Dans
un premier temps amusons-nous (tout en
travaillant!) à caricaturer un peu ce qui
est dit aux enseignants: <<
Ayez l'autorité nécessaire pour
faire travailler vos élèves et
remettre l'effort au goût du jour, vous
verrez leur intérêt viendra
après! >> sur le modèle du
<<Souffrez donc ici bas, le bonheur est
dans le ciel, pour plus tard >> Et
d'autre part, pourquoi le gouvernement met-il en
place un salaire au mérite si la motivation
ne fonde pas le travail?
Mais soyons plus sérieux!
(tout en ayant du plaisir à faire cet
édito!). Le Ministre serait bien
surpris d'apprendre que sa conception est
partagée par un bon nombre
d'élèves. Dans sa
thèse Stéphanie
Leloup
nous
dit: <<Pour
les élèves, l'apprentissage semble
devoir forcément être un acte
douloureux, et très ennuyeux.
Le plaisir est divertissement, il nuit
forcément à la formation.
Il
est regrettable de trouver si peu de
témoignage qui montre un certain plaisir
à l'apprentissage, où le travail est
aussi une découverte de soi, une
découverte de sa capacité à
bien faire, voire une découverte de passions
personnelles....Ce qui domine dans la plupart des
questionnaires, c'est plutôt l'inverse du
désir et du plaisir : le dégoût
et l'ennui sont très
présents.
Les idées
associées au désir, au
plaisir, à la motivation, à
la passion, à l'envie sont presque
souvent présentées comme
invalidées dans le cadre du
lycée. L'ennui apparaît
important, mais il est souvent
justifié par des arguments "
logiques " (importance de la
matière pour le diplôme, pour
avoir un métier plus tard
).
Les élèves reprennent en
fait le discours de l'institution, et
leurs discours apparaissent comme
aseptisés.>>
Le désir du Ministre de
séparer "motivation" et "travail scolaire"
aboutit dans l'article du "Monde" à une
suite d'équivalences et
d'oppositions: discipline
/autorité / effort / sens de la
réalité / long temps de
travail / apprentissage rebutant /
entrée dans un univers d'adultes /
valeur du travail / activité /
culture authentique/ Jeu /
anarchie / liberté absolue /
accroissement des loisirs / crainte de
l'ennui / mirage du jeunisme (obsession?!)
/ passivité / divertissement /
illusion pédagogique / On arrive alors
à ce paradoxe: <<Ce
qu'on apprend à l'école demande
d'arides efforts, et c'est très ennuyeux.
Mais si cela devient plus divertissant, alors ce
n'est plus sérieux et cela ne doit pas
entraîner une mobilisation de
l'élève.
Ce
qui devient " attractif " ne peut rester " scolaire
", et ce qui n'est pas " scolaire " n'a pas
à être appris à l'école.
Il est donc logique que l'on ne fasse pas d'efforts
pour le retenir.>>(Stéphanie
Leloup)
Si les élèves (comme le
Ministre) ont intériorisé à ce
point que le travail doit être ennuyeux pour
mériter la qualification de "scolaire", il
devient effectivement urgent et nécessaire
de le réhabiliter! Mais ce n'est pas en
insistant seulement sur son caractère
pénible et sur l'effort nécessaire
qu'on le fera, car c'est un mythe de croire que
l'on peut faire des efforts pour quelque chose qui
ne présente pas d'intêrêt (il y
a au moins le désir de faire plaisir
à quelqu'un, d'éviter un
ennui...). Cette pensée vient de la
question récurrente (voir:
Meirieu
et
Finkielkraut)
de savoir s'il faut partir de la culture pour y
amener les élèves par l'effort ou
partir des élèves et les amener
à la culture par leurs
intérêts
On pourrait dire comme le philosophe
Dominique Méda ("Comment réhabiliter
le travail" Le Monde du 31/10/03) << cela
consisterait d'abord à en offrir à
tous >> et pour les élèves de
sentir qu'ils en trouveront tous grâce
à leur études. Mais comme cet auteur
le dit encore plus loin << réhabiliter
le travail ce serait surtout mobiliser tous les
moyens pour lui donner du sens. Un travail
doté de sens, c'est un travail qui permet,
en effet, aux personnes d'engager des actions
véritablement transformatrices, de
développer leurs
talents...>>
Pour les élèves ce
sens ne s'obtient sûrement pas
en séparant ce qu'on met
sous les termes de motivation
(je
préfèrerais
investissement)
et de travail.
Autrement dit ce n'est pas en
coupant le travail du plaisir, du
désir et du jeu qu'on
réhabilitera le travail mais au
contraire: - en
redonnant une place au désir, au
plaisir et donc au jeu qui en est le
symbole, dans
l'école. -en se
représentant le travail non
comme quelque chose qui doit être
aseptisé mais comme
l'expression canalisée,
sublimée de divers
désirs.
La peur du désir, du
plaisir peut amener certains à
redouter son invasion non
contrôlée dans une
liberté anarchique mythique, ils y
opposent alors une nécessité
de "rigueur", de "contrôle",
"d'autorité" pour y faire face sans
se rendre compte, que par là
même, ils tarissent le travail et
la
créativité. <<Freud
n'oublie pas la signification courante du
terme "travail" comme
activité professionnelle. Il
en souligne, à l'instar de Voltaire
qu'il cite, la grande valeur, mais pour sa
part du point de vue de l'économie
de la libido:c'est l'une des voies de la
sublimation qui permet de
"transférer les composantes
narcissiques, agressives, voire
érotiques de la libido" et, dans la
mesure où il permet de tirer parti
de penchants affectifs et
d'énergies instinctives, tout
métier devient source de joies
particulières>>
Bien sûr qu'il est
nécessaire de préparer le
jeune au monde adulte où plaisir et
désir sont sublimés
(théoriquement!) et où
l'ennui a sa place mais il ne s'agit pas
de "plonger" ces jeunes directement dans
ce monde adulte mais de trouver des
sas,
des espaces intermédiaires pour
leurs permettre ce passage. Or le
"jeu" est justement un
modèle de cet espace
intermédiaire selon Winnicott (Voir
son
livre: "Jeu et
réalité")
Le jeu peut ainsi être un moyen de
développement du jeune quand on sait
l'utiliser: -il permet
au jeune d'aller de sa toute puissance
imaginaire interne vers la recherche de la
maîtrise des situations externes et
donc vers le travail; de la rumination
imaginaire interne et solitaire à
un échange de jeu partagé
avec des autres externes, autrement dit il
est facteur de
socialisation -Il
est l'instrument qui amène
le jeune d'un jeu magique (play)
vers un jeu avec des
règles (games) et donc
objet d'intériorisation
de la nécessité de
lois et donc de l'acceptation
des contraites du
travail. En
cela le jeu est loin d'être
anarchie, il ne s'oppose pas
à
l'autorité. Il
nécessite au
contraire
un
cadre,
des règles, une
autorité <<En
d'autres termes, c'est le jeu qui
est universel et qui correspond à
la santé ; l'activité de jeu
facilite la croissance et par là
même, la santé. Jouer conduit
à établir des relations de
groupe; le jeu peut être une forme
de communication en psychothérapie
et, en dernier lieu, je dirai que la
psychanalyse s'est
développée comme une forme
très spécialisée du
jeu mise au service de la communication
avec soi-même et avec les
autres.>>
Plonger les jeunes directement dans la
réalité adulte est une violence
à leur égard qui ne peut
qu'entraîner une violence défensive de
leur part.
En définitive le jeu est le
symbole de la place du plaisir et donc du
désir dans l'école; sans jeu (sans
"Je" finalement, c'est-à-dire sans une place
pour la personne du jeune et non
réduite à celle de
l'élève) il n'y a ni travail, ni
création.
Laisser un espace au désir, au
plaisir, à l'école dans
un cadre
solide est la condition pour qu'il y existe du
travail.
Appendre aux enseignants à
construire
un cadre
solide dans leurs activités, à savoir
le tenir fermement tout en laissant à
l'intérieur se développer les
désirs des élèves est un
élément important de la
formation
des enseignants aux facteurs
humains
et
ce n'est pas évident à faire car cela
interpelle chacun sur sa propre attitude à
l'égard du désir, du plaisir et de
son rapport
à la
Loi. Savoir
pour les professeurs exprimer devant les
élèves leur propre plaisir de
travailler ou leur ennui par moment et accepter que
ces derniers expriment leurs propres sentiments
participe aussi à la réhabilitation
du travail. Voir Enseigner
avec le sourire et le
jeu En
Maths
http://echecsetmaths.ifrance.com/echecsetmaths Un
travail sur les représentations du
travail avec des
élèves:
http://monsite.orange.fr/tournezmeninges/index.jhtml <<Voici un
bel article de fond sur les notions de travail,
d'apprentissage, de jeux et du plaisir d'apprendre,
avec toute la difficulté de suivre
l'idée d'une réhabilitation du
travail par la voix ministérielle en ayant
aussi peu le droit de se faire plaisir en apprenant
car le travail est réservé aux actes
sérieux de la vie. Sachant que l'un des axes
fondamentaux de travail des enseignants est de
faciliter l'éveil du jeune apprenant en lui
permettant de se structurer avec le temps en
étant à la recherche de sa
personnalité, je rejoins votre analyse sur
la nécessité du cadre à
distinguer de la méthode d'approche des
enseignements fondamentaux incluant un accès
au savoir par le plaisir et non par ce carcan du
sérieux au travail lequel excluerait toute
forme d'amusement. Cette "valeur" du travail,
alourdie par le sens qui peut lui être
donné par un adulte et implique des
contraintes, de la rigueur, de l'effort, interdit
au jeune apprenant d'accéder aux richesses
recueillies par lui-même, en utilisant son
penchant naturel pour la découverte assombri
par toute règle introduisant mérite,
classement, notations et appréciations. Le
jeu, l'amusement, l'imagination, la
créativité favorisent, comme vous le
précisez, le goût de l'apprentissage
sans crainte, avec une vision humaine de l'enfance
puis de l'adolescence à l'école ou au
collège. Les conditions d'apprentissage
n'épargnent pas à l'adulte d'essayer
de réfléchir en ouvrant son regard et
ses analyses par extension à la
qualité des conditions de travail
recherchée ou appréciée par un
adulte, même si chacun doit pouvoir
être perçu l'un comme un enfant,
l'autre comme un adulte, en laissant le temps
à l'enfant de découvrir quand
l'âge viendra ce qu'est le monde des adultes.
En soulevant les paradoxes existants entre le point
de vue ministériel, la notion de travail, le
plaisir d'apprendre et la motivation, vous montrez
bien que la motivation ne se décide pas,
elle s'entretient en ayant la joie pour
l'enseignant de constater que les enfants
s'instruisent par eux-mêmes dans le cadre
solide que vous évoquez, plutôt que de
les transformer en imitateurs, en assimilateurs des
enseignements transmis. Car le but de
l'enseignement n'est pas de vérifier si le
reflet de la chose enseignée est ou non
parfait mais plutôt de conduire l'enfant
à se représenter la chose
enseignée avec l'intérêt, la
motivation et le goût dont il a besoin pour
s'épanouir en y associant bien sûr le
plaisir. >> <<Texte
intéressant... Il y a bien longtemps (en
1907) un général anglais a compris
l'intérêt du jeu dans les
apprentissages ainsi que du "co-apprentissage"
entre pairs sous le regard bienveillant d'adultes.
Il eu l'idée de mettre ces principes en
action, plus de 100 ans après cela
fonctionne toujours ! Il s'appelait lord
Baden-Powel et il créa le
scoutisme...>> <<Bonjour, Je
viens de lire avec un grand interet le dossier du
mois de novembre de votre site : Rehabiliter le
travail a l'ecole. Oui mais comment ? Adepte du jeu
bien avant d'etre professeur de mathematiques et
essayant de l'introduire dans ma pratique
quotidienne de prof de college, je partage de
nombreux points de vue de votre analyse. La notion
de cadre solide a l'interieur duquel l'eleve peut
developper ses desirs, sa creativite et
eventuellement trouver du plaisir me parait
vraiment pertinente. L'opposition que fait notre
ministre entre travail, discipline, rigueur et jeu,
liberte, anarchie est tellement caricaturale que
j'ai un peu de mal a comprendre comment un
philosophe peut raisonnablement tenir un tel
discours. Meconnnaissance du terrain, influence
exterieure, analyse superficielle .... Je
m'interroge reellement. Vous avez peut-etre une
idee plus precise ? Si ce n'est deja fait, je vous
renvoie pour completer la connaissance de l'analyse
de notre ministre a la lecture des pages 47,48,49
et 50 de son livre "Lettre a tous ceux qui aiment
l'ecole". La lecture de ces pages, il y a quelques
mois, m'avait stupefait et donne envie de repondre
a ce passage. Je ne l'avais pas fait mais la
lecture de votre site a ravive ce desir ! Un seul
bemol (j'ose !) a la lecture de votre dossier,
l'absence de definition du mot jeu qui apparait de
nombreuses fois dans le texte. Je pense que ce
pourrait etre un complement interessant tout en
sachant que definir un jeu ou un jeu mathematique
n'est pas chose aisee. Pour information, un ouvrage
collectif sous la direction des CRDP de Besancon et
Paris est en cours de preparation sur le theme du
jeu mathematique et de sa pratique a l'ecole et au
college. J'essaye d'apporter ma contribution a cet
ouvrage etant egalement le createur d'un jeu de
societe a base de mathematiques (Mathador).
Merci pour la clarte de vos propos et travaux qui
donnent un excellent eclairage du sujet. Sinceres
salutations.>> Eric Trouillot Professeur en
college a Besancon. <<Je viens de
prendre connaissance grâce au café
padégogique de vos nouvelles pages sur la
réhabilitation du travail et je vous en
remercie. Cet article, venant à la suite de
nombreuses autres interventions sur ce thème
nous avait profondément mis en
colère. Voilà plusieurs années
qu'avec quelques collègues de
l'académie de Caen nous créons et
utilisons des jeux pédagogiques dans le
cadre de notre enseignement de l'histoire
géo en collège. Nous avons pu en
observer tout le bénéfice et depuis
1998 nous organisons des stages de formation
continue sur ce thème qui réunissent
- et convertissent - de nombreux collègues.
Pour faire partager notre expérience nous
avons également créé un site
hébergé sur le site de
l'Académie de Caen dont je me permets de
vous transmettre l'adresse : réseau
Ludus. Le fait est que
l'utilisation du jeu en classe est un formidable
outil de motivation qui permet de faire participer
à l'activité tous les
élèves (y compris ceux à qui
échappent les subtilités de la
rhétorique ministérielle sur les
joies de l'effort :-)) et donc de se mettre au
travail. Par ailleurs, le jeu peut être un
excellent biais pour faire acquérir ou pour
évaluer des connaissances ou des
méthodes. Il n'est donc pas, bien sûr,
outil de divertissement mais bel et bien un moyen
de mettre des enfants sur la voie du travail
scolaire.Il suffit pour s'en convaincre d'observer
des enfants apprendre au moyen d'un jeu. Pour ma part je me
sens en complet accord avec ce que vous dites
à propos du jeu en éducation.
Cordialement>> Denis Sestier
(Professeur d'histoire-géographie St Martin
de Fontenay 14); Yvan Hochet (prof
d'histoire géo au collège de
Giberville 14)
-En
montrant que le jeu peut être
sérieux (voir
l'entretien
du mathématicien
Malgrange)
Le
jeu permet
de séparer progressivement
"intérieur" (du jeune) et "extérieur"
( la réalité). Le jeune a
parfois peur du travail (extérieur) car il
le voit comme son chaos intérieur (voir
:
La
peur d'apprendre).
Le jeu est en quelque sorte l'"espace
intermédiaire" qui donne au jeune le
temps nécessaire pour faire le deuil de
sa toute puissance (de sa violence par exemple)
pour accéder à la puissance d'action
dans le réel et donc à la valeur du
travail.