Le
manque de soutien issu de la hiérarchie, des
collègues ou plus généralement
de la société elle-même est
très mal
ressenti
par
l'enseignant.
En tant que professionnel et en tant que victime,
il se sent doublement
déconsidéré.
Des
stratégies de coping sont opposées
à cette attitude qui
déçoit, scandalise et outrage celui
qui en est la victime.
Les
attitudes de
soumission
à
cet état de fait sont assez
rares.
Aude par
exemple, a renoncé à mobiliser ses
collègues et s'est habituée à
leur propension à la distraction :
« J'en
parle de moins en moins. Au début quand
j'avais commencé à en parler à
quelqu'un et que le quelqu'un me parlait d'autre
chose, je le remettais sur le sujet. Parce que pour
moi, c'était une chose qui me
préoccupait tout le temps et je me voyais
pas en train de parler d'autre chose, de donner le
change. Après, j'ai pris l'habitude de ne
pas en parler tout le temps. C'est un petit peu sur
les conseils de la thérapeute aussi. Elle
m'a dit "Mais vous les embêtez avec votre
problème. C'est normal qu'ils prennent leurs
distances" ».
Marc
de son côté n'a pas voulu affronter
son proviseur lorsque celui-ci lui a annoncé
qu'il n'était pas fait pour le métier
d'enseignant après s'être pris le
poing d'un élève en pleine figure :
« Je ne lui
ai rien répondu parce que je ne voulais pas
avoir encore plus de problèmes. On sait
jamais ce qu'ils peuvent vous faire ».
Dans une situation présentant des
risques similaires, Gilles
cohabite à distance avec son proviseur qu'il
qualifie de « parano et pervers ».
« "On va subir le moins mal
possible", se dit-il. "Tu t'es fait avoir, on va
faire le gros dos en attendant que ça
décante". Le Proviseur, moi je
l'évite. Je lui dis bonjour ».
Néanmoins, lorsqu'elle existe cette
soumission n'est jamais isolée et
s'accompagne d'actions visant en parallèle
à prendre pour cible le stresseur. Si
l'enseignant accepte de subir d'un
côté, il se bat de l'autre. Il
revendique, menace, s'oppose ou fait appel à
une tierce personne susceptible de prendre les
décisions que sa hiérarchie directe
n'a pas prises.
La
fuite est une autre
stratégie
particulièrement peu
représentée, qui succède cette
fois à des stratégies de
confrontation au stresseur avérées
inutiles. Chacun à leur manière
Renaud,
Hervé et Ingrid
fuient un
mode de gestion laxiste de leur
établissement qui s'oppose à leurs
valeurs en matière éducative. En
conflit ouvert depuis des mois avec son principal,
Renaud
décide
de quitter ce collège qui « ne
le mérite pas » à la suite
des nouvelles critiques qui pleuvent sur lui depuis
son altercation avec un élève. Aussi,
il se fait délivrer par son médecin
traitant un arrêt maladie de complaisance
jusqu'à la fin de l'année (une
quinzaine de jours) et réclame « dans
une crise de larmes » une mutation pour
l'année suivante au rectorat dont il
dépend.
Davantage motivé par la fatigue que
par la colère, Hervé
qui a rarement bénéficié de
l'assentiment de ses supérieurs au cours de
ses trente années d'enseignement ne supporte
plus d'être désavoué par sa
hiérarchie qui voit en lui un enseignant qui
n'a pas su s'adapter à l'évolution de
son public. Epuisé par les provocations
incessantes d'un élève et l'absence
de soutien de son principal, il est
arrêté jusqu'aux grandes vacances
(deux mois) par son psychiatre et sollicite un
aménagement qui aboutit l'année
suivante à un poste à mi-temps
accompagné de stages de formation. Inquiet
sur la manière dont il pourra gérer
les quelques années qui lui restent à
faire avant la retraite, son psychiatre lui a
répondu « Faut pas vous faire de
soucis. Quand ça deviendra
intolérable, on vous mettra en arrêt
de travail ». Sans approuver cette solution,
il ne voit pas véritablement d'autre
échappatoire possible.
Pour Ingrid,
la fuite est plus douloureuse puisqu'elle se
fait dans la maladie. Pressée par sa
hiérarchie de reprendre en cours des
élèves qu'elle s'obstine à
refuser tant qu'ils ne lui auront pas
présenté d'excuses, elle
s'épuise en luttes intestines et est
hospitalisée d'urgence. Après une
année d'arrêts maladie successifs,
elle échoue dans sa tentative de reprise en
mi-temps thérapeutique.
« Je
prendrai ce qu'il faudra comme temps pour me
soigner. Puisque le système veut ça,
je m'arrangerai avec le système. Je m'en
accommoderai. C'est fini ! C'est fini, il ne faudra
plus me demander quoi que ce soit. C'est fini,
terminé ! On a trop tiré sur la corde
», dit-elle.
Les
stratégies de confrontation sont les plus
nombreuses
et sont quasiment toutes dirigées vers le
chef d'établissement. L'enseignant n'a
pas forcément beaucoup d'espoir mais
s'attend à un minimum d'initiative de la
part de son supérieur hiérarchique.
D'une manière plus ou moins frontale, le
chef d'établissement doit donc
lui-même faire face aux exigences de ses
enseignants. II peut être pressé
d'agir ou menacé lorsque son soutien ne
semble pas suffisamment net :
« Je vous
préviens, si elle n'est pas renvoyée
de l'établissement, à ce moment
là, je porte plainte et je fais un scandale
»
(Martine) ;
...
II peut être l'objet de petites
malveillances, qui en l'occurrence portent
davantage préjudice aux élèves
qu'à luimême :
« Je me
suis rendu compte qu'être absent dix jours,
ce n'était pas beaucoup. J'ai fait
renouveler [mon arrêt]. J'avais dans
l'intention d'embêter tout le monde au bahut.
Surtout l'Administration. Quand je dis
l'Administration, c'était surtout le
Proviseur » (Florient).
Il
peut également être l'objet d'une
attaque en règle.
Ainsi,
outrée par ses négligences et son
mépris, Ingrid
a-t-elle dénoncé le laxisme de son
proviseur dans un courrier adressé au
Recteur. Il peut être pris à revers
lorsque l'enseignant s'adresse à une tierce
personne capable de prendre la décision de
sanctionner l'élève à sa
place. Lorsque le chef d'établissement ne
joue pas son rôle, l'enseignant se tourne
vers le Recteur ou la police pour obtenir la
réparation symbolique attendue :
<<J'ai
porté plainte parce que sinon ça
partait aux oubliettes. C'est vite oublié
»
(Daniel)
; « J'ai écris au Recteur et je lui
ai envoyé les cinq rapports que j'avais
faits sur l'élève
»
(Hervé).
Face aux supérieurs
hiérarchiques, lorsque s'installe une
amertume liée à l'indifférence
que suscite l'agression subie et ses
conséquences, les exigences redoublent avec
le temps. C'était le cas d'Ingrid.
C'est le cas d'Eric.
Dépossédé des
conséquences de sa plainte par son ignorance
des lois pénales en vigueur, il tente de
conserver un contrôle maximal sur ce que
l'Administration entend faire de lui :
« J'ai
déposé un recours en excès de
pouvoir au tribunal administratif sur les vices de
formes de la commission de réforme. Je suis
plongé dans les textes, dans les lois...
Etre dans son bon droit. Une recherche de la
vérité, une recherche de son bon
droit. C'est quoi être dans son bon droit ?
».
Les
collègues font rarement partie des personnes
auxquelles on
s'affronte
parce que le soutien est globalement bon,
même si de temps en temps de petites phrases
ou attitudes blessent. Renaud,
par exemple, fulmine comme à son habitude
contre ses collègues qui lui reprochent
d'être incorrect avec ses
élèves et de s'attirer dès
lors très logiquement leurs foudres :
« Je fais
des réflexions, ouais ! Je fais mon boulot !
Vous leur faites pas des réflexions vous ?
Ben, vous avez tort ! Ca veut dire que vous faites
pas bien votre boulot non plus. Pas de
réflexion : ça veut dire que tout va
bien. Et vous croyez que tout va bien ? ».
(p.
252-254)
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