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Le soutien social :

l'enseignant entre solitude et solidarité.

Anne Jolly

http://www.anne-jolly.com

Hypothèses de cette recherche

 

Corpus et méthodologie

- LE SOUTIEN SOCIAL ISSU DU MILIEU PROFESSIONNEL

             Lorsqu'un enseignant se fait agresser par un élève et que son entourage professionnel en est informé, celui-ci ne reste généralement pas indifférent à son sort. Pourtant, la décision de se confier à sa hiérarchie ou à ses collègues n'est pas toujours aisée à prendre.

« Personne dans l'établissement ne l'a jamais su. Peut-être aussi parce que j'avais peur qu'on me trouve une part de responsabilité dans l'histoire » (Sylvie) ; « J'ai mis du temps à en parler. Je n'y arrivais pas. J'avais envie d'en parler et... j'avais l'impression que si je commençais à en parler, les gens ne me regarderaient plus de la même façon » (Aude).

             On se tait par crainte de n'être pas soutenu. On se tait par crainte d'être renvoyé à ses propres torts. On se tait par crainte de voir exprimé par d'autres ses propres critiques. A raison parfois, puisqu'au regard des nombreuses situations rencontrées dans notre étude, les réactions de soutien sont loin d'être unanimes. Les enseignants évoquent avec loquacité et émotion la compassion des uns et l'indifférence, voire l'agressivité, des autres. Il y a les partenaires qui comprennent la détresse de l'enseignant, ceux qui ne comprennent pas et ceux qui font semblant de ne pas comprendre de crainte d'être eux-mêmes débordés par leurs émotions. Une importante disparité existe notamment entre les réactions de la hiérarchie et celles des collègues, au net avantage de ces derniers....

 

Le chef d'établissement et son adjoint -Soutien moral et assistance

Le soutien, lorsqu'il s'exprime, prend toutes les formes possibles.

             Du soutien émotionnel au soutien matériel, l'enseignant trouve auprès de son chef d'établissement le réconfort et l'assistance directe dont il a besoin....

« Je me suis sentie épaulée. Je n'étais plus seule » (Solange) ; « Monsieur le Principal et son adjoint ont pris ça quand même très au sérieux » (Catherine-1).

             Après la brutalité et l'absurdité de l'agression, la disponibilité bienveillante et le discours rassurant du chef d'établissement sont appréciés à leur juste valeur par les enseignants. Ils leur sont reconnaissants d'avoir su prendre le temps de les recevoir quelques instants dans leur bureau, écouter leur histoire qu'interrompent parfois les sanglots, comprendre leur détresse, soulager leurs angoisses, et surtout prendre les décisions qui s'imposent.

             La compassion est essentielle. Elle rend digne tant celui qui l'exprime que celui qui la reçoit. Elle permet de rendre son humanité à un épisode de vie qui en était dénué. ...

« Elle m'a dit que si je portais plainte, elle portait plainte avec moi et qu'elle me soutenait. Sur le moment, ça m'a fait du bien parce qu'elle m'a quand même écoutée » (Aude).

             Mise en cause sans ménagement quelques années plus tôt, Sabine accueille avec soulagement l'attitude bienveillante de sa hiérarchie actuelle... Sensible à l'anxiété de Catherine lorsqu'il lui annonce la pression exercée par le père d'élève pour connaître son adresse personnelle, le Principal n'hésite pas à lui dire

« Si jamais dans la nuit il se passe quelque chose, vous me téléphonez, je viendrai ».

             Ces instants de réconfort s'accompagnent parfois d'un dédouanement qui vise à rassurer l'enseignant sur ses compétences et plus globalement dans son estime de lui-même, par la justification de sa conduite et l'accusation de celle de l'élève. ...

« Elles connaissaient le gamin donc elle se sont bien doutées que c'était pas un hasard si ça arrivait avec lui » (Sabine) ;...

             Si le soutien reçu n'est en rien homogène, il n'en est pas autrement du soutien perçu. Aussi un enseignant peut-il se satisfaire pleinement d'un soutien émotionnel que d'aucuns qualifieraient de léger. Par exemple, le chef d'établissement d'Andrée qui reçoit un courrier diffamatoire dans lequel une mère l'accuse d'avoir levé la main sur sa fille, ne se déplace pas pour rencontrer l'enseignante et se contente de lui transmettre une copie de la lettre accompagnée du petit mot « Il faudra passer me voir ensuite ». Il la reçoit cinq jours plus tard, sur rendez-vous pris auprès de sa secrétaire. Entre temps, elle lui a fait parvenir un rapport. Il n'a rien à en dire et l'entretien ne dure que quelques secondes : « Madame X, il n'y a rien à dire. Votre lettre était suffisamment claire ». Cette issue convient parfaitement à Andrée :

« Je n'ai pas eu à m'expliquer oralement. Avec le recul, je trouve que c'est beaucoup mieux parce que j'aurais été en situation de professeur qui se défend contre une accusation. Et, je n'étais pas en état ».

             L'assistance directe, matérielle et concrète est aussi importante que le soutien émotionnel. Elle confirme la valeur des paroles réconfortantes émises jusque là et conforte l'enseignant dans ses principes moraux. L'enseignant agressé apprécie que son chef d'établissement porte plainte de manière solidaire, renvoie l'élève impliqué, organise un conseil de discipline, convoque les parents, etc. Concrètement, le chef d'établissement doit mettre en eeuvre des actions visant à défendre l'enseignant et à sanctionner l'élève lorsque celui-ci est inscrit dans l'établissement. ...

« Il m'a ouvert toutes les portes. Il m'a ouvert la porte du commissaire. Il m'a ouvert la porte de l'Inspecteur d'Académie. Il m'a ouvert la porte de la présidente de l'Autonome » (Catherine-2)...

-Absence de soutien

             Une autre fraction, la plus importante en nombre, regroupe les chefs d'établissement qui ne se sont pas sentis concernés par l'agression. Parce que l'écoute, la compréhension et l'action renvoient à l'immensité des attentes des enseignants à l'égard de leur chef d'établissement, lorsqu'elles viennent à manquer, la reconnaissance et l'estime laissent place à la colère et au mépris. L'indifférence au sort de l'enseignant peut s'exprimer d'emblée ou n'apparaitre qu'après un laps de temps durant lequel s'installent lassitude et agacement envers des plaintes qui finissent par les indisposer ...Si l'administration n'est jamais témoin d'aucune forme de violence, elle se met parfois à douter de la réalité de celle-ci et l'incompréhension devient totale entre l'administration et l'enseignant qui prend comme une atteinte personnelle toute action en faveur de l'élève.

             La hiérarchie semble capable d'attirer à elle l'hostilité avec une facilité remarquable. L'absence de soutien peut aller de l'indifférence pure et simple à la franche hostilité. Le manque d'humanité du chef d'établissement est fortement ressenti.

« Elle ne voulait même pas me voir après. [- Vous avez voulu la voir ?] Non, c'était plutôt à elle, je pense. C'est pas à moi de faire toutes les démarches. Dans l'état où j'étais. Sans être plaint, ça n'aurait pas dû se passer comme ça. Qu'au moins le cours soit arrêté, qu'elle discute avec moi... » (Daniel).

             L'enseignant agressé est particulièrement sensible aux mots et l'écoute des propos se fait particulièrement critique.

« J'étais à moitié dans le coma dans l'ambulance, il est venu me voir, il ne m'a pas demandé comment j'allais. Véridique. Je n'exagère rien. II m'a dit "Monsieur X., je vous interdis de porter plainte. Il ne faut pas faire de vague". J'avais envie de lui en mettre une et de lui dire "Vous ne ferez pas de vague maintenant, hein "' » (Florient) ...

             Le manque de soutien matériel s'exprime à différents niveaux. La mansuétude à l'égard de l'élève agresseur leur semble inexcusable, d'autant qu'ils ne sont pas dupes quant aux raisons administratives qui poussent leur chef d'établissement à tant d'indulgence. L'immobilisme est dénoncé, souvent avec regret et plus rarement avec colère. ...

« Il n'a pas porté plainte. Il n'a rien fait. Les élèves n'ont pas été sanctionnés » (Ingrid) , « [Quelques minutes après l'agression], l'élève jouait comme si de rien n'était au ping-pong. C'est ça qui m'a encore plus cassé. Il a été convoqué, c'est tout » (Daniel) ;...

             Le manque de soutien s'exprime aussi par le peu d'appui reçu de celui dont a priori on pourrait s'attendre à une assistance obligée. ..

.« Il m'a été dit que j'étais parano et que c'était à moi de me calmer. A un moment, j'ai été mal considéré. Il a fallu que je me batte, il a fallu contester les notes et les appréciations administratives, etc. » (Gilles) ; « Il s'en fiche. On est tout seul devant son problème. "Démerde-toi !" » (Ingrid) ; « Le dossier du Rectorat, elle ne voulait pas le remplir. Elle disait que ce n'était pas un accident mais un incident. Sur le formulaire, elle a barré le mot accident et moi j'ai rebarré. Je ne suis pas rancunier mais ce qui s'est passé avec l'Administration il y a de ça, quoi ! » (Daniel) ; « Il m'a dit "Vous l'avez frappée. Vous devez garder votre sang froid". Je dis "Mais vous vous rendez compte, je suis devant plus de trente élèves. Je me laisse tabasser comme ça, comment je fais après pour enseigner ? Je perds la face. Comment vous feriez vous ?". Il me dit "De toute façon, on vous demande de ne pas réagir. Vous avez eu tort". Il m'a bien descendue » (Martine) ; « J'avais demandé à ne plus avoir l'élève, mais... "Ah Monsieur X., on ne peut pas faire ça ! Vous êtes obligé de le ravoir" » (Marc).

             Lorsque les considérations matérielles devancent largement celles sur la santé mentale ou physique des enseignants, les réflexions sur les jours d'arrêt maladie pris par certains enseignants renforcent encore le malaise.

« J'ai eu un coup de fil du Proviseur. Pas pour me demander comment j'allais. Je te jure que c'est vrai ! Pour me dire "Vous comprenez, il faudrait nous prévenir quand vous prolongez parce qu'on va vous faire remplacer". J'ai cru que j'hallucinais » (Florient) ;...

• Hostilité

             Le mépris et l'agressivité sont sans doute les attitudes les plus choquantes et les plus mal vécues. Néanmoins, les partis pris pour l'élève contre l'enseignant sont décrits comme de véritables violences.

« Il s'est dit que c'était un règlement de compte, que c'était pas ces élèves là, que je mentais, qu'il ne s'était rien passé. Ca a été vraiment une affaire terrible parce que j'étais la personne à abattre. Tout venait de moi, j'étais le bouc émissaire de tous les problèmes » (Ingrid) ; « Elle m'a dit "Qu'est-ce que vous lui avez fait à l'élève ?". J'ai pas du tout apprécié » (Daniel). ...

             Alors qu'un élève lui a fracturé un orteil, Hervé s'entend dire par son chef d'établissement

« Moi, j'ai deux rapports contradictoires, je ne cherche pas à savoir la vérité, si vous portez plainte, je vous laisse vous débrouiller tout seul avec les parents de l'élève qui demandent qu'on porte plainte pour diffamation contre vous et pensent éventuellement se plaindre parce que vous avez giflé leur fils. Vous aurez les associations de parents d'élèves sur le dos ».

             Pire encore est le sentiment des enseignants qui se voient disqualifiés devant leurs élèves par leur hiérarchie lorsqu'ils lui demandent d'intervenir.

« Le Principal et le Principal adjoint ont pris les élèves et ils m'ont demandé de sortir. [...] Au tableau le Principal avait écrit des reproches que les élèves faisaient à mon sujet "Monsieur X., nous traite comme des chiens", "Il crie après nous", "Il nous donne trop de travail", etc. » (Hervé).

             Scandalisés, offusqués, désabusés ou simplement déçus, les sentiments d'injustice et de désaveu sont immenses chez ces enseignants dont la parole ou l'action sont mises en cause.

             Le vécu lié à ces sentiments d'hostilité fait ressortir des contentieux anciens avec les chefs d'établissement. La mésentente est palpable, tant les désaccords et les conflits ont été nombreux et répétés avec certains. Profitant de l'occasion qui leur est offerte de s'exprimer, les enseignants ont rarement de scrupules pour reprocher à leur chef d'établissement son immobilisme, son attentisme, son irresponsabilité, ou encore son incompétence. Ils ne sont pas tendres à l'égard de ces chefs d'établissement qui les maltraitent. De leur point de vue, ils ne remplissent pas les devoirs qui incombent à leur fonction.

« Il n'a jamais tenu compte des conditions dans lesquelles on travaille. Il n'a jamais eu un point de vue solidaire avec nous. Il était très très particulier. Il court-circuitait toute information venant d'en haut ou devant remonter. Sa devise était diviser pour mieux régner. Et puis pas de confiance dans les enseignants qu'il avait. Ca a peut-être été un gestionnaire exceptionnel, mais seulement un gestionnaire » (Eric) ...

• Directeur adjoint

             A l'égard de l'adjoint au chef d'établissement, les attentes sont les mêmes. Le plus souvent, son soutien est évoqué lorsqu'il s'inscrit dans la lignée du désintérêt manifesté par le chef d'établissement ou lorsqu'au contraire sa bienveillance produit un contraste bienfaisant. La critique porte sur son immobilisme et le peu d'enthousiasme qu'il met à résoudre concrètement les problèmes.

« A mon retour [arrêt de 11 mois], le Proviseur adjoint m'a dit "Vous savez Madame, vous ne pouviez rien faire". Il reconnaissait quand même que c'était vrai, que les élèves qui m'avaient insultée étaient bien ceux là. Il y a quand même un progrès. Un an plus tard ! Alors je me suis dit à moi même "Merci ! Ca veut dire qu'un prof, il peut déprimer au point de penser au suicide, un prof c'est pas grave. Un gamin, il a le droit de tout" » (Ingrid) ;

..            .La louange porte sur son humanité et sa capacité à prendre en considération la souffrance humaine.

« Il m'a très bien écoutée. Il a une très bonne écoute. En plus, il m'a dit qu'il comprenait très bien parce que ça lui était arrivé d'être l'objet d'une rumeur. Il savait très bien ce que je ressentais. C'était vraiment la seule personne dans le collège qui comprenait » (Aude) ...

Les collègues • Solidarité

De la part des collègues, le soutien est plus fréquent que le désaveu.

             Il est essentiellement émotionnel et apporte chaleur et réconfort à l'enseignant agressé. Une première marque de soutien à laquelle les enseignants sont très sensibles réside dans l'attention amicale, les paroles réconfortantes et les petits gestes tendres qui arrivent rapidement après l'incident.

« Ma collègue m'a attrapée tout de suite par le bras, ça avait l'air de dire "Je suis avec toi, je te comprends". Elle m'a insufflée sa force je dirais à la limite. Je lui en sais grée. J'ai senti qu'il y a quelqu'un qui me comprenait, que j'étais soutenue, que j'étais plus toute seule. J'ai un peu ressenti ça. Puis une aide aussi. Elle m'a pas portée mais presque. Elle m'a imprégnée, et comme elle est assez vive ça m'a beaucoup réconfortée. Elle m'a emmenée dans la salle des professeurs et elle a dit "Écoutez, il vient de se passer quelque chose de très grave". Les collègues, il y en a qui sont venus vers moi, qui m'ont soutenue, qui m'ont entourée, qui m'ont pris le bras, qui m'ont pris l'épaule... Ils m'ont beaucoup entourée. Beaucoup, beaucoup, beaucoup. Ils ont été super » (Sabine).

             Le soutien affectif s'exprime fréquemment par voies indirectes : téléphonique et postale, lorsque l'enseignant est arrêté quelques jours.

...« J'ai reçu plein de coups de fils de collègues de toute la ville pour me remonter un peu le moral. J'ai trouvé que c'était sympa. Ma collègue m'appelait tous les jours en me disant "Dans l'établissement, les profs ils font ci, ils pensent ça, ils sont prêts à faire grève..." » (Martine) ; « J'ai reçu plein de mots de tout le monde. Des collègues m'assurant leur soutien. Plein de petites cartes. Très sympa. Ca fait du bien parce que moralement on est quand même assez abattu » (Florient).

             Il arrive que ce soutien tarde à arriver, laissant à l'enseignant un sentiment temporaire d'abandon et d'incompréhension.

« J'ai rencontré deux collègues dans le couloir : "Je viens de me faire menacer de mort". Elles ont pris ça à la rigolade. Sur le coup, elles ont cru que je plaisantais comme je le disais sur un ton assez gai, parait-il. Ca m'a un peu... "D'accord ! Ca n'a pas l'air de leur faire beaucoup d'effet". Je ne sais plus ce qu'elles m'ont dit "Ah c'est la meilleure !". Un truc comme ça, vraiment quelque chose de banal, quoi ! » (Sabine).

             Plus rarement, l'empathie est telle qu'elle devient difficile à gérer et à supporter.

« Les collègues se projetaient. Ca aussi, c'est dur à vivre. Les gens se mettaient à ma place jusqu'à me dire "Mais tu ne demandes pas à partir ?". Ils avaient peur à ma place. On sortait du lycée: "Tu n'as pas peur ?". On m'a même présenté des situations auxquelles je n'aurais jamais pensé. C'est très curieux de voir quand il se passe quelque chose comme ça, les gens se projettent. C'est fou ! Je devais avoir mal, je devais avoir peur, j'aurais dû demander ma mutation tout de suite. Ils pensaient à ma place. Ca s'est calmé. Ca a duré plus de trois mois facile. Je l'ai su après mais ils avaient même pensé me changer de salle, intervertir les classes... Alors, c'était gentil. Dans les couloirs, on me demandait comment j'allais, mais c'était lourd à force. Honnêtement, c'est lourd. J'arrivais à appréhender de rencontrer quelqu'un » (Monique).

             L'indignation, la colère et la volonté d'actions collectives qui accompagnent souvent ces sentiments sont généralement bienfaitrices. Elles participent à la reconnaissance du préjudice subi et au statut de victime, et agissent comme un soutien affectif.

« Ce qui m'a fait plaisir, c'est que quand ça a sonné, ils ont dit "On n'y va pas, on reste tous là !". Tout le monde est resté. Ca, ça m'a vraiment fait plaisir. Oui. C'était chouette. On a l'impression qu'on n'est pas tout seul, qu'il y a une équipe qui vous aime, qu'ils s'en foutent pas. Ca a été notre façon de manifester. Le genre de situation un peu idyllique où tout le monde se sert les coudes » (Odile).

             Néanmoins, ces actions ont aussi pour vocation de témoigner d'un ras le bol général envers les décideurs (notamment les chefs d'établissement) et de les inciter à agir plus promptement et de manière civique à l'agression subie par l'un des leurs.

« Tout le monde a signé la lettre [destinée au procureur qui a classé l'affaire]. Les personnels de service, dans les bureaux, partout ! Tout le monde. La Segpa, tout le monde. A la réunion, tout le monde y était. Ils ont réagi sans que j'ai trop à dépenser d'énergie. De toute façon, ils ont vu que je pouvais pas en dépenser. Ils ont bien compris » (Catherine-2) ;

             Il semble que ce mouvement collectif soit aussi un facteur de panique pour certains au sens où les formes de soutien reçu ne sont pas toujours attendues ou souhaitées.

...« Les collègues ont réagi tout de suite en disant "C'est pas possible, faut qu'on fasse un conseil de discipline". Sur le coup, je me suis dit "Bon sang ! Qu'est-ce que t'as fait là ? Dans quoi t'as mis le doigt ?". J'avais l'impression d'avoir déclenché un engrenage. Parce que tout le monde avait des réactions assez vives. Quand ils ont dit "On ne reprend pas les cours", je me suis dit "Ca y est ! J'ai réussi à mettre le bazar". Je me disais "J'aurais dû rien dire à l'élève, comme ça on n'en serait pas là". Un sentiment de culpabilité à l'égard de la tornade que j'étais en train de déclencher dans l'établissement. Les collègues m'ont dit "Mais non. Tu as réagi normalement et nous, on réagit normalement" » (Sabine).

             Dans ce cas, l'enseignante est totalement dépossédée à la fois de l'incident et des conséquences qu'elle lui souhaitait.

             Du moins temporairement, les agressions ont tendance à rapprocher les enseignants. Les victimes s'étonnent avec plaisir et soulagement de l'attention et de l'intérêt que leur témoignent jusqu'aux moins familiers de leurs collègues....

Plus rarement, ces rapprochements peuvent être les prémices à l'instauration d'une véritable amitié lorsque l'agression affecte non un enseignant en particulier mais une équipe éducative et que la hiérarchie n'est pas disposée à intervenir en sa faveur.

« Quand on s'est aperçu qu'on n'était pas agressé individuellement mais en tant que symbole et qu'on pouvait rien attendre de la structure, on a fini par se parler les uns les autres et il y a eu des affinités. On est devenu soit copains soit amis. On est plus soudé. Quand on a un agresseur commun, à un moment donné on se rencontre. S'il n'y avait pas eu ça, je pense qu'on aurait continué à se croiser tout doucement » (Gilles).

• Mises en cause et indifférence

             Parfois, de petites phrases aux accents accusateurs blessent ou agacent. Lorsqu'elles sont le fait d'une minorité, elles sont diluées dans une solidarité générale, sans grand préjudice : ...

« Que des collègues me disent "T'as qu'à aller dans des endroits où tu ne risques pas de te faire insulter. C'est pas compliqué !". Ca me mettait très fort en colère, parce que le fait de me suggérer ça, ça avait l'air de dire un petit peu "Tu te fais insulter parce que tu le veux bien. Tu vas dans des endroits où on t'insulte. C'est un petit peu tant pis pour toi" » (Aude). ...

             Entre solidarité et accusation, l'incompréhension et l'indifférence sont relativement rares. Elles se caractérisent par un manque d'attention et d'empathie qui blesse, déstabilise ou agace.

« C'était un petit peu chacun pour soi et Dieu pour tous. Il y en a même pas un qui a rappelé chez moi après. Là-bas, on pouvait crever sur le trottoir. C'était vraiment chacun pour soi » (Marc) , ...

 

Les autres partenaires

             Le soutien reçu d'autres partenaires de l'administration est rarement évoqué dans le discours des enseignants, à moins qu'il ne dénote par son efficacité ou inefficacité. Il ne mérite d'être présenté que par son caractère particulièrement positif ou négatif, semble-t-il. Il est parfois difficile de rencontrer ces figures de la hiérarchie, notamment lorsqu'un sentiment d'humiliation fait suite à l'agression.

« J'ai rencontré l'Inspecteur d'Académie. C'est là que je me suis sentie la plus humiliée. C'est pas lui qui m'a humiliée bien sûr ! Il a été très bien. En plus, ce qui m'a choquée, c'est que quand je suis arrivée dans son bureau il y avait une autre personne, un homme. Il me l'a présenté comme étant le Secrétaire Général attaché au personnel. Il était assis en face de son bureau à côté de moi. J'aurais pu le percevoir comme mon avocat, comme un avocat de la défense, comme un soutien... Pas du tout ! J'ai eu l'impression d'être face à deux hommes qui allaient, c'est là que je me suis sentie humiliée, qui allaient me juger et devant qui j'allais devoir dire que je n'avais pas couché avec cet élève » (Catherine-2).

             Une attitude interventionniste est généralement bien perçue. C'est le cas par exemple de la réunion organisée par l'Inspecteur d'Académie de Catherine, avec l'élève auteur des accusations diffamatoires.

« Ca s'est bien passé. Du mieux que ça pouvait se passer. C'est une démarche dont la symbolique est très importante. Il est intelligent cet inspecteur d'académie. C'était bien fait. C'était très très bien fait. Vraiment. Il a rétabli une relation humaine. Il a rétabli dans le symbolique des points de repère qui n'existent pas trop pour le jeune homme. Il a essayé de lui faire sentir qu'il avait touché quelque chose dans la personne qui était très intime, qui était très précieux et qu'on pouvait pas vivre dans la société sur ces bases là » (Catherine-2).

             Lorsqu'au contraire l'indifférence et la remise en cause sont les seules attitudes qui sont opposées à la détresse de l'enseignant, colère, rancune et désillusion dominent.

« J'ai été convoqué chez le DRH. Il m'a dit "Votre chef d'établissement a fait un rapport accablant sur vous. Vous ne savez pas enseigner. Vous ne savez pas prendre les élèves. Vous savez, aujourd'hui les enfants et les parents sont des clients" » (Hervé).

pp. 205-217 

             Ces textes sont tirés de la thèse d'Anne JOLLY soutenue le 11 Décembre 2002 à l'Université de Reims. Les choix des parties et les découpages nécessaires sont de ma responsabilité.

PLAN des parties de la thèse

Anne Jolly

L'agression : du stress au traumatisme
LE SOUTIEN SOCIAL
Le coping
Jugements et évaluations
Les réactions Symptomatiques
Le vécu attaché à l'agression
Du milieu professionnel
Des proches
De la société
combattre, fuir ou pâtir
Image de l'élève agresseur
Portrait-robot de
l'élève agresseur

l'enseignant qui a le plus de risque

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