<<Oui,
je te tourmente. Mais ce n'est pas mon but. Je
ne veux savoir qu'une seule chose : quand
j'enfonce toutes ces paroles en toi tels des
couteaux, qu'est-ce que tu ressens ? Qu'est-ce
qui se passe en toi ? >>
Robert
Musil. Les désarrois de
l'élève Törless
Je
pars du présupposé que chacun ici a
pris connaissance du rapport
d'Eric Debarbieux
très complet dans le recueil des
données, dans son analyse et ses
préconisations et ma contribution ici est
une modeste réflexion à voix haute
sur ce thème qui dit la souffrance là
où on devrait trouver un creuset
d'humanité. Pourquoi ais-je accepté
d'apporter une contribution sur ce thème ? A
cela plusieurs raisons et motivations, qui
irriguent mes interrogations et parfois m'inspirent
quelques pistes de solutions.
La demande m'est arrivée par des structures
qui me sont chères, avec lesquelles je
collabore depuis longtemps, et qui uvrent
pour une Ecole d'avenir, veillant à la
qualité des savoirs, à la
qualité humaine de ses fonctionnements,
interrogeant ses visées, dans une approche
marquée par la complexité. C'est donc
une collaboration de conviction à ce
tricotage collectif.
Dans la littérature qui a bercé mon
enfance puis ma jeunesse, j'ai été
très marquée par les récits de
maltraitance, décrits dans les contes, dans
la littérature classique ou contemporaine
(Jules Renard, Jules Vallès, Gilbert
Cesbron
à l'école ou dans la
famille, Dickens ou Daudet, Bernard Clavel dans le
monde de l'apprentissage
) ou le terrible
roman de Robert Musil " Les désarrois de
l'élève Törless ", repris
dans le film de Schloendoffer.
C'est aussi en pleine effervescence de 1968, mon
premier poste comme inspectrice de l'Aide sociale
à l'Enfance de la Seine St Denis, avec ses
10000 enfants suivis par nos services,
placés soit en " dépôt
temporaire ", soit en " garde " par décision
judiciaire, ou abandonnés en vue d'adoption,
intégrés dans des internats ou en
familles d'accueil, ou simplement
accompagnés en milieu ouvert par les
services sociaux et la justice.
Pépinière de récits de
maltraitances diverses, dont celles liées
à leur statut d'enfants de " l'assistance "
comme on disait encore à cette
époque. Mais la maltraitance sociale et
familiale faisait alors passer au second plan, les
situations de brimades ou de vexations en milieu
scolaire qui n'arrivaient à notre services
que filtrées par l'école, les
familles d'accueil ou les responsables des antennes
de placement des enfants en province.
Mon investissement dans L'éducation
Nationale, dans son versant consacré
à la formation des personnels en Champagne -
Ardennes, en IUFM comme directrice adjointe, en
France et en Europe. (Stages
FNTE/Nimier). La
conception et la réalisation de programmes
de formation à la relation, dont des
sessions consacrées à la violence, la
médiation ou à la gestion des
conflits m'a convaincue que la qualité de
la
formation aux relations
humaines, dans le
cursus initial comme dans la formation continue est
une aide à la qualité de la vie
relationnelle dans la prévention des
maltraitances, à la régulation et au
traitement des situations qui ont franchi le seuil
de tolérance.
Pour être intervenue 10 ans au Luxembourg,
j'ai vu les évolutions dans l'apparition de
nouveaux problèmes et dans les
manières de les aborder en
bénéficiant de mon expérience
en France.
Mes travaux sur la mémoire des
génocides, la
Shoah surtout, mais
aussi arménien, m'ont conduite à
m'interroger sur ces mécanismes collectifs
plus encore qu'individuels, qui font basculer un
individu dans l'inhumanité, un père
de famille en assassin d'enfants, un amateur de
musique classique en barbare, un voisin aimable en
prédateur ou dénonciateur. Et par
extension à m'interroger dans la vie sociale
ordinaire, sur ce qui fait que les pulsions
destructrices ou sadiques qui sommeillent en chacun
de nous, se déploient à la faveur de
circonstances ou de phénomènes
de groupe.
Mes engagements dans le bénévolat
autour de la prévention
du suicide, notamment
des jeunes, ou auprès de parents
endeuillés, et dans l'accompagnement
d'équipes qui prennent en charge des
troubles psychiques.
Mon
travail de coach,
sollicité dans l'accompagnement de
situations de harcèlement en institution ou
en entreprise, et les analogies avec les processus
observés à l'école.
Enfin, comme gestalt-thérapeute, j'entends
les traces de ces blessures d'enfance, moins
spectaculaires que celles des grandes violences,
mais qui érodent la confiance en soi,
maltraitent l'estime de soi, éveillent
parfois des besoins de revanche ou au contraire
fossilisent les ex-enfants dans des postures
chroniques de victimes. Blessures parfois
réveillées dans la vie d'adulte dans
une compulsion de
répétition.
" L'arbre qui
dévoile la forêt
"
Mes propos ici s'insèrent dans une
journée d'études sur le
harcèlement entre pairs à
l'école, et je n'ai pas comme mission de
balayer tous les champs de cet impressionnant
sujet, mais d'orienter le projecteur sur les
aspects psychologiques et psychosociologiques qui
le favorisent ou sur lesquels nous pouvons nous
appuyer pour contenir, sinon éradiquer ces
pratiques. Bien entendu, cette perception va varier
en fonction des établissements, et il
importe de les resituer aussi dans l'ensemble plus
large de la
violence à
l'école et
dans la société. Comme le souligne le
rapport Debarbieux, la perception de la violence a
évolué en fonction des cultures, des
codes sociaux, des avancées du droit et de
l'éthique, et nous sommes sans doute soumis
à des sentiments d'insécurité
qui prennent en compte les représentations
légitimes de ce que devrait être une
société apaisée, à
l'Ecole notamment.
Voyage dans
quelques " lieux communs "
La forêt, c'est l'ensemble des
incivilités et violences
régulières que des
élèves pratiquent entre-eux, à
l'égard du plus faible ou du
différent, quelque soit la nature de la
différence, dans le cadre scolaire ou dans
des activités périscolaires (les
vestiaires des centres sportifs ne sont pas exempts
de ces pratiques), et c'est ce territoire que nous
nous proposons d'arpenter ici, sachant que d'autres
formes de violences
scolaires se
manifestent par ailleurs (vandalisme, agressions
ponctuelles, alcoolisation, drogue).
Mais la forêt, c'est aussi l'ensemble des
incivilités des parents à
l'égard des enseignants et des personnels
éducatifs, le harcèlement parfois de
collègues entre eux ou le silence complice
devant des persécutions des
élèves à l'égard de
collègues peu appréciés, ou la
maltraitance pathologique, rare certes, de chefs
d'établissements envers des collègues
ou des élèves. J'en ai
connu.
La forêt, c'est enfin la dilution du lien
social, la perte de repères, de
cadre,
de boussole, la fragilisation de la loi symbolique,
l'ensemble des difficultés sociales et
économiques qui sont un terreau favorable
aux pulsions agressives, ou qui aggravent ces
capacités de nuire ou de violence qui sont
présentes en chacun de nous, le plus souvent
canalisées par l'éducation, nos
valeurs
et la loi ! Ce sont aussi des
pratiques analogues que nous observons dans le
monde des adultes, dans la famille, dans des
institutions de santé à
l'égard de patients ou de résidents,
dans des entreprises, ou même chez ceux qui
sont mandatés pour faire respecter la
loi.
C'est donc bien ces tonalités qui dessinent
un nouveau paysage social et vont se
décliner différemment selon les
lieux. Si je limite mon propos à ce qui m'a
été demandé, il n'a cependant
de sens que dans une reliance au contexte, aux
caractéristiques spécifiques de
l'établissement : sa structure sociologique,
sa taille, la force des équipes
éducatives et la personnalité du
principal, proviseur ou directeur, qui amplifient
ou limitent les dérives, et son
environnement économique et social. Aucun
établissement n'est à l'abri de ces
déviances, pas même les plus
prestigieux lycées publics ou privés.
Mais leur forme, leur nombre, leur repérage
et leur traitement ont leur propre
dynamique.
Un mot-valise ?
N'en jetez plus, la valise est
pleine
<<
Il est possible de détruire quelqu'un
juste avec des mots, des regards, des
sous-entendus : cela se nomme violence perverse
ou harcèlement moral>>.
Marie-France Hirigoyen.
Le terme de Harcèlement moral a fait
irruption dans le paysage linguistique à la
sortie du livre de Marie-France Hirigoyen, en 1998.
Le mot a-t-il créé l'objet ou bien
a-t-il rassemblé dans un nouveau concept une
constellation de pratiques qui depuis le nuit des
temps parasitent la vie sociale des classes et des
cours de récréation: jeux cruels,
rumeurs, brimades, agressions physiques ou
verbales, vexations, humiliations, sobriquets, "
vannes " répétées, surnoms,
racket, persécutions, bizutages et autres
trouvailles colorées selon
l'évolution des murs ou de la
technologie et que nos chères têtes
blondes ou brunes manient à notre insu ou
sous nos yeux aveugles ou simplement complaisants
?
Il est probable que cet ensemble de
dysfonctionnements tolérés durant des
siècles dans le paysage social, autant dans
les familles que dans l'univers professionnel,
s'inscrit dans la logique de rapports de domination
: maître/esclave, parents/enfants,
hommes/femmes, puissants/faibles, et que
l'évolution de notre démocratie, la
puissance féconde d'un droit au service des
différentes causes d'émancipation, ne
sont pas étrangers à cette
émergence (Droit du travail, droit des
femmes, droits de l'enfant pour ne parler que des
plus récents).
Par ailleurs, les enfants et adolescents
épongent volontiers ce qui est dans l'air du
temps, et par mimétisme introjectent les
rapports sociaux de leur environnement : violences
des scènes de films ou de l'institution
scolaire. Dans La guerre des boutons, si les
enfants se malmènent, l'intervention des
adultes (quand ils sont présents) remet de
l'ordre dans les débordements. (Actuellement
les adultes sont bien souvent inopérants
dans les rixes de la rue) ; dans Le Cercle des
Poètes disparus, c'est l'institution qui est
violente et persécutrice, non les
élèves, et ceci grâce à
certains enseignants qui résistent, dans Les
Choristes le mimétisme entre le sadisme du
directeur, de certains enseignants et des
élèves entre eux est
exemplaire.
Comment l'humain
fonctionne et dysfonctionne
<<Il
existe deux sortes de gens, ceux qui ont une
enfance à regretter, et ceux qui ont une
enfance à venger.>> Gilbert
Cesbron. "Notre prison est un
royaume".
La relation maltraitant/maltraité se
présente sous la forme d'une relation
pathologique, dans une lutte de narcissismes qui
peut se dérouler dans un face à face
solitaire, mais le plus souvent renforcée
par la collaboration active ou passive du groupe,
en qui résonne l'une ou l'autre des
postures. Cette interaction
là est fondamentale.
Mais si ces indications sont des repères, il
ne faut jamais oublier que l'enfant et l'adolescent
sont en plein développement physique et
psychique, et que le soutien éducatif,
parfois une thérapie peuvent faire
évoluer, contenir, consolider des tendances
manifestées. Nous ne pouvons rejoindre les
théories des petits délinquants
génétiquement programmés -
mauvaise graine-, disait déjà ma
grand -mère qui n'avait pourtant pas lu le
rapport de l'Inserm de 2006, même si des
facteurs de risque nous invitent à la
vigilance.
Enfin, si ces profils ont une certaine permanence
dans le temps, la société voit
émerger aussi des formes nouvelles
d'expression de ces dysfonctionnements.
Des
invariants
Le maltraitant
Si l'on tente de repérer quelques
caractéristiques psychologiques des petits
tyrans qui font " la loi des préaux "
(Titeuf) et que l'on retrouve à toutes les
époques, certaines se retrouvent dans les
situations actuelles de harcèlement. Elles
peuvent (parfois !) alerter les enseignants et tous
les personnels de la vie scolaire. Sauf pour
quelques spécimens qui ont
défrayé la chronique sociale et
judiciaire par l'horreur de leurs gestes, ces
fonctionnements restent bien souvent limités
à la terrible "banalité du
mal".
- Une
absence de sens moral, et une
incapacité à discerner le bien
du mal
- Une manière de
traiter l'autre en objet et de le mettre
à son service
- Une façon
pathologique de considérer l'autre
comme dangereux (attitudes phobiques
vis-à-vis du regard par ex) ou
différent et la seule manière
de ne pas être en danger, c'est de
l'anéantir (symboliquement et parfois
réellement)
- La manifestation de
comportements sadiques et d'emprise,
derrière un visage d'ange qui trompe
son monde et une volonté de
nuire
- Sa capacité
à cristalliser souvent autour de lui,
des complices ayant la même structure
de personnalité ou simplement des
courtisans désireux d'échapper
à leur propre faiblesse, des rieurs
qui se sentent protégés, des
témoins muets effrayés d'avoir
à subir le même sort.
- Parfois une
intelligence et une intuition qui vont lui
faire trouver la faille chez l'autre, et
investir sa vulnérabilité en
même temps qu'une insensibilité
à sa souffrance.
Le maltraité :
- Une
tendance à la soumission, allant
jusqu'au masochisme.
- Certains enfants se
trouvent dans des conditions de
vulnérabilisé plus visibles :
différence sociale ou ethnique,
caractéristiques physiques ( trop
petit, trop grand, trop gros, roux, albinos,
ou habillé hors des codes du milieu
dominant, en échec ou au contraire
trop brillant, en avance ou en retard , une
originalité ou un goût pour la
solitude
)
- A l'adolescence, une
homosexualité pressentie ou
affirmée prête volontiers le
flanc à l'ostracisme et à la
stigmatisation. L'évolution du regard
de la société sur cette
question n'a pas forcément
gagné l'école dans son
ensemble, malgré de belles campagnes
d'informations, d'autant que dans certaines
cultures, elle reste prohibée ou
suspecte.
- S'il ne
dénonce pas ces pratiques, les signes
d'alerte peuvent être des changements
de comportements à l'école ou
en famille, de repliement sur soi, des
baisses de niveau scolaire ou l'apparition
d'attitudes asociales, voire des
comportements suicidaires.
De tristes
innovations : des enfants qui nous déroutent
:
Les enfants Téflon : décrits
dans leur forme extrême et
répertoriée comme une pathologie
à part entière par Daniel Kemp en
1988 pour désigner " l'enfant sur qui
rien ne colle: ni les punitions, ni la
culpabilité, ni les compliments, ni les
promesses, ni la manipulation, ni la politesse, ni
les récompenses ". Ils ont gagné
nos classes, dans des formes
atténuées, notamment en ce qui
concerne les sanctions. Parents et
éducateurs sont démunis devant ces
enfants qui n'offrent pas de prise.
Les ados sans enveloppe (Dominique Demaria).
L'image m'a séduite. Formée à
la
Méthode ESPERE,
elle utilise cette expression pour " indiquer le
niveau d'insécurité intérieure
de ces enfants qui les fait se défendre
avant même de savoir comment ça va se
passer avec la personne. C'est comme s'il leur
manquait une protection naturelle, "une enveloppe"
et qu'en cette absence, tout les heurte. "
J'imagine qu'ils franchiront allégrement la
frontière du harcèlement "
préventif " face à un autre
perçu comme toujours dangereux.
Les
enfants sans colonne vertébrale. C'est
ainsi que je perçois des enfants qui pour
des raisons sociales, otages de familles
déstructurées, traversées par
les bouleversements de l'exil ou du chômage,
n'ont pas bénéficié de ce qui
se transmet dans la verticalité des cultures
et des familles. Et qui n'ont comme bagage que la
transmission par les pairs et les règles du
quartier. Jean-Marie
Petitclerc,
éducateur rappelait que les enfants ne
manquent pas de règles, ils en ont trop, de
préférence
contradictoires :
celles du quartier, celles de la famille, celles de
l'école, celles de la vie en
société, là où
autrefois, il y avait une certaine convergence. "
Faute de pères, il convient d'avoir des
repères " rappelle le psychosociologue
Jacques Salomé qui nous montre aussi que les
enfants ont un seuil de résistance à
la frustration devenu très bas.
Les enfants incapables de résister
à la frustration. Cette
caractéristique est le fruit de plusieurs
facteurs : une hyper-sollicitation à la
consommation et la généralisation de
modes d'achat à portée de main, faute
d'être à portée de
portefeuille, et une grande difficulté pour
les parents à oser dire " non " aux
exigences des enfants. Quand ils se trouvent face
à une opposition ou à une
impossibilité de se procurer ce dont ils ont
envie (et non besoin) c'est la porte ouverte
à l'agressivité et à des
passages à l'acte, ainsi qu'à une
pratique répandue : le racket. Cette forme
de harcèlement offre la double
particularité de pouvoir se procurer
à bas pris un objet, ou de l'argent pour
l'obtenir, en dépossédant la victime
qui disposait d'un vêtement ou d'un objet qui
parait ouvrir à une reconnaissance sociale
(blouson, montre et maintenant objets de
technologie multimédias) et se positionner
ainsi dans une véritable négation de
l'autre.
Le racket met la victime dans une double souffrance
: la peur des représailles et la honte de
s'être fait dépouiller, et lorsque
qu'il s'agit de racket d'argent, se rajoute la
honte d'avoir à voler cet argent à la
famille, à des amis, chez un
commerçant.
Les nourritures
terrestres ont de nouvelles formes :
Les jeux virtuels où celui qui tue le plus
est gagnant, les films pornographiques qui
chosifient les partenaires favorisent une confusion
chez les enfants et adolescents dans une
déconnection avec le réel qui sont
une source de brutalités et
persécutions nouvelles banalisées
sans états d'âme.
Les lois du
groupe explicites ou implicites
Le harcèlement à l'école comme
dans la rue, est le plus souvent amplifié
par l'existence du groupe agrégé
autour d'un chef qui réunit des admirateurs,
s'identifient à lui, qui tentent de se faire
reconnaitre ou tout simplement tentent
d'éviter d'être eux-mêmes
victimes, groupe avec des règles de la "
meute " . Certes, elles ont toujours existé
avec parfois des rituels clandestins, mais les
manquements à ces lois du silence
débouchent aujourd'hui sur des
représailles psychologiques ou des violences
physiques accrues, qui se prolongent hors de
l'école (dégradations, violences sur
des membres de la famille etc.)
La victime de ces fonctionnement pervers est prise
dans son désir d'être acceptée
dans le groupe, comme les complices d'ailleurs, et
son désir de sortir, sans succès, du
cercle infernal, ce qui fait que les maltraitants
le méprisent encore plus du fait de sa
passivité.
Il s'établit ainsi entre les bourreaux et
les victimes des liens invisibles, alimentés
par la peur, les désirs ambiguës
d'être reconnu et d'être
différent cependant, mais aussi par la
rencontre des fragilités
complémentaires (sadisme et masochisme par
ex) qui génèrent des relations
mortifères et inconsciemment
complices.
Quand les caïds se cherchent un
souffre-douleur, ils en trouvent. Les parents
invitent bien souvent l'enfant à se
défendre sans mesurer l'emprise que le
harceleur peut exercer sur lui. Pour peu que le
système éducatif familial soit
imprégné de la sentence - " cela
forge le caractère " -, la victime va
attribuer sa propre détresse à un
manque de courage et de tempérament. Le
harceleur peut ne pas être conscient,
notamment pour les plus jeunes des
conséquences de leurs attitudes : "
C'était pour rire, m'dame ", montrant
une incapacité à prendre l'autre en
compte.
De la
banalité du mal à la force du
bien
La force de
la loi : " Si tu veux la paix, commences par la
justice. "St Augustin.
"Il n'y a pas d'amour sans loi, il n'y a pas de
loi sans amour." J-M Petitclerc.
Il y a celle qui s'inscrit dans nos livres de droit
et dont les tribunaux sont les garants. Il y a les
règlements intérieurs très
diversement appliqués, il y a aussi des
Chartes relationnelles qui visent à
contractualiser la manière de vivre ensemble
dans une classe. Ces différents niveaux
peuvent apporter la complémentarité
de leurs visées pour permettre de lutter
contre les pratiques de harcèlement, entre
sanction et prévention.
Mais la règle rappelée par tout
adulte qui intervient au quotidien, c'est aussi
celle du tiers qui dit la loi symbolique et invite
à la responsabilisation de
chacun.
La force de la loi est un étayage pour
établir des règles de vie en commun,
elle est là pour sanctionner les
dysfonctionnements (en fonction des
différents niveaux évoqués
ci-dessus). Elle est là ensuite pour
participer à une restauration du lien
interpersonnel et social.
- On ne
répare pas une injustice par une autre
injustice qui punirait le coupable sans lui
donner une possibilité de s'amender.
Cela suppose la reconnaissance du
préjudice, la sanction, la
réparation et qui sait ensuite, mais
plus tard, une réconciliation,
parfois, ou un pardon, mais comme le
préconise Jacques Salomé
seulement après avoir effectué
une restitution symbolique de la violence
reçue. Cette démarche, pas
à pas, a le grand avantage d'ouvrir
aux harceleurs comme aux harcelés, une
double restauration de leur humanité
malmenée. " L'humanité n'est
pas héréditaire ", nous
rappelle la psychanalyste Marie Balmary, et
je confirme qu'elle se développe et se
restaure par l'éducation et le travail
jamais fini sur soi-même.
- Nous avons vu que,
comprendre les mécanismes qui
régissent les liens psychiques
invisibles qui sous-tendent les relations
bourreaux-victimes, constitue un des ressorts
des actions à mener pour sortir du
cercle infernal et que des mesures de soins
doivent être préconisées
pour les harceleurs chroniques à
structures perverses, sadiques,
manipulatrices, aux côtés des
sanctions.
Quelques leviers
d'action : agir sur les connaissances, sur les
attitudes, sur les comportements.
-
Promouvoir dans tous les types
d'enseignement, la compréhension des
différences, l'histoire des peuples et
de leurs religions et des drames humains de
tous les temps liés à
l'intolérance, compréhension
sans laquelle il ne peut y avoir ni
altérité, ni
identité.
- Oser une
culture où la joie, l'enthousiasme,
l'étonnement, la curiosité
favoriseront l'exploration des
différences interpersonnelles ou
culturelles.
- Eveiller ( ou
réveiller) avec les mots de la
modernité, le sens moral et les
interrogations de la conscience, sans oublier
que le monde des adultes est bien souvent peu
exemplaire pour assurer cette mission qui lui
revient de droit et ...d'obligation
éducative.
- Développer
la responsabilité et les
capacités de résistance des
victimes et des " complices du silence " : "
Ne courbes jamais la tête et ne
confonds jamais le droit et la justice "
affirmait mon
arrière-grand-mère.
- Favoriser la
confiance en soi et l'estime de soi, propices
à porter un regard bienveillant sur
soi et par ricochet sur les
autres.
- Encourager les
enfants, non pas à la délation
tous azimuts, mais à pouvoir discerner
avec un adulte de confiance ou des
médiateurs formés, ce qui
relève des " accrochages " sans
conséquences, et ce qui contrevient
à la loi, au règlement, aux
chartes relationnelles, au respect de
l'autre.
- Sortir de la
peur pour aller vers le courage notamment
pour les " spectateurs. "
- Inviter
l'enfant harcelé à trouver
en lui des ressources pour faire face. (Voir
les références de la
Méthode ESPERE en annexe, qui apporte
des outils précieux).
-
Développer une culture de
l'écoute et de l'affirmation de soi,
plutôt que celle de la riposte qui fait
entrer dans la spirale de la violence.
- Favoriser tout
ce qui implique la coopération et la
solidarité dans la
pédagogie.
- uvrer
pour des approches de communication
non-violente, mais en les resituant dans une
large culture de la Paix qui saura combiner
le sens de la justice et revaloriser la
fraternité, la grande oubliée
du fronton de nos mairies.
- Mettre à
leur disposition des formations et
enseignements à la communication
relationnelle avec des personnels
formés à cela.
- Consacrer des
véritables heures de " vie scolaire "
(voir projet Avanti au Luxembourg) pour
familiariser les élèves
à une régulation des
problèmes et des incidents, et
à développer à partir de
ces situations les qualités pour une
vie en société.
- Développer
les ressources de la médiation
: enfants, adultes, espaces
de médiation
Renforcer la
formation à la relation pour les enseignants
et les équipes éducatives tout au
long de la vie professionnelle avec comme objectifs
:
- Certes
d'acquérir des connaissances mais
surtout de favoriser des attitudes nouvelles
chez ces personnels, de développer
leur écoute des personnes et des
groupes, d'aborder l'élève et
les autres adultes dans leur
globalité.
- De prendre l'habitude
de la coopération, de la
solidarité.
- De faire que chacun
se connaisse mieux lui-même en
explorant ses forces et ses
fragilités.
- De leur permettre de
faire face aux situations de conflits, de
crise, de violence.
- De renforcer leurs
capacités à exercer leur
autorité plutôt que leur pouvoir
et leur force.
Des temps et
lieux de paroles :
-
Groupes de discussions éducatives
comme en Norvège.
- Mettre en place des
groupes d'analyse de pratique pour les
enseignants, les différents
personnels, les chefs
d'établissements, incontournables pour
un partage d'expériences, pour faire
évoluer les représentations et
sortir de la solitude.
Et pour conclure en ouvrant avec quelques
convictions et un peu de rêve et d'utopie "
à réalisation vérifiable ",
selon l'expression de Michel Camdessus :
" On dit d'un fleuve
emportant tout qu'il est violent, mais on ne dit
jamais rien de la violence des rives qui
l'enserrent" (Bertolt Brecht) et d'autre part,
j'ai pu noter aussi ce proverbe africain : " Un
fleuve sans rivages devient vite un
marécage ". Je crois qu'elles soulignent
la double exigence du travail éducatif dans
un environnement imparfait.
Il importe que nous prenions en compte la violence
de la société, celle de
l'Ecole-institution en particulier, afin qu'elle ne
déteigne pas sur nos jeunes. Nous en sommes
hélas les passeurs volontaires ou
inconscients. Mais il nous importe tout autant de
donner à ces enfants et ces adolescents, le
cadre et les repères avec et contre lesquels
ils pourront se construire.
Cela suppose que nous soyons aussi vigilants avec
notre propre violence qui avance masquée et
peut faire irruption quand notre surmoi se
relâche ! Il n'y a pas de transformation
sociale sans transformation personnelle, celle des
autres, mais aussi la nôtre. (Voir le
collectif TP/TS)
Mais encore faut-il que nous puissions proposer
à nos jeunes un horizon, un cap, un
sens.
On attribue à Sénèque cette
affirmation d'expérience selon laquelle "
le vent n'est jamais favorable à celui
qui ne sait où il va " et j'ai pu penser
en ce sens, un article " Quelle enfance et
quelle vieillesse voulons nous pour notre
planète ", que l'on retrouvera dans
notre livre collectif .
Un livre d'optimisme vient étayer ces
perspectives et renforcer mes convictions, celui du
psychologue, Jacques Lecomte, connu notamment pour
ses publications autour de la résilience et
son investissement dans la Psychologie positive :
La bonté humaine. Altruisme, empathie,
générosité , qu'il
étudie à travers les espaces et les
temps. Il fait émerger les conditions pour
repérer ces potentiels d'humanité, et
nous donne les clés d'un optimisme lucide et
porteur pour notre projet.
A côté de la riche innovation de la
Maison de la Justice dans l'Aube, qui permet un
accès plus démocratique des citoyens
à la Justice, je rêve que l'on ouvre
une maison de l'écoute et de la parole qui
à mon avis désengorgerait la
précédente : un espace, doté
d'un arbre à palabres ou d'un olivier
ombrageant de la culture rabbinique (pour respecter
toutes les sensibilités), où le mur
des lamentations se transformerait en mur des
réussites , le pont des soupirs en pont de
la paix , et où nous pourrions passer
efficacement de la culture de la plainte à
la culture de l'espoir. C'est possible, c'est
déjà commencé, puisque nous
sommes là.
Ressources :
sites, associations, personnes ressources,
ouvrages
Site de
l'Institut
Espère:
On y trouve des publications et des DVD
tournés avec Jacques Salomé autour de
l'Ecole, en France, Roumanie, Québec,
Belgique. Des personnes ressources (voir
coordonnées sur le site) ont mis en place
des formations dans les écoles (ateliers de
communication relationnelle, cours de
communication, de la maternelle à
l'Université, prévention de la
violence et du harcèlement etc. ), Par
exemple :
Au Luxembourg en
primaire ( M-C Garnier) ; A
Sablé-sur-Sarthe en collège (
Aleth Naquet) ; dans un lycée de
Villefranche sur Saône, ( Pascale
Rostaing) ; auprès des directeurs d' IUFM
, d'enseignants en formation, et
d'équipes éducatives
d'établissements scolaires de la
Région Centre autour de la
médiation et de la communication (Lucien
Essique) ;ateliers, enseignements autour de la
prévention de la violence, du
harcèlement et une meilleure
communication, à Goussainville et
Gennevilliers, notamment auprès d'ados
exclus ou réintégrés (
Dominique Demaria), formation à la
gestion des émotions en maternelle,
personnels, enfants, Inspecteurs en Gironde (
Marion Grimaud-Mercier) ;
Et aussi à Tarbes
(Monique Laffont) avec l'outil Grain de sable
élaboré à Nice.
Gilles Salanou a formé
dans l'ensemble des collèges de
l'Isère, sur 5 ans, 120 médiateurs -
accompagnateurs, et la presque totalité des
collèges de L'Ain ont
bénéficié d'une formation
à la communication relationnelle dans la
relation pédagogique.
On notera par ailleurs,
l'expérience dans la durée
réalisée à Clermont-Ferrand,
au collège Albert Camus, qui a
mobilisé les équipes
éducatives pluridisciplinaires, avec une
culture partenariale forte avec les partenaires
locaux et le quartier : www.educationsante.be/es/article.php?id=1066,
source d'inspiration pour d'autres par la
convergence des acteurs.
http://alternatives-non-violentes.org/
APHEE : Association pour la
prévention des phénomènes de
harcèlement entre
élèves
http://www.jeunesviolencesecoute.fr/espace-professionnels/dossiers-thematiques/harcelement
Quelques livres
Catheline(N)
Harcèlement à l'Ecole. Albin Michel,
2008.
Salomé (J) Charte
relationnelle à l'Ecole. Albin
Michel.
Tarpinian(A) Donner toute sa
chance à l'école. Treize
transformations nécessaires et possibles.
Éditions Chronique sociale, juin
2011.
Tarpinian (A) (sous la
direction de).Ecole, changer de cap. Chronique
sociale, 2008.
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