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L'agression : du stress au traumatisme

Anne Jolly

http://www.anne-jolly.com

Hypothèses de cette recherche - Corpus et méthodologie

PLAN DU SITE

LES REACTIONS SYMPTOMATIQUES PERI- ET POST-EVENEMENTIELLES

          Les réactions péri-évènementielles se manifestent lors de la confrontation à l'agression et dans les minutes et les heures qui lui succèdent. Les réactions post-évènementielles se manifestent lorsque le danger est écarté et que la tension liée au stress de la confrontation est retombée, c'est-à-dire le lendemain, les premiers jours et les premières semaines qui suivent l'agression....

(formes des agressions et délais entre l'agression et l'entretien)

Réactions physiologiques

           L'agression s'accompagne des manifestations de stress classiques que sont : tachycardie, modification du rythme respiratoire, chaleur, contractures musculaires, etc. Néanmoins, la surprise que suscite l'agression et la rapidité avec laquelle elle se déroule le plus souvent limitent le souvenir de ces réactions d'alarme, et les enseignants témoignent davantage des manifestations liées à la décharge émotionnelle qui a suivi l'affrontement. Les pleurs qui témoignent de la détresse ressentie et les tremblements sont les deux manifestations les plus fréquemment citées.

« Je pleurais. J'étais complètement effondrée » (Agnès) , ...« Je me suis complètement écroulée. Je me suis mise à pleurer, j'avais des hoquets. J'étais tendue, j'avais du mal à parler. Je crois que je tremblais » (Sabine) ; ...

           Les crises de larmes peuvent se répéter mais s'estompent généralement rapidement en quelques heures. Elles laissent place selon les enseignants à un état d'agitation ou à un état de calme légèrement hébété.

« J'étais dans un état d'agitation extrême. Je ne suis pas une calme en temps normal mais là, je ne tenais pas en place. J'avais besoin de sortir, de m'aérer... » (Sabine) ;...

           A ce stade l'humeur est essentiellement dépressive et la sensation de fatigue domine dans les jours qui suivent l'agression.

« J'étais quand même dans un état comateux. J'étais sonnée, vraiment sonnée. J'étais toute molle, crevée, groggy. Une loque » (Agnès) ; ...

           Lorsque l'agression prend la forme d'un harcèlement au long cours, la fatigue perdure elle aussi pour atteindre des sommets sinistres :

« Je rentrais chez moi, je baissais les volets et je me mettais au lit. Chaque fois que j'ai eu des classes difficiles j'ai eu tendance à me reposer en revenant chez moi. Pour décompresser. Mais là, ça se prolongeait. Là, c'était terrible. Des heures ou des après-midi. J'étais couché. Puis plus envie de vivre » (Hervé) ; « J'étais complètement au bout du rouleau. Je ne tenais plus debout. C'est même le proviseur qui m'a emmenée aux urgences » (Aude).

 

Centration de l'attention

           L'attention est focalisée sur le souvenir de l'agression. Décortiquée, la scène est continuellement remémorée ou transformée en une issue plus favorable. Dans les heures qui suivent l'agression, la première nuit, le souvenir de l'événement envahit la conscience des enseignants qui se distancient souvent de leurs activités quotidiennes habituelles et présentent des difficultés à trouver un sommeil réparateur. Si les enseignants ont la chance de trouver le sommeil quelques heures, ils s'endorment et se réveillent en y pensant. Habituellement, le lendemain de l'agression et les jours suivants, cette fixation de l'attention perdure...;

« Les premières semaines, j'y pensais tout le temps. J'en ai rêvé. Quand je me retrouvais seule, ça revenait tout le temps » (Sylvie) ; « J'avais du mal à dormir la nuit. On se pose un tas de questions. On tente d'oublier mais c'est toujours là. Se réveiller la nuit. A revivre la scène. A revivre la scène, une fois de plus. Dans la journée aussi. "Qu'est-ce que ça peut bien faire ?" : on se dit ça quand on n'est pas bien. Ca soulage trente secondes. Et trente secondes après on le remet. On fonctionne en boucle. Il y a des moments où on arrive à ne plus y penser pendant un certain temps, tout en sachant que c'est là dans le fond. C'est dans le marais. Et puis ça resurgit. Et puis on recommence, etc. » (Renaud) ;...

           Durant quelques jours, l'enseignant est matériellement toujours amené à y penser. Les stimuli évocateurs ne manquent pas. Les soins médicaux et les diverses démarches administratives enclenchées pour le dépôt de plainte, les ITT ou les arrêts maladie ne sont pas propices à l'oubli. De même, les petites attentions des proches, des collègues ou des élèves, à travers par exemple la question anodine « Ca va ? », sont un constant rappel de l'agression. Tous n'étant pas exclus de l'établissement, la présence même des élèves agresseurs dans la classe de l'enseignant ou dans l'établissement est source de réminiscences.

« Plusieurs fois par jour, ça revient obligatoirement. De toute façon, il y a la place où elle était déjà qui vous rappelle "Tiens, elle était là. Elle a fait ceci, elle a fait cela". Et quand vous avez votre listing d'élèves, elle est là aussi. Tout ça vous fait replonger un petit peu dans le bain » (Solange) ;...

           Cet état de conscience focalisé restreint les capacités des enseignants à vaquer à leurs occupations habituelles. Il devient difficile de se concentrer sur une quelconque activité, notamment intellectuelle, tant l'esprit est accaparé par l'agression subie. ...

« Je me sentais vraiment dans l'incapacité de travailler normalement. Au théâtre, j'étais en dessous de tout. J'ai dit à l'éducatrice "Il faut que tu m'aides là". Je n'arrivais plus à me concentrer » (Catherine-2) , « A la maison, je n'arrivais à rien. Le soir, je n'ai rien pu faire. Je n'arrivais à rien faire. Je n'arrivais pas à faire les tâches courantes, faire à manger... » (Martine).

           Conjointement à ce syndrome de réminiscence, se développe un besoin unanime de verbaliser à propos de ce qui a été vécu. Toutes les circonstances sont bonnes pour aborder le sujet avec une personne qui ne serait pas encore au courant. Les collègues, les proches et les amis sont informés. Chaque rencontre, chaque coup de fil est l'occasion de raconter et de chercher un soutien affectif :

...«J'en parlais tout le temps. J'étais tout le temps en train d'en parler. A chaque fois que je téléphonais, il fallait que je raconte tout. J'étais tout le temps en train d'en reparler » (Martine).

Conduites d'évitement

           Ce besoin de témoigner n'est pas incompatible avec certaines conduites d'évitement. Si l'enseignant essaye véritablement de ne pas y penser lorsqu'il est seul, il a au contraire besoin d'en parler et d'aborder le sujet avec autrui. A moins de sentir une certaine lassitude ou indifférence chez son interlocuteur, les conversations liées à l'agression font rarement l'objet d'évitements persistants.

           En revanche, quelques conduites d'évitement s'observent concernant certains stimuli évocateurs : activités, personnes, lieux, ou plus simplement, pensées et sentiments. Outre les arrêts maladie qui peuvent être considérés comme le meilleur exemple de conduite d'évitement lorsque rien matériellement n'empêche l'enseignant d'aller travailler hormis son sentiment de fragilité, on note quelques autres formes :

« C'est très subtil. Je me suis aperçue qu'il y avait un petit poids supplémentaire, pas grand chose qui faisait que je n'avais pas envie d'aller au centre ville. J'avais un petit peu de mal aussi à traverser la cité. Je le fais quand même. Je le fais peut-être moins souvent qu'avant. Je me suis dit "Si je me laisse avoir comme ça, bientôt effectivement je ne sortirai plus de chez moi". Donc la réaction, c'est au contraire de sortir » (Aude) ... « On réduit le temps de présence avec ses élèves. Après la récréation, je vais traîner 5 minutes en salle des profs, c'est déjà 5 minutes de gagnées. Après, l'appel ce sera 5 minutes. Hop ! 5 minutes de gagnées. Tu leur colles une petite interro, ça fait 10 minutes en moins. Et, tu les relâches 5 minutes avant l'heure... » (Marc).

           Toutes ces conduites sont étroitement liées à l'angoisse que l'agression crée chez l'enseignant. Ce dernier redoute que l'adolescent ne s'en prenne à nouveau à lui en mettant en oeuvre ses menaces, en réitérant ses insultes ou en (re)passant à l'acte. Ces conduites visent également à éviter d'être simplement submergé par des émotions et un cortège de réactions physiologiques qui en elles-mêmes n'ont rien de plaisantes lors de la confrontation à des stimuli évoquant l'agression.

           Pour un nombre important d'enseignants les symptômes ont persisté parfois gravement audelà d'un mois, gênant dès lors leur adaptation d'une manière beaucoup plus durable.

 
LES REPERCUSSIONS PSYCHO-TRAUMATIQUES

           Les troubles durant au-delà d'un mois recouvrent des réalités très différentes d'un individu à l'autre. La gamme comporte des cas modérés ou sévères selon l'intensité et la fréquence des manifestations, et des cas complets ou incomplets selon le nombre et le type des manifestations....

Le syndrome de répétition

           Les manifestations cliniques des réminiscences apparaissent de manière itérative à l'esprit de l'enseignant et le plus souvent sans temps de latence. Leur survenance est indépendante de sa volonté, même s'il ne cherche pas forcément à les effacer de sa pensée une fois installées. Les souvenirs sont une modalité du syndrome de répétition fréquemment citée par les enseignants. Ils prennent la forme de souvenirs forcés, de ruminations mentales et d'hallucinations involontaires.

Souvenirs répétitifs et ruminations mentales

           Lors de souvenirs forcés, l'enseignant repense à l'élève, à son attitude générale à son égard et plus particulièrement à l'agression....

« J'ai beaucoup de mal quand même à faire le vide. Ca m'obsède tout le temps » (Catherine-2).

           Ces souvenirs sont presque systématiquement associés à des ruminations mentales qui tournent autour de la culpabilité, autrement dit de ce qui aurait pu être fait ou de ce qu'il aurait fallu ne pas faire pour ne pas en arriver là. L'agression suscite des interrogations insolubles sur sa signification, ses causes ou ses conséquences. L'enseignant passe des heures à essayer de comprendre, à disséquer sa conduite et celle de l'élève, à s'interroger sur son avenir personnel ou professionnel ou encore à ruminer sa rancune.

...« Il n'y a pas un jour où je ne pense pas à cette histoire. Pour essayer de comprendre, comprendre ce qui a pu se passer. C'est une énigme » (Ela) ; « Je ruminais. A la limite, c'était plus une rancoeur contre mon employeur. Contre l'élève aussi bien entendu » (Hervé) ; ...« On se dit "J'ai dû faire une erreur, j'ai manqué à mon travail, j'ai manqué à ma parole. Pourquoi est-ce que ça m'arrive à moi , etc., etc. » (Florient) ;...

Reviviscences de type hallucinatoire

           A ces souvenirs intellectualisés sont associées des hallucinations involontaires, qui ne s'expriment quasiment que sur un mode visuel. L'agression est reproduite dans son intégralité scène par scène ou par de petites touches particulièrement significatives : souvent le visage ou le regard de l'agresseur. Ces hallucinations évoluent avec le temps. Elles sont de moins en moins précises et de plus en plus brèves....

« C'est moins précis. C'est des flashs. Avant c'était vraiment le déroulement chronologique minute par minute, seconde par seconde. Maintenant ce n'est que des flashs. Le visage de la fille par exemple. La tête de l'enquêtrice » (Martine).

Circonstances de survenue

           Souvenirs intrusifs, ruminations mentales et hallucinations involontaires interviennent souvent à l'improviste lorsque l'enseignant est seul ou inoccupé. Le moment du coucher est un moment privilégié pour leur survenue. Ces souvenirs et leurs préoccupations sous-jacentes empêchent l'enseignant de trouver le sommeil ou de se rendormir rapidement lorsqu'il se réveille en pleine nuit. ...

« Je m'endormais en pensant à ça, je me réveillais en pensant à ça. La nuit, je me réveillais, je repensais à ça. Tout le temps, même encore maintenant [à 6 mois] » (Martine) ; « J'ai peur des vacances. Moi, il faut toujours que j'ai quelque chose à faire parce que je cogite, je repense... Tous les problèmes reviennent » (Marc).

           Ces souvenirs interviennent également très souvent à l'occasion de la survenue d'un stimulus qui rappelle ou symbolise l'agression. Il peut s'agir d'un stimulus élémentaire directement lié à l'agression, tel que la vision de l'élève ou le lieu de la confrontation. Il peut s'agir d'un stimulus complexe en rapport avec l'agression, tel que les expertises médicales, le jour du procès ou encore la date anniversaire de la confrontation elle-même. Enfin, il peut s'agir d'un stimulus n'entretenant qu'un rapport lointain avec l'agression, tel qu'une émission sur la violence ou une chanson qui reprend un mot prononcé lors de la confrontation.

« J'y pensais systématiquement quand je passais devant sa maison. Maintenant, je n'y pense plus à chaque fois » (Sylvie) , « Tout d'un coup, il y a quelque chose qui va m'y faire penser : un film, une émission, une couleur... » (Ela) ...

-Rêves et cauchemars

           Des rêves désagréables et angoissants sont signalés comme étant associés au vécu lié à l'agression. Ceux décrits ne sont pas des copies conformes de l'agression subie, représentant à l'identique la scène, l'atmosphère, les paroles, etc. Deux des trois cauchemars présentés sont anciens. Ils sont apparus à l'occasion d'une difficulté antérieure à l'agression et resurgissent pour cette circonstance de manière répétée.

« J'ai fait beaucoup de cauchemars. J'en avais fait un peu quand ils étaient venus chez moi. Je rêvais qu'on rentrait dans la maison, etc. J'ai refait ça mais alors c'est décuplé. Des élèves qui rentrent chez moi, qui courent partout dans la maison. Mais je ne peux pas les arrêter. Je n'ai aucun pouvoir sur eux. Et puis aussi le pire... ça vraiment ça m'a fait très mal. C'est des grues cendrées. Elles étaient dans le ciel dans mon cauchemar, elles volaient. Et arrivaient des avions de guerre qui passaient à travers le vol de grues et qui leurs cassaient les ailes. C'est-à-dire que les ailes mécaniques, les ailes rigides cassaient les ailes vivantes. Oh, c'était triste. C'était trop trop triste. Il n'y avait pas de sang rien du tout, mais je voyais les ailes qui étaient vivantes qui devenaient rigides. C'est la mort qui l'emporte sur la vie. C'est la violence qui gagne du terrain, qui finit par casser tout. Qui m'a cassée moi quelque part » (Catherine-2) ;

« Je quittais le collège à pieds. Il y a des enfants qui me poursuivaient. Je m'enfermais dans une cabine téléphonique. Ils faisaient le siège de la cabine en faisant des grimaces, etc., et je me sentais complètement piégé. C'est assez significatif. C'est une image frappante : assiégé, entouré d'enfants et assiégé. Je ne sais pas si c'est des rêves endormis, des sortes de cauchemars ou si ce sont des rêves semi-éveillés quand je faisais des siestes. C'est revenu à de nombreuses reprises à chaque fois que j'ai eu des soucis graves avec des enfants » (Hervé).

Détresse et réactions neurovégétatives

           Souvenirs intrusifs, ruminations mentales, hallucinations involontaires et cauchemars de répétition s'accompagnent généralement d'un sentiment de détresse et de réactions neurovégétatives. La détresse est liée aux sentiments de peur, d'impuissance, d'injustice ou de culpabilité ressentis par l'enseignant lors de la confrontation à l'agression. ...

« Quand j'y suis retourné, là j'avais les jetons. Je tremblais, j'avais les mains moites, j'étais pas bien du tout » (Marc) ; « Il y avait vraiment l'angoisse. Ca tirait là dedans [le ventre] lorsque je rencontrais les élèves » (Gilles) ; « Quand je 1'aî revu en ville j'ai eu des palpitations. Cette impression d'un cœur qui bat très vite » (Sylvie).

 
Les altérations de la personnalité

           Les altérations de la personnalité regroupent trois types de manifestations cliniques : les symptômes d'évitement, l'émoussement de la réactivité générale et la restriction d'affects. Spécifiques au traumatisme psychique, ces altérations ne sont pas toujours immédiates ou évidentes et l'enseignant met parfois quelque temps à s'apercevoir du changement. Un jour, il prend conscience qu'il n'est plus tout à fait le même et qu'il ne se comporte plus tout à fait comme il l'aurait fait avant l'agression.

Conduites d'évitement

           Les conduites d'évitement à l'égard des stimuli susceptibles de rappeler le traumatisme sont relativement importantes lorsqu'elles sont prises dans leur ensemble.... Si les pensées liées à l'agression reviennent sans arrêt à l'esprit de l'enseignant, elles semblent également bien difficiles à déloger. ...Des tentatives existent néanmoins, rarement concluantes.

« Vite vous revenez les pieds sur terre et vous dites "Eh ! oublie ça et reviens à ton travail ! Ressaisis-toi !" » (Solange) ; « Je fais du ménage frénétiquement chez moi parce que j'ai besoin de faire le ménage dans ma tête. J'ai besoin de chasser certaines idées négatives comme je nettoie les tâches. Je fais du ménage que je n'ai jamais fait. Jamais. C'est colossal le travail que j'ai pu faire. Jusqu'à l'impossibilité physique. C'est ma façon de me ressourcer. Dans des activités concrètes : ménage, jardinage... » (Catherine-2).

           Les conduites d'évitement relatives à l'agresseur et au lieu de l'agression sont plus fréquentes bien qu'elles aussi relativement modérées.

« Je l'ai croisée en ville trois fois. Je me suis fait toute petite, je suis vite passée. Je n'ai pas demandé mon reste » (Agnès) , ...« L'enceinte où je m'étais fait agressé, j'avais du mal à y entrer. C'est dingue, dingue, dingue ! C'est un truc, tu ne réfléchis même pas, tu n'arrives pas à le faire. Et je ne tournais pas le dos à cette putain de porte. Je ne tournais pas le dos » (Florient).

           Souvent, l'enseignant n'a pas le choix. Son lieu de travail étant le plus souvent la scène de l'agression, il ne peut éviter tout ce qui lui rappelle la confrontation. L'évitement intervient dès lors essentiellement dans la sphère privée des choix de la vie personnelle. Sinon, l'évitement intervient sur le plan professionnel à travers par exemple les mutations ou les arrêts maladie....

Hypervigilance

           Conjointement à ces conduites d'évitement s'observent des réactions d'hypervigilance, très rarement évoquées dans les entretiens mais très fortement mentionnées dans le questionnaire de stress post-traumatique.... Plus de la moitié des enseignants signalent une plus grande vigilance depuis l'agression. En état d'alerte et sur le qui-vive, ils deviennent plus prudents et plus attentifs aux stimulations environnantes évocatrices de l'agression.

« A la rentrée, j'ai commencé à écrire et à écouter mieux, écouter du mieux possible. J'ai essayé d'avoir des informations les plus précises possibles. J'écoutais vraiment tout ce qui se passait. J'écoutais vraiment de toutes mes oreilles pour essayer de savoir qui. D'avoir des noms, des certitudes. J'ai pris des notes aussi. A chaque fois qu'il s'est passé un incident, je l'ai écrit » (Aude) ;

Résistance à l'endormissement

           La résistance à l'endormissement proprement dite est exceptionnelle. Seule Agnès témoigne de cette difficulté. Parce qu'elle a reçu des coups de fils anonymes et que sa sonnette d'appartement retentit parfois en pleine nuit, elle est terrorisée à l'idée que son élève ou ses acolytes ne viennent l'agresser chez elle. S'endormir signifierait dès lors ne plus être à l'écoute du moindre signal de danger. Globalement, les enseignants ne semblent pas faire obstacle à leur sommeil. Simplement, les questionnements liés à l'agression et l'état d'anxiété qui les habite rendent l'endormissement plus difficile et les réveils nocturnes plus fréquents. Ils témoignent abondamment des troubles du sommeil qui les affectent, et ce dès les premiers jours qui suivent l'agression.

-Sentiment d'avenir bouché

           Les manifestations d'un émoussement de la réactivité générale s'expriment sur deux modes une impression d'avenir bouché et une perte d'intérêt pour des activités antérieurement motivantes. Les perspectives professionnelles sont sérieusement mises à mal par l'agression et plus encore par l'attitude subséquente du chef d'établissement. Totalement désabusés, Ingrid et Daniel par exemple n'attendent plus rien de leur métier et décomptent les années avant la retraite. Même si l'activité d'enseignement en elle-même ne leur déplaît pas, le décalage est tel entre ce que leur hiérarchie exige d'eux et le rôle qu'ils estiment devoir tenir qu'ils n'imaginent pas pouvoir continuer sereinement. Leur avenir professionnel est appréhendé sans enthousiasme et avec la béquille des arrêts maladie qui peuvent leur être délivrés par des médecins.

« Ca ne fait qu'accélérer ma hâte d'échapper à mon emploi, c'est-à-dire d'arriver à l'âge de la retraite le plus tôt possible. A un certain moment, quand tout marche mal, on n'a pas envie de continuer, de progresser » (Hervé).

.          ..Pour Marc, qui sort tout juste de l'IUFM la trahison de son proviseur le fait douter de ses compétences. Peut-être en effet qu'il n'est « pas fait pour ce métier » se dit-il, lui dont les élèves n'avaient pas même imaginé qu'il était stagiaire l'année précédente et dont les enseignants avaient précisé dans son dossier qu'il était apte à travailler en zone difficile. S'il est encore enseignant - et très heureux de l'être - six ans plus tard c'est un peu par « lâcheté » et aussi parce qu'il a eu la présence d'esprit de se dire que s'il n'était pas fait pour l'enseignement il s'en serait sans doute aperçu plus tôt.

           Eric a une image professionnelle de lui totalement détériorée. En arrêt depuis de longs mois, rien ni personne ne lui permet d'espérer une amélioration de son état. « Je ne suis plus rien parce que je ne travaille pas » dit-il. Parce que l'élève qui l'a agressée a porté plainte contre elle, Martine vit depuis des mois dans l'angoisse contenue mais réelle d'être renvoyée de l'Education Nationale.

           Pour Catherine, les deux agressions subies sont pour elle une véritable rupture. Dans une jolie formule pleine de déception, elle estime avoir rompu avec l'image de « déesse du collège » qu'elle pensait avoir auprès de ses élèves. Elle pensait par son action éducative pouvoir empêcher ses élèves de devenir des délinquants et leur donner le goût de l'effort. Elle n'y croit plus. Brutalement, elle ne se sent plus utile auprès de ce type d'enfants et renonce à se consacrer à eux.

• Réduction d'intérêt pour les loisirs et le travail

           Au niveau professionnel, les enseignants témoignent d'un manque d'enthousiasme à se remettre au travail ou plus souvent d'une certaine prise de distance vis-à-vis de leur implication. Bien que las depuis quelques années déjà, Daniel et Hervé ont perdu depuis l'agression la motivation qui les maintenait hors de l'eau. « Je n'avais plus envie de travailler, je n'avais plus envie de faire cours », dit Hervé. ...Monique, qui s'était mise à remanier ses cours juste avant l'agression, n'y a plus touché pendant trois mois. Comparativement aux années précédentes, elle n'a pas non plus montré le même enthousiasme pour aiguiller ses élèves, nouvellement diplômées, vers les offres d'emploi qui lui étaient soumises par des employeurs : « Je le fais moins, comme si quelque chose s'était cassé ».

           Le désintérêt qui s'exprime pour certaines activités professionnelles s'étend parfois à la vie personnelle. C'est l'activité générale qui se trouve réduite.

« Incapable de me décider. Je sais que j'ai du rangement à faire, je n'ai pas envie de le faire. Il y a du travail personnel, ranger des papiers, j'ai pas envie de le faire. J'ai envie de rien, de rien, de rien. J'ai envie d'être loin, d'échapper à tout ça » (Hervé) ,

           Un même détachement s'observe envers autrui.... Un tiers des enseignants en témoigne. Surtout, ils se sentent incompris si ce n'est trahis. Les sentiments d'incompréhension et d'ingratitude sont forts, notamment à l'égard de la hiérarchie directe et indirecte. Les enseignants agressés s'attendent à être soutenus moralement, à ce qu'une procédure de réparation soit enclenchée, à être aidés dans leurs démarches administratives, etc. Bien souvent il n'en est rien et la déception est grande. Du fait de leur statut, les attentes et les exigences sont immenses à l'égard de la fonction publique. Lorsque l'agression survient, ils se tournent naturellement vers elle.

« Tu t'attends toujours à être hyper protégé, hyper renseigné, hyper couvé. Tu t'attends à ce que tes agresseurs soient hyper sanctionnés. Et puis tu es vite déçu » (Florient).

           Ils ne tolèrent pas de n'être pas davantage considérés comme des victimes et, à ce titre, défendus. Ils ne tolèrent pas le laxisme qui donne tous les pouvoirs aux élèves. Ils ne tolèrent pas d'être mis en cause dans leurs fonctions, eux qui font leur travail du mieux possible et souvent avec passion. Critiques, ils ne mâchent pas leurs mots pour exprimer leur colère ou leur rancune envers l'attitude de leur chef d'établissement, du recteur, du ministre ou encore du procureur (cf. le chapitre suivant sur le soutien social pour plus de détails). L'irritabilité, dont témoigne près de la moitié des enseignants, le repli sur soi et la perte d'intérêt ou de perspective sur le plan professionnel trouvent aussi leur explication dans cette déception. Le manque de compréhension et le manque de considération deviennent des agressions qui s'ajoutent à celles des coups, des insultes ou des menaces.

           A noter néanmoins que pour quelques enseignants, l'agression est après une période de repli sur soi l'occasion de s'ouvrir au monde et à autrui. L'agression suscite des interrogations qui peuvent être à l'origine d'une mutation positive des relations avec son entourage. ...

« Moi qui était un petit peu... je vais pas dire fermé, mais un petit peu distant, un petit peu personnel, j'ai beaucoup évolué. Je suis devenu beaucoup plus sociable et je prétends dans l'établissement être très ouvert, très très avenant avec un côté de distance un peu humoristique. J'ai changé à ce niveau là. J'imagine que le fait d'avoir eu à subir ça, ça a suscité cette réaction. Parce que soit on coule, psychologiquement on coule, soit à un moment donné on dit "Stop ! T'arrête. C'est pas toi qui est visé directement, la vie continue et mort aux cons" » (Gilles).

 

Les symptômes non spécifiques associés

           Les symptômes non spécifiques correspondent à des troubles divers et variés qui vont de l'asthénie aux troubles de la conduite en passant par les troubles phobiques ou psychosomatiques.

-Asthénie

           Sous-tendue par une énorme désillusion, près de la moitié des enseignants parlent de fatigue, de lassitude ou d'incapacité à se concentrer (. Le cas le plus dramatique est sans conteste celui d'Ingrid. L'état d'épuisement est tel après la résistance farouche à la pression de sa hiérarchie qu'elle est hospitalisée d'urgence et séparée de son petit garçon dont elle ne pouvait plus s'occuper correctement :

« Quand j'ai voulu les reprendre [les élèves], je ne pouvais pas. C'était pour moi un refus, mon esprit et mon corps refusaient complètement donc j'ai craqué. J'avais plus de force. J'étais vraiment éreintée. Je n'arrivais plus à dormir. J'étais très fatiguée. Je me levais quand je pouvais. Je suis restée quelques temps à végéter ».

           Pour les autres, la fatigue physique ou psychique prend la forme d'une symptomatologie plus banale. « Quand je rentrais chez moi, je me couchais » (Marc) ;...

Peurs, panique et phobies

           Les enseignants sont sujets à des peurs, des angoisses, voire des phobies, qu'ils ne ressentaient pas avant leur agression. La plupart sont directement liées à l'agression et dépassent les simples conduites d'évitement du souvenir désagréable : peur de l'élève, peur des suites que peut avoir une diffamation ou une rumeur, peur de la manière dont la justice traitera l'affaire, etc.

« J'étais très stressée pendant très longtemps parce que je savais qu'elle faisait partie d'une bande. Je me suis sentie menacée. J'osais plus sortir le soir. Pendant très longtemps j'ai eu la trouille. Je me sens en insécurité totale. Maintenant j'ai la trouille. J'ai peur de tout », dit par exemple Agnès qui est agressée pour la seconde fois et dont les réactions de peurs liées aux deux agressions s'entremêlent.

           Les conséquences incertaines de l'agression représentent une part importante des ruminations quotidiennes exprimées.

« Ca m'obsède. Comme dit l'inspecteur d'académie aux fantasmes en répondent d'autres et on est complètement dans l'irrationnel. Oui ! Mais, un être humain ça fonctionne aussi comme ça. Lui, il dit qu'on ne peut pas empêcher les élèves de fantasmer sur nous sur le plan amoureux. Et bien nous, enseignants, on peut aussi avoir des fantasmes d'angoisse par rapport à eux. Aussi ! » (Catherine-2) ;

           Quelques très rares troubles somatiques et psychosomatiques sont présentés comme les témoins visibles de la tension ressentie. Le cas le plus dramatique concerne Marc, qui a développé une agoraphobie avec attaque de panique et peur de mourir à la suite des nombreuses crises de spasmophilie qu'a déclenchées son agression.

« J'ai peur de mourir tout le temps, qu'il m'arrive un accident, un arrêt cardiaque »,

me confie ce jeune homme dont la vie s'est considérablement réduite et aménagée autour de ses phobies. Il panique dès qu'il se trouve en un lieu inconnu ou trop peuplé : partir en vacances, participer à la Fête de la musique ou aller au cinéma sont des activités totalement exclues. Parce qu'il lui est impossible de veiller tard hors de chez lui sans être en proie à une profonde angoisse, son cercle de relations s'amoindrit de plus en plus. En outre, les anxiolytiques, antidépresseurs et neuroleptiques avec lesquels il évolue depuis six ans ne l'ont en rien aidé à dépasser ces phobies et lui ont fait prendre trente kilogrammes.

-Agressivité

           Quelques conduites violentes sont évoquées, mais dans l'ensemble les enseignants ne témoignent que d'une plus grande susceptibilité ou irritabilité dans leurs relations sociales à la suite de l'agression. Crises de colère, altercations et provocations verbales ou physiques ont nuit véritablement à la qualité des relations sociales de deux enseignants. ...

« J'ai entamé une phase hyper violente où j'étais agressif. Il m'est arrivé en sport et partout des ennuis pas possibles parce que je me lâchais sur tout ce qui passait. J'évacuais comme ça. J'évacuais en amochant tout ce qui passait, en me battant, en gueulant, en étant agressif. J'étais globalement très irritable, très agressif. En voiture, j'étais intenable. Intenable ! Un vrai macho ! Je me suis accroché je ne sais combien de fois. Je suis descendu... Je me disais "Mais tu deviens fou ou quoi !". Et puis ça s'est traduit au boulot par de gros problèmes relationnels. J'avais envie des fois de frapper dans des sacs. De l'agressivité pure. Physique. [...] Au bout d'un an, date anniversaire, j'ai eu un trou de nouveau. Je me suis dit "Hou là ! Où tu vas ?". Je redevenais un peu fou fou. J'avais des réactions hyper violentes » (Florient)....

   pp. 174-193

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<<J'ai 20 ans de métier. J'ai fait l'erreur un jour de présenter une vieille jurisprudence à mes élèves, dans laquelle était mentionnée une collègue, lorsqu'elle était élève. Elle avait fait de faux allégués contre un prof (attouchements). Ma vie est un enfer depuis... je vous laisse imaginer>>

<<Je me reconnais dans ce que je viens de lire! Je suis directrice d'école primaire, ai eu à affonter des collègues difficiles...Sans me sentir soutenue. Cela continue de me réveiller chaque nuit et de me préoccuper alors que cette personne a quitté l'école. Bon courage à tous ceux qui vivent de telles expériences! Tenez bon!>>

<<Pour le (la je n'aime pas ce barbarisme)professeur stagiaire. Bon courage. Faire la discipline parce que les élèves ne veulent pas apprendre et vont droit dans le mur c'est une violence quotidienne qui nous est faite. Fais ce que tu veux, mais peut-être que si tu attends la fin de l'année scolaire et que tu mesures les changements tu verras les choses autrement en tout cas tu sauras que tu as reussi à affronter cela. Une prof qui pense à démissionner depuis les 9 années qu'elle enseigne.>>

<<Merci pour ces témoignages intéressants. Je suis moi-même professeur certifié stagiaire, et je suis en train de me renseigner sur les procédures à suivre en cas de démission. Ce travail ne me rend pas heureuse: je n'ai pas d'élèves agressifs, mais turbulents et nombreux, et j'en ai assez de faire de la discipline! je préfère me reconvertir rapidement avant de déprimer vraiment; je me sens déjà bien déçue et dégoûtée!>>

PLAN des parties de la thèse Anne Jolly
L'agression : du stress au traumatisme
LE SOUTIEN SOCIAL
Le coping
Jugements et évaluations
Les réactions Symptomatiques
Le vécu attaché à l'agression
Du milieu professionnel
Des proches
De la société
combattre, fuir ou pâtir
Image de l'élève agresseur
Portrait-robot de
l'élève agresseur

l'enseignant qui a le plus de risque

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