Dans
ce cadre, la société renvoie à
l'élève agresseur et à ses
parents, aux élèves de
l'établissement et éventuellement
à leurs parents, à la police et la
justice, à l'Autonome de solidarité,
à la Mutuelle Générale de
l'Education Nationale, aux médecins, aux
médias, etc.
L'élève
agresseur et ses
parents
|
Les
excuses sont rares.
Effrontément, certains élèves
vont jusqu'à nier les faits qu'on leur
reproche et exiger des excuses pour
eux-mêmes. « Devant le conseil de
discipline, elle a demandé "Je veux bien
retirer ma plainte si Madame X., me fait des
excuses publiques". Quand le proviseur lui a
dit "Mais vous avez quand même
attrapé Madame X., par son écharpe",
"Non, ce n'est pas vrai. Elle n'avait pas
d'écharpe"
»
(Martine).
Le
sentiment de toute
puissance
est plus fort encore lorsque l'enseignant
agressé ne bénéficie pas du
soutien de son chef d'établissement. Avec le
bras de fer qui oppose les adultes, les
élèves disposent d'un avantage qui
leur donne l'assurance nécessaire pour
narguer en toute impunité l'enseignant.
Ingrid a été soumise à cette
pression psychologique lorsque, la croisant dans la
rue alors qu'elle est en arrêt maladie depuis
de longs mois, les élèves en question
lancent à la cantonade « Elle est au
chômage ». Comme elle leur
répond qu'elle n'est pas au chômage
mais que eux risquent d'avoir des
difficultés à trouver un emploi avec
les propos qu'ils tiennent, ils rétorquent
fièrement « Oui, mais nous, on est
toujours dans l'établissement. On est
toujours là ! ».
Dans
leur attitude, ces
adolescents restent néanmoins beaucoup plus
modérés que leurs
parents
qui sont leurs plus fervents défenseurs.
D'une manière quasiment inconditionnelle,
ils défendent leur progéniture sans
s'interroger un seul instant sur la
véracité des accusations qu'ils
peuvent porter à l'encontre des enseignants.
Ainsi, ces derniers passent-ils de la position de
victime à celle d'accusé sans que les
faits ne soient pris en considération. Le
cas extrême concerne Monique qui,
poignardée par une de ses
élèves, entend la mère dire
qu'il s'agit d'un « geste d'inattention
» et le père affirmer que sa
fille n'a jamais possédé d'arme. Ces
parents n'ont d'ailleurs jamais compris pourquoi
leur fille avait été exclue de
l'établissement. Trois plaintes ont
été déposées par des
élèves qui avaient agressé
physiquement leur enseignant. Bêtise ou
provocation ? Certains enseignants
n'hésitent pas à invoquer la
bêtise mais la plupart restent à un
niveau de sidération et d'étonnement
face à ce parti pris injuste.
«
Comment peut-on être assez stupide pour
croire un enfant qui vous dit "Le prof c'est un
ogre, il nous terrorise" ? Alors qu'ils ne sont pas
du tout terrorisés ! Comment peut-on
être assez stupide pour croire des enfants
sans avoir envie d'avoir une autre... Je me pose
des questions. Comment peut-il y avoir des gens
aussi naïfs qui croient tout ce que dit leur
enfant ? Ca, ça me révolte
»
(Hervé)
;
«
Quand je l'ai quittée, elle était
encore convaincue que je ne disais pas la
vérité. "Je crois ma fille"
disait-elle. C'était choquant de voir que
les parents peuvent soutenir les enfants à
ce point » (Andrée)
;...;
«
Le père est venu au collège pour
faire pression. Il est venu pour que je retire ma
plainte. Il voulait que le Principal me convoque
» (Catherine-2).
En
tout, deux enseignants ont reçu des excuses.
Celles-ci sont le fait des enfants et de leurs
parents, c'est-à-dire que soit les excuses
sont conjointes, soit les parents exigent de leur
enfant qu'il s'excuse auprès de
l'enseignant.
Les
élèves et les parents
d'élèves
|
La
plupart des élèves ont une attitude
bienveillante à l'égard de
l'enseignant
agressé. Ils le rassurent, prennent de ses
nouvelles et s'enquièrent de savoir s'il va
bientôt revenir leur faire cours lorsqu'il
est en arrêt maladie.
«
J'ai eu un message sur mon e-mail quand je suis
partie. Deux élèves qui me disaient
"Mais pourquoi vous êtes parti Mozart ?".
C'était rigolo. C'était sympa »
(Renaud) ;... « Elles m'ont dit que je ne
méritais pas ça "Madame, vous
êtes gentille. Elle ne devrait pas vous faire
ça. Ca vous fait du mal" »
(Solange)
;...
«
J'ai eu beaucoup de sympathie de la part
d'élèves. J'en ai qui m'ont
envoyé des fleurs. J'ai plein de petits
élèves de sixième qui m'ont
dit "Madame, quand est-ce que vous revenez ?". Tous
gentils. Ca fait plaisir. Les élèves
étaient quand même assez
choqués. Il paraît qu'ils en ont
beaucoup parlé pendant les cours
»
(Martine)
...
En
matière de discipline, ils ne s'encombrent
pas des mêmes principes et réagissent
comme l'ont fait certains des propres enfants des
enseignants.
«
Il y en a un qui n'arrêtait pas de
bougonner dans son coin en disant "De toute
façon, vous vous laissez faire, vous vous
laissez toujours faire". J'étais
vexée »
(Ela)
;
«
Vous auriez dû lui mettre une baffe,
ça l'aurait calmée »
(Adeline)
;....
Dans
une attitude de surcompensation, qui s'oppose aux
craintes des enseignants de voir se mettre en place
un effet boule de neige, ils sont parfois
plus
sympathiques après qu'avant
l'agression.
«
Un élève que j'avais l'an dernier,
qui était une terreur, il a dit à sa
prof "Ah Madame, moi je ferai jamais ça.
J'irai jamais dire ça". Et maintenant, quand
il me voit, il vient me dire bonjour. C'est rigolo.
Pour certains, il s'est passé quelque chose
donc on a une certaine complicité. Des fois,
"Alors ça va, Madame ?". On sent qu'il y en
a qui viennent voir si ça va, quoi ! Ils ont
du mal à le dire parce que nous on est des
adultes, eux sont les élèves, mais
ça a peut-être resserré des
liens avec certains élèves
»
(Sabine)
,...
Néanmoins,
la réaction n'est pas unanime. Il y a
généralement une petite
poignée d'élèves, souvent
les
plus proches amis de l'agresseur, qui
défendent leur
camarade
voire prennent parti contre l'enseignant. Alors que
certains réconfortent leurs enseignants,
d'autres ont l'idée de faire des
pétitions en demandant à chacun
d'indiquer tous les griefs qu'ils peuvent avoir
à formuler à son encontre, de
répandre des rumeurs ou encore de se cotiser
pour payer l'avocat de leur camarade.
«
C'est triste mais certains prenaient presque
parti avec lui ou étaient ravis de voir une
scène comme ça où j'avais le
dessous » (Daniel) ; « J'ai eu des
abrutis qui sont venus me dire "T'es vraiment une
grosse tapette. Tu t'es laissé taper par un
gamin de 18 ans. T'as pas de couilles". Souvent des
copains du gars. Pour te dire le chantage
psychologique que c'est
»
(Florient)
...
Sans
réelle hostilité à
l'égard de l'enseignant, certains ne
comprennent pas pourquoi celui-ci porte plainte,
notamment s'il n'y a pas eu d'agression physique.
Seuls les coups, voire la mort, semblent justifier
une telle extrémité judiciaire pour
certains élèves .
«
Une élève a dit qu'après
tout ce n'était pas si grave [coup de
couteau] puisque je n'étais pas
morte » (Monique).
Les
parents d'élèves sont rarement
présents dans le discours des
enseignants,
à moins d'avoir adopté une conduite
particulièrement réconfortante ou
particulièrement choquante.
«L'agression, c'est aujourd'hui qu'elle a
eu lieu » annonce Monique à la
sortie du conseil de discipline qui statue sur
l'exclusion définitive de l'adolescente qui
lui a pourtant donné un coup de couteau dans
le ventre. Les représentants des
associations de parents d'élèves ont
refusé de siéger, ne voulant pas
charger la jeune fille. Un seul représentant
de parents était présent, pour
souligner tout au long du conseil que si
l'enseignante avait été plus laxiste
dans l'application du règlement
intérieur de l'établissement la
situation ne se serait pas envenimée.
Autrement dit, si elle n'avait pas exigé un
billet de retard et si elle ne s'était pas
opposée au départ de
l'élève en plein milieu du cours, il
ne serait rien arrivé. Le même
discours était tenu par les parents de
l'adolescente et par la représentante des
élèves, mais cela peut davantage se
comprendre.
«
Je dis que c'est ce jour là où je
me suis sentie agressée parce qu'on voulait
tellement excuser l'élève, alors que
moi je ne cherchais pas à l'enfoncer... Il y
a des profs et des parents d'élèves
prêts à démissionner de
l'association à la suite de cette histoire.
Ils sont scandalisés que le
représentant ait pu avoir cette position. Je
suis sortie en disant que j'avais honte d'avoir
appartenu à l'association
».
-Dépôt
de plainte et instruction
|
En
ce qui concerne
l'accueil
fait aux victimes par les commissaires de
police et les officiers de la police judiciaire,
tous les cas de figure sont possibles. Du style le
plus sympathique et réconfortant au style le
plus hostile et déstabilisant, aucun ne
domine véritablement. Lorsque l'on a
été agressé, devoir attendre
quelques heures ou quelques jours pour pouvoir
déposer plainte est vécu avec une
certaine difficulté chez les enseignants.
Une relation avec le temps parfois très bien
transcrite :
«
Ca a été très très
long. Le temps passe, et puis vous attendez. Faut
attendre. "Vous êtes la victime, vous n'avez
qu'à attendre". C'était
déjà la première étape.
Il fallait attendre »
(Eric).
Ensuite,
sans témoigner d'une hostilité
particulière, l'officier qui reçoit
la plainte manque parfois du tact et de la
disponibilité nécessaires à
une personne déjà fragilisée
qui procède à une démarche qui
lui est généralement totalement
étrangère.
«
Ils s'embarrassent pas à y mettre des
gants. On n'est pas pris en charge comme victime.
On n'est pas respecté comme telle. On les
dérange. Il vous dit "Vous savez des
histoires comme ça, on en a. Il y en a
plein". C'est banal ! Je regrette, c'est quand
même une violence morale
»
(Catherine-2).
Ce
qui est banal pour le policier est exceptionnel
pour l'enseignant.
Si l'officier n'a pas la délicatesse de
montrer un peu d'humanité dans sa
manière de traiter ce qui n'est pour lui
qu'un dossier supplémentaire, l'enseignant
se sent encore davantage
déconsidéré.
Les
procédures
elles-mêmes sont dures lorsqu'elles sont
mal ou insuffisamment expliquées. C'est le
cas, par exemple, lorsqu'il s'agit de confronter
seulement quelques heures après les faits
les agresseurs à leur victime pour une
séance d'identification.
«
J'ai trouvé inadmissible qu'on confronte
un agresseur à sa victime sous je ne sais
quel prétexte juridique, judiciaire ou
administratif. Alors que c'est un traumatisme
énorme, tout de suite, on voudrait te
remettre avec le gars qui vient de foutre en l'air
une partie de ta vie »
(Florient).
La
franche agressivité qu'a eu à subir
Martine constitue une exception. L'enquêtrice
qui la reçoit s'adresse à elle de
manière si grossière et
témoigne d'une telle hargne qu'elle est
davantage affectée par cet accueil que par
l'agression elle-même. De victime, elle
devient accusée. Le parti pris pour
l'élève est si manifeste qu'elle vit
depuis cette rencontre dans une expectative
anxieuse le jour du jugement.
Elle
est relativement mal vécue par les
enseignants.
D'abord, il faut attendre des mois avant que le
procès ait lieu. L'impatience marque cette
période.
«
Ca a traîné un petit peu et
ça traîne encore parce qu'au bout de
quatre ans je n'ai toujours touché aucun
dédommagement financier. Je ne cours pas
après l'argent mais par rapport au
préjudice moral, c'est quand même
important. Donc, ils s'en contrefoutent pas mal
»
(Florient).
Porter
plainte est une démarche dont à
priori on n'imagine pas forcément la
complexité et la
lourdeur.
Déjà, savoir que le type de plainte
déposée va dépendre du nombre
de jours d'ITT fournis par le médecin, n'est
pas donné à tout le monde. Certains
enseignants ont ainsi eu la surprise d'apprendre
que leur certificat médical ne convenait pas
ou qu'au contraire ils allaient devoir
s'arrêter quelques jours alors qu'ils n'en
avaient aucune envie. Cette méconnaissance
du monde judiciaire se retrouve à tous les
niveaux : celui des conséquences
pénales pour l'agresseur, celui des
multiples expertises médicales, celui des
formulaires administratifs abscons, etc.
Une
fois la procédure enclenchée,
l'enseignant ne maîtrise plus rien.
Aussi,
Eric
se
dit-il « victime des propres lois de la
République, qui veut que quand on porte
plainte ça aboutisse quelque part. Quand
j'ai porté plainte, je ne pensais pas
aboutir à des conclusions définies
par un code pénal avec des sanctions lourdes
».
Déposer
une plainte était pour lui une façon
de porter témoignage simplement de ce qu'il
avait vécu. Ignorant des conséquences
que son geste pouvait avoir il n'imaginait pas que
ses agresseurs pourtant mineurs pourraient se
retrouver en prison. Ce n'était pas dans sa
volonté de leur infliger une telle sanction.
Il a le sentiment de ne pas avoir pu
contrôler cet enchaînement de faits
juridiques et souffre de ses conséquences.
Les démarches qui succèdent à
un dépôt de plainte ne sont pas
propres à la victime. La lourdeur
administrative est telle qu'il faut parfois
à l'enseignant beaucoup de volonté
pour ne pas retirer sa plainte.
«
L'appréhension de voir encore un courrier
du tribunal, une convocation du tribunal, de
l'avocat ou du commissariat, et
répéter x fois la même chose.
Répéter toujours la même chose,
la même version, toujours toujours. Je
comprends vraiment que des gens abandonnent leur
plainte. Si je n'avais pas été
soutenue par le Proviseur et les collègues
qui vraiment tenaient à ce que ça ne
reste pas impuni, j'aurais abandonné. Pour
la victime, c'est trop lourd. C'était
très dur »
(Monique).
Le
procès est réputé pour
être un moment difficile pour les
victimes.
Par son déroulement, mais aussi les
jugements et les soupçons qu'il
génère, il est une épreuve.
Les attentes sont immenses à l'égard
du magistrat qui doit désigner la victime et
le coupable. Florient
décrit pas à pas la manière
dont il a vécu ce procès qui lui a
permis peut-être de se détacher
progressivement du sentiment de vengeance qui le
dominait depuis son agression.
«
Alors la plaidoirie, j'ai cru que je devenais
maboul ! Ils ont un art, une rhétorique,
c'est impressionnant. Ca m'a foutu hors de moi. Ils
ont dit plein de fausses vérités, de
vrais mensonges. Qu'ils avaient déjà
fait une enquête sur moi, que j'avais
déjà eu des ennuis... Et ça,
on ne leur demande pas de prouver. Ils parlent et
les gens écoutent. Et tu en prends plein les
dents. Tu es dégoûté. Tu as
à nouveau des envies de meurtre. Tu te dis
"Mais qu'est-ce que c'est que ça ? C'est la
justice ça ?". Ensuite, arrive l'avocat
général. Là, tu retombes un
petit peu sur tes pieds. "tu te dis "Ah, enfin ! On
m'a compris" ».
Lorsque
la victime n'est pas reconnue comme telle et que la
justice néglige de sanctionner l'agresseur,
le sentiment de désaveu est profond.
...
«
Ca a été classé sans
poursuites pénales. Le Procureur, je lui en
veux plus qu'à l'élève. Ah oui
! Je trouve qu'il fait ça très
malproprement. Franchement. Ah oui, ça je
lui en veux ! » (Catherine-2).
La
justice a un pouvoir de réparation
indéniable qu'elle néglige parfois
à un point tel qu'elle crée plus de
dégâts qu'elle n'en répare
:
«
Je ne me sens pas en sécurité
parce que je ne me suis pas sentie
protégée. Je n'ai plus confiance dans
la société toute entière, ni
dans la police, ni dans la justice, ni dans sa
capacité à représenter
l'état de droit
»
(Catherine-2).
La
reconnaissance du préjudice est
essentielle,
même si elle ne passe pas
nécessairement par des sanctions lourdes
à l'égard des adolescents. Pourtant
gravement agressés, Eric et Monique ont du
mal à se détacher de la vie de leur
agresseur et témoignent ainsi de leur
désir que des mesures plus éducatives
que répressives soient mises en
oeuvre....
Les
médecins traitants, les psychiatres
et les psychologues
|
L'accueil
des médecins de
famille
est généralement bienveillant. Ils
sont attentifs à la détresse
psychique de leur patient et soucieux de leur
bien-être. Ils n'hésitent pas à
mettre en arrêt maladie les enseignants
lorsqu'ils l'estiment nécessaire et ne
rechignent pas davantage à répondre
à leurs demandes explicites ou implicites.
Les qualités humaines d'écoute et de
compréhension du médecin sont
essentielles, elles déterminent le jugement
des enseignants.
II
leur arrive pourtant d'être maladroits et de
mettre en cause la responsabilité de
l'enseignant dans ce qui lui est arrivé. Ils
prennent alors le risque pur et simple de perdre un
patient.
«
Le premier médecin que j'ai vu, il m'a
enfoncée. Il a été nul. II m'a
dit que c'était peut-être parce qu'au
niveau pédagogique j'étais pas
à la hauteur. Il m'a accablée en
quelque sorte. Et comme solution, il me proposait
de me mettre sous Prozac ! Le discours qu'il a tenu
d'un point de vue humain et médical, j'ai
trouvé cela vraiment lamentable. Un abruti !
Il ne me reverra plus
»
(Agnès)
...
Les
médecins sont le plus souvent
informés des modalités d'application
d'une Incapacité Temporaire Totale (ITT) de
travail, et prennent le temps d'expliquer à
leur patient ce qu'elle recouvre en terme de
dépôt de plainte....
«
A partir de huit jours en fait ça passe en
correctionnelle. Et je me souviens que j'avais dit
au médecin aux urgences "10 jours ! Vous
allez pas me mettre 10 jours quand même !".
Il m'a dit "Attendez, attendez !
Réfléchissez un petit peu...".
Après, je lui ai dit "Ah bon ? Mettez-moi
plus alors. Mettez-moi 30 jours. J'aimerais bien
avoir 30 jours". Il m'a dit "Non, malheureusement
c'est très précis et selon les
traumatismes, il ne faut pas exagérer. Parce
qu'on va vous demander des comptes
»
(Florient).
La
consultation auprès d'un psychologue ou d'un
psychiatre
n'est
pas rare, elle est parfois fortement
suggérée par un médecin
traitant ou un médecin expert. Uniques ou
régulières, ces rencontres leur
apportent une aide non négligeable.
...
«
Ca m'a soulagé de parler à quelqu'un.
De parler un petit peu de tout. Ca, ça me
faisait du bien. On parle un peu, ça
libère. Ca libère de parler. Et puis
dans les derniers temps où je l'ai vu...
comme lui son jeu c'était de rien dire, on
tournait un peu en rond. Ca m'apportait plus rien.
Donc, je n'y suis plus allé »
(Marc)
; « Je crois que l'aide qu'il a
apportée, c'est qu'il a mis des mots sur des
choses que je ressentais et pourquoi. Pourquoi
j'avais pas envie de faire telle ou telle chose.
C'est plus ça qui m'a aidée
» (Monique).
Pouvoir
mettre des mots sur des émotions ou sur des
conduites inhabituelles
rassure.
Si on ne se reconnaissait plus ou si on pensait
devenir fou, les mots posés sur les
symptômes ramènent paradoxalement
à la normalité.
«
Je suis allée voir un psychiatre à
la MGEN. Ca m'a fait un bien énorme. Ce dont
j'ai le plus souffert, c'est de ne pas être
reconnue comme victime. Et j'en ai souffert
énormément jusqu'à ce que la
thérapeute me donne un livre qui parle du
harcèlement en milieu scolaire. Je me suis
sentie beaucoup mieux parce que tout d'un coup je
me suis dit "Ca existe. C'est pas moi qui
délire. C'est pas moi qui donne de
l'importance à une chose qui n'en a pas. Il
y a d'autres gens qui ont vécu ça et
ça existe". Là, ça m'a un
petit peu rassérénée
» (Aude).
Malheureusement,
si on ne prend pas garde, l'action
thérapeutique peut avoir plus
d'inconvénients que d'avantages. Un
blessé psychique a besoin d'une
disponibilité d'écoute qui s'accorde
mal avec un cours accusateur sur la gestion des
conflits.
«
J'ai vu le psychologue attaché au rectorat.
J'en suis ressorti complètement
démonté parce qu'il m'a montré
par A+B... Il a disséqué les
séquences : "Là, vous auriez dû
évoquer les problèmes de
responsabilité, vous auriez dû
évoquer le règlement
intérieur. Ils ne sont pas de
l'établissement alors vous auriez dû
évoquer le respect des lois...". Et je dis
quoi, moi "Allez-y ! Allez-y ! Mettez-en une
tartine comme ça. Déroulez le tapis
rouge". Je remets pas en cause ce qu'il fait, hein
! Je dis qu'il faut faire très très
attention. Quand j'ai entendu ça... ma seule
envie c'était de me foutre en l'air
» (Eric).
Lorsque
le temps de la détresse est
dépassé, cette forme de soutien peut
alors prendre toute sa pertinence :
«
J'ai parlé trois heures avec le
médecin du rectorat. On a eu une discussion
très très intéressante. Il m'a
appris plein de choses sur les conflits justement.
Et l'entretien avec lui, pour moi, a
été très profitable
»
(Agnès).
Les
médias se sont emparés de trois des
cas présentés. Ce qui domine dans le
discours des enseignants concernés, c'est
la
capacité d'intrusion des journalistes et
leurs dons pour déformer la
réalité des faits ou des propos
tenus.
Chaque
fois, la démarche d'informer la presse
échappe à l'enseignant qui reste
parfois dans l'ignorance de la personne responsable
de cette fuite d'informations. Ils sont
pressés jusqu'à leur domicile de
répondre aux questions et doivent parfois
ruser pour échapper aux harcèlements
:
«
J'ai été pris d'assaut par la
presse » (Eric) ; « Ca a
défilé toute la journée.
J'avais des coups de fils sans arrêt, des
photographes... C'était impressionnant
» (Florient) ; « Ca été un
défilé permanent. A l'hôpital,
il fallait que les infirmières fassent le
guet » (Monique).
L'intrusion
est diversement appréciée, pour des
raisons très différentes à
chaque fois :
«
Là aussi, j'étais contraint.
J'étais contraint d'accepter cet état
de fait. A la rigueur, je l'aurais bien vécu
si ça venait de moi »
(Eric)
... ; « Il y a des gens qui se sont fait
passer pour des profs. Il y en a un de FR3, il
voulait me filmer sur mon lit d'hôpital :
"Moi, il me faut des images, hein!". Ca a
été très dur
»
(Monique).
Le
défaut d'informations ne surprend pas outre
mesure et laisse de fait l'enseignant assez
indifférent
«
Ils ont raconté tout et n'importe quoi. Le
premier article qui est paru, je n'avais pas du
tout dit ce qu'ils ont retranscrit. C'est classique
! Mais là, des fois, c'était rigolo !
Je m'en fichais un petit peu. A la limite ça
m'avait amusé »
(Florient)
...
pp.
223-232
Ces
textes sont tirés de la
thése d'Anne JOLLY soutenue le 11
Décembre 2002 à
l'Université de
Reims.
Les choix des parties et les
découpages nécessaires sont
de ma
responsabilité.
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