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Signification des quatre catégories

 

Une analyse hiérarchique faite sur l'ensemble des questions permet de les regrouper en 4 catégories C1; C2; C3; C4 qui, rassemblées sur le plan 1-2,donne cette représentation.

Questionnaire

Signification des tendances

Signification des catégories

Signification pédagogique

Méthodologie

 

On pourra , grâce aux valeurs des catégories C1; C2; C3; C4, que l'on a trouvées pour soi par le questionnaire, voir dans quelle mesure on appartient à telle ou telle catégorie, évidemment souvent plusieurs !

 

 

 

 

 

 

 

 Tendance

IM

Tendance MI

 

 On trouvera ci-dessous la description et l'interprétation que l'on peut donner à ces différentes catégories.

Catégorie C1

             Ce qui paraît caractériser cet ensemble de questions, c'est déjà une représentation assez négative des mathématiques. Elles sont vécues comme un objet qui «prive d'émotions personnelles » (q. 94) et d'une « vie affective normale » (q. 82), plus profondément comme un mauvais objet, « quelque chose de mort » (q. 31), pouvant apporter avec lui la mort (affective) : « Si j'approfondis les mathématiques, il me semble que je creuse un trou et que je m'enterre. » (q. 88.) On comprend que ces professeurs ne sont plus suffisamment intéressés par les mathématiques (q. 105) et qu'ils préfèrent le rapport avec les élèves à leur enseignement (q.23).

             Cette représentation des mathématiques peut provenir, en partie au moins, d'une projection du professeur sur cette discipline qui, en elle-même, n'est ni vivante, ni morte. Ce même mécanisme peut expliquer, me semble-t-il, l'attitude ambivalente vis-à-vis des élèves qui ressort des questions regroupées dans cette classe. En effet, les questions traduisent un désir de « rapport » avec les élèves (q. 23), une acceptation de leurs attitudes (q. 25 - 17 - 9 - 19), mais aussi une anxiété à leur égard, « impression d'être débordé » par eux (q. 28), « appréhension » en entrant dans la classe (q. 32), anxiété pouvant se traduire également sous une forme psychosomatique (q. 34).

             La projection sur les élèves peut ainsi être soit la même que sur les mathématiques, soit celle du désir de libération de ce mauvais objet. Le professeur donne aux élèves la liberté qu'il voudrait pour lui-même. On peut également interpréter les questions 26 et 30 comme des projections.

             Il semble ainsi possible de présenter, après l'étude de cet ensemble de questions, un mode particulier de relation avec les mathématiques qui est celui de protéger le sujet contre une angoisse persécutrice. En effet, dans la mesure où l'objet persécuteur interne pourra être par projection situé à l'extérieur du sujet sur un objet précis et limité, ce sujet pourra ressentir un certain soulagement dans d'autres domaines.

             Ceci peut permettre au sujet de se défendre en cherchant à maîtriser cet objet extériorisé. Cette projection est déjà une défense qui peut aussi se prolonger dans une lutte et un combat imaginaires contre les mathématiques qui aboutissent à une « victoire » sur le persécuteur. Ce sentiment de « victoire » est très souvent rencontré dans le vécu des élèves comme dans celui des professeurs. Un autre moyen utilisé est celui d'un apparent désinvestissement de cet objet ; souvent, tel professeur dit que les mathématiques ne l'intéressent plus, mais il ne va pas jusqu'à envisager de ne plus en faire.

             L'attitude de certains professeurs à l'égard des élèves n'est pas toujours la projection de leur besoin de liberté, ni un laisser-faire qui peut aboutir à «l'impression d'être débordé » (q. 28). Au contraire, elle peut parfois résulter de la pulsion d'agressivité elle-même qui se manifeste alors par une recherche de maîtrise de la classe. Le persécuteur n'est plus seulement les mathématiques, mais il se manifeste aussi dans l'attitude des élèves en classe : « Il m'est arrivé de sentir certaines classes très agressives à mon égard. » (q. 30.) « Les objets idéaux et les persécuteurs introjectés pendant la position paranoïde-schizoïde forment les premières racines du sur-moi. » (Ségal) C'est pourquoi je pense qu'ici les mathématiques sont au service du sur-moi, mais non pas comme dans la classe C2 pour forger un sur-moi plus tolérant et plus supportable ou pour restaurer le narcissisme du sujet, mais pour limiter, circonscrire et extérioriser l'aspect persécuteur du sur-moi.

             Actuellement, l'objet mathématique n'est-il pas souvent vécu socialement comme persécuteur? Cet objet qui « sélectionne », qui « empêche de faire le métier souhaité », qui « oblige à un travail non désiré », etc. oblige le professeur qui, socialement, en a la charge, le professeur de mathématiques, à se situer par rapport à ce fantasme collectif.

             Un professeur représentatif du groupe C 1 introjectera d'autant mieux cet aspect social qu'il vivra lui-même les mathématiques comme persécutrices et qu'il cherchera alors, pour rétablir un narcissisme atteint parce qu'il se sent le représentant des mathématiques par exemple, à « limiter les dégâts ».

(Voir: Entretien de Claire )

             Certains professeurs sont ainsi en conflit apparent avec les mathématiques. Ils dénoncent très fortement la persécution des mathématiques mais s'en font en même temps l'instrument, comme s'ils avaient besoin justement de cet objet persécuteur à dénoncer. Ils peuvent trouver dans cette lutte et cette dénonciation un soulagement à la persécution interne de leur propre sur-moi. Ce soulagement est d'autant plus fort que cette attitude trouve un écho dans le milieu social environnant. Il n'est donc peut-être pas étonnant qu'il soit si difficile de mettre en doute ou seulement de nuancer de telles visions des choses.

 

Catégorie C2

             Ce qui caractérise les sujets de cette classe, c'est une certaine perte d'investissement du réel.

             La relation avec leurs élèves et avec leurs collègues est difficile (le centre de gravité de la classe C2 a l'abscisse la plus élevée sur l'axe 3 — (tendance à l'isolement). Ils se sentent bien lorsqu'ils sont dans un « domaine personnel » (q. 99), dans une ambiance ascétique (q. 104) ou lorsqu'ils sont solitaires (q. 98).

             D'où vient cette perte partielle de contact avec la réalité ?

             Ainsi, ceux qui répondent affirmativement à ces questions manifestent un désir d'isolement qui leur permet d'éviter les tentations d'agressivité et les blessures narcissiques. Que demandent alors ces sujets aux mathématiques ?

             Ces sujets demandent aux mathématiques de remplir deux fonctions. D'une part, participer au refoulement de ces tendances non acceptées, d'autre part, leur procurer dans l'imaginaire un objet avec lequel ils puissent suppléer à leur insatisfaction.

             Grâce aux mathématiques, ces sujets vont pouvoir « défouler leur agressivité en toute sécurité » (q. 106), c'est-à-dire sans culpabilité ; c'est pourquoi ils considèrent les mathématiques comme « un obstacle sportif, un combat, la violence sous forme de jeu » (q. 109). Ils demandent aussi aux mathématiques de combler leur blessure narcissique en leur permettant de « se sentir plus forts que les autres » (q. 100) et de se « prouver qu'ils sont capables de faire quelque chose » (q. 93).

             On conçoit alors fort bien que, pour ces sujets, les mathématiques puissent remplir des fonctions indispensables : « Heureusement qu'il y a les mathématiques, elles m'aident à vivre » (q. 96) et que, à cause de leurs difficultés de contact, ils déclarent : « Faire des mathématiques m'intéresse plus que de les enseigner. » (q. 7.)

             Les plus conscients sentent qu'ils sont à une certaine distance du réel quand ils font des mathématiques. Ces dernières sont alors vécues comme « vacances » (q. 102) ou comme « refuge contre les ennuis » (q. 114).

             J'interpréterai ainsi cette description : ces sujets font jouer aux mathématiques le rôle d'un objet externe, projection de leur sur-moi. Objet extérieur à eux-mêmes ; et à cause de cela, objet qui leur permet de rester en contact avec un aspect de la réalité mesurable, quantifiable, qui sait à la fois résister et être malléable et par conséquent acceptable, qui sait dire « non », mais qui ne fait pas de reproches, comme sans doute leur propre sur-moi. Un sur-moi exigeant mais tolérant.

             On trouve ici toute la distance qu'il y a entre la réponse « ce n'est pas cela » donnée par une calculatrice à un élève qui a trouvé un résultat inexact et le « tu es un imbécile » que peuvent dire, dans des circonstances analogues, certains professeurs.

             Mais ici, les mathématiques remplissent également une autre fonction, celle de représenter et d'exprimer leur moi idéal considéré comme précurseur et fondateur du sur-moi, cet idéal de toute-puissance narcissique. C'est en effet, grâce aux mathématiques, que ces sujets vont avoir l'impression de satisfaire leurs désirs d'agressivité, de lutte, de jeu, et vont trouver une image satisfaisante d'eux-mêmes : plus forts que les autres, capables de faire quelque chose. C'est grâce aux mathématiques qu'ils ont ce sentiment de trouver un monde où ils sont tout-puissants et où l'angoisse ne surgit plus comme elle le fait quand ils sortent de leur solitude pour être au contact de leurs élèves ou de leurs collègues.

             C'est grâce à un mécanisme de clivage que les mathématiques peuvent à la fois jouer le rôle de l'objet qui « résiste », qui peut être un « obstacle » et en même temps qui apporte cette toute-puissance. Un exemple en a été déjà donné dans l'entretien « Jean-Pierre et le trésor mathématique » dans lequel Jean-Pierre ressentait les mathématiques à la fois comme un mur qu'il voulait abattre pour ne pas se sentir emprisonné, et à la fois comme un trésor, un autre monde, pur, vierge, où il se sentait à l'aise. « La pensée mathématique réalise à merveille cette évasion dans l'imaginaire, mais un imaginaire sans danger, contrôlable, manipulable, grâce par exemple à des jeux de transformation géométrique, à des changements de coordonnées ou de variables où s'exprime tout un maniement magique du réel, par l'intermédiaire d'une pensée imaginée toute-puissante. » (Lemaire, p. 73.)

             Il y a donc dans ce cas encore contact avec le réel par l'intermédiaire des mathématiques, mais distance du réel dans la relation avec les autres objets. Il peut s'agir parfois d'un simple « rétrécissement de l'investissement » pour échapper à l'angoisse et à la culpabilité.

             Dans cette catégorie C2, on peut donc constater que les mathématiques peuvent être mises au service du moi idéal par le sujet, ce qui lui permet ainsi :

— de s'isoler d'une partie de la réalité qu'il ne supporte pas, tout en y adhérant, ne serait-ce que par les mathématiques.

— de trouver des satisfactions narcissiques dans un sentiment de toute-puissance.

— de se constituer un sur-moi, tolérant certaines pulsions particulièrement agressives, lui assurant ainsi une zone de sécurité où angoisse et culpabilité sont tenues en échec.

(Voir l'Entretien de Rosine)

 

Catégorie 3

             Cette classe fait apparaître la représentation des mathématiques comme être idéal ; c'est-à-dire d'un être pourvu d'une pensée dont le fonctionnement est parfait, d'une pensée ordonnée, atteignant la « Vérité » ; d'un être sans faille, beau, harmonieux, unifié et enfin d'un être pourvu de toute-puissance. L'objet mathématique devient alors ici objet de projection du narcissisme primaire et expression de l'idéal du moi du sujet. La négation de tout manque se retrouvera dans la relation aux élèves : le refus de « toute opposition » et le désir de « connaître » les élèves traduira le désir de combler toute apparition de faille.

             C'est une représentation des mathématiques comme pensée parfaite et en particulier comme « ordre ». Ce n'est plus l'ordre contraignant exprimé dans l'étude de la classe C1 ce ne sont plus les mathématiques mauvais objet contre lequel il faut lutter. Ce n'est pas non plus l'ordre exprimé dans l'étude de la classe suivante C4, manifesté par des qualités qu'il faut introjecter pour aider son propre moi à lutter contre certaines pulsions. Il s'agit ici, dans la classe C3, d'un odre idéal vers lequel il faut tendre, un « fil conducteur de la vie », comme le dira un professeur au cours d'un entretien, une vérité indispensable pour la vie. La vérité existe et certains professeurs de mathématiques en ont fait l'expérience, grâce aux mathématiques : « Il n'y a qu'en mathématiques que je puisse être sûr de la vérité » (q. 112). Elle régit les mathématiques elles-mêmes (q. 101) et elle peut être atteinte (q. 97). Ce que peut procurer la possession de cette vérité, c'est la « certitude », c'est « être sûr » (q. 112) ; on trouve encore « je suis sûr » (q. 101), « je sais » (q. 97).

             Dans les mathématiques, ce qui intéresse le professeur, c'est « une certaine forme de fonctionnement de la pensée » (q. 86), c'est-à-dire cette forme de fonctionnement parfait qui doit donner la vérité : les élèves n'ont pas cette vérité il faut qu'ils la reçoivent.

             On peut encore rencontrer une telle attitude chez certains mathématiciens qui désirent arriver à une formulation absolue de leurs énoncés pour obtenir une vérité irréfutable et incontestable. (Voir: Thom)

             Dans toutes ces attitudes, que demande-t-on aux mathématiques ? d'être le garant d'une pensée idéale vers laquelle on doit tendre

             L'homme ne peut renoncer complètement à la perfection du narcissisme de son enfance, il recherche donc de différentes façons cette perfection dans les objets qu'il constitue en son idéal du moi. Les mathématiques sont ainsi le support de la projection de cette perfection narcissique et le mathématicien ne vise à rien d'autre que de tendre vers cet idéal pour retrouver cette perfection paradisiaque.Tendre toujours davantage vers cet idéal de vérité peut avoir, parfois un rôle de maturation.

             Mais si l'idéal du moi pousse le moi à réaliser toutes ses intégrations, il semble qu'ici il s'agisse tout particulièrement de pulsions de maîtrise telles que «absence de désordre ». On est donc en présence d'un désir de parvenir à un état « sans contradictions », de « certitude » où toute question possède sa « bonne réponse ». « Bien faire » devient « Bien raisonner ».

             Ce n'est pas la problématique des classes C 1 ou C4 où l'ordre est en quelque sorte obligatoire ; il s'agit ici de l'atteindre par amour ou plus exactement de le respecter le mieux possible pour garder l'amour de l'idéal du moi et la quiétude de savoir que l'on est dans la vérité. Il existe donc pour ces professeurs une intolérance aux contradictions et aux incertitudes dont les élèves font parfois les frais (q. 21).

             Cet être idéal que représentent les mathématiques ne possède pas seulement une pensée parfaite permettant d'atteindre la vérité. Il possède également la beauté, l'harmonie, la puissance.

             La beauté des mathématiques est le thème de la question 84 : beauté, harmonie ; c'est également le thème de la question 89 : objet qui provoque éblouissement et émerveillement. D. Nordon (Université de Bordeaux) a effectué une enquête auprès de 46 chercheurs de son université. François Le Lionnais a fait une étude sur « la beauté en mathématiques » dans laquelle il distingue deux genres de beauté, une « beauté classique » et une « beauté romantique » ; pour exprimer l'opposition entre les deux, il utilise cette phrase : « Elle se réduit essentiellement ici à l'opposition entre volonté d'équilibre et nostalgie du vertige. » (Le Lionnais) et il termine son article ainsi : « C'est ainsi que la beauté se déploie en mathématiques comme dans les autres sciences, comme dans les arts, comme dans la vie, comme dans la nature. Parfois comparable à celle de la musique pure, de la grande peinture ou de la poésie, les émotions qu'elle éveille sont le plus souvent d'une nature différente qui ne peut guère se comprendre lorsqu'on n'en a pas ressenti en soi-même l'illumination. La beauté des mathématiques ne garantit certes ni leur vérité, ni leur utilité. Mais elle apporte aux uns le pouvoir de vivre des heures incomparables, aux autres, la certitude que les mathématiques continueront à être cultivées pour le plus grand profit de tous et la plus grande gloire de l'aventure humaine par des hommes qui n'en espèrent pour eux-mêmes aucun profit matériel ».

             Les mathématiques sont bien ici un objet idéal dont la beauté, faite de la volonté d'équilibre et de la nostalgie du vertige, en est une des parures.

             L'unité est une autre parure des mathématiques. « Je trouve du plaisir en mathématiques à aller de la diversité à l'unité » (q. 115).

             La dernière parure attribuée aux mathématiques est ce pouvoir qu'elles donnent à celui qui exerce cette discipline : « jeu où l'on a toutes les données en main » (q. 92), moyen de surmonter les obstacles (q. 85), possibilité de bien raisonner (q. 113). Ce thème est justement l'un de ceux qui existent dans la représentation sociale.

             On peut résumer tous ces thèmes : les mathématiques paraissent pouvoir apporter à celui qui les pratique un objet beau, harmonieux, unifié, tout-puissant. Cet objet provoque l'éblouissement, l'émerveillement, la nostalgie du vertige, un sentiment d'unité et de puissance, autrement dit la plénitude de l'être.

             L'idéal du moi peut fonctionner ici comme idéalisation du propre moi, d'un moi beau, équilibré, c'est-à-dire sans conflits, sans chaos, raisonnant bien (c'est-à-dire ne dé-raisonnant pas) et possédant la puissance.

             Ce mode de relation où la négation du manque et le désir de combler l'autre prédominent va se retrouver dans la relation aux élèves.

T            oute « opposition » de la part des élèves (q. 21) est rappel de ce manque. Il n'y a pas plus de possibilité de satisfaire tous les élèves qu'il n'y en a de satisfaire la mère. C'est pourquoi« ne pas connaître ses élèves aussi bien qu'un professeur de français » (q. 22) provoque un « regret ». Inversemenent le professeur cherchera à renforcer ce désir de combler l'élève, c'est pourquoi il aime que ses élèves viennent lui parler de « leurs problèmes personnels » (q. 16), il est « à côté d'eux » (q. 18), mais il semble que ce rapprochement ne soit que verbal puisque le « contact physique » est évité (q. 35). L'aspect narcissique de l'attitude du professeur apparaît encore dans le plaisir qu'il éprouve à « faire un peu de théâtre en classe pour intéresser les élèves (q. 33).

             Dans tous ces cas, même lorsqu'il cherche à vérifier « tout » le travail de ses élèves (q. 11), il est celui qui peut combler le désir de l'autre. (Voir: Pascale ou la machine à distribuer les maths)

             Cette idéalisation de l'objet mathématique peut parfois conduire à ce qu'il soit considéré comme un véritable objet anaclitique dans la mesure où le surinvestissement de cet objet est tel que le sujet devient entièrement dépendant de sa relation à cet objet. On lira l'entretien « Jean-Pierre et le trésor mathématique » : dans celui-ci, cet élève parle de se suicider s'il n'arrivait plus à suivre en mathématiques.

             Dans un entretien, un professeur de mathématiques nous disait « il n'y a que les maths dans ma vie », que les mathématiques sont le « tissu de ma vie », la « trame de fond », qu'elle était « greffée sur les mathématiques ». L'angoisse sous-jacente est celle de la perte de cet objet, de ce qu'il représente et de la dépression qui peut s'en suivre.

             Chez certains, l'idéal représenté par les mathématiques est plus large : « bien raisonner » ne suffit pas. Ce qui est alors recherché, c'est une complétude faite de beauté, d'harmonie, d'unité et de puissance. Les maths serviront alors à combler, en partie, la blessure narcissique que tout individu conserve. Une telle utilisation des mathématiques a déjà été décrite, chez les élèves, dans le mécanisme de retournement en son contraire (vaincu-vainqueur). Pour d'autres encore, cet objet mathématiques aura une fonction de fétiche en tant que dénégation du manque : dénégation du manque d'harmonie, c'est-à-dire de la présence de conflit en soi, dénégation du manque d'unité en soi, enfin dénégation de la non-toute-puissance. L'objet mathématique aura alors une fonction de marque ou de masque du manque qu'il souligne en le déniant, qu'il reconnaît en le désavouant

             Il n'est donc pas étonnant que ce genre de professeurs soit « très attentif» aux « manques » de leurs élèves. Cela peut expliquer parfois pourquoi ils préfèrent les « bons élèves » auprès desquels ils peuvent trouver par reflet une image d'eux-mêmes rassurante. J'ai toujours été surpris par la différence « d'intérêt » qu'il m'a semblé percevoir chez certains enseignants du secondaire et chez des rééducateurs (orthophoniste, etc.). Les uns paraissent fonder leur travail sur le désir d'absence de manque chez leurs élèves, les autres sur leurs propres manques.

 

Catégories C4

             Les questions de la classe C4 peuvent être interprétées comme l'expression, soit d'un processus d'intellectualisation ayant pour but de maîtriser et à la limite de refouler des pulsions interdites, soit un processus de symbolisation ayant pour but d'aider à la structuration du moi et plus généralement de la personnalité.

             La question 91 « Ce que j'aime dans les mathématiques, c'est leur rigueur » permet de se rappeler que les mathématiques sont souvent associées à l'ordre, à la rigueur morale (cf. l'entretien : « Jean-Pierre et le glissement de signifiée»). La recherche de la rigueur s'allie à la recherche de la maîtrise, maîtrise des symbole mathématiques « En mathématiques, j'ai souvent le plaisir de voir les choses se mettre en place et s'organiser » (q. 87) et maîtrise de la classe « Je donne des devoirs régulièrement pour contrôler mes élèves » (q. 29) ainsi que « J'envoie mes élèves à tour de rôle au tableau » (q. 10) et « J'interdis à mes élèves de fumer pendant mes cours » (q. 12).

             Derrière cette recherche de maîtrise des mathématiques et de celle de la classe, on peut percevoir un désir de maîtrise de ses propres pulsions et tout particulièrement des pulsions agressives.

La question « Je trouve important de faire sentir à mes élèves qu'on peut se servir de sa pensée » (q. 27) est l'expression, justement, de cette prédominance que l'on attribue à la pensée sur l'affect. J'interpréterai ainsi ces questions : elles expriment l'utilisation des mathématiques comme une modalité de la loi symbolique ayant pour fonction de structurer le moi. En effet, dans la mesure où les mathématiques sont un code universel, elles peuvent être une expression de la loi symbolique.

             C'est ainsi que l'on peut comprendre qu'un professeur de mathématiques aime des mathématiques « cohérentes », « rigoureuses », « organisées », « précises», pour lui-même et pour en faire bénéficier ses élèves : il y trouve un sentiment « d'unité », « d'organisation », de construction, non seulement dans les mathématiques elles-mêmes, mais pour lui-même, par leur introjection. C'est la construction de son moi, de sa maîtrise, de son unité, qu'il a « l'impression » d'entreprendre à travers cette activité ; et dans la mesure où effectivement les mathématiques sont un représentant de la loi symbolique, on peut penser qu'il s'agit bien d'une structuration du moi.

             Cette structuration du moi peut se faire, me semble-t-il, de deux façons : par introjection « Le sujet fait passer, sur un mode fantasmatique du "dehors" au "dedans" des objets et des qualités inhérentes à ces objets » (Laplanche et Pontalis, loc. cit., p. 209). Les sujets trouvent alors les mathématiques « cohérentes », « unifiées », « solides ». C'est après avoir projeté ces qualités sur les mathématiques qu'ils les introjectent dans leur moi pour acquérir cohérence, unité, solidité. On peut aussi envisager un autre processus qui peut exister aussi chez les sujets classés dans le groupe C3. On voit ici la limite d'un tel découpage.

             Ce processus est décrit par Lacan dans le stade du miroir. « L'enfant encore dans un état d'impuissance et d'incoordination motrice, anticipe imaginairement l'appréhension et la maîtrise de son unité corporelle. Cette unification imaginaire s'opère par identification à l'image du semblable comme forme totale ; elle s'illustre et s'actualise par l'expérience concrète où l'enfant perçoit sa propre image dans un miroir. Le stade du miroir constituerait la matrice et l'ébauche de ce qui sera le moi. » (Laplanche et Pontalis, loc. cit., p. 452). Les mathématiques seraient ici cet objet dans lequel se mirerait le professeur, et dans lequel il pourrait voir son « unité » et sa « cohérence » ".

             Que ce soit par des mécanismes défensifs de refoulement ou d'intellectualisation, que ce soit par introjection « d'un bon ordre » représentant de la loi symbolique ou par une identification à un objet jugé comme « total », dans tous les cas les mathématiques ont pour fonction de rigidifier, de renforcer ou de structurer le moi de façon plus ou moins bien adaptée. Les mathématiques sont ici au service du moi.

             Or, il existe chez les élèves un mécanisme que j'avais appelé introjection d'un bon ordre, utilisé tout particulièrement par les élèves de séries scientifiques et qui leur assure une certaine sécurité. (Voir chez les élèves). On conçoit que les mathématiques, avec leurs règles, avec leur langage qui ne souffre pas l'ambiguïté, puissent être particulièrement propices à ce type d'investissement ; derrière cette recherche de maîtrise se profile souvent une agressivité dont bien des élèves font les frais. Lorsque le professeur recherche avant tout la réussite de ses élèves, il manifeste surtout la préoccupation d'une certaine réussite de lui-même, d'une construction de son moi.

 

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Conséquences pédagogiques des diverses représentations des mathématiques chez les enseignants de cette discipline

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