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JUGEMENTS ET ÉVALUATIONS

Anne Jolly

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             Les stratégies de coping et le vécu attaché à l'agression dépendent en partie des différentes représentations que l'individu se construit de la situation.

             Quelques-unes de ces représentations (image de l'agresseur, explications causales du passage à l'acte, image a priori de l'enseignant "à risques", etc.) permettent de mieux comprendre la manière dont ont réagi les enseignants et donnent un éclairage complémentaire en terme d'évaluation primaire de la situation.

 

Image de l'élève agresseur auprès de l'enseignant

             L'image que les enseignants ont de leurs jeunes agresseurs est particulièrement homogène.

             A la quasi unanimité, ils sont dans une disposition d'esprit qui les conduit à pardonner généreusement, sinon à court terme du moins à plus ou moins long terme. Pour reprendre une expression devenue célèbre, ces adolescents sont jugés « responsables mais pas coupables ».

             Agresseurs, ils sont eux-mêmes perçus comme des victimes : des victimes du système éducatif, des victimes du milieu familial dans lequel ils évoluent, et plus généralement des victimes de la société.

-Situation familiale défavorable

             Alors qu'ils n'étaient encore qu'en difficulté devant l'élève qui refusait simplement de se plier aux règles de vie d'un établissement scolaire ou alors qu'ils avaient déjà été agressés, un certain nombre d'enseignants a cherché des renseignements sur la situation de l'élève auprès de la Vie scolaire de l'établissement. Dans la majorité des cas, il s'agit d'enfants dits à problèmes : chômage et/ou divorce des parents, monoparentalité, violence familiale, etc. Ces difficultés que rencontrent au jour le jour ces adolescents, amènent les enseignants non pas à relativiser l'acte d'agression mais à mieux comprendre le passage à l'acte.

« C'est une famille où la mère est toute seule. Le père apparemment est inconnu. On ne sait pas s'il y en a, s'il n'y en a pas, s'il est mort. Est-ce qu'il est parti tout de suite ? On sait rien. Et la mère, apparemment, ne vit que des allocations. La fille bat sa mère. C'est de notoriété publique apparemment auprès des voisins. Elle terrorise sa mère. Elle fait la loi chez elle » (Agnès) , « Il n'a que sa mère. Le père, on sait pas ce qu'il est devenu. La mère qui s'occupe pas de lui... » (Renaud) ; « C'est un enfant qui vit quand même des choses difficiles, hein ! Donc, je peux comprendre qu'il ait des problèmes, des gros problèmes psychologiques. Sa mère, je crois savoir qu'elle est venue dans la région parce qu'elle était au chômage. Elle s'est séparée de son père en lui disant que c'était pas son père. Apparemment, l'année dernière il a fait une tentative de suicide. Il a une soeur ou un frère qui est handicapé. On ne sait pas si c'est handicapé moteur ou mental. La maman est assez dépressive parait-il. Ils sont suivis, la famille est suivie par un psychiatre. Et lui, il veut pas être suivi seul » (Sabine) ; « Je sais qu'il y avait d'énormes conflits à la maison, notamment avec le père. Ca se passait très mal. Ca criait toujours. Donc en général, je le sais, c'est sur l'enseignant que se reporte l'agressivité que l'élève n'a pas pu extirper de son corps à la maison » (Solange) ;...

             Les parents sont les premières personnes sur lesquelles se reportent les torts en terme éducatif. Néanmoins, ces parents dits défaillants sont souvent eux-mêmes considérés comme des victimes de la société.

« C'est la famille qui est totalement défaillante. Je pense que la gamine y est vraiment pour rien. Elle est le pur produit de sa famille. Un gamin, il devient ce que la famille, ce que la société a fait de lui. Donc, au départ, un bébé il n'est pas responsable de ce qu'on fait de lui. Cette gamine, elle serait née dans un autre milieu familial, elle serait pas comme elle est. Donc, elle est pas responsable de ce qu'elle est, mais elle est ce qu'elle est en attendant » (Agnès) ;...; « Non, j'en veux surtout à sa mère. A ses parents. Ce n'est pas elle qui a porté plainte, c'est les parents Ils tirent le diable par la queue pour finir le mois. Il y a des histoires qui courent dans les journaux: une claque, 5000 francs... Donc, c'est pour ça qu'elle a porté plainte » (Martine)...

• Non contrôle de soi

             C'est un sentiment de non maîtrise de soi qui domine les explications sur le passage à l'acte de l'adolescent.

« Elle a aucun contrôle d'elle-même d'après ce que j'ai vu. Elle est dangereuse. C'est un obus qu'est lâché dans la société » (Agnès) ; « Comme on dit maintenant, il a disjoncté. Je l'ai trouvé assez imprévisible, quoi ! » (Sylvie) ; «J'avais l'impression qu'elle avait pété les plombs » (Adeline) ; « C'est comme une traînée de poudre. A un moment donné, elle va exploser » (Solange).

             Bien que ces adolescents soient jugés irresponsables, l'image que les enseignants en ont n'en est parfois pas moins négative dans le présent et pessimiste pour l'avenir.

« C'est une gamine cinglée, sans foi ni loi. Prête à escroquer, à mentir, à faire des faux témoignages. Pour moi, cette gamine c'est une ordure. Un déchet de la société. Elle est mauvaise et il n'y a pas à en tirer grand chose. Je ne sais pas si elle peut éprouver des sentiments, si elle respecte la vie, si... J'en doute. [...] Est-ce qu'on peut la changer ? J'en sais rien. C'est déjà très très tard. C'est difficile de changer un adolescent, d'en faire un adulte "bien" alors qu'il a été construit sur des mauvaises bases » (Agnès) ; ...« Qu'ils soient en prison ou pas, c'est pareil. Ils savent tous un jour ou l'autre qu'ils iront. Tous. Ils sont tous condamnés. Celui qui y arrive, il a un mérite fou » (Eric) ;...

• Hostilité et volonté de déstabilisation

             Lorsque l'explication d'irresponsabilité n'est pas évoquée, c'est le côté manipulateur et hostile de l'élève qui ressort.

Les enseignants perçoivent alors la conduite de l'élève comme l'expression plus ou moins explicite d'une volonté de déstabilisation ou de destruction.

« Je pense qu'elle a senti une faille. Elle s'est engouffrée dedans. J'ai envie de plaire à mes élèves, j'ai envie qu'ils soient contents d'être en cours avec moi. En réfléchissant, je me dis que c'est peut-être ça, qu'elle a dû sentir ça et qu'elle a tout fait pour aller à l'encontre » (Adeline) ; « Je pense qu'au départ c'est une question de personnalité. La sienne par rapport à la mienne. Peut-être sa perception du fait que j'ai quand même un caractère dominant, qu'il ne pouvait pas supporter. Je pense que c'est ça. C'est un garçon qui veut avoir raison et qui veut être l'élément dominant. J'ai rarement vu un élève pareil, aussi déterminé, aussi arrogant... [...] Le grand leitmotiv de cet élève, c'est de disqualifier les profs pour les faire jeter à la porte de l'Education Nationale : "Mon père te ferra révoquer de l'Education Nationale. Tu verras, mon père est plus puissant que toi. Tu verras" » (Hervé) ; « Ils s'étaient dit "On va s'amuser avec lui". J'étais le petit jeune qu'il fallait emmerder » (Marc).

-Indulgence et ressentiments

             Les enseignants regrettent que l'agression ait eu lieu mais n'en tiennent pas particulièrement rigueur à l'agresseur, auquel ils trouvent finalement des circonstances atténuantes.

« Curieusement, je lui en voulais pas, pas du tout. Pas du tout. Peut-être pas "pas du tout", mais je comprenais qu'il ait pu avoir une envie comme ça, de faire la bise à un prof qui lui aurait plu. [Aujourd'hui, à 6 ans] je crois que je suis encore plus compréhensive qu'à l'époque. Je comprends, je comprends assez ça finalement » (Sylvie) ; « Finalement, c'est une victime. Et c'est pour ça que je l'aime bien d'ailleurs. Même aujourd'hui. Vraiment, je ne le déteste pas. Je n'ai aucune animosité contre lui. C'est un gamin... Non, c'est pas une forme de pitié, on n'ira pas jusque là. C'est une forme de compassion. [...] Pauvre gamin, il était complètement éclaté. Il était un peu éparpillé dans tous les coins et il arrivait pas à se rassembler » (Renaud) ; « Je l'excusais en partie parce que je me suis dit "Elle est malade". C'est une pauvre gamine. Je ne peux même pas lui en vouloir parce que sur le coup ça fait mal, c'est vrai ça blesse, et puis après le temps passe et... Heureusement, j'ai ce pouvoir d'oublier, enfin d'oublier... de pardonner quand même assez facilement» (Solange) ; « C'est ça le pire, je n'arrive pas franchement à lui en vouloir. Je n'arrive pas à lui en vouloir, non. Non, je ne lui en veux pas vraiment. Mais, ce n'est pas mon tempérament. Je ne suis pas rancunière » (Catherine-2) ; ...; « Il y a des moments où je lui en veux pas du tout. Je me dis que c'est une pauvre gamine. Je lui en veux pas spécialement quand je pense à l'ampleur de la rumeur, par exemple. En revanche, quand elle est face à moi et que je la vois plus ou moins triomphante, qu'elle a son air narquois, là oui ! Là, je lui en veux » (Aude)...

             Cette indulgence se traduit par une recherche de sanctions aux visées plus éducatives que pénalisantes, voire simplement par un non désir de sanction.

             Agressé, l'enseignant reste dans le rôle partiellement éducatif qui lui incombe. Aussi, accabler davantage des adolescents, voire des parents, qui sont dans des situations sociales et familiales difficiles est rarement dans les intentions des enseignants. Il y a une volonté d'arranger les choses, et ce d'une manière qui peut contenter tout le monde.

« Je n'ai pas voulu qu'il ait d'ennuis. Je crois que c'est ça. Je ne voulais pas que ça prenne plus de proportions. Il a eu une pulsion, un truc particulier à un moment donné. Je ne voulais pas que... cette erreur, ce truc ne le suive » (Sylvie) ; « [Porter plainte], j'y ai pas pensé du tout et puis... Je sais pas, créer des problèmes à cette femme qui en a déjà pas mal, non ! II faut dire que les problèmes avec des enfants, les problèmes financiers, tout ça, je les ai connus quand j'étais enfant, hein ! J'ai préféré essayer d'arranger les choses » (Andrée)...; « J'ai trouvé la justice très dure par rapport à elle. Moi, j'aurais été plus... On a tellement l'habitude d'avoir des élèves qui vivent des situations pas possibles. C'est pas que je l'excuse, mais je les ai trouvés très durs. Vraiment très durs. Ironiques et durs. [...] Si elle refuse l'aide éducative et psychologique, elle ira en prison. Pour moi, c'est pas la solution. Il faudrait qu'elle soit aidée psychologiquement pour se reconstruire. Que va faire la prison ? La démolir. S'il n'y a pas d'aide, à quoi ça sert ? Elle n'a que 19 ans, la vie n'est pas finie quand même. Qu'est-ce qu'elle va faire ? Si elle refuse, c'est la prison sans rien. Si elle refuse, pour moi c'est du gâchis » (Monique).

             Pour quatre enseignants, une rancœur, parfois profonde et touchant au sentiment de haine, a néanmoins existé.

« Je lui en veux, oui. Absolument. Beaucoup. [...] J'ai toujours pensé qu'il avait besoin de tomber comme on dit sur un mec plus grand que lui, qui lui... vraiment qui lui casse bien la figure. Voilà. Qui le laisse raide par terre. Pas mort, mais raide. Puis, quand il se réveillerait, qu'il se pose quelques questions quand même » (Hervé) ,... ; « C'était la haine qui m'habitait. Des envies de meurtre. Et longtemps après, hein ! Deux ans après j'avais encore... » (Florient).

             La rancune est peut-être plus fréquente lorsque l'agression a pris la forme d'un harcèlement et que d'anciennes expériences négatives ont déjà ponctué la carrière de l'enseignant. Les déceptions antérieures et la détresse actuelle rendent alors l'adaptation et le pardon plus difficiles. (p. 258-263)

             Ces textes sont tirés de la thèse d'Anne JOLLY soutenue le 11 Décembre 2002 à l'Université de Reims. Les choix des parties et les découpages nécessaires sont de ma responsabilité.

PLAN des parties de la thèse

Anne Jolly

L'agression : du stress au traumatisme
LE SOUTIEN SOCIAL
Le coping
Jugements et évaluations
Les réactions Symptomatiques
Le vécu attaché à l'agression
Du milieu professionnel
Des proches
De la société
combattre, fuir ou pâtir
Image de l'élève agresseur
Portrait-robot de
l'élève agresseur

l'enseignant qui a le plus de risque

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