Les
enseignants restent discrets et peu loquaces sur le
soutien reçu de leur famille ou de leurs
proches amis. Il semble qu'il y ait une certaine
pudeur à ce propos, notamment à
l'égard du conjoint. Les rares informations
qu'ils laissent échapper sont moins
empreintes d'opinions et d'émotions
négatives que celles qui
caractérisent leurs sentiments à
l'égard de leur hiérarchie. Au
contraire, ils s'attachent davantage aux faits (des
paroles ou des actes) qu'à la manière
dont ils ont ressenti le soutien que leurs proches
leur ont ou non
témoigné....
L'aide
venue du conjoints surprend d'abord pas sa froideur
apparente.
Aucun geste de tendresse ou d'affection n'est
évoqué dans le discours des
enseignants, ce qui ne signifie pas pour autant
qu'ils n'ont pas existé. Néanmoins,
lorsque la question est abordée et que la
mémoire ne fait pas défaut, le
soutien est plus souvent présent qu'absent.
Il se traduit verbalement par des marques
d'attention: « Ca va ? »
(Martine)
ou
des marques de réassurance sur la conduite
adoptée : « Oui, t'as eu raison de
porter plainte. Faut pas laisser faire ça
» (Sabine)
et
sur l'issue des décisions juridiques lorsque
l'enseignant est mis en cause pour avoir
frappé l'élève impliqué
: « C'est elle qui t'a agressée, tu
t'es défendue. C'est un geste de
défense ! »
(Martine).
Bien que ni l'un ni l'autre ne souhaitent vouloir
s'étendre sur la question, deux enseignants
témoignent avec parcimonie et
discrétion de la compréhension que
leur ont témoigné leur épouse
et conjointement de la souffrance ou de la
difficulté pour elles à vivre avec
les hommes qu'ils sont devenus à la suite de
leur agression.
Lorsqu'au
contraire le soutien n'est pas au rendez-vous, il
n'en est pas pour autant hostile. Dans ce cas,
c'est l'enseignant lui-même qui n'aborde que
superficiellement le sujet avec son conjoint,
étant persuadé de ne pas recevoir le
soutien attendu s'il témoigne de ses
difficultés. Un obstacle perçu dans
la conduite du conjoint s'oppose à la
communication.
«
Je n'en ai pas parlé à mon mari parce
que j'avais honte. Parce qu'il m'aurait
répondu ce qu'il me répond toujours.
Il trouve que je ne suis pas assez dure, pas assez
sévère. Il a des idées
très arrêtées. Il m'aurait
peut-être comprise, mais il aurait fait
semblant de pas comprendre »....
Solange
avoue
à contre-coeur : « Il n'aime
pas qu'on parle de tous ces problèmes
là. Il n'aime pas qu'on raconte, comme il
n'aime pas raconter ses histoires, lui. Je ne suis
pas de ce côté là assez
épaulée, alors je n'en parle pas
outre mesure ».
Résignée de longue
date,
Sabine
accepte avec indulgence le silence de son mari :
«Au bout de trois jours, il avait
oublié. Lui, il vit dans le futur et dans le
présent mais il ne vit pas dans le
passé. Il y a quelques années, je
l'aurais très mal pris. Comme un manque
d'amour. Comme un manque intérêt.
Comme un manque de plein de choses. J'ai appris
à le connaître, j'ai appris à
comprendre. On n'en parle plus. Il ne m'en a jamais
parlé d'ailleurs ».
Les
enfants ont des réactions plus
diversifiées, mais toujours exemptes
d'hostilité.
Il y a ceux qui estiment que la situation n'a rien
de grave, surtout s'il n'y a pas eu de combat
physique, et se contentent de poser quelques
questions sans trop prêter attention à
la détresse parentale.
...«
Sans doute que j'ai dû leur en parler.
Mais enfin, les enfants ont leurs problèmes,
hein ! »
(Solange)
;
....
Certains sont étonnés,
décortiquent la conduite de leur parent,
donnent des conseils :
«
Fallait lui taper dessus. Fallait lui en coller une
! » et s'étonnent que ceux-ci
soient parfois impossibles à mettre en
oeuvre « T'as pas le droit de faire
ça ? »
(Renaud).
Pour
les plus grands, les confidences relatives à
leurs propres difficultés peuvent être
l'occasion pour l'enseignant de confier des
expériences douloureuses.
«
Je lui en ai parlé en détail. Ca
ne m'a pas gênée parce qu'il
connaît pas mal de gamins sur le quartier.
Lui, il avait eu d'énormes problèmes
avec un gamin qu'il n'a pas pu supporter et il en
avait honte aussi. On a comparé nos
expériences. Il m'a dit que j'avais de la
chance d'avoir pu changer de classe ce gamin parce
que lui, il n'avait pas pu le faire changer de
groupe »
(Ela).
Témoins
isolés parfois du mal être de leurs
parents divorcés, ils n'hésitent pas
à les bousculer, doucement ou fermement,
lorsque ça leur semble vital. Telle la fille
de Monique qui, voyant sa mère se replier
progressivement sur elle-même et se
désintéresser de ses
activités, l'incite à consulter un
psychiatre et l'invite continuellement à
sortir, seule ou en sa compagnie. Telle encore la
fille d'Ingrid
qui, s'alarmant de l'état de santé de
sa mère, appelle contre son gré un
médecin en urgence qui décidera de
l'hospitaliser sur le champ, ou qui, redoutant un
geste suicidaire, lui tient des propos d'une
dureté culpabilisante
«
Maman, tu dois pas te laisser aller. Tu te rends
compte, il y a mon frère il est tout petit.
Si toi tu meurs, tu te suicides, qu'est-ce qu'on
[elle et sa sueur aînée] va
faire avec un petit qu'a trois ans. Il a besoin de
sa mère ».
La
famille élargie : parents, soeurs,
tantes...
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Les
parents des enseignants ne sont pas toujours
informés de l'agression
subie,
du moins pas immédiatement, ces derniers
craignant de leur imposer des soucis
supplémentaires ou, très rarement, de
les voir adopter une attitude critique. Lorsque
néanmoins l'information leur est transmise,
ils témoignent à leur enfant une
solidarité affective et morale
réconfortante :
«
Tu vas oublier. Ca va rester quelques temps mais
tu vas finir par oublier
»
(Sabine).
Le
soutien se fait le plus souvent à distance,
les parents ne vivant généralement
pas auprès de leurs enfants. Même
éloignés géographiquement, ils
restent proches grâce au
téléphone. Parfois, le soutien prend
une forme plus matérielle :
«
Ils se sont renseignés auprès de
leurs relations pour savoir ce qu'on pouvait faire.
Pour me protéger, pour que j'ai une
possibilité si je voulais partir. Voir ce
qu'on pouvait faire, me faire muter, des appuis
pour changer »
(Agnès).
Seuls
les parents de Marc, qui entretiennent une relation
sur-protectrice avec leur fils, ont vu d'un mauvais
oeil sa décision de recourir à un
psychiatre pour l'aider à dépasser
les lourds handicaps psychologiques qui avaient
suivi son agression : « Pour ma
mère, il n'y avait qu'une solution,
c'était la famille ».
La
même forme de soutien affectif s'observe avec
d'autres membres de la famille, telles que des
soeurs, des tantes ou des cousines auprès
desquelles les enseignants trouvent écoute
et affection. Les enseignants sont invités
à venir se ressourcer et se distraire de
leurs soucis en leur compagnie :
«
Ils m'ont remontée, changée les
idées, soutenue, dorlotée,
hébergée, nourrie,
gâtée. Ca a été vraiment
le soutien affectif total. Vraiment ce qu'il
fallait. Pendant une semaine, ils m'ont un petit
peu entraînée de force chez leurs
copains en disant "Il n'y a pas de discussion
possible, tu viens avec nous". Ca m'a fait beaucoup
de bien de voir du monde. Ma soeur a une petite
fille, de 15 mois à l'époque.
D'être avec elle, ça a
été très ressourçant.
Elle m'a fait beaucoup beaucoup de bien. C'est
peut-être elle qui m'a fait le plus de bien
» (Agnès).
Des
conseils fusent également, visant à
encourager l'enseignant à prendre des
mesures de protection qui pour être efficaces
n'en sont pas moins radicales :
«
Les gens qui me sont très proches me disent
qu'il faut partir, que c'est trop dur, que j'ai
passé l'âge, que c'est le quartier
»
(Catherine-2),
« Ma sueur m'a dit "Tu peux pas continuer dans
l'Education Nationale, c'est n'importe quoi. Essaye
de te faire muter ou change carrément de
boulot" »
(Agnès).
Un
discours attentionné mais sans concession
pour le choix professionnel de l'enseignant et les
efforts ou la volonté qu'il lui a
peut-être fallu pour en arriver là
où il est professionnellement parlant. C'est
une invitation sans ménagement à
tirer un trait sur des années - ou quelques
mois - d'engagement et sur une vocation toujours
présente malgré l'agression subie.
Est mis en exergue aussi le caractère
incontrôlable de la situation, avec
l'idée sous-jacente que l'enseignant ne peut
pas lutter : contre l'âge, contre le
quartier, contre le système, contre les
enfants qui n'ont pas leur place à
l'école... D'une certaine façon, ils
ne disent rien d'autre que lorsque la lutte est
impossible, il faut fuir. Pour Ela,
son histoire est l'occasion de nouer un lien
profond avec sa tante. Elle trouve auprès de
cette institutrice à la retraite très
au fait des difficultés actuelles du
métier d'enseignant, la compréhension
et les conseils éclairés dont elle
avait besoin :
«
Ca m'a fait encore plus de bien d'en parler
à ma tante. Elle a eu des emmerdeurs, des
gamins durs. Et donc, si elle me disait ça,
je pouvais lui faire confiance. C'était la
voix de la raison qui avait parlé. C'est
très drôle parce que je ne lui ai
jamais confié des choses vraiment
importantes sur moi. Et ça, il a fallu que
je le lui dise. C'est la première fois que
je lui confie quelque chose de... une souffrance.
C'est la première fois de ma vie que je le
fais ».
Les
amis les plus proches témoignent d'un
soutien plus pragmatique
qu'affectif,
à travers des conseils pour la
rédaction du rapport au chef
d'établissement (« C'est super,
c'est bien. Il faut que tu laisses ça,
ça va faire rire le proviseur »,
Andrée),
des recommandations pour le dépôt de
plainte et les démarches administratives
...« Faut que tu portes plainte. Ne
laisse pas passer »,
Martine),
des incitations à prendre ses distances et
à se mettre en arrêt maladie,
(« Continue pas dans ces conditions.
Arrête ! Mets-toi en arrêt maladie
», Marc)
ou encore des appels à informer la presse
des réalités vécues par le
corps enseignant (« Il faudrait que tu
mettes ça dans le journal et tout, pour que
ça se sache
»,
Catherine-2).
La
compréhension qu'accompagnent surprise et
indignation laisse parfois place à
l'expression d'une mise en cause des
responsabilités de l'enseignant dans ce
qu'il a vécu. Depuis l'intrusion de ses
élèves à son domicile, sa
voisine n'hésite pas à rappeler
à Catherine
« Tu devrais retirer ton trousseau de
clés » lorsqu'elle aperçoit
des clés en évidence. Le conseil est
attentionné chez cette dame qui a
été le témoin de la
détresse de l'enseignante, mais c'est aussi
une manière de la ramener à ses torts
passés et à l'insouciance dont elle
fait montre aujourd'hui.
pp.
218-221
Ces
textes sont tirés de la
thèse d'Anne JOLLY soutenue le 11
Décembre 2002 à
l'Université de
Reims.
Les choix des parties et les
découpages nécessaires sont
de ma
responsabilité.
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