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LE SOUTIEN SOCIAL ISSU DES PROCHES

Anne Jolly

http://www.anne-jolly.com

Hypothèses de cette recherche

 

Corpus et méthodologie

             Les enseignants restent discrets et peu loquaces sur le soutien reçu de leur famille ou de leurs proches amis. Il semble qu'il y ait une certaine pudeur à ce propos, notamment à l'égard du conjoint. Les rares informations qu'ils laissent échapper sont moins empreintes d'opinions et d'émotions négatives que celles qui caractérisent leurs sentiments à l'égard de leur hiérarchie. Au contraire, ils s'attachent davantage aux faits (des paroles ou des actes) qu'à la manière dont ils ont ressenti le soutien que leurs proches leur ont ou non témoigné....

Le conjoint

             L'aide venue du conjoints surprend d'abord pas sa froideur apparente. Aucun geste de tendresse ou d'affection n'est évoqué dans le discours des enseignants, ce qui ne signifie pas pour autant qu'ils n'ont pas existé. Néanmoins, lorsque la question est abordée et que la mémoire ne fait pas défaut, le soutien est plus souvent présent qu'absent. Il se traduit verbalement par des marques d'attention: « Ca va ? » (Martine) ou des marques de réassurance sur la conduite adoptée : « Oui, t'as eu raison de porter plainte. Faut pas laisser faire ça » (Sabine) et sur l'issue des décisions juridiques lorsque l'enseignant est mis en cause pour avoir frappé l'élève impliqué : « C'est elle qui t'a agressée, tu t'es défendue. C'est un geste de défense ! » (Martine). Bien que ni l'un ni l'autre ne souhaitent vouloir s'étendre sur la question, deux enseignants témoignent avec parcimonie et discrétion de la compréhension que leur ont témoigné leur épouse et conjointement de la souffrance ou de la difficulté pour elles à vivre avec les hommes qu'ils sont devenus à la suite de leur agression.

             Lorsqu'au contraire le soutien n'est pas au rendez-vous, il n'en est pas pour autant hostile. Dans ce cas, c'est l'enseignant lui-même qui n'aborde que superficiellement le sujet avec son conjoint, étant persuadé de ne pas recevoir le soutien attendu s'il témoigne de ses difficultés. Un obstacle perçu dans la conduite du conjoint s'oppose à la communication.

« Je n'en ai pas parlé à mon mari parce que j'avais honte. Parce qu'il m'aurait répondu ce qu'il me répond toujours. Il trouve que je ne suis pas assez dure, pas assez sévère. Il a des idées très arrêtées. Il m'aurait peut-être comprise, mais il aurait fait semblant de pas comprendre ».... Solange avoue à contre-coeur : « Il n'aime pas qu'on parle de tous ces problèmes là. Il n'aime pas qu'on raconte, comme il n'aime pas raconter ses histoires, lui. Je ne suis pas de ce côté là assez épaulée, alors je n'en parle pas outre mesure ». Résignée de longue date, Sabine accepte avec indulgence le silence de son mari : «Au bout de trois jours, il avait oublié. Lui, il vit dans le futur et dans le présent mais il ne vit pas dans le passé. Il y a quelques années, je l'aurais très mal pris. Comme un manque d'amour. Comme un manque intérêt. Comme un manque de plein de choses. J'ai appris à le connaître, j'ai appris à comprendre. On n'en parle plus. Il ne m'en a jamais parlé d'ailleurs ».

Les enfants

             Les enfants ont des réactions plus diversifiées, mais toujours exemptes d'hostilité. Il y a ceux qui estiment que la situation n'a rien de grave, surtout s'il n'y a pas eu de combat physique, et se contentent de poser quelques questions sans trop prêter attention à la détresse parentale.

...« Sans doute que j'ai dû leur en parler. Mais enfin, les enfants ont leurs problèmes, hein ! » (Solange) ;

.... Certains sont étonnés, décortiquent la conduite de leur parent, donnent des conseils :

« Fallait lui taper dessus. Fallait lui en coller une ! » et s'étonnent que ceux-ci soient parfois impossibles à mettre en oeuvre « T'as pas le droit de faire ça ? » (Renaud).

             Pour les plus grands, les confidences relatives à leurs propres difficultés peuvent être l'occasion pour l'enseignant de confier des expériences douloureuses.

« Je lui en ai parlé en détail. Ca ne m'a pas gênée parce qu'il connaît pas mal de gamins sur le quartier. Lui, il avait eu d'énormes problèmes avec un gamin qu'il n'a pas pu supporter et il en avait honte aussi. On a comparé nos expériences. Il m'a dit que j'avais de la chance d'avoir pu changer de classe ce gamin parce que lui, il n'avait pas pu le faire changer de groupe » (Ela).

             Témoins isolés parfois du mal être de leurs parents divorcés, ils n'hésitent pas à les bousculer, doucement ou fermement, lorsque ça leur semble vital. Telle la fille de Monique qui, voyant sa mère se replier progressivement sur elle-même et se désintéresser de ses activités, l'incite à consulter un psychiatre et l'invite continuellement à sortir, seule ou en sa compagnie. Telle encore la fille d'Ingrid qui, s'alarmant de l'état de santé de sa mère, appelle contre son gré un médecin en urgence qui décidera de l'hospitaliser sur le champ, ou qui, redoutant un geste suicidaire, lui tient des propos d'une dureté culpabilisante

« Maman, tu dois pas te laisser aller. Tu te rends compte, il y a mon frère il est tout petit. Si toi tu meurs, tu te suicides, qu'est-ce qu'on [elle et sa sueur aînée] va faire avec un petit qu'a trois ans. Il a besoin de sa mère ».

La famille élargie : parents, soeurs, tantes...

             Les parents des enseignants ne sont pas toujours informés de l'agression subie, du moins pas immédiatement, ces derniers craignant de leur imposer des soucis supplémentaires ou, très rarement, de les voir adopter une attitude critique. Lorsque néanmoins l'information leur est transmise, ils témoignent à leur enfant une solidarité affective et morale réconfortante :

« Tu vas oublier. Ca va rester quelques temps mais tu vas finir par oublier » (Sabine).

             Le soutien se fait le plus souvent à distance, les parents ne vivant généralement pas auprès de leurs enfants. Même éloignés géographiquement, ils restent proches grâce au téléphone. Parfois, le soutien prend une forme plus matérielle :

« Ils se sont renseignés auprès de leurs relations pour savoir ce qu'on pouvait faire. Pour me protéger, pour que j'ai une possibilité si je voulais partir. Voir ce qu'on pouvait faire, me faire muter, des appuis pour changer » (Agnès).

             Seuls les parents de Marc, qui entretiennent une relation sur-protectrice avec leur fils, ont vu d'un mauvais oeil sa décision de recourir à un psychiatre pour l'aider à dépasser les lourds handicaps psychologiques qui avaient suivi son agression : « Pour ma mère, il n'y avait qu'une solution, c'était la famille ».

La même forme de soutien affectif s'observe avec d'autres membres de la famille, telles que des soeurs, des tantes ou des cousines auprès desquelles les enseignants trouvent écoute et affection. Les enseignants sont invités à venir se ressourcer et se distraire de leurs soucis en leur compagnie :

« Ils m'ont remontée, changée les idées, soutenue, dorlotée, hébergée, nourrie, gâtée. Ca a été vraiment le soutien affectif total. Vraiment ce qu'il fallait. Pendant une semaine, ils m'ont un petit peu entraînée de force chez leurs copains en disant "Il n'y a pas de discussion possible, tu viens avec nous". Ca m'a fait beaucoup de bien de voir du monde. Ma soeur a une petite fille, de 15 mois à l'époque. D'être avec elle, ça a été très ressourçant. Elle m'a fait beaucoup beaucoup de bien. C'est peut-être elle qui m'a fait le plus de bien » (Agnès).

             Des conseils fusent également, visant à encourager l'enseignant à prendre des mesures de protection qui pour être efficaces n'en sont pas moins radicales :

« Les gens qui me sont très proches me disent qu'il faut partir, que c'est trop dur, que j'ai passé l'âge, que c'est le quartier » (Catherine-2), « Ma sueur m'a dit "Tu peux pas continuer dans l'Education Nationale, c'est n'importe quoi. Essaye de te faire muter ou change carrément de boulot" » (Agnès).

             Un discours attentionné mais sans concession pour le choix professionnel de l'enseignant et les efforts ou la volonté qu'il lui a peut-être fallu pour en arriver là où il est professionnellement parlant. C'est une invitation sans ménagement à tirer un trait sur des années - ou quelques mois - d'engagement et sur une vocation toujours présente malgré l'agression subie. Est mis en exergue aussi le caractère incontrôlable de la situation, avec l'idée sous-jacente que l'enseignant ne peut pas lutter : contre l'âge, contre le quartier, contre le système, contre les enfants qui n'ont pas leur place à l'école... D'une certaine façon, ils ne disent rien d'autre que lorsque la lutte est impossible, il faut fuir. Pour Ela, son histoire est l'occasion de nouer un lien profond avec sa tante. Elle trouve auprès de cette institutrice à la retraite très au fait des difficultés actuelles du métier d'enseignant, la compréhension et les conseils éclairés dont elle avait besoin :

« Ca m'a fait encore plus de bien d'en parler à ma tante. Elle a eu des emmerdeurs, des gamins durs. Et donc, si elle me disait ça, je pouvais lui faire confiance. C'était la voix de la raison qui avait parlé. C'est très drôle parce que je ne lui ai jamais confié des choses vraiment importantes sur moi. Et ça, il a fallu que je le lui dise. C'est la première fois que je lui confie quelque chose de... une souffrance. C'est la première fois de ma vie que je le fais ».

Les amis

             Les amis les plus proches témoignent d'un soutien plus pragmatique qu'affectif, à travers des conseils pour la rédaction du rapport au chef d'établissement (« C'est super, c'est bien. Il faut que tu laisses ça, ça va faire rire le proviseur », Andrée), des recommandations pour le dépôt de plainte et les démarches administratives ...« Faut que tu portes plainte. Ne laisse pas passer », Martine), des incitations à prendre ses distances et à se mettre en arrêt maladie, (« Continue pas dans ces conditions. Arrête ! Mets-toi en arrêt maladie », Marc) ou encore des appels à informer la presse des réalités vécues par le corps enseignant (« Il faudrait que tu mettes ça dans le journal et tout, pour que ça se sache », Catherine-2).

             La compréhension qu'accompagnent surprise et indignation laisse parfois place à l'expression d'une mise en cause des responsabilités de l'enseignant dans ce qu'il a vécu. Depuis l'intrusion de ses élèves à son domicile, sa voisine n'hésite pas à rappeler à Catherine « Tu devrais retirer ton trousseau de clés » lorsqu'elle aperçoit des clés en évidence. Le conseil est attentionné chez cette dame qui a été le témoin de la détresse de l'enseignante, mais c'est aussi une manière de la ramener à ses torts passés et à l'insouciance dont elle fait montre aujourd'hui.

 pp. 218-221

             Ces textes sont tirés de la thèse d'Anne JOLLY soutenue le 11 Décembre 2002 à l'Université de Reims. Les choix des parties et les découpages nécessaires sont de ma responsabilité.

PLAN des parties de la thèse

Anne Jolly

L'agression : du stress au traumatisme
LE SOUTIEN SOCIAL
Le coping
Jugements et évaluations
Les réactions Symptomatiques
Le vécu attaché à l'agression
Du milieu professionnel
Des proches
De la société
combattre, fuir ou pâtir
Image de l'élève agresseur
Portrait-robot de
l'élève agresseur

l'enseignant qui a le plus de risque

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