Esprit du site
Moteur de recherche
Recherche d'article par auteur
Pedagopsy.eu
Recherche de livres par motsclefs
Plan du site
L'auteur

PLAN DU SITE

 

Réhabiliter le travail à l'école;

Oui, mais comment?

             Un jour, Luc Ferry nous a invité dans "un point de vue" du journal "Le Monde" (15/10/03) à réhabiliter le travail à l'école:

<<A bien des égards, ce n'est pas la motivation qui fonde le travail mais l'inverse.  N'ayons pas peur des mots: la culture scolaire peut et doit être passionnante mais sa finalité première n'est pas de divertir. Il y a d'autres lieux pour cela.>>

Voir des

passages

             Dans un premier temps amusons-nous (tout en travaillant!) à caricaturer un peu ce qui est dit aux enseignants:

<< Ayez l'autorité nécessaire pour faire travailler vos élèves et remettre l'effort au goût du jour, vous verrez leur intérêt viendra après! >> sur le modèle du <<Souffrez donc ici bas, le bonheur est dans le ciel, pour plus tard >> Et d'autre part, pourquoi le gouvernement met-il en place un salaire au mérite si la motivation ne fonde pas le travail?

             Mais soyons plus sérieux! (tout en ayant du plaisir à faire cet édito!). Le Ministre serait bien surpris d'apprendre que sa conception est partagée par un bon nombre d'élèves. Dans sa thèse Stéphanie Leloup nous dit:

<<Pour les élèves, l'apprentissage semble devoir forcément être un acte douloureux, et très ennuyeux. Le plaisir est divertissement, il nuit forcément à la formation. Il est regrettable de trouver si peu de témoignage qui montre un certain plaisir à l'apprentissage, où le travail est aussi une découverte de soi, une découverte de sa capacité à bien faire, voire une découverte de passions personnelles....Ce qui domine dans la plupart des questionnaires, c'est plutôt l'inverse du désir et du plaisir : le dégoût et l'ennui sont très présents.

             Les idées associées au désir, au plaisir, à la motivation, à la passion, à l'envie sont presque souvent présentées comme invalidées dans le cadre du lycée. L'ennui apparaît important, mais il est souvent justifié par des arguments " logiques " (importance de la matière pour le diplôme, pour avoir un métier plus tard…). Les élèves reprennent en fait le discours de l'institution, et leurs discours apparaissent comme aseptisés.>>

             Le désir du Ministre de séparer "motivation" et "travail scolaire" aboutit dans l'article du "Monde" à une suite d'équivalences et d'oppositions:

discipline /autorité / effort / sens de la réalité / long temps de travail / apprentissage rebutant / entrée dans un univers d'adultes / valeur du travail / activité / culture authentique/

qui s'opposent en quelque sorte à:

Jeu / anarchie / liberté absolue / accroissement des loisirs / crainte de l'ennui / mirage du jeunisme (obsession?!) / passivité / divertissement / illusion pédagogique /

 On arrive alors à ce paradoxe:

<<Ce qu'on apprend à l'école demande d'arides efforts, et c'est très ennuyeux. Mais si cela devient plus divertissant, alors ce n'est plus sérieux et cela ne doit pas entraîner une mobilisation de l'élève. Ce qui devient " attractif " ne peut rester " scolaire ", et ce qui n'est pas " scolaire " n'a pas à être appris à l'école. Il est donc logique que l'on ne fasse pas d'efforts pour le retenir.>>(Stéphanie Leloup)

             Si les élèves (comme le Ministre) ont intériorisé à ce point que le travail doit être ennuyeux pour mériter la qualification de "scolaire", il devient effectivement urgent et nécessaire de le réhabiliter! Mais ce n'est pas en insistant seulement sur son caractère pénible et sur l'effort nécessaire qu'on le fera, car c'est un mythe de croire que l'on peut faire des efforts pour quelque chose qui ne présente pas d'intêrêt (il y a au moins le désir de faire plaisir à quelqu'un, d'éviter un ennui...). Cette pensée vient de la question récurrente (voir: Meirieu et Finkielkraut) de savoir s'il faut partir de la culture pour y amener les élèves par l'effort ou partir des élèves et les amener à la culture par leurs intérêts

 

Alors comment faire une réhabilitation du travail à l'école?

 

             On pourrait dire comme le philosophe Dominique Méda ("Comment réhabiliter le travail" Le Monde du 31/10/03) << cela consisterait d'abord à en offrir à tous >> et pour les élèves de sentir qu'ils en trouveront tous grâce à leur études. Mais comme cet auteur le dit encore plus loin << réhabiliter le travail ce serait surtout mobiliser tous les moyens pour lui donner du sens. Un travail doté de sens, c'est un travail qui permet, en effet, aux personnes d'engager des actions véritablement transformatrices, de développer leurs talents...>>

             Pour les élèves ce sens ne s'obtient sûrement pas en séparant ce qu'on met sous les termes de motivation (je préfèrerais investissement) et de travail.

             Autrement dit ce n'est pas en coupant le travail du plaisir, du désir et du jeu qu'on réhabilitera le travail mais au contraire:

- en redonnant une place au désir, au plaisir et donc au jeu qui en est le symbole, dans l'école.

-En montrant que le jeu peut être sérieux (voir l'entretien du mathématicien Malgrange)

-en se représentant le travail non comme quelque chose qui doit être aseptisé mais comme l'expression canalisée, sublimée de divers désirs.

             La peur du désir, du plaisir peut amener certains à redouter son invasion non contrôlée dans une liberté anarchique mythique, ils y opposent alors une nécessité de "rigueur", de "contrôle", "d'autorité" pour y faire face sans se rendre compte, que par là même, ils tarissent le travail et la créativité.

<<Freud n'oublie pas la signification courante du terme "travail" comme activité professionnelle. Il en souligne, à l'instar de Voltaire qu'il cite, la grande valeur, mais pour sa part du point de vue de l'économie de la libido:c'est l'une des voies de la sublimation qui permet de "transférer les composantes narcissiques, agressives, voire érotiques de la libido" et, dans la mesure où il permet de tirer parti de penchants affectifs et d'énergies instinctives, tout métier devient source de joies particulières>>

(Dictionnaire International de la psychanalyse). 

             Bien sûr qu'il est nécessaire de préparer le jeune au monde adulte où plaisir et désir sont sublimés (théoriquement!) et où l'ennui a sa place mais il ne s'agit pas de "plonger" ces jeunes directement dans ce monde adulte mais de trouver des sas, des espaces intermédiaires pour leurs permettre ce passage. Or le "jeu" est justement un modèle de cet espace intermédiaire selon Winnicott (Voir son livre: "Jeu et réalité")

            
Le jeu permet de séparer progressivement "intérieur" (du jeune) et "extérieur" ( la réalité). Le jeune a parfois peur du travail (extérieur) car il le voit comme son chaos intérieur (voir : La peur d'apprendre).

             Le jeu peut ainsi être un moyen de développement du jeune quand on sait l'utiliser:

-il permet au jeune d'aller de sa toute puissance imaginaire interne vers la recherche de la maîtrise des situations externes et donc vers le travail; de la rumination imaginaire interne et solitaire à un échange de jeu partagé avec des autres externes, autrement dit il est facteur de socialisation

-Il est l'instrument qui amène le jeune d'un jeu magique (play) vers un jeu avec des règles (games) et donc objet d'intériorisation de la nécessité de lois et donc de l'acceptation des contraites du travail.

En cela le jeu est loin d'être anarchie, il ne s'oppose pas à l'autorité. Il nécessite au contraire un cadre, des règles, une autorité

<<En d'autres termes, c'est le jeu qui est universel et qui correspond à la santé ; l'activité de jeu facilite la croissance et par là même, la santé. Jouer conduit à établir des relations de groupe; le jeu peut être une forme de communication en psychothérapie et, en dernier lieu, je dirai que la psychanalyse s'est développée comme une forme très spécialisée du jeu mise au service de la communication avec soi-même et avec les autres.>>

Winnicott. "Jeu et réalité" p. 90
             Le jeu est en quelque sorte l'"espace intermédiaire" qui donne au jeune le temps nécessaire pour faire le deuil de sa toute puissance (de sa violence par exemple) pour accéder à la puissance d'action dans le réel et donc à la valeur du travail.

             Plonger les jeunes directement dans la réalité adulte est une violence à leur égard qui ne peut qu'entraîner une violence défensive de leur part.

             En définitive le jeu est le symbole de la place du plaisir et donc du désir dans l'école; sans jeu (sans "Je" finalement, c'est-à-dire sans une place pour la personne du jeune et non réduite à celle de l'élève) il n'y a ni travail, ni création. 

             Laisser un espace au désir, au plaisir, à l'école dans un cadre solide est la condition pour qu'il y existe du travail.

             Appendre aux enseignants à construire un cadre solide dans leurs activités, à savoir le tenir fermement tout en laissant à l'intérieur se développer les désirs des élèves est un élément important de la formation des enseignants aux facteurs humains et ce n'est pas évident à faire car cela interpelle chacun sur sa propre attitude à l'égard du désir, du plaisir et de son rapport à la Loi

Savoir pour les professeurs exprimer devant les élèves leur propre plaisir de travailler ou leur ennui par moment et accepter que ces derniers expriment leurs propres sentiments participe aussi à la réhabilitation du travail.

 

Voir

Enseigner avec le sourire et le jeu

En Maths http://echecsetmaths.ifrance.com/echecsetmaths

Un travail sur les représentations du travail avec des élèves: http://monsite.orange.fr/tournezmeninges/index.jhtml

Vos  Réactions

Adresse mail facultative

Commentaire

 

Réactions:

<<Voici un bel article de fond sur les notions de travail, d'apprentissage, de jeux et du plaisir d'apprendre, avec toute la difficulté de suivre l'idée d'une réhabilitation du travail par la voix ministérielle en ayant aussi peu le droit de se faire plaisir en apprenant car le travail est réservé aux actes sérieux de la vie. Sachant que l'un des axes fondamentaux de travail des enseignants est de faciliter l'éveil du jeune apprenant en lui permettant de se structurer avec le temps en étant à la recherche de sa personnalité, je rejoins votre analyse sur la nécessité du cadre à distinguer de la méthode d'approche des enseignements fondamentaux incluant un accès au savoir par le plaisir et non par ce carcan du sérieux au travail lequel excluerait toute forme d'amusement. Cette "valeur" du travail, alourdie par le sens qui peut lui être donné par un adulte et implique des contraintes, de la rigueur, de l'effort, interdit au jeune apprenant d'accéder aux richesses recueillies par lui-même, en utilisant son penchant naturel pour la découverte assombri par toute règle introduisant mérite, classement, notations et appréciations. Le jeu, l'amusement, l'imagination, la créativité favorisent, comme vous le précisez, le goût de l'apprentissage sans crainte, avec une vision humaine de l'enfance puis de l'adolescence à l'école ou au collège. Les conditions d'apprentissage n'épargnent pas à l'adulte d'essayer de réfléchir en ouvrant son regard et ses analyses par extension à la qualité des conditions de travail recherchée ou appréciée par un adulte, même si chacun doit pouvoir être perçu l'un comme un enfant, l'autre comme un adulte, en laissant le temps à l'enfant de découvrir quand l'âge viendra ce qu'est le monde des adultes. En soulevant les paradoxes existants entre le point de vue ministériel, la notion de travail, le plaisir d'apprendre et la motivation, vous montrez bien que la motivation ne se décide pas, elle s'entretient en ayant la joie pour l'enseignant de constater que les enfants s'instruisent par eux-mêmes dans le cadre solide que vous évoquez, plutôt que de les transformer en imitateurs, en assimilateurs des enseignements transmis. Car le but de l'enseignement n'est pas de vérifier si le reflet de la chose enseignée est ou non parfait mais plutôt de conduire l'enfant à se représenter la chose enseignée avec l'intérêt, la motivation et le goût dont il a besoin pour s'épanouir en y associant bien sûr le plaisir. >>

<<Texte intéressant... Il y a bien longtemps (en 1907) un général anglais a compris l'intérêt du jeu dans les apprentissages ainsi que du "co-apprentissage" entre pairs sous le regard bienveillant d'adultes. Il eu l'idée de mettre ces principes en action, plus de 100 ans après cela fonctionne toujours ! Il s'appelait lord Baden-Powel et il créa le scoutisme...>>

<<Bonjour, Je viens de lire avec un grand interet le dossier du mois de novembre de votre site : Rehabiliter le travail a l'ecole. Oui mais comment ? Adepte du jeu bien avant d'etre professeur de mathematiques et essayant de l'introduire dans ma pratique quotidienne de prof de college, je partage de nombreux points de vue de votre analyse. La notion de cadre solide a l'interieur duquel l'eleve peut developper ses desirs, sa creativite et eventuellement trouver du plaisir me parait vraiment pertinente. L'opposition que fait notre ministre entre travail, discipline, rigueur et jeu, liberte, anarchie est tellement caricaturale que j'ai un peu de mal a comprendre comment un philosophe peut raisonnablement tenir un tel discours. Meconnnaissance du terrain, influence exterieure, analyse superficielle .... Je m'interroge reellement. Vous avez peut-etre une idee plus precise ? Si ce n'est deja fait, je vous renvoie pour completer la connaissance de l'analyse de notre ministre a la lecture des pages 47,48,49 et 50 de son livre "Lettre a tous ceux qui aiment l'ecole". La lecture de ces pages, il y a quelques mois, m'avait stupefait et donne envie de repondre a ce passage. Je ne l'avais pas fait mais la lecture de votre site a ravive ce desir ! Un seul bemol (j'ose !) a la lecture de votre dossier, l'absence de definition du mot jeu qui apparait de nombreuses fois dans le texte. Je pense que ce pourrait etre un complement interessant tout en sachant que definir un jeu ou un jeu mathematique n'est pas chose aisee. Pour information, un ouvrage collectif sous la direction des CRDP de Besancon et Paris est en cours de preparation sur le theme du jeu mathematique et de sa pratique a l'ecole et au college. J'essaye d'apporter ma contribution a cet ouvrage etant egalement le createur d'un jeu de societe a base de mathematiques (Mathador). Merci pour la clarte de vos propos et travaux qui donnent un excellent eclairage du sujet. Sinceres salutations.>> Eric Trouillot Professeur en college a Besancon.

<<Je viens de prendre connaissance grâce au café padégogique de vos nouvelles pages sur la réhabilitation du travail et je vous en remercie. Cet article, venant à la suite de nombreuses autres interventions sur ce thème nous avait profondément mis en colère. Voilà plusieurs années qu'avec quelques collègues de l'académie de Caen nous créons et utilisons des jeux pédagogiques dans le cadre de notre enseignement de l'histoire géo en collège. Nous avons pu en observer tout le bénéfice et depuis 1998 nous organisons des stages de formation continue sur ce thème qui réunissent - et convertissent - de nombreux collègues. Pour faire partager notre expérience nous avons également créé un site hébergé sur le site de l'Académie de Caen dont je me permets de vous transmettre l'adresse : réseau Ludus.

Le fait est que l'utilisation du jeu en classe est un formidable outil de motivation qui permet de faire participer à l'activité tous les élèves (y compris ceux à qui échappent les subtilités de la rhétorique ministérielle sur les joies de l'effort :-)) et donc de se mettre au travail. Par ailleurs, le jeu peut être un excellent biais pour faire acquérir ou pour évaluer des connaissances ou des méthodes. Il n'est donc pas, bien sûr, outil de divertissement mais bel et bien un moyen de mettre des enfants sur la voie du travail scolaire.Il suffit pour s'en convaincre d'observer des enfants apprendre au moyen d'un jeu.

Pour ma part je me sens en complet accord avec ce que vous dites à propos du jeu en éducation. Cordialement>> Denis Sestier (Professeur d'histoire-géographie St Martin de Fontenay 14); Yvan Hochet (prof d'histoire géo au collège de Giberville 14)

Esprit du site
Moteur de recherche
Recherche d'article par auteur
Pedagopsy.eu
Recherche de livres par motsclefs
Plan du site
L'auteur