vous fait
replonger un petit peu dans le bain
» (Solange)
;...
Cet état de conscience focalisé
restreint les capacités des enseignants
à vaquer à leurs occupations
habituelles. Il
devient difficile de se concentrer sur une
quelconque activité, notamment
intellectuelle, tant l'esprit est accaparé
par l'agression subie.
...
« Je me
sentais vraiment dans l'incapacité de
travailler normalement. Au théâtre,
j'étais en dessous de tout. J'ai dit
à l'éducatrice "Il faut que tu
m'aides là". Je n'arrivais plus à
me concentrer »
(Catherine-2)
, « A la maison, je n'arrivais
à rien. Le soir, je n'ai rien pu faire.
Je n'arrivais à rien faire. Je n'arrivais
pas à faire les tâches courantes,
faire à manger...
»
(Martine).
Conjointement à ce syndrome de
réminiscence, se
développe un besoin unanime de verbaliser
à propos de ce qui a été
vécu. Toutes
les circonstances sont bonnes pour aborder le sujet
avec une personne qui ne serait pas encore au
courant. Les collègues, les proches et les
amis sont informés. Chaque rencontre, chaque
coup de fil est l'occasion de raconter et de
chercher un soutien affectif :
...«J'en
parlais tout le temps. J'étais tout le
temps en train d'en parler. A chaque fois que je
téléphonais, il fallait que je
raconte tout. J'étais tout le temps en
train d'en reparler »
(Martine).
Ce besoin de témoigner n'est pas
incompatible avec certaines conduites
d'évitement. Si l'enseignant essaye
véritablement de ne pas y penser lorsqu'il
est seul, il a au contraire besoin d'en parler et
d'aborder le sujet avec autrui. A moins de sentir
une certaine lassitude ou indifférence chez
son interlocuteur, les conversations liées
à l'agression font rarement l'objet
d'évitements persistants.
En revanche, quelques conduites d'évitement
s'observent concernant certains stimuli
évocateurs : activités, personnes,
lieux, ou plus simplement, pensées et
sentiments. Outre les arrêts maladie qui
peuvent être considérés comme
le meilleur exemple de conduite d'évitement
lorsque rien matériellement n'empêche
l'enseignant d'aller travailler hormis son
sentiment de fragilité, on note quelques
autres formes :
« C'est
très subtil. Je me suis aperçue
qu'il y avait un petit poids
supplémentaire, pas grand chose qui
faisait que je n'avais pas envie d'aller au
centre ville. J'avais un petit peu de mal aussi
à traverser la cité. Je le fais
quand même. Je le fais peut-être
moins souvent qu'avant. Je me suis dit "Si je me
laisse avoir comme ça, bientôt
effectivement je ne sortirai plus de chez moi".
Donc la réaction, c'est au contraire de
sortir » (Aude)
... «
On réduit le temps de présence
avec ses élèves. Après la
récréation, je vais traîner
5 minutes en salle des profs, c'est
déjà 5 minutes de gagnées.
Après, l'appel ce sera 5 minutes. Hop ! 5
minutes de gagnées. Tu leur colles une
petite interro, ça fait 10 minutes en
moins. Et, tu les relâches 5 minutes avant
l'heure... » (Marc).
Toutes
ces conduites sont étroitement liées
à l'angoisse que l'agression crée
chez l'enseignant. Ce
dernier redoute que l'adolescent ne s'en prenne
à nouveau à lui en mettant en oeuvre
ses menaces, en réitérant ses
insultes ou en (re)passant à l'acte. Ces
conduites visent également à
éviter d'être simplement
submergé par des émotions et un
cortège de réactions physiologiques
qui en elles-mêmes n'ont rien de plaisantes
lors de la confrontation à des stimuli
évoquant l'agression.
Pour un nombre important d'enseignants les
symptômes ont persisté parfois
gravement audelà d'un mois, gênant
dès lors leur adaptation d'une
manière beaucoup plus durable.
|
LES
REPERCUSSIONS
PSYCHO-TRAUMATIQUES
|
Les troubles durant au-delà d'un mois
recouvrent des réalités très
différentes d'un individu à l'autre.
La gamme comporte des cas modérés ou
sévères selon l'intensité et
la fréquence des manifestations, et des cas
complets ou incomplets selon le nombre et le type
des manifestations....
Le syndrome
de
répétition
|
Les manifestations cliniques des
réminiscences apparaissent de manière
itérative à l'esprit de l'enseignant
et le plus souvent sans temps de latence. Leur
survenance est indépendante de sa
volonté, même s'il ne cherche pas
forcément à les effacer de sa
pensée une fois installées. Les
souvenirs sont une modalité du syndrome de
répétition fréquemment
citée par les enseignants. Ils prennent la
forme de souvenirs forcés, de ruminations
mentales et d'hallucinations
involontaires.
Souvenirs
répétitifs et ruminations
mentales
|
Lors de souvenirs forcés, l'enseignant
repense à l'élève, à
son attitude générale à son
égard et plus particulièrement
à l'agression....
« J'ai
beaucoup de mal quand même à faire
le vide. Ca m'obsède tout le temps
» (Catherine-2).
Ces
souvenirs sont presque systématiquement
associés à des ruminations mentales
qui tournent autour de la
culpabilité,
autrement dit de ce qui aurait pu être fait
ou de ce qu'il aurait fallu ne pas faire pour ne
pas en arriver là. L'agression suscite des
interrogations insolubles sur sa signification, ses
causes ou ses conséquences. L'enseignant
passe des heures à essayer de comprendre,
à disséquer sa conduite et celle de
l'élève, à s'interroger sur
son avenir personnel ou professionnel ou encore
à ruminer sa rancune.
...« Il n'y
a pas un jour où je ne pense pas à
cette histoire. Pour essayer de comprendre,
comprendre ce qui a pu se passer. C'est une
énigme » (Ela)
; « Je
ruminais. A la limite, c'était plus une
rancoeur contre mon employeur. Contre
l'élève aussi bien entendu
» (Hervé)
; ...« On se dit "J'ai dû
faire une erreur, j'ai manqué à
mon travail, j'ai manqué à ma
parole. Pourquoi est-ce que ça m'arrive
à moi , etc., etc. »
(Florient)
;...
Reviviscences
de type hallucinatoire
|
A ces
souvenirs intellectualisés sont
associées des hallucinations
involontaires, qui ne
s'expriment quasiment que sur un mode visuel.
L'agression est reproduite dans son
intégralité scène par
scène ou par de petites touches
particulièrement significatives : souvent le
visage ou le regard de l'agresseur. Ces
hallucinations évoluent avec le temps. Elles
sont de moins en moins précises et de plus
en plus brèves....
« C'est
moins précis. C'est des flashs. Avant
c'était vraiment le déroulement
chronologique minute par minute, seconde par
seconde. Maintenant ce n'est que des flashs. Le
visage de la fille par exemple. La tête de
l'enquêtrice »
(Martine).
Circonstances de
survenue
|
Souvenirs
intrusifs, ruminations mentales et hallucinations
involontaires interviennent souvent à
l'improviste lorsque
l'enseignant est seul ou inoccupé. Le moment
du coucher est un moment privilégié
pour leur survenue. Ces souvenirs et leurs
préoccupations sous-jacentes empêchent
l'enseignant de trouver le sommeil ou de se
rendormir rapidement lorsqu'il se réveille
en pleine nuit. ...
« Je
m'endormais en pensant à ça, je me
réveillais en pensant à ça.
La nuit, je me réveillais, je repensais
à ça. Tout le temps, même
encore maintenant [à 6 mois]
» (Martine)
;
« J'ai peur des vacances. Moi, il
faut toujours que j'ai quelque chose à
faire parce que je cogite, je repense... Tous
les problèmes reviennent
»
(Marc).
Ces souvenirs interviennent également
très souvent à l'occasion de la
survenue d'un stimulus qui rappelle ou symbolise
l'agression. Il peut s'agir d'un stimulus
élémentaire directement lié
à l'agression, tel que la vision de
l'élève ou le lieu de la
confrontation. Il peut s'agir d'un stimulus
complexe en rapport avec l'agression, tel que les
expertises médicales, le jour du
procès ou encore la date anniversaire de la
confrontation elle-même. Enfin, il peut
s'agir d'un stimulus n'entretenant qu'un rapport
lointain avec l'agression, tel qu'une
émission sur la violence ou une chanson qui
reprend un mot prononcé lors de la
confrontation.
« J'y
pensais systématiquement quand je passais
devant sa maison. Maintenant, je n'y pense plus
à chaque fois »
(Sylvie)
, « Tout d'un coup, il y a quelque chose
qui va m'y faire penser : un film, une
émission, une couleur... »
(Ela)
...
Des
rêves désagréables et
angoissants sont signalés comme étant
associés au vécu lié à
l'agression. Ceux
décrits ne sont pas des copies conformes de
l'agression subie, représentant à
l'identique la scène, l'atmosphère,
les paroles, etc. Deux des trois cauchemars
présentés sont anciens. Ils sont
apparus à l'occasion d'une difficulté
antérieure à l'agression et
resurgissent pour cette circonstance de
manière
répétée.
« J'ai fait
beaucoup de cauchemars. J'en avais fait un peu
quand ils étaient venus chez moi. Je
rêvais qu'on rentrait dans la maison, etc.
J'ai refait ça mais alors c'est
décuplé. Des élèves
qui rentrent chez moi, qui courent partout dans
la maison. Mais je ne peux pas les
arrêter. Je n'ai aucun pouvoir sur eux. Et
puis aussi le pire... ça vraiment
ça m'a fait très mal. C'est des
grues cendrées. Elles étaient dans
le ciel dans mon cauchemar, elles volaient. Et
arrivaient des avions de guerre qui passaient
à travers le vol de grues et qui leurs
cassaient les ailes. C'est-à-dire que les
ailes mécaniques, les ailes rigides
cassaient les ailes vivantes. Oh, c'était
triste. C'était trop trop triste. Il n'y
avait pas de sang rien du tout, mais je voyais
les ailes qui étaient vivantes qui
devenaient rigides. C'est la mort qui l'emporte
sur la vie. C'est la violence qui gagne du
terrain, qui finit par casser tout. Qui m'a
cassée moi quelque part »
(Catherine-2)
;
« Je quittais le
collège à pieds. Il y a des
enfants qui me poursuivaient. Je m'enfermais
dans une cabine téléphonique. Ils
faisaient le siège de la cabine en
faisant des grimaces, etc., et je me sentais
complètement piégé. C'est
assez significatif. C'est une image frappante :
assiégé, entouré d'enfants
et assiégé. Je ne sais pas si
c'est des rêves endormis, des sortes de
cauchemars ou si ce sont des rêves
semi-éveillés quand je faisais des
siestes. C'est revenu à de nombreuses
reprises à chaque fois que j'ai eu des
soucis graves avec des enfants »
(Hervé).
Détresse et réactions
neurovégétatives
|
Souvenirs
intrusifs, ruminations mentales, hallucinations
involontaires et cauchemars de
répétition s'accompagnent
généralement d'un sentiment de
détresse et de réactions
neurovégétatives.
La détresse est liée aux sentiments
de peur, d'impuissance, d'injustice ou de
culpabilité ressentis par l'enseignant lors
de la confrontation à l'agression.
...
« Quand j'y
suis retourné, là j'avais les
jetons. Je tremblais, j'avais les mains moites,
j'étais pas bien du tout »
(Marc)
; «
Il y avait vraiment l'angoisse. Ca tirait
là dedans [le ventre] lorsque je
rencontrais les élèves
»
(Gilles) ;
« Quand je 1'aî revu en ville
j'ai eu des palpitations. Cette impression d'un
cur qui bat très vite »
(Sylvie).
|
Les
altérations de la
personnalité
|
Les altérations de la personnalité
regroupent trois types de manifestations cliniques
: les symptômes d'évitement,
l'émoussement de la réactivité
générale et la restriction d'affects.
Spécifiques au traumatisme psychique, ces
altérations ne sont pas toujours
immédiates ou évidentes et
l'enseignant met parfois quelque temps à
s'apercevoir du changement. Un jour, il prend
conscience qu'il n'est plus tout à fait le
même et qu'il ne se comporte plus tout
à fait comme il l'aurait fait avant
l'agression.
Les
conduites d'évitement à
l'égard des stimuli susceptibles de rappeler
le traumatisme sont relativement
importantes
lorsqu'elles sont prises dans leur ensemble.... Si
les pensées liées à
l'agression reviennent sans arrêt à
l'esprit de l'enseignant, elles semblent
également bien difficiles à
déloger. ...Des tentatives existent
néanmoins, rarement concluantes.
« Vite vous
revenez les pieds sur terre et vous dites "Eh !
oublie ça et reviens à ton travail
! Ressaisis-toi !" »
(Solange)
; « Je fais du ménage
frénétiquement chez moi parce que
j'ai besoin de faire le ménage dans ma
tête. J'ai besoin de chasser certaines
idées négatives comme je nettoie
les tâches. Je fais du ménage que
je n'ai jamais fait. Jamais. C'est colossal le
travail que j'ai pu faire. Jusqu'à
l'impossibilité physique. C'est ma
façon de me ressourcer. Dans des
activités concrètes :
ménage, jardinage... »
(Catherine-2).
Les conduites d'évitement relatives à
l'agresseur et au lieu de l'agression sont plus
fréquentes bien qu'elles aussi relativement
modérées.
« Je l'ai
croisée en ville trois fois. Je me suis
fait toute petite, je suis vite passée.
Je n'ai pas demandé mon reste
» (Agnès)
, ...« L'enceinte où je
m'étais fait agressé, j'avais du
mal à y entrer. C'est dingue, dingue,
dingue ! C'est un truc, tu ne
réfléchis même pas, tu
n'arrives pas à le faire. Et je ne
tournais pas le dos à cette putain de
porte. Je ne tournais pas le dos »
(Florient).
Souvent, l'enseignant n'a pas le choix. Son lieu de
travail étant le plus souvent la
scène de l'agression, il ne peut
éviter tout ce qui lui rappelle la
confrontation. L'évitement intervient
dès lors essentiellement dans la
sphère privée des choix de la vie
personnelle. Sinon, l'évitement intervient
sur le plan professionnel à travers par
exemple les mutations ou les arrêts
maladie....
Conjointement à ces conduites
d'évitement s'observent des réactions
d'hypervigilance, très rarement
évoquées dans les entretiens mais
très fortement mentionnées dans le
questionnaire de stress post-traumatique.... Plus
de la moitié des enseignants signalent une
plus grande vigilance depuis l'agression. En
état d'alerte et sur le qui-vive, ils
deviennent plus prudents et plus attentifs aux
stimulations environnantes évocatrices de
l'agression.
« A la
rentrée, j'ai commencé à
écrire et à écouter mieux,
écouter du mieux possible. J'ai
essayé d'avoir des informations les plus
précises possibles. J'écoutais
vraiment tout ce qui se passait.
J'écoutais vraiment de toutes mes
oreilles pour essayer de savoir qui. D'avoir des
noms, des certitudes. J'ai pris des notes aussi.
A chaque fois qu'il s'est passé un
incident, je l'ai écrit »
(Aude)
;
Résistance à
l'endormissement
|
La résistance à l'endormissement
proprement dite est exceptionnelle. Seule
Agnès témoigne de cette
difficulté. Parce qu'elle a reçu des
coups de fils anonymes et que sa sonnette
d'appartement retentit parfois en pleine nuit, elle
est terrorisée à l'idée que
son élève ou ses acolytes ne viennent
l'agresser chez elle. S'endormir signifierait
dès lors ne plus être à
l'écoute du moindre signal de danger.
Globalement, les enseignants ne semblent pas faire
obstacle à leur sommeil. Simplement, les
questionnements liés à l'agression et
l'état d'anxiété qui les
habite rendent l'endormissement plus difficile et
les réveils nocturnes plus fréquents.
Ils témoignent abondamment des troubles du
sommeil qui les affectent, et ce dès les
premiers jours qui suivent l'agression.
-Sentiment
d'avenir bouché
|
Les manifestations d'un émoussement de la
réactivité générale
s'expriment sur deux modes une impression d'avenir
bouché et une
perte d'intérêt pour des
activités antérieurement
motivantes. Les
perspectives professionnelles sont
sérieusement mises à mal par
l'agression et plus encore par l'attitude
subséquente du chef d'établissement.
Totalement désabusés, Ingrid et
Daniel par exemple n'attendent plus rien de leur
métier et décomptent les
années avant la retraite. Même si
l'activité d'enseignement en elle-même
ne leur déplaît pas, le
décalage est tel entre ce que leur
hiérarchie exige d'eux et le rôle
qu'ils estiment devoir tenir qu'ils n'imaginent pas
pouvoir continuer sereinement. Leur avenir
professionnel est appréhendé sans
enthousiasme et avec la béquille des
arrêts maladie qui peuvent leur être
délivrés par des
médecins.
« Ca ne fait
qu'accélérer ma hâte
d'échapper à mon emploi,
c'est-à-dire d'arriver à
l'âge de la retraite le plus tôt
possible. A un certain moment, quand tout marche
mal, on n'a pas envie de continuer, de
progresser »
(Hervé).
. ..Pour
Marc,
qui sort tout juste de l'IUFM la trahison de son
proviseur le fait douter de ses compétences.
Peut-être en effet qu'il n'est « pas
fait pour ce métier » se dit-il,
lui dont les élèves n'avaient pas
même imaginé qu'il était
stagiaire l'année précédente
et dont les enseignants avaient
précisé dans son dossier qu'il
était apte à travailler en zone
difficile. S'il est encore enseignant - et
très heureux de l'être - six ans plus
tard c'est un peu par «
lâcheté » et aussi
parce qu'il a eu la présence d'esprit de se
dire que s'il n'était pas fait pour
l'enseignement il s'en serait sans doute
aperçu plus tôt.
Eric
a une image professionnelle de lui totalement
détériorée. En arrêt
depuis de longs mois, rien ni personne ne lui
permet d'espérer une amélioration de
son état. « Je ne suis plus rien
parce que je ne travaille pas » dit-il.
Parce que l'élève qui l'a
agressée a porté plainte contre elle,
Martine
vit depuis des mois dans l'angoisse contenue mais
réelle d'être renvoyée de
l'Education Nationale.
Pour Catherine,
les deux agressions subies sont pour elle une
véritable rupture. Dans une jolie formule
pleine de déception, elle estime avoir rompu
avec l'image de « déesse du
collège » qu'elle pensait avoir
auprès de ses élèves. Elle
pensait par son action éducative pouvoir
empêcher ses élèves de devenir
des délinquants et leur donner le goût
de l'effort. Elle n'y croit plus. Brutalement, elle
ne se sent plus utile auprès de ce type
d'enfants et renonce à se consacrer à
eux.
Réduction d'intérêt
pour les loisirs et le
travail
|
Au niveau professionnel, les enseignants
témoignent d'un manque d'enthousiasme
à se remettre au travail ou plus souvent
d'une certaine prise de distance vis-à-vis
de leur implication. Bien que las depuis quelques
années déjà, Daniel et
Hervé ont perdu depuis l'agression la
motivation qui les maintenait hors de l'eau. «
Je n'avais plus envie de travailler, je n'avais
plus envie de faire cours », dit Hervé.
...Monique, qui s'était mise à
remanier ses cours juste avant l'agression, n'y a
plus touché pendant trois mois.
Comparativement aux années
précédentes, elle n'a pas non plus
montré le même enthousiasme pour
aiguiller ses élèves, nouvellement
diplômées, vers les offres d'emploi
qui lui étaient soumises par des employeurs
: « Je le fais moins, comme si quelque
chose s'était cassé
».
Le
désintérêt qui s'exprime pour
certaines activités professionnelles
s'étend parfois à la vie
personnelle. C'est
l'activité générale qui se
trouve réduite.
« Incapable de me
décider. Je sais que j'ai du rangement
à faire, je n'ai pas envie de le faire. Il y
a du travail personnel, ranger des papiers, j'ai
pas envie de le faire. J'ai envie de rien, de rien,
de rien. J'ai envie d'être loin,
d'échapper à tout ça
»
(Hervé)
,
Un
même détachement s'observe envers
autrui.... Un tiers
des enseignants en témoigne. Surtout, ils se
sentent incompris si ce n'est trahis. Les
sentiments d'incompréhension et
d'ingratitude sont forts, notamment à
l'égard de la hiérarchie directe et
indirecte. Les enseignants agressés
s'attendent à être soutenus
moralement, à ce qu'une procédure de
réparation soit enclenchée, à
être aidés dans leurs démarches
administratives, etc. Bien souvent il n'en est rien
et la déception est grande. Du fait de leur
statut, les attentes et les exigences sont immenses
à l'égard de la fonction publique.
Lorsque l'agression survient, ils se tournent
naturellement vers elle.
« Tu
t'attends toujours à être hyper
protégé, hyper renseigné,
hyper couvé. Tu t'attends à ce que
tes agresseurs soient hyper sanctionnés.
Et puis tu es vite déçu
»
(Florient).
Ils ne
tolèrent pas
de n'être pas davantage
considérés comme des victimes et,
à ce titre, défendus. Ils ne
tolèrent pas le laxisme qui donne tous les
pouvoirs aux élèves. Ils ne
tolèrent pas d'être mis en cause dans
leurs fonctions, eux qui font leur travail du mieux
possible et souvent avec passion. Critiques, ils ne
mâchent pas leurs mots pour exprimer leur
colère ou leur rancune envers l'attitude de
leur chef d'établissement, du recteur, du
ministre ou encore du procureur (cf. le chapitre
suivant sur le soutien social pour plus de
détails). L'irritabilité, dont
témoigne près de la moitié des
enseignants, le repli sur soi et la perte
d'intérêt ou de perspective sur le
plan professionnel trouvent aussi leur explication
dans cette déception. Le manque de
compréhension et le manque de
considération deviennent des agressions qui
s'ajoutent à celles des coups, des insultes
ou des menaces.
A noter néanmoins que pour quelques
enseignants, l'agression est après une
période de repli sur soi l'occasion de
s'ouvrir au monde et à autrui. L'agression
suscite des interrogations qui peuvent être
à l'origine d'une mutation positive des
relations avec son entourage. ...
« Moi qui
était un petit peu... je vais pas dire
fermé, mais un petit peu distant, un
petit peu personnel, j'ai beaucoup
évolué. Je suis devenu beaucoup
plus sociable et je prétends dans
l'établissement être très
ouvert, très très avenant avec un
côté de distance un peu
humoristique. J'ai changé à ce
niveau là. J'imagine que le fait d'avoir
eu à subir ça, ça a
suscité cette réaction. Parce que
soit on coule, psychologiquement on coule, soit
à un moment donné on dit "Stop !
T'arrête. C'est pas toi qui est
visé directement, la vie continue et mort
aux cons" » (Gilles).
|
Les
symptômes non spécifiques
associés
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Les symptômes non spécifiques
correspondent à des troubles divers et
variés qui vont de l'asthénie aux
troubles de la conduite en passant par les troubles
phobiques ou psychosomatiques.
Sous-tendue par une énorme
désillusion, près de la moitié
des enseignants parlent de fatigue, de lassitude ou
d'incapacité à se concentrer (. Le
cas le plus dramatique est sans conteste celui
d'Ingrid.
L'état d'épuisement est tel
après la résistance farouche à
la pression de sa hiérarchie qu'elle est
hospitalisée d'urgence et
séparée de son petit garçon
dont elle ne pouvait plus s'occuper correctement
:
« Quand j'ai
voulu les reprendre [les
élèves], je ne pouvais pas.
C'était pour moi un refus, mon esprit et
mon corps refusaient complètement donc
j'ai craqué. J'avais plus de force.
J'étais vraiment éreintée.
Je n'arrivais plus à dormir.
J'étais très fatiguée. Je
me levais quand je pouvais. Je suis
restée quelques temps à
végéter ».
Pour les autres, la fatigue physique ou psychique
prend la forme d'une symptomatologie plus banale.
« Quand je rentrais chez moi, je me
couchais » (Marc)
;...
Peurs,
panique et phobies
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Les
enseignants sont sujets à des peurs, des
angoisses, voire des phobies,
qu'ils ne ressentaient pas avant leur agression. La
plupart sont directement liées à
l'agression et dépassent les simples
conduites d'évitement du souvenir
désagréable : peur de
l'élève, peur des suites que peut
avoir une diffamation ou une rumeur, peur de la
manière dont la justice traitera l'affaire,
etc.
«
J'étais très stressée
pendant très longtemps parce que je
savais qu'elle faisait partie d'une bande. Je me
suis sentie menacée. J'osais plus sortir
le soir. Pendant très longtemps j'ai eu
la trouille. Je me sens en
insécurité totale. Maintenant j'ai
la trouille. J'ai peur de tout », dit
par exemple
Agnès qui
est agressée pour la seconde fois et dont
les réactions de peurs liées aux
deux agressions s'entremêlent.
Les conséquences incertaines de l'agression
représentent une part importante des
ruminations quotidiennes
exprimées.
« Ca
m'obsède. Comme dit l'inspecteur
d'académie aux fantasmes en
répondent d'autres et on est
complètement dans l'irrationnel. Oui !
Mais, un être humain ça fonctionne
aussi comme ça. Lui, il dit qu'on ne peut
pas empêcher les élèves de
fantasmer sur nous sur le plan amoureux. Et bien
nous, enseignants, on peut aussi avoir des
fantasmes d'angoisse par rapport à eux.
Aussi ! » (Catherine-2)
;
Quelques très rares troubles somatiques et
psychosomatiques sont présentés comme
les témoins visibles de la tension
ressentie. Le cas le plus dramatique concerne Marc,
qui a développé une agoraphobie avec
attaque de panique et peur de mourir à la
suite des nombreuses crises de spasmophilie qu'a
déclenchées son agression.
« J'ai peur
de mourir tout le temps, qu'il m'arrive un
accident, un arrêt cardiaque »,
me confie ce jeune homme dont
la vie s'est considérablement réduite
et aménagée autour de ses phobies. Il
panique dès qu'il se trouve en un lieu
inconnu ou trop peuplé : partir en vacances,
participer à la Fête de la musique ou
aller au cinéma sont des activités
totalement exclues. Parce qu'il lui est impossible
de veiller tard hors de chez lui sans être en
proie à une profonde angoisse, son cercle de
relations s'amoindrit de plus en plus. En outre,
les anxiolytiques, antidépresseurs et
neuroleptiques avec lesquels il évolue
depuis six ans ne l'ont en rien aidé
à dépasser ces phobies et lui ont
fait prendre trente kilogrammes.
Quelques conduites violentes sont
évoquées, mais dans l'ensemble les
enseignants ne témoignent que d'une plus
grande susceptibilité ou irritabilité
dans leurs relations sociales à la suite de
l'agression. Crises de colère, altercations
et provocations verbales ou physiques ont nuit
véritablement à la qualité des
relations sociales de deux enseignants.
...
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«
J'ai entamé une phase hyper violente
où j'étais agressif. Il m'est
arrivé en sport et partout des ennuis pas
possibles parce que je me lâchais sur tout
ce qui passait. J'évacuais comme
ça. J'évacuais en amochant tout ce
qui passait, en me battant, en gueulant, en
étant agressif. J'étais
globalement très irritable, très
agressif. En voiture, j'étais intenable.
Intenable ! Un vrai macho ! Je me suis
accroché je ne sais combien de fois. Je
suis descendu... Je me disais "Mais tu deviens
fou ou quoi !". Et puis ça s'est traduit
au boulot par de gros problèmes
relationnels. J'avais envie des fois de frapper
dans des sacs. De l'agressivité pure.
Physique. [...] Au bout d'un an, date
anniversaire, j'ai eu un trou de nouveau. Je me
suis dit "Hou là ! Où tu vas ?".
Je redevenais un peu fou fou. J'avais des
réactions hyper violentes »
(Florient)....
pp.
174-193
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Commentaire
<<J'ai 20 ans
de métier. J'ai fait l'erreur un jour de
présenter une vieille jurisprudence à
mes élèves, dans laquelle
était mentionnée une collègue,
lorsqu'elle était élève. Elle
avait fait de faux allégués contre un
prof (attouchements). Ma vie est un enfer depuis...
je vous laisse imaginer>>
<<Je me
reconnais dans ce que je viens de lire! Je suis
directrice d'école primaire, ai eu à
affonter des collègues difficiles...Sans me
sentir soutenue. Cela continue de me
réveiller chaque nuit et de me
préoccuper alors que cette personne a
quitté l'école. Bon courage à
tous ceux qui vivent de telles expériences!
Tenez bon!>>
<<Pour le (la
je n'aime pas ce barbarisme)professeur stagiaire.
Bon courage. Faire la discipline parce que les
élèves ne veulent pas apprendre et
vont droit dans le mur c'est une violence
quotidienne qui nous est faite. Fais ce que tu
veux, mais peut-être que si tu attends la fin
de l'année scolaire et que tu mesures les
changements tu verras les choses autrement en tout
cas tu sauras que tu as reussi à affronter
cela. Une prof qui pense à
démissionner depuis les 9 années
qu'elle enseigne.>>
<<Merci pour
ces témoignages intéressants. Je suis
moi-même professeur certifié
stagiaire, et je suis en train de me renseigner sur
les procédures à suivre en cas de
démission. Ce travail ne me rend pas
heureuse: je n'ai pas d'élèves
agressifs, mais turbulents et nombreux, et j'en ai
assez de faire de la discipline! je
préfère me reconvertir rapidement
avant de déprimer vraiment; je me sens
déjà bien déçue et
dégoûtée!>>
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