On
sait que théoriquement, l'ennui
peut naître d'un grand nombre de
causes, qui peuvent soit venir des
professeurs, soit de l'institution, soit
des élèves ou soit du
savoir. Nous avons d'abord cherché
à confronter ces postulats à
l'épreuve du terrain. Les
mêmes facteurs sont-ils cités
? Quel poids respectif leur est
attribué ? Quel type d'individu
invoque plus volontiers une cause en
particulier ? Pourquoi le fait-il ? Quel
rôle la discipline en
elle-même peut-elle jouer dans la
production de l'ennui ? Ces questions ont
inspiré l'analyse que nous allons
à présent
développer.
Pour mieux se rendre compte du
poids de ces différents facteurs de
l'ennui, nous proposons le tableau suivant
qui présente, par ordre
décroissant d'importance, les
diverses causes que nous avons
identifiées lors de l'analyse des
questionnaires remplis par les
élèves.
Dès la lecture de ce
tableau, on peut s'apercevoir que le
discours sera dominé par le
rationnel au dépens de
l'émotionnel.
En effet, l'ennui semble beaucoup
plus provenir de l'inutilité de ce
que l'on apprend au lycée (pour le
métier, pour la vie courante, pour
la vie quotidienne
), que du peu de
satisfaction intrinsèque que l'on
peut en retirer (le manque de plaisir
occupe la dernière place). Par
ailleurs, les professeurs semblent
être les principaux responsables de
l'ennui. L'ennui semblerait donc plus
venir des autres que de soi-même.
Nous allons maintenant détailler
les sept facteurs qui rendent un cours
ennuyeux. 222 24 122 13.2 92 9.9 52 5.6 46 5 31 3.4 Autres 18 1.9 9 1 Total 925 Détail des
différentes causes
De l'analyse des différents
facteurs de l'ennui, on peut relever un
certain nombre de constantes : · Une
cause d'ennui est souvent fortement
reliée à une ou des
disciplines
particulières. ·
Chaque cause d'ennui s'appuie sur une
représentation associée,
comme celle du " métier ", de la "
culture générale
"
· Les
élèves se
révèlent très
attachés, non à l'esprit de
l'institution scolaire, mais à ses
formes. Nous
allons à présent le
démontrer à travers ces
sept causes principales de
l'ennui.
Cette catégorie est
certainement l'une des plus
riches en témoignages. En
effet, les professeurs, selon les
élèves, sont, en
cas d'ennui, les premiers fautifs
car de même que le " bon "
enseignant fait le " bon "
élève, comme le
rappelle un lycéen de
seconde :
<<Il
faudrait déjà avoir
de bons professeurs car sans bons
professeurs, il n'y a pas de bons
élèves.
>>(G-sec), le " bon "
professeur doit savoir faire un
cours intéressant, sinon
il ne mérite pas son titre
d'enseignant et il doit
être remplacé ou du
moins envoyé en
formation.
Pourquoi la relation
pédagogique occupe-t-elle la
première place dans la production
de l'ennui ? On peut avancer
dès à présent
quelques explications : ·
Les élèves peuvent
éprouver des difficultés
à trouver un sens global au
travail scolaire. Cette recherche
de significations doit être
relayée à l'intérieur
du lycée par le biais de la
relation pédagogique ou de la mise
en forme du cours... ·
Une autre raison pouvant expliquer
l'importance du rôle du professeur
est le peu de satisfaction
intrinsèque retiré dans le
travail scolaire. L'enseignant,
et la relation que les
élèves ont établi
avec lui, reste la seule variable qui
sépare un travail en classe
pénible d'un cours
agréable...
Les enseignants reçoivent
donc un certain nombre de reproches que
l'on peut résumer ainsi
: "
Ils ne sont pas assez enthousiastes
" Des
élèves arrivent en cours
passifs, c'est-à-dire sans
désir, et semblent avoir grand
besoin du désir de l'autre pour
éprouver eux-mêmes un
désir.
Un grand nombre de questionnaires
insistent sur l'importance du professeur
pour motiver les élèves. Son
enthousiasme doit être
communicatif. <<Je
pense que lorsqu'on s'ennuie en cours cela
vient beaucoup de l'attitude des
professeurs. Il faudrait que certains
montrent un peu plus d'enthousiasme et
qu'ils nous transmettent leurs
connaissances un peu plus par vocation que
pour l'argent. Nous avons cette
année une prof de français
qui se préoccupe beaucoup plus de
nous que de sa paye et on voit tout de
suite la différence avec les
autres.>>
(F- 1 SMS)
<<Certains
cours sont ennuyeux : pas pour leurs
contenus mais par la non volonté,
la lassitude de certains professeurs qui
ont l'air d'être là par
dépit et à regret de ne pas
avoir pu faire autre
chose.
>>(F- 1 L)
<<Une
aide des professeurs pour nous motiver
à
travailler.>>
(G- 1 S)
Le dernier extrait résume
l'idée générale :
puisque les élèves ne
sont pas en désir de savoir, il
faut que le désir vienne du
professeur.
L'émotion que l'on ne trouve
pas dans le travail scolaire, on va
essayer de la retrouver dans les relations
avec les professeurs. Pour éprouver
un désir, il faut que les
lycéens soient eux-mêmes
objets de désir, que leurs
enseignants croient en leur
réussite, parce qu'eux-mêmes
n'y croient pas assez forts pour se passer
du désir de l'autre, surtout les
moins bons [Charlot, 1999]. C'est
pourquoi les lycéens peuvent
être amenés à formuler
cet autre reproche : "
Ils ne
s'intéressent qu'aux meilleurs
"
Un autre soupçon
pèse sur la
professionnalité du
professeur, celui qui concerne
son sens de la justice. Le
professeur doit
s'intéresser à
tous, voire à la limite
plus à ceux qui ont des
difficultés (cognitives ou
comportementales) afin de les "
pousser " sur le " chemin de la
réussite ". L'image
utilisée est assez
parlante : elle indique que les
jeunes se sentent passifs comme
une pierre qu'on roule sur un
chemin. Encore une fois c'est
à l'enseignant de les
motiver parce qu'eux ne le sont
pas, et que ce sont eux qui en
ont le plus besoin. A aucun
moment ces adolescents montrent
qu'ils pourraient se mobiliser
eux-mêmes. <<Je
voudrais que les profs ne travaillent pas
qu'avec les meilleurs. Je voudrais que les
profs nous donnent des exemples concrets
sur ce qu'ils
expliquent.>>
(G-sec) " Ils
utilisent des méthodes
d'enseignement inadaptées
"
Cette fois, les reproches ne
portent plus sur les qualités
personnelles ou professionnelles du
professeur (son enthousiasme, sa
volonté de faire réussir
tout le monde), mais sur les
méthodes employées pour
faire leurs cours. Pour les
lycéens, l'ennui est surtout un
problème de manière, comme
le montre cet extrait : <<Oui,
ce sont les professeurs qui rendent une
matière agréable, ils
devraient peut-être changer leur
manière de faire
cours.>>
(F- 1 STT).
Le remède dès lors
leur apparaît comme simple et
relativement facile à mettre en
uvre (sous réserve d'obtenir
les moyens financiers nécessaires).
Il faut utiliser des moyens audiovisuels,
des jeux de rôles, les nouvelles
technologies, faire des sorties, des
voyages à
l'étranger. <<Changer
de manière d'enseigner : plus de
films ou de visites ; et moins
écrire. Éventuellement,
changer de
professeur.>>
(G- 1 S) <<Oui,
on devrait passer plus de vidéo,
faire plus de sorties : par exemple, si en
français on étudie une
pièce de théâtre,
qu'on aille la voir, pour se rendre compte
comment elle se joue... En langues, passer
des vidéos en sous titré
pour connaître mieux les modes de
vie, les villes du
pays...>>(G
- sec)
Une méthode en particulier
est incriminée, c'est celle qui
fait appel au " par cur
". <<En
histoire, apprendre des dates, et des noms
de personnages ou de bataille, c'est
encombrer notre mémoire
inutilement. De même pour la
biologie ou la physique - chimie,
s'encombrer de noms de biologistes ou de
physiciens pas du tout connus ne nous sert
à rien. Il faudrait plutôt
retenir leurs découvertes ou leurs
expériences.>>
(G- sec)
<<Les
formules chimiques ou de physique, les
expressions "barbares" en bio, les
détails des uvres aux
programmes de lettres (en 1ère et
terminale): connaître tous les noms
des personnages, toutes leurs
actions.>>
(F- T L)
Cette focalisation sur le " par
cur " est assez étonnante,
car de plus en plus, le lycée
demande aux élèves de faire
preuve d'une réflexion personnelle
et non de réciter leurs cours. A.
Barrère [1997] remarque en
effet que les tâches
demandées aux élèves
sont de plus en plus exigeantes et
intelligentes, dans le sens où
elles ne demandent pas de
répéter ou d'imiter mais de
montrer que l'on a compris, et
d'être capable d'utiliser les
connaissances acquises pour
démontrer quelque chose, et non
d'appliquer " bêtement " des
formules et des procédés.
L'exemple du baccalauréat est
à ce sujet relativement parlant :
il n'y que peu d'épreuves où
l'on demande aux élèves de
réciter leurs cours, ce qui n'est
d'ailleurs pas le cas à
l'université comme le souligne A.
Barrère.
Un " concept "
défini par Charlot
[1999] peut sans doute
nous éclairer sur ce
point. Il distingue en effet deux
types de disciplines : les
disciplines " puzzle "
où il y a une logique ; si
on la comprend, il est facile
d'écouter et de retenir
les explications du professeur
(d'où l'importance d'avoir
un professeur qui explique bien
et qui peut réexpliquer),
et les disciplines " scrabble
", à base de mots,
où il y a à la
limite rien à comprendre
et où il faut faire un
très gros effort de
mémorisation.
L'élève est dans les
disciplines " scrabble "
complètement dépendant de
l'enseignant. Pour Charlot, c'est souvent
le cas de l'histoire, et effectivement on
voit déjà que les
élèves se
représentent l'histoire comme un
amoncellement de dates, de noms de
personnages, d'événements
à apprendre. Néanmoins, on
ne peut pas généraliser, une
discipline n'est pas classable en soi,
mais en fonction du rapport que
l'élève entretient avec la
discipline. " Puzzle " et " scrabble " ne
se confondent pas forcément ni avec
enseignement général et
technique ou professionnel, ni avec
abstrait ou concret.
On peut donc expliquer ce rejet du "
par cur ", et de l'effort qui lui
est associé, non parce que
l'élève est forcément
" paresseux ", mais parce que cela ne fait
pas sens pour lui. S'il y a une
logique, l'effort est moindre et ce n'est
pas seulement de la mémorisation.
C'est pourquoi un certain nombre de
réponses conseillent comme
remède à l'ennui de "
bien
comprendre avant
d'apprendre.
" (F - 1 STT) S'il faut vraiment qu'il y
ait effort de mémorisation, il faut
que celui-ci soit le plus indolore
possible. Ainsi, les langues devraient
s'apprendre en s'immergeant dans un bain
linguistique lors de voyages à
l'étranger, et les leçons
devraient se présenter comme des
jeux ou comme des films que l'on
ingurgiterait passivement. L'extrait
suivant montre assez ce désir de
rejeter tout effort :
<<Oui,
les supprimer ; notamment
l'économie pour notre section ou
éventuellement la travailler
à partir de cassettes
vidéos.
>>(F- T SMS)
Cela signifie en clair que si l'on
ne peut pas supprimer les cours, alors il
faut que cela nécessite le moins
d'efforts possibles en utilisant des
moyens audiovisuels. L'essentiel est de ne
pas utiliser des moyens " scolaires " et
donc forcément ennuyeux. Pour un
élève, " l'ennui scolaire "
est presque un pléonasme, car
l'ennui est forcément
associé au " scolaire ". " Leur parole est
ennuyeuse "
Il y a un certain refus
que le professeur ait seul le
droit de parler.
L'élève
entend être reconnu comme
interlocuteur (et non pas
seulement comme
interrogé). Le professeur
peut être rejeté
dans toute sa personne,
symbolisée par sa
parole. <<Ce
qui paraît inutile et sans
intérêt, ce sont les
raisonnements et les commentaires
des
professeurs.>>
(G-sec)
L'élève
aimerait aussi rencontrer
d'autres interlocuteurs
qui ne seraient pas ses
professeurs, pour avoir des
interlocuteurs en face de lui qui
n'aient pas d'autorité sur
lui. <<Nous
devrions rencontrer des personnes
et dialoguer avec, dans de
nombreuses matières pour
plus ouvrir le dialogue et
sûrement mieux assimiler
certaines
connaissances.>>
(G- sec). <<Par
exemple, des témoignages
de survivants, d'anciens
combattants avec plus de
reportages
cinématographiques nous
mettraient plus dans
l'ambiance.>>
(G- 1 ES) <<ll
y a un remède. C'est de mettre plus
d'émotion, de vie dans le cours,
pas un cours ennuyant où on ne fait
que parler. Ne pas faire un cours
magistral.>>
(G-sec) " Les profs font
trop écrire "
Une méthode est
très largement
décriée, celle du
cours magistral et de la prise de
notes qui l'accompagne. En
effet, en se plaignant de trop
écrire, les
élèves
désignent en
réalité le fait de
prendre des notes, et plus
précisément
d'écrire sous la
dictée. On fonctionne sur
un modèle classique de
transmission des connaissances
par la parole du professeur.
L'élève,
passif, se contente de copier et
il ne voit pas a priori pourquoi
il devrait effectuer ce travail,
alors qu'il serait si simple
qu'on lui fournisse les
polycopiés du
cours.<<Non,
car ces matières ne sont
pas vivantes, on se contente de
copier et d'apprendre, ce n'est
que du bourrage de crâne.
Je parle du cours et non des TP
qui sont plus
vivants.>>
(F-T SMS).
Il y a un
stéréotype dans
l'attitude de
l'élève : assis sur
une chaise, il copie des heures
durant. Ce mot " copier "
n'est d'ailleurs pas innocent.
Copier, c'est écrire
des mots qui ne sont les siens,
c'est écrire les mots du
professeur sans se les être
appropriés. Les
élèves
gémissent sans cesse : "
On ne fait que gratter ",
comme si l'écriture les
mettait face à des
tâches dont le contenu ne
renvoyait pas à des
activités de la discipline
[Jellab,
1998]. <<Il
faudrait plus laisser la parole aux
élèves, les laisser
s'exprimer publiquement (en classe), afin
de débattre sur des sujets plus ou
moins importants plutôt que de faire
prendre des notes aux élèves
sans qu'ils ne prennent goût ou
comprennent.>>
(G-T STT)
Enfin, le lycée est
globalement perçu comme une
institution qui est aussi agent
d'apprentissage. L'utilisation massive de
vocables comme " il faudrait que le
professeur " ou de " les profs devraient "
le montre clairement. Elle est
très peu
individualisée : elle
apparaît rarement sous la forme "
mon professeur ", ou " tel professeur ".
Ce n'est pas une relation
personnelle qui s'établit, mais un
rapport fondé sur le statut de
chacun des acteurs : les
élèves d'un
côté, les enseignants,
fonctionnaires de l'Éducation
Nationale de l'autre. C'est l'institution
qui apprend aux élèves, et
non l'action d'individus singuliers. Or
les lycéens accordent une grande
importance aux relations humaines. Il est
probable que cette absence de liens
singuliers dans l'univers scolaire
contribue à rendre l'école
ennuyeuse pour certains jeunes.
Sont regroupés dans
cette catégorie tous les
textes qui font
référence à
la culture
générale.
L'expression " culture
générale " peut
adopter de significations
différentes selon que l'on
est lycéen ou
enseignant.
En effet, quand les
enseignants parlent de culture,
ils se réfèrent
implicitement à la culture
générale,
c'est-à-dire acquise
grâce aux disciplines du
même nom, qui doit
être gratuite et
désintéressée.
Mais pour les
élèves, quelles
sont les caractéristiques
de la " culture
générale " ? Nous
allons voir que la vie
quotidienne intéresse les
élèves. Cependant,
on aurait tort de croire que les
élèves ne sont
capables de s'intéresser
au monde que dans ce qu'il a de
plus concret. Pour certains, tout
(questions existentielles et
problèmes sociaux) est
d'ailleurs mis sur le même
plan : <<Des
cours se rapportant à des sujets
universels (qu'est-ce que la mort ? Le
chômage, est-ce une bonne
chose
).>>
(G-sec)
Ce mélange des genres ne
facilite pas l'analyse, néanmoins
on peut caractériser ainsi la "
culture " telle que le conçoivent
les élèves : 1)
Tout
d'abord, elle permet de découvrir
et de mieux comprendre le monde, les
autres, et moi-même, et de mieux me
faire comprendre
d'eux. <<La
culture : quelques notions historiques
à connaître et à
mettre en parallèle le
présent pour éviter les
erreurs du passé ; philosophiques;
linguistiques pour communiquer;
artistiques : éveiller les
élèves.>>
(F-sec).
<<Être
logique, clair et structuré dans
nos idées, ce qui permet aux autres
de nous comprendre mieux.
>>(G-sec). Mais ce
n'est pas vrai pour tous les jeunes. Chez
certains, il n'y pas d'équivalence
entre découverte du monde et
culture générale. Qu'on en
juge par l'extrait suivant : <<La
chimie [est inutile et sans
intérêt]:
constitution des molécules
car ultérieurement je
n'aurai pas besoin de le savoir
pour m'occuper d'enfants.
L'économie lorsqu'il
s'agit de l'économie de
l'État ou des entreprises
car je n'en aurais aucune
utilité par contre ce qui
concerne les recettes et
dépenses d'un foyer
utile pour plus tard. Je pense
que ce serait plus utile
d'apprendre à lire une
fiche de paye, une feuille de
soin, remplir une feuille
maladie.>>
(F- T SMS)
Le monde est ici
réduit à
l'expérience personnelle
que peut en faire cette
lycéenne : soigner des
enfants, tenir un
foyer
2)
Elle peut être
générale ou concerner
seulement quelques matières en
particulier, et là encore on
remarque qu'il s'agit toujours ou presque
des mêmes matières qui sont
concernées, les disciplines
scientifiques étant les grandes
absentes de ce discours : <<L'histoire
et les SES pour acquérir une bonne
culture
générale>>
(F-T ES)
<<L'histoire
et la géographie pour notre culture
générale et notre
passé.>>
(F - T L) 3)
La
culture doit permettre l'expression
personnelle
Cette caractéristique est
flagrante dès qu'on
s'intéresse à l'enseignement
des lettres. Il ne s'agit plus d'essayer
de porter un jugement esthétique
sur un texte littéraire, ou de
produire des développements
structurés pour proposer une
argumentation qui fasse appel à son
point de vue, mais aussi aux points de vue
d'autres auteurs dont on est capable
d'apprécier, de discuter et de
nuancer. Il s'agit de pouvoir
s'exprimer, de donner son point de
vue. A. Barrère [1997] note
aussi ce passage de la " gratuité "
de la culture générale
à l'expressivité. <<S'écarter
de notre vieux système
démodé où la
définition de la réussite
est un travail structuré avec un
plan aliénant. Laisser à
l'élève la
possibilité de plonger dans un
texte littéraire plutôt que
le guider dans un système
oppressant où l'on ne peut pas
afficher sa propre
personnalité/sensibilité.>>
(F- 1 ES)
Il y a ici un refus assez radical
(avec l'utilisation des mots " oppressant
", " aliénant ") de tout ce qui est
plan, qui est assimilé à une
convention, ce qui est
considéré comme quelque
chose de sec et de formel qui fait
obstacle à l'expression du
moi....
Les élèves
savent qu'aller au lycée permet
d'acquérir une culture
générale, mais peu donnent
à l'expression " culture
générale " le même
sens que les
enseignants.
Pour les élèves,
la culture générale est
synonyme de découverte de soi et
des autres, d'expression personnelle,
et elle est étroitement
associée aux disciplines
littéraires. Ces divergences
élèves -enseignants sur la
culture générale sont
toutefois minimes, quand on
s'aperçoit que d'autres
élèves reprennent
l'expression, mais la vident
complètement de son contenu
habituel.
Une des significations majeure de la
présence au lycée est celle
de l'utilité des savoirs dans la
vie quotidienne. On vient au lycée
pour acquérir des connaissances qui
pourront être
réutilisées dans la vie de
tous les jours, soit parce que c'est
nécessaire à la vie en
société (s'exprimer,
compter
), soit pour son plaisir
personnel <<C'est
utile pour le bricolage ou certaines
réparations et même
quelquefois la
maintenance.
>>(G- T STI)
<<Il
n'y a pas de remède à cet
ennui car le français est
indispensable pour savoir communiquer ou
s'exprimer.>>
(G- 1 S)
<<Le
français [est important et
ennuyeux]: orthographe, grammaire : il
faut savoir rédiger des textes ou
ses idées de façon
compréhensible.>>
(G- sec)...
Savoir écrire et savoir
compter sont donc des apprentissages qui
font fortement sens pour un certain nombre
de lycéens, qui, pourtant, sont
scolarisés dans des lycées
d'enseignement général ou
technologique. A première vue, le
sexe ou le niveau scolaire ne semble pas
influer beaucoup sur ces résultats
: qu'on soit en seconde, première
ou terminale, l'intérêt
d'une matière s'apprécie en
fonction de son utilité dans la vie
quotidienne. Il ne s'agit pas tant
de compter que de " faire des comptes ",
il faut savoir écrire pour se faire
comprendre.
Ces allusions fréquentes
à la " vie quotidienne " nous
invitent à nous demander comment
les jeunes imaginent cette vie
courante, car bien que pour certains
d'entre eux la vie de tous les jours est
la " vie réelle ", on
s'aperçoit vite en lisant les
questionnaires que cette vie "
réelle " n'en est pas moins une
construction des lycéens. Un tour
d'horizon sur ce que souhaiteraient
apprendre les jeunes au lycée, mais
qu'ils n'apprennent pas encore, peut nous
éclairer sur ce point. <<J'aimerais
plus en apprendre plus sur la vie
d'aujourd'hui plutôt que ce qui
s'est passé
avant.
>>(F- 1 SMS)
Les études de textes sur
certains auteurs comme Balzac ou Flaubert
sont importantes mais ces textes sont trop
éloignés de la
réalité
d'aujourd'hui.
Tout d'abord, la " vie courante "
dont il est question est la vie
d'aujourd'hui. Ce qui est
réel est ce qui est actuel.
On pense généralement que
les lycéens opposent la vie "
réelle ", " quotidienne ", "
courante ", à la vie scolaire (qui
donc par défaut n'apparaît
pas comme " réelle " ou "
quotidienne "). Mais y a-t-il toujours
vraiment une séparation bien nette
entre les deux ? Le fragment de
questionnaire suivant est à ce
titre intéressant : << J'aimerais
qu'on se spécialise
dès la seconde, qu'on nous
apprenne un métier et des
cours que l'on pourrait appeler "
sciences vies " : ce serait des
cours qui nous apprendraient
à vivre en
société, à
apprendre la vie (ce serait
intéressant).
>>(F- sec). Pour
elle, il serait naturel que
la " vie " soit un sujet
d'étude au même
titre que les autres objets du
savoir, enseignés
à l'école. En
effet, elle utilise des vocables
qui appartiennent au monde
scolaire, " cours ", et surtout "
sciences ". Elle ne dit pas : "
j'aimerais apprendre la vie "
mais " j'aimerais avoir des cours
sur ".
Même si sa proposition peut
paraître surprenante, cette
élève n'est pas du tout
antiscolaire, elle est même
très scolaire dans le choix de ses
expressions. Il n'y a donc pas une
réelle opposition " vie courante "
vs " vie scolaire ", parce que si l'on
souhaite faire rentrer " la vie " au
lycée, c'est finalement sous une
forme scolaire. Le problème,
c'est que l'élève est
scolaire au sens où elle a
intégré les formes scolaires
et non leur esprit.
Par ailleurs, on pourrait penser que
les lycéens se sentent plus proches
de la vie " courante ", mais tel n'est pas
vraiment le cas, puisque le monde qui
les entoure leur apparaît souvent
comme étranger. C'est un monde
qu'il faut déchiffrer pour en
apprendre plus sur la " vie ", et plus
précisément sur " sa "
vie. <<Cours
sur l'actualité. Quelques heures
par semaine pour s'informer en profondeur
de l'actualité et en discuter, on
se sentirait plus imprégné
par son
époque.>>
(F- 1 L)
<<J'aimerais
apprendre des sujets qui nous touchent de
par leur actualité comme les
guerres que connaissent les pays de l'Est,
ce qui me permettrait de mieux comprendre
l'époque à laquelle on
vit.>>
(F-T L).
<<C'est
une matière qui n'existe
sûrement pas, mais apprendre et
connaître les traditions
françaises les plus importantes
serait quelque chose de très
intéressant.>>
(G- BEP 2)
Ces trois textes montrent bien que
le monde paraît loin, si l'on
a besoin de " s'en imprégner ", et
relativement indéchiffrable c'est
pourquoi on veut le " comprendre ".
Là encore, a priori, les
élèves semblent animer des
meilleures intentions. Rien de plus
louable que de vouloir déchiffrer
le monde qui nous entoure. Le malaise peut
venir lors de la description que les
jeunes vont faire de la vie quotidienne,
telle qu'ils l'imaginent. <<Faire
face à la vie de tous les
jours.>>
(F- sec).
<<Des
cours sur les choses de la vie : le
racisme, l'éducation des enfants,
la misère dans le monde, les
associations.>>
(F- T SMS)
<<-
apprendre à se défendre
contre toutes les agressions - apprendre
à ne pas dire oui à la
drogue - apprendre à être
sympa avec les autres (ne plus faire de
différence).>>
(F- 1 SMS)
<<Que
les professeurs parlent plus de
l'actualité du malaise social.
Rencontrer des chefs d'entreprises afin de
connaître leur volonté et les
raisons pour lesquels ils n'emploient pas.
>>(G-T
STI).
<<J'aimerai
qu'on nous fasse des cours sur les
maladies graves et comment s'en
protéger.>>
(F-sec).
Le monde est vu sous un aspect
inquiétant, comme le signale
les termes employés : " agressions
", " malaise social ", " maladies graves
", " misère " etc. La
société contemporaine, qui
semble si impénétrable, doit
d'autant plus être un objet de
savoir qu'elle recèle nombre de
dangers qu'il s'agit de connaître,
afin de ne pas " se faire avoir ". Il faut
" faire face " aux problèmes
quotidiens. Le thème des
impôts est particulièrement
récurrent : " remplir fiche "
[d'impôts] est l'un des
segments les plus
répétés (4
occurrences dans une
question)....
Les principales
caractéristiques de la vie courante
sont donc les suivantes : - la vie
s'envisage au présent ; - elle ne
s'oppose pas forcément au scolaire,
puisqu'elle pourrait être un objet
d'études - elle est
difficile à
déchiffrer - les
relations sociales sont très
importantes.
Par contre, on a du mal à se
persuader qu'apprendre aux
élèves à remplir une
déclaration d'impôts les
intéresserait vraiment et
durablement. Pour preuve, un certain
nombre de lycéens du professionnel
ont déclaré inutile et sans
intérêt une matière
qui n'est enseignée que dans les
lycées professionnels, la VSP ou
Vie sociale et professionnelle, qui traite
justement de ces sujets-là.
..
On se retrouve devant une
impasse : l'école ne traite pas les
sujets qui pourrait intéresser les
élèves, mais quand elle le
fait, elle rend ces mêmes sujets
ennuyeux.
Sous cette catégorie, on peut
retrouver tous les discours dans lesquels
la future vie professionnelle de
l'élève tient une place
prépondérante.
Ici, le contenu du cours n'est pas
important en soi, il ne l'est qu'en regard
du métier choisi. <<Des
professeurs plus motivants et des cours
plus attrayants en relation avec le
métier que l'on veut
faire.>>
(F- 1 SMS)
Là encore, il est
intéressant de se demander
comment les élèves
imaginent la vie professionnelle. La
phrase suivante est assez
révélatrice de la
manière dont la majorité
l'envisage : <<Plus
de pratique sur les gestes qu'on fera plus
tard.>>
(F-sec)
Dans ce cas précis,
le métier est
envisagé comme une
succession d'actions qu'il faut
effectuer. Ce n'est
évidemment pas valable
pour tous les
élèves, on opposera
à cet extrait un fragment
de questionnaires d'une autre
fille de seconde : <<Avoir
des bases théoriques avant
la pratique. L'éventail
des connaissances permet une non
spécialisation et nous
donne une plus grande
souplesse.>>
(F-sec)
Cette jeune fille a mieux
saisi l'esprit du lycée
d'enseignement
général. Mais pour
les autres, la
théorie n'est pas utile
pour la vie active.
Travailler, c'est connaître
l'enchaînement des actes
à accomplir. Le
raisonnement, la logique
n'interviennent
pas....
On a
regroupé dans cette
catégorie tous les
énoncés qui expriment ce que
l'on appelle l'utilitarisme lycéen,
à savoir le fait de travailler
pour la note ou pour
l'examen.
Dans cette optique, est important
ce qui sert à obtenir le
diplôme, ou à poursuivre dans
la filière de son choix, même
si les matières en
elles-mêmes sont franchement "
ennuyantes ". Dans cette optique, les
matières ennuyeuses sont les
disciplines littéraires pour les
scientifiques, et les matières
scientifiques pour les littéraires.
Toutefois, les mathématiques
occupent une place de choix, puisqu'elles
sont à la fois cités comme
étant une discipline importante
mais ennuyeuse, mais aussi inutile et sans
intérêt . <<La
théorie mécanique, la
philosophie et les mathématiques
qui me semblent vraiment dispensables, un
programme inutile mais nécessaire
pour le bac.>>
(G - T STI)
Les élèves dont la
réussite à l'examen est le
but principal s'inquiètent plus
volontiers que les autres sur la valeur du
diplôme. Ils sont portés
à accuser la superficialité
des connaissances dispensées au
lycée, non parce que ces
connaissances ne permettent pas de
travailler, mais parce que leur "
volume " permet de conférer
au diplôme considéré
une certaine valeur, qui pourra être
alors monnayée sur le marché
du travail. <<Changer
les programmes mais ne surtout pas les
alléger davantage, l'examen du bac
ne vaut déjà plus rien, un
allégement ne serait pas du tout le
bienvenu.
>>(G-T STI).
Cette manière de
raisonner en terme de quantitatif se
retrouve aussi dans la façon
d'estimer la valeur d'une matière
en fonction du nombre d'heures qui lui
sont accordées par l'institution
scolaire. <<Le
remède serait de supprimer ces
matières en 1ère L et en TL
(comme pour la section ES) et avoir 2 ou 3
heures de maths en classe entière
pour relever un peu le
niveau.>>
(F- TL)
Sous cet angle, une
matière intéressante
possède la qualité suivante
: elle est enseignée pendant un
certain nombre d'heures ce qui garantit le
" niveau " des connaissances
proposées (le " niveau "
étant assuré par le " volume
"). Le quantitatif donne un signal de
qualité, et on doit donc s'y
intéresser.
Interviennent ici toutes les
réponses qui mettent en
évidence le fait que si ennui il
y a, il est dû à un
problème de compréhension de
l'élève.
On a rien à reprocher au
professeur, à la matière ou
aux conditions de travail, non, ce qui
pose problème ici, c'est l'absence
de " bases " ou un mauvais " niveau ". On
notera au passage que le nombre de
réponses recueillies dans cette
catégorie ne reflète
certainement pas le nombre
d'élèves concernés
par des problèmes de
compréhension. En effet, dans une
logique de " sauver la face ", il est
toujours plus facile de dénigrer
une matière en l'accusant
d'être " inutile ", plutôt que
de se remettre en question et de
s'interroger sur ses propres
capacités
intellectuelles. <<Changez
le programme qui est très ennuyeux
(surtout lorsqu'on ne le comprend
pas).>>
(F- 1 SMS)
<<Y
comprendre quelque chose rendrait cette
matière [les
mathématiques] moins
ennuyeuse.>>
(F- sec).
On retrouve aussi dans cette
catégorie un certain nombre de
stéréotypes liés au
monde scolaire, comme le prouve la
référence au " niveau " ou
aux " bases ".
<<L'anglais
est important, j'aime cette langue mais je
n'ai pas le niveau et donc je ne comprends
pas le cours et je
m'ennuie.>>
(F-T SMS)....
On constate que les problèmes
de compréhension ne concernent pas
que les disciplines " scrabble ". En
effet, dans toutes matières au
lycée, il faut d'abord comprendre
avant d'apprendre. Les termes appartenant
à des champs disciplinaires
précis sont jugés parfois
trop techniques, parce que ce sont des
signifiants vides, et
l'élève peut avoir
l'impression que l'on cherche à
compliquer les choses à
loisir.
On trouve ici les textes
centrés sur le plaisir ou le
déplaisir que l'on peut
éprouver à l'égard
d'une discipline scolaire.
Curieusement, si on
considère le rang de ce facteur
dans le classement des causes, le fait de
ne pas aimer une matière
n'expliquerait pratiquement pas, pour les
lycéens, qu'on puisse la trouver
ennuyeuse. C'est l'une des
catégories les plus complexes
à analyser, car les rapports
qu'entretient un élève avec
une discipline " en elle-même "
n'ont rien de simple. Certains
lycéens pensent donc que
l'ennui provient de la relation
qu'ils entretiennent avec la
matière. Dans un premier
temps, on pourrait penser qu'il y a d'un
côté le " je ", de l'autre
côté la discipline, et qu'il
n'y a pas de force (au sens physique du
terme) qui pousse l'un vers l'autre, qui "
attire ". <<Non,
car je n'ai aucune attirance pour
l'économie.
>>(F-T SMS). Mais
nous allons voir maintenant que cela est
plus compliqué. L'exemple suivant
montre bien que la réalité
est plus complexe : <<L'algèbre
est très important pour le
métier que je veux faire.
Mais l'algèbre est
très
ennuyant.>>
(G- 1 S).
Ce dernier extrait est
très
révélateur. Il
indique que le
lycéen accorde du sens
à la discipline :
elle lui est indispensable pour
la profession qu'il envisage (il
veut devenir ingénieur),
c'est donc quelque chose qui
devrait le " pousser " vers cette
matière, mais non
car il souligne que
"
l'algèbre est très
ennuyant
",
et le mot important dans sa
phrase est le fameux terme "
ennuyant
". Il signifie qu'il y a quelque
chose dans l'algèbre qui
l'ennuie. Le jeune homme n'a pas
en effet employé le mot "
ennuyeux ". Il est impossible
à partir de cette seule
phrase de découvrir ce qui
le " repousse " dans
l'algèbre, mais l'on
découvre quand même
que l'ennui peut
apparaître comme une force
de résistance.
L'élève "
résiste " à
l'algèbre - on pourrait
dire que " ça " le
repousse - et son
état de motivation
vis-à-vis de cette
matière résulte
d'un équilibre entre deux
forces contradictoires.
L'utilisation du "
ça ", qui renvoie
à Freud, n'est pas
innocent.
En effet, les
disciplines scolaires sont
revêtues la plupart du
temps de fantasmes et
appréhendées au
moyen de divers mécanismes
de défense pour être
utilisées, en fin de
compte, dans la dynamique
psychique de chaque individu
selon la structure de sa
personnalité . Le
même type de raisonnement
peut s'appliquer à
l'extrait ci-dessous : <<L'anglais
m'ennuie mais je sais que cette
matière est très
importante pour avoir un
BTS.>>
(G- sec).
Il n'est pas rare de
trouver ce genre
d'énoncé
contradictoire. <<L'EPS
me paraît inutile et sans
intérêt (mais j'aime quand
même le
pratiquer).>>
(F- sec)...
Quelles sont les matières
que les adolescents déclarent aimer
?
Force est de constater que les
disciplines qui plaisent le plus (dessin,
sport) sont aussi déclarées
inutiles et sans
intérêt. Quant aux
autres disciplines
générales, aucune ne fait
mention d'un plaisir particulier à
écrire des textes, ou à
parler des langues ou à raisonner
en mathématiques
Un voile de silence (de
pudeur ?) semble recouvrir le plaisir
intellectuel.
On ne peut évidemment en
conclure qu'aucun lycéen ne prend
plaisir à réaliser ces
tâches scolaires. Certains
questionnaires font état d'un texte
dense, structuré et bien
argumenté, qui laisse supposer que
son auteur a pris plaisir à le
rédiger. Alors, pourquoi cela
n'apparaît-il pas dans le discours
des lycéens, même de
façon (ultra) minoritaire ? Si
l'enquête s'était
déroulée dans d'autres
conditions, on aurait pu comprendre qu'un
jeune ne révèle pas devant
tout le monde son bonheur à
résoudre un problème
intellectuel de peur de se distinguer
malencontreusement de ses camarades. Mais
dans le cas précis, les
questionnaires étaient
adressés au Ministère de
l'Éducation Nationale, et cet
argument ne suffit pas à justifier
un tel silence.
Le fait que les
élèves les plus
motivés par l'école
n'osent pas exprimer leur
plaisir, qui est pourtant
légitime aux yeux de
l'institution, est une situation
qui suscite de nombreuses
interrogations, et notamment sur
le rôle que peut jouer
l'école dans cet
état de fait. Le plaisir
intellectuel ne serait-il pas
dévalorisé par
ceux-là mêmes qui
devraient en être les
garants ?
Pour mieux comprendre
cette situation, interrogeons
nous sur la place du plaisir (et
du désir) dans
l'institution
scolaire.
Néanmoins, un
certain nombre
d'élèves,
essentiellement des
garçons, ont
utilisé le questionnaire
pour faire passer un message
provocateur, comme le montre
l'exemple ci-dessous : Que
souhaiteriez- vous apprendre au
lycée et que vous n'y
apprenez pas encore ?
<<Fabrication
des explosifs (TNT
nitroglycérine)
>>(G-
sec).
On remarque cependant que la
violence, le racisme restent des
thèmes minoritaires. Les deux
sujets qui reviennent le plus
fréquemment sont le sexe et la
drogue, comment l'illustrent les
deux extraits suivants :
Que souhaiteriez- vous apprendre au
lycée et que vous n'y apprenez pas
encore ?
<<La
culture du
cannabis.>>
(G-1 STI)
<<Il
faut légaliser le
cannabis.>>
(F - T ES)
<<Le
sport en chambre avec beaucoup d'exercices
pratiques.>>
(G-1 STI)
A première vue, on pourrait
rapidement passer sur ces interventions,
en remarquant brièvement qu'un
certain nombre d'adolescents
éprouvent le besoin de provoquer
leur interlocuteur, et qu'à
l'âge de l'adolescence rien de plus
banal en quelque sorte que de vouloir
transgresser. C'est sans doute exact, mais
ce qui est révélateur, c'est
le choix des thèmes qui sont les
supports de la provocation : le sexe et la
drogue. Or, qu'est ce que ces deux
thèmes ont en commun, hormis le
fait d'être interdits dans
l'enceinte scolaire ? C'est le
plaisir. En effet, en
eux-mêmes, le sexe et la drogue ne
sont pas des sujets tabous à
l'école, mais ils sont
abordés sous un angle particulier,
celui de la
prévention.
Quand le lycée parle de
sexe, cela donne une information sur
les maladies sexuellement transmissibles
ou sur " la fonction reproductive humaine
". Quand il s'intéresse à
la drogue, c'est pour mettre en
garde les élèves devant ce
danger.
Dans les deux cas, la dimension
hédoniste de ces deux
activités est passée sous
silence ce qui en revient à en
faire un tabou. Le plaisir ne peut
pas être scolaire, les deux choses
sont antinomiques.
Un autre argument va dans le
même sens. Les adolescents
déclarent massivement inutiles et
sans intérêt les
matières que l'on peut pratiquer
à l'extérieur du
lycée, pendant son temps de loisir.
Or, dans le même mouvement, ils
manifestent une forte demande
d'activités culturelles ou
sportives : <<Des
matières plus artistiques telles
que le dessin, les arts plastiques, la
musique ; des cours d'informatique ; ainsi
que des cours fait de débat sur les
sujets, comme le SIDA, l'actualité
dans le monde, cela développerait
notre sens
critique.>>
(F- 1 L)
<<Le
français afin d'avoir de la culture
générale à propos des
auteurs. Le sport : foot, basket,
badminton sont des sports qui me plaisent
et que j'aimerai pratiquer plus
souvent.
>>(G-sec).
Comment interpréter ce
paradoxe ? Tout d'abord en remarquant
que quand demande il y a, elle ne prend
pas la forme d'un cours obligatoire, mais
d'une option, ce qui ne remet donc pas en
cause fondamentalement l'analyse que nous
avons développée plus haut.
En effet, ce sont des
activités intéressantes en
elles-mêmes. Mais elles sont
réalisées au lycée :
cela pourrait sembler scolaire.
Heureusement, elles restent optionnelles,
elles ne deviennent pas des " vraies "
matières, donc elles ne sont pas
vraiment scolaires, et le paradoxe est
résolu : <<Possibilité
de prendre en option musique ou dessin
afin de permettre à ce qui ne
peuvent pas prendre de cours de progresser
à ce niveau pour utiliser cet
art.>>
(F- T SMS)
Enfin, on peut interpréter
ces demandes d'activités qui
peuvent s'apparenter à des loisirs
comme une demande de divertissement.
Et si cette demande est forte, c'est
que le plaisir au lycée est un
grand absent, comme en
témoigne la phrase suivante
:
Qu'est-ce que vous aimeriez
apprendre au lycée et que vous n'y
apprenez pas encore ?
<<La
joie.
>>(G - TL) Gayet
[1995] soulignait
déjà que l'école se
défiait des sentiments, parce
qu'elle ne savait pas les
appréhender, et qu'elle cherchait
alors souvent à évacuer les
émotions. Le désir, au
lycée, doit se trouver une
justification rationnelle
: <<J'aimerais
apprendre et avoir des cours
régulièrement
d'informatique. Car le monde
s'informatise. Et si nous ne connaissons
rien aux ordinateurs, la France sera vite
dépassée car nous sommes les
adultes de l'an 2000 et du 21ème
siècle. Beaucoup plus de sport.
>>(F-
sec).
On remarque que dans ce dernier
extrait, la jeune fille justifie son
désir de suivre des cours
d'informatique par un
stéréotype " le monde
s'informatise ". Elle produit un argument
qui lui paraît recevable aux yeux de
l'institution scolaire, même s'il ne
semble être qu'une reprise du
discours de quelqu'un d'autre
(médias, famille, enseignants
etc.). Elle n'est pas la seule à
agir de cette manière. Tous les
élèves qui ont
demandé à suivre des cours
d'informatique l'ont souvent
justifié par l'impératif de
la vie active
ultérieure. <<Il
serait intéressant que les cours
d'informatique soient obligatoires pour
favoriser l'insertion
professionnelle.>>
(F- sec)
Aucun n'a mentionné le
plaisir qu'il pourrait éprouver
à faire de l'informatique,
et en particulier à surfer sur
Internet. Quand ce dernier souhait est
présent, il figure seul, sans
justifications. De même, dans
l'exemple ci-dessus, l'élève
de seconde n'a pas justifié
pourquoi elle désirait pratiquer
beaucoup plus de sport. On peut supposer
que cette activité lui plaît,
mais que le plaisir qu'elle en retire ne
lui semble pas un argument acceptable pour
que sa demande soit prise en compte. C'est
pourquoi elle préfère ne pas
la justifier, plutôt que de marquer
une phrase qui serait en quelque sorte "
antiscolaire ".
Pour les élèves,
l'apprentissage semble devoir
forcément être un acte
douloureux, et très
ennuyeux. Le plaisir
est divertissement, il nuit
forcément à la formation. Il
est regrettable de trouver si peu de
témoignage qui montre un certain
plaisir à l'apprentissage,
où le travail est aussi une
découverte de soi, une
découverte de sa capacité
à bien faire, voire une
découverte de passions
personnelles, comme l'exprime l'extrait
suivant : <<Savoir
exercer une profession que j'aime pour
gagner ma vie et vivre raisonnablement et
pouvoir moi aussi apprendre mes
connaissances (leur faire connaître
mes
connaissances).
>>(G- BEP 1)
Ce qui domine dans la plupart des
questionnaires, c'est plutôt
l'inverse du désir et du plaisir :
le dégoût et l'ennui sont
très
présents.
Les idées associées
au désir, au plaisir, à la
motivation, à la passion, à
l'envie sont presque souvent
présentées comme
invalidées dans le cadre du
lycée. L'ennui apparaît
important, mais il est souvent
justifié par des arguments "
logiques " (importance de la
matière pour le diplôme, pour
avoir un métier plus tard
).
Les élèves reprennent en
fait le discours de l'institution, et
leurs discours apparaissent comme
aseptisés.
D'une manière
générale, les enseignants
estiment que ce qui intéresse le
plus les élèves, c'est
lorsqu'ils peuvent s'exprimer, de
préférence à l'oral
(cité 9 fois), les exercices quand
ceux-ci ne sont pas trop compliqués
pour les élèves (cité
4 fois) et le cours magistral qui les
rassure, surtout ceux qui ne se sentent
pas compétents (cité 2
fois).
En revanche, les activités
les plus ennuyeuses pour les
élèves seraient celles qui
demandent un effort de réflexion
(cité 5 fois), les corrections de
devoirs ou d'exercices (cité 3
fois) et les cours de méthodologie
(cité 2 fois). Ces
affirmations sont dans la lignée
des réponses des
élèves : ils veulent
à la fois être actifs,
participer, faire des exercices, et
à la fois se reposer sur le
professeur, surtout quand ils ne se
sentent pas maîtriser la
matière en
question.
Par contre, contrairement aux
lycéens, les enseignants attribuent
l'ennui des élèves aux
élèves eux-mêmes, et
à l'institution. Ainsi,
certaines causes ne sont avancées
que par les enseignants : le fait que
l'école soit obligatoire
principalement, et aussi le changement
dans les publics scolaires. Ceci dit,
certains élèves ont convenu
qu'ils étaient moins attentifs et
moins sages que leurs condisciples "
d'avant ", et qu'ils seraient assez
favorables à un durcissement du
règlement intérieur de leur
lycée. Les préoccupations
des enseignants trouvent donc un certain
écho chez leurs
élèves. D'ailleurs,
dès qu'on interroge les enseignants
sur l'ennui dans leur discipline en
particulier, ils rejoignent les
élèves pour dire que l'ennui
est dû à la difficulté
de la matière, et que les sujets
abordés sont loin des
préoccupations des
élèves. Il existe donc un
certain consensus entre enseignants et
enseignés sur les causes de l'ennui
scolaire, à partir du moment
où chaque acteur a réussi
à protéger son
narcissisme.
Quand on avait étudié
théoriquement le traitement de
l'ennui scolaire, on s'était
aperçu qu'il y existait un grand
nombre de remèdes éventuels.
On peut maintenant se demander quelles
sont les solutions proposées par
les élèves. Quelle part
s'accordent les lycéens dans la
suppression de l'ennui scolaire ? Dans
quelle mesure les remèdes
proposés ont-ils des chances
d'être efficaces ?
Après avoir exposé les
principaux remèdes à l'ennui
scolaire tels que les envisagent les
acteurs, nous montrerons comment
l'éradication de l'ennui devrait
rester une tâche
difficile.
Avant de présenter les
diverses solutions imaginées par
les élèves, il convient
d'indiquer que moins des deux tiers
d'entre eux pensent qu'il est
effectivement possible de remédier
à cet ennui :
La plus grande partie des
jeunes qui jugent que la situation est
sans espoir estiment que l'ennui est
inhérent soit à
l'école, soit
à une matière en
particulier, soit aux enseignants, et
qu'en conséquence on ne peut rien y
changer. Très peu
jugent que c'est
désespéré parce que
l'ennui est de leur ressort et qu'ils ne
peuvent pas se changer
eux-mêmes.
On peut noter des
différences selon la classe que
fréquente l'élève.
Les élèves de secondes sont
les plus nombreux à penser qu'il
existe une solution à l'ennui
scolaire. Est-ce parce que, venant
d'entrer dans le système, ils ont
encore l'espérance de pouvoir le
modifier par leurs réponses ? Les
STI en tous cas y croient le moins et,
jugeant sans doute la situation sans
espoir, ils sont assez nombreux à
ne pas répondre. L'ennui est
souvent un paramètre personnel pour
les SMS.
Ceci dit, pour quelques
élèves, remédier
à l'ennui est vraiment crucial,
car celui-ci peut être vécu
comme la mort, où le temps dure et
s'allonge indéfiniment.
<<Faire
des cours plus attrayants évitant
de donner aux élèves l'envie
de se suicider avant la fin du
cours.
>>(G-BEP 1).
Pour les élèves,
les enseignants sont les premiers
responsables de l'ennui scolaire. Il est
donc tout à fait naturel que si des
solutions à l'ennui existent, elles
viennent des professeurs. Nous
allons à présent examiner
dans le détail chacune de ses
solutions.
L'amélioration des
relations entre les enseignés et
les enseignants.
Globalement, les
élèves ne demandent rien
d'exceptionnel à leurs professeurs,
car, lorsqu'on examine leurs
revendications, on s'aperçoit que
le portrait-type de l'enseignant "
motivant " recoupe celui du " bon "
professeur. Les jeunes souhaitent en fait
que leurs enseignants possèdent un
certain nombre de qualités
personnelles et de compétences
professionnelles qui sont les suivantes
:
Le professeur sait
établir une juste distance entre
lui et ses élèves. On
retrouve ici une caractéristique du
" bon " professeur : il doit comprendre
ses élèves, les
écouter et être " sympa "
avec eux. Mais bien évidemment, il
faut aussi qu'il soit suffisamment
sévère pour que l'ordre
règne dans son cours et que
l'élève puisse s'y
intéresser. <<Changer
les profs pour qu'on se comprenne mieux
entre profs et élèves pour
que l'on apprécie mieux
d'étudier ces
matières.>>
(G-sec)
<<Oui,
des professeurs mieux
préparés, mais
forcément sévères,
plutôt habiles avec les
jeunes.
>>(G- 1 S)
<<Je
pense que certains professeurs devraient
avoir plus de discipline pour pouvoir
mieux suivre en cours et m'y
intéresser.>>
(F-sec)
Le professeur doit aussi
maintenir l'ordre et être
sévère, pour " forcer "
l'élève à
l'écouter, à se mobiliser
sur ce qu'il propose, car le désir
pour le savoir ou la réussite
scolaire est si fragile parfois, qu'il est
difficile de ne pas se laisser
entraîner par d'autres distractions
: bavarder avec les camarades
etc. <<On
doit également apprendre ça
pour se discipliner pour notre vie future
ce qui est assez difficile
parfois.>>
(F -TL)
Si le professeur lui-même
n'est pas capable de résister
à ceux qui veulent s'amuser, il ne
sera pas possible d'écouter et donc
d'apprendre, ce qu'avait montré
précédemment Charlot
[1999]. A cette distance entre
l'élève et le
professeur, que l'on peut qualifier de
hiérarchique, peut s'ajouter une
autre distance qui peut être cette
fois culturelle. Si l'élève
accepte qu'il y ait une certaine distance
entre lui et le professeur, parce que
celui-ci est le garant de l'ordre dans la
classe, il supporte plus mal de le
sentir totalement étranger,
ne partageant pas les mêmes valeurs
que lui, ce qui se traduit par exemple par
une certaine demande pour un
rajeunissement du corps professoral
: <<Des
professeurs qui nous comprennent, je ne
vis pas dans le même monde
qu'eux.>>
(G- 1 STI).
Le professeur sait bien
expliquer. Un professeur ennuyeux
explique mal. Cette catégorie de
reproche fait pendant à celle, que
nous verrons ultérieurement, qui
regroupe les difficultés de
compréhension de
l'élève. Mais là,
l'élève ne se remet pas en
question, il ne pense pas qu'il lui "
manque " quelque chose, que ce soit en
termes de " bases " ou de capacités
cognitives, il estime que c'est le
professeur qui fait mal son travail, et
que si celui-ci expliquait mieux, nul
doute qu'il pourrait parfaitement suivre
en cours. Dans le premier cas, celui qui
devrait travailler, c'est
l'élève. Ici, c'est
l'enseignant. Cette capacité
à expliquer est d'autant plus
importante pour les lycéens qui
font une distinction entre les disciplines
" scrabble " des disciplines " puzzle
". <<Oui,
car si l'on ne comprend pas
forcément on s'ennuie alors que si
l'on passait plus de temps pour expliquer
on comprendrait
mieux.>>
(F - TSTT)
L'enseignement devrait être
plus concret. Si
l'élève arrive à
comprendre les explications du professeur,
il faut que celui-ci emploie des exemples
qui lui soient intelligibles. Les
élèves recommandent alors
l'utilisation de situations tirées
de la vie quotidienne. <<Donner
plus d'exemples précis,
tirés de la vie de tous les jours.
Donner moins de textes philosophiques dans
lesquels on ne comprend pas la
moitié.>>
(F- TSMS)
Mais cela ne suffit pas, parfois,
pour certains lycéens, c'est
l'ensemble des méthodes
d'enseignements qui devraient s'adapter.
Les cours sont trop théoriques, ils
devraient être plus " pratiques ",
afin que l'élève puisse
mieux appréhender le savoir. Un
remède traditionnel que les
élèves proposent pour
résoudre ce problème est
alors le recours aux stages dans les
entreprises. En effet, un des reproches
les plus fréquents aux
lycées d'enseignement
général et technologique est
de ne pas offrir dans la formation la
possibilité de faire un stage,
contrairement aux lycées
professionnels. <<L'expérience
de la vie professionnelle par des stages,
même quand on a pris une voie
générale.>>
(F- 1 SMS) Les
stages permettent d'avoir une pratique de
l'entreprise, or ces lycéens aiment
connaître le monde en comparant des
principes et des expériences (les
leurs ou celles de leurs proches en qui
ils ont confiance). Faire un stage permet
de se faire une idée par
soi-même de ce que peut être
le monde de l'entreprise, et d'apprendre
à s'y intégrer. Il y a en
effet un désir très
prégnant de savoir comment se
comporter sur le marché du travail,
désir qui peut passer par la
demande de stages comme on vient de le
voir, ou par la création de cours
spécialisés comme ci-dessous
: <<Une
matière qui pourrait s'appeler "
relations sociales et professionnelles " :
réussir un entretien d'embauche,
savoir être à l'écoute
des autres, la présentation
physique ; ce qui concerne le relationnel
spécifique : intégration
dans le milieu
professionnel.>>
(F-T SMS).
On retrouve la même logique
que l'élève qui souhaitait
suivre des cours de
"
sciences vies
", sauf qu'ici l'enseignement concerne la
vie professionnelle. Là
encore, on utilise le vocabulaire
scolaire : on parle de "
matière ", à laquelle on
trouve un intitulé.
L'élève croit sans doute
ainsi conférer une plus grande
dignité à ce type
d'apprentissage, et donc donner plus de
poids à sa requête. En
revanche, ce type de savoirs doit-il
être effectivement acquis dès
la terminale SMS ? Cette lycéenne
n'est pas appelée à
travailler dès son bac en poche,
mais elle est invitée à
faire un BTS, si on suit la logique
d'études normale propre aux
filières technologiques. Par
ailleurs, ce qui est un peu
étonnant c'est que ce soit une
élève de SMS qui fasse cette
demande, car elle est censée suivre
un cours de communication qui devrait lui
apprendre justement à " savoir
écouter les autres ". Mais on peut
comprendre sa requête en imaginant
que ces connaissances restent
superficielles, ou plus exactement peu
adaptées à ce qu'elle
imagine être la vie active. Cette
superficialité est une critique
récurrente, en particulier pour les
lycéens de l'enseignement
technologique. Ils considèrent que
ce qu'ils apprennent au lycée est
trop général, pas assez
poussé, et ils estiment qu'ils ne
peuvent alors guère
intéresser un éventuel
employeur. Là encore, l'apport des
études supérieures
spécialisées (BTS par
exemple) n'est pas envisagé.
Tout se passe comme si les
élèves allaient travailler
demain. <<Tout
est important mais rien n'est approfondi,
et c'est très ennuyeux d'être
pris pour des abrutis. Tout ce qu'on
apprend est trop superficiel, c'est
impossible de travailler en ayant une
bonne connaissance venant du
lycée.>>
(G-T STI). ...Le
reproche majeur que ces lycéens
adressent au lycée, c'est de leur
fournir des connaissances dans un grand
nombre de disciplines, mais de ne pas
finalement les rendre capables de
maîtriser parfaitement une
matière. L'idée est
la suivante : dans la voie technologique,
on est censé apprendre un
métier, or l'enseignement reste
très théorique, même
dans les matières technologiques.
Quant au lycée d'enseignement
général, c'est pire parce
qu'il n'est pas du tout orienté
vers la " pratique " : <<Oui
au lieu d'enseigner que de la
théorie au lycée on devrait
avoir des cours pratiques comme dans le
professionnel.
>>(F- TSMS)
C'est pourquoi, d'une
manière générale, un
grand nombre de lycéens proposent
pour remédier à l'ennui de "
faire plus de pratique ". Cette
solution se situe dans la lignée de
la précédente : les stages
font partie de la pratique. Ici, le
reproche classique adressé aux
méthodes d'enseignement est le
suivant : " C'est ennuyeux parce que c'est
trop théorique ". Il est facile
d'opposer l'enseignement abstrait et
théorique du lycée aux "
choses " de la vie professionnelle,
pratiques et concrètes. L'emploi de
ce mot " choses " (rappelons qu'il revient
dans les textes à 46 reprises)
n'est pas innocent. Ils savent qu'au
lycée il faut apprendre des "
choses " dans le domaine intellectuel et
scolaire, mais ils restent flous quand ils
évoquent ces
apprentissages. <<J'aimerais
faire plus de pratique,
d'expériences, et un peu moins de
théorie.
>>(F- sec)
<<Les
travaux pratiques plutôt que la
théorie [sont utiles pour mon
insertion professionnelle]. En TSP on
apprend mieux sur le fait, mais pas avec
des cours
ennuyeux.>>
(G- sec).
Cette dernière phrase
fournit un autre exemple de
l'équivalence, dans l'esprit de
l'élève, entre le " scolaire
" qui est forcément un cours
magistral et donc ennuyeux et la "
pratique ", plus intéressante et
tellement plus formatrice. L'association
entre " cours " et " magistral " n'est pas
propre à cet élève
puisqu'on observe que c'est l'un des
segments les plus
répétés dans les
textes (surtout dans la question
sur le remède à l'ennui, 3
occurrences). On remarque aussi que si le
lycée d'enseignement technologique
a de la valeur, c'est justement
grâce à son côté
pré-professionnel, alors que les
matières d'enseignement
général sont
considérées comme
théoriques et donc ennuyeuses
: L'utilisation des
technologies de l'information et la
communication
Les élèves
semblent fonder beaucoup d'espoirs sur
l'emploi des TICE dans l'enseignement.
Il est vrai qu'à première
vue, cette solution présente de
nombreux avantages. ·
Elle permet à l'élève
d'apprendre à son
rythme. · Il
a l'impression d'être
actif. ·
Cette technique innove par rapport aux
méthodes d'enseignement plus
traditionnelles. ·
Elle change le rapport enseignant -
enseignés. Le maître mot des
extraits ci-dessous est d'ailleurs
l'interactivité. ·
Elle bénéficie de l'aura
associée, dans l'esprit des
élèves, à Internet et
au multimédia en
général. <<Il
faudrait plus de travaux pratiques, plus
de documents audiovisuels et une
diminution en temps de certains cours et
plus
d'interactivité.>>
(G- sec)
<<Oui,
s'il y avait plus d'interactivité
dans les cours grâce à l'aide
de logiciels sur
ordinateur.
>>(F- T PRO). Les remèdes
relevant du savoir
Nous avons regroupé sous
cette catégorie tous les
énoncés
d'élèves qui soulevaient la
question des programmes (leur changement,
leur actualisation), ou plus modestement,
ceux qui, dans le cadre des programmes
actuels, souhaitaient un renouvellement
des sujets. Si l'on met à part les
choix de certains élèves
liés à leurs goûts
(pourquoi ne pas étudier davantage
la géométrie que
l'algèbre, parce que moi
personnellement je préfère
la géométrie), on
découvre deux solutions principales
qui émergent dans cette
catégorie : ·
Varier les sujets
d'études · Se
concentrer sur l'apprentissage des " bases
" en français et surtout en
mathématiques Nous
entendons par " bases " les apprentissages
fondamentaux qui sont
généralement
réalisés à
l'école primaire. Or, un certain
nombre d'élèves, appartenant
à des filières
différentes, sont d'accord pour
n'apprendre que ces savoirs fondamentaux
: <<Les
mathématiques, certaines parties
sont inutiles. Quand on apprend quelque
chose d'utile pour plus tard, on est
motivé. Par contre, le
reste
>>
(G-1 STI)
Les lycéens évoquent
aussi souvent la monotonie du travail
scolaire, et leur impression très
prégnante de déjà-vu,
déjà étudié,
déjà fait. Le
problème ne vient pas là (ou
pas seulement) des sujets qui ne sont pas
actuels, ou qui ne rencontrent pas les
préoccupations des
élèves, mais du fait que ce
sont toujours les mêmes
connaissances qui sont proposées
comme objet d'études (selon les
élèves évidemment),
ou les mêmes
thèmes. <<L'apprentissage
du français m'est parfois ennuyeux,
comme l'allemand et l'anglais. Ces trois
matières sont sans aucun doute
très importantes, mais il me semble
nécessaire de " changer " les
manières de les enseigner, en
remettant à jour les textes
étudiés, ou les
thèmes étudiés, qui
sont répétitifs et
lassants.>>
(G-sec) Les remèdes
relevant de l'institution
Sous cette catégorie, on
retrouve les solutions qui tournent autour
de la suppression de certains cours, ou
qui conduisent à baisser l'effectif
des classes.
Le remède consistant
à retirer un certain nombre
d'heures de cours à l'emploi du
temps, ou à " alléger " des
matières dites " inutiles "
connaît un certain succès. Le
raisonnement des élèves est
le suivant : certaines matières
n'apportent rien en terme de
professionnalisation, soit parce qu'elles
ne correspondent pas à
l'orientation du lycéen, soit parce
que l'apprentissage est jugé trop
approfondi. La même logique
était à l'uvre quand
il s'agissait de n'apprendre " que les
bases ", parce que le reste ne servait pas
dans la vie quotidienne. <<Selon
que l'on soit scientifique ou
littéraire, on devrait retirer
certaines
matières.>>
(F-sec)...
L'institution ne devrait pas
seulement modifier le nombre d'heures
d'enseignement, mais aussi changer les
conditions de travail des lycéens.
Pour jouer sur l'ennui, il suffirait de
jouer sur les conditions
matérielles. On n'échappe
pas aux classiques revendications sur la
baisse des effectifs par classe ou sur le
découpage du temps de travail. La
logique est la suivante : si les
élèves étaient moins
nombreux par classe, les professeurs
pourraient mieux s'occuper d'eux, donc ils
comprendraient mieux et s'ennuieraient
moins. S'agissant de l'emploi du temps,
s'il était mieux organisé ou
s'il y avait moins d'heures, les
élèves seraient moins
fatigués et donc plus
réceptifs aux cours
restants. Les remèdes
relevant de l'élève
Bien que la plupart des apprenants
minorent la part qu'ils s'accordent dans
le traitement de l'ennui scolaire,
certains élèves estiment
effectivement que le remède
à l'ennui passe par le changement
de leur propre comportement, ou, plus
souvent, de celui de leurs
camarades.
Quelques élèves
prônent une attitude volontariste
face à l'ennui. Il s'agit de
combattre contre son propre
découragement et ses passages
à vide. Pour eux, il ne faut
supprimer aucune matière,
même si certaines sont ennuyeuses,
car tout peut se révéler
utile pour plus tard... <<Tout
est important et je ne pense pas que
ça soit ennuyeux même si on
ne comprend pas ou que l'on n'aime pas.
C'est à nous de faire des efforts.
Il faut essayer de comprendre ce qui est
ennuyeux et ne pas le mettre de
côté. Tout est toujours bon
à
savoir.>>
(G-T STI).
Même si des extraits laissent
poindre la résignation qui anime
l'élève, on aurait tort de
croire que les élèves ne
font que rejeter la faute sur leurs
professeurs. Certains d'entre eux
admettent qu'ils ont une part de
responsabilité dans la production
de l'ennui. Plus exactement :
eux-mêmes ne sont pas responsables.
Si ennui il y a, c'est vraiment de la
faute d'élèves qui n'ont
rien à faire au lycée et
dont on devrait se débarrasser
: <<J'aime
tout ce que l'on fait, je ne vois rien qui
m'ennuie
Il faudrait virer d'une
façon définitive les
éléments perturbateurs des
classes.>> Au
passage, on remarque que ce genre
de discours est très
proche de celui qui peut se tenir
en salle des profs. D'ailleurs,
s'agissant de ce type de
remèdes, ces
lycéens ont tendance
à reprendre le discours
institutionnel à ce sujet
: travailler plus, écouter
davantage le cours
Ils
parlent un peu comme leur
bulletin
scolaire. <<Oui,
il faut se dire que c'est bien et
être concentré sur ce que
l'on fait et de travailler, comme
ça l'heure passe plus vite et c'est
beaucoup moins
ennuyeux.>>
(G- BEP 2)
<<Oui,
je pense qu'il faut que je prenne mon
courage à deux mains et que je me
mette au travail (car je suis
fainéant).>>
(G- sec)
<<Oui,
changer ma méthode de travail et
essayer de me faire à celle des
professeurs car nous changeons souvent de
professeurs.
>>(F- sec). Ces
extraits dénotent une attitude
nourrie de détermination face
à l'ennui, même si dans le
dernier fragment, on a l'impression
d'écouter non une jeune fille de
seconde mais une jeune élève
entrant en sixième et
découvrant pour la première
fois l'organisation du collège.
Loin de rechercher un remède
miracle de l'extérieur,
l'élève peut aussi se poser
comme sujet dans son apprentissage et
s'accommoder des émotions
même négatives qu'il peut
provoquer. Il se propose aussi de
gérer lui-même ces
émotions, en restant
concentré, en pratiquant un
dialogue intérieur
adéquat. E
n fait, ce n'est pas
gênant que la majorité des
élèves pensent que l'ennui
vienne des professeurs, ce qui l'est
davantage, c'est qu'ils ne comptent que
sur l'extérieur pour
résoudre ce qui leur apparaît
comme un problème. Cette
passivité est-elle vraiment
compatible avec la réussite
scolaire ? Ne faut-il pas savoir
négocier avec son propre ennui pour
faire son " métier
d'élève "
?
Les différentes solutions
que nous avons présentées
peuvent présenter des aspects
complémentaires. Ainsi par exemple,
" supprimer des cours " et " se concentrer
sur les bases " sont deux solutions qui ne
s'excluent pas mutuellement. La
majorité des élèves,
qui adoptent une logique utilitariste,
estiment qu'il faut en savoir un minimum
dans les disciplines comme le
français et les
mathématiques. En effet, ces
matières sont utiles pour pouvoir
évoluer dans la
société. Par contre, le
reste est jugé superflu, à
réserver aux futurs
spécialistes. En
conséquence, ils acceptent de
poursuivre un enseignement dans ces
disciplines, à condition que
celui-ci se concentre sur les savoirs
fondamentaux. Le reste, trop
détaillé, trop
précis, est vain et ennuyeux ; il
est donc à supprimer. Cette
apparente complémentarité
des remèdes à l'ennui ne
doit pas faire oublier la
complexité de la situation : la
plupart des remèdes s'opposent les
uns aux autres, rendant ainsi difficile la
disparition de l'ennui à
l'école.
Dans cette partie de l'analyse,
nous aimerions montrer combien il peut
être difficile de lutter contre
l'ennui scolaire et ce pour quatre raisons
principales : 1) Le
processus est complexe, et quand on joue
sur un point, on peut très bien
entraîner une résistance d'un
autre élément. 2) La
question de l'ennui des
élèves dépasse, en
partie, le cadre de l'institution
scolaire. 3) L'ennui
des lycéens n'est pas un mais
multiple, et il semblerait que des
remèdes particuliers soient plus
souvent réclamés par tel
type d'élève, plutôt
que par tel autre. 4) Les
enseignants et les élèves ne
s'accordent pas forcément sur
l'efficacité des remèdes en
question.
Selon Charlot
[1999], les jeunes des
milieux populaires font une
utilisation fréquente de
l'opposition, dans un
système où
l'école s'oppose à
la " vraie vie ", à
l'extérieur, et au monde
du travail, l'enseignement
général à
l'enseignement professionnel,
etc.
Le système
d'opposition peut même
traverser le jeune lui-même
: je veux être normal mais
c'est embêtant,
l'école c'est important
mais ennuyeux etc. Le monde est
un lieu très
polarisé, organisé
par des systèmes
d'opposition, de compromis et
d'équilibre. Or ces
systèmes d'opposition se
retrouvent dès qu'on parle
de l'ennui scolaire, si
fréquemment qu'il
paraît difficile de
n'attribuer leur existence
qu'à la seule origine
sociale des élèves.
Les lycéens semblent en
effet s'ingénier à
opposer les différentes
utilités ou
intérêts du travail
scolaire, et plusieurs jeux sont
alors
possibles.
Ainsi, les mêmes
élèves qui, dans les
premières réponses qu'ils
ont données dans le questionnaire,
auront fait remarquer l'importance de la
culture générale,
l'intérêt de ne pas se
spécialiser trop vite dans une
filière, n'auront aucune peine par
la suite à nier l'importance de
certaines matières au regard de
leur utilité par rapport à
leur orientation. Pour mieux montrer
l'inutilité d'une discipline, on ne
la considère pas en bloc, mais on
prend des parties du programme, qui, une
fois détachées de leur
contexte, semblent être en effet
dérisoires. <<L'apprentissage
de la physique et de la SVT me
paraît inutile en section
littéraire. Je ne vois pas quel est
l'intérêt, quand on s'engage
dans des études littéraires,
à étudier l'énergie
ou l'activité
cérébrale.>>(F-
T L) L'utilité
pour l'examen contre la motivation
intrinsèque
Cette opposition est plus
classique. Elle a d'ailleurs
été relevée par A.
Barrière [1997, p. 156] : "
désormais les lycéens
s'inquiètent de devoir apprendre
des choses qui ne leur servent à
rien, mais sont dans le même temps
chagrinés de devoir apprendre, au
nom de l'utilité du diplôme,
des choses qui ne leur plaisent pas. "
Ainsi, ce n'est pas parce qu'une
matière correspond à la
dominante d'une section qu'elle est
exempte de tout reproche : on ne peut pas
lui enlever son utilité pour
obtenir le diplôme, aussi lui
reproche-t-on de ne pas apporter de
satisfaction
intrinsèque. <<Je
juge que la science sanitaire et sociale
est importante dans notre section mais le
programme est trop important et
ennuyeux.
>>(F - T SMS)... L'attachement
au " scolaire " contre la motivation
intrinsèque
Certains élèves en
arrivent à opposer ce qui serait
bien d'apprendre parce qu'ils pensent que
cela les intéresserait, à ce
qu'ils croient être possible
d'être enseigné au
lycée. Si une discipline
n'appartient pas à une section,
alors on considère qu'il y a peu de
chances - même avec une
réforme, et c'est justement cela
qui est remarquable - qu'on puisse
l'apprendre un jour. <<[J'aimerais
apprendre et je n'apprends pas encore]
le droit mais il n'est pas dans ma
section. >>(F-
T L)
Ces jeux d'oppositions sont
sans fin, une mesure peut alors
entraîner des résultats
différents et contradictoires :
baisser le nombre d'heures d'une
matière la rend moins
intéressante pour réussir
son orientation, car les
élèves mesurent l'importance
d'une discipline au nombre d'heures qui
lui sont consacrées, ils peuvent
donc la délaisser. Mais du fait que
la pression scolaire est plus faible,
d'autres lycéens peuvent
découvrir davantage de satisfaction
intrinsèque à leur travail
scolaire. Changer les sujets, prendre des
thèmes d'actualité, c'est
essayer de coller aux
préoccupations des
élèves. Mais en même
temps, une telle mesure paraît
antiscolaire à ces mêmes
élèves qui
dédaigneront ces mêmes
sujets, parce que justement ils ne sont
pas scolaires.
Dans le même ordre
d'idées, utiliser des moyens
audiovisuels, c'est briser la monotonie du
cours magistral. Mais c'est aussi le
risque que les élèves n'y
voient qu'un
passe-temps. <<Chacune
de ses méthodes est
bénéfique dans la mesure
où elle comporte un
intérêt pour l'apprentissage
et l'acquisition du sujet traité.
Néanmoins, l'utilisation de la
télévision ne me semble pas
très utile dans le cas d'un
documentaire que l'on a tendance à
prendre pour un
divertissement.>>
(F-T L).
Cette confusion entre le "
scolaire " et " l'ennuyeux " montre la
limite de certains moyens proposés,
comme celui de l'audiovisuel, mais ce
n'est pas le seul cas, on pourrait
multiplier les exemples à loisir.
On aboutit au paradoxe suivant :
ce qu'on apprend à
l'école demande d'arides efforts,
et c'est très ennuyeux. Mais si
cela devient plus divertissant, alors ce
n'est plus sérieux et cela ne doit
pas entraîner une mobilisation de
l'élève.
Ce qui devient " attractif " ne
peut rester " scolaire ", et ce qui n'est
pas " scolaire " n'a pas à
être appris à l'école.
Il est donc logique que l'on ne fasse pas
d'efforts pour le retenir.
C'est pourquoi dans les
questionnaires, il n'était pas rare
que la même partie d'un programme
scolaire soit à la fois
considérée comme ennuyeuse,
et à la fois désignée
comme un point particulièrement
bien assimilé.
De plus, les logiques ne sont
pas seulement antinomiques comme nous
venons de le voir, elles sont aussi
interdépendantes.
Prenons l'exemple de
l'instrumentalisme et de la satisfaction
intrinsèque. Si
théoriquement
l'intérêt intellectuel est
indépendant de la note, en pratique
il est rare d'aimer une matière
dans laquelle on n'obtient pas de bonnes
notes. De brutales contre-performances
peuvent changer l'opinion que l'on a d'une
matière. L'intérêt
intellectuel résiste très
mal aux mauvaises notes. Cette
interdépendance des significations
de la présence au lycée rend
aussi difficile toute intervention pour
remédier à l'ennui
scolaire. La dimension
sociale de l'ennui scolaire
Nous avions montré
dans le premier chapitre comment le
narcissisme engendre et entretient la
production de l'ennui. Or, l'ennui
scolaire n'est pas une simple production
de l'école, c'est aussi le produit
de toute une société.
Arrêtons nous maintenant sur
quelques thèmes qui sont apparus
dans le discours des
élèves. ·
Indifférence
Une certaine indifférence
transparaît dans les propos des
élèves. Elle se remarque
d'abord à la manière
expéditive dont la plupart des
lycéens se sont acquittés de
la tâche de remplir le questionnaire
: de nombreux questionnaires sont
incomplets, d'autres ne contiennent qu'un
seul mot jeté à la va
vite
La plupart des questionnaires
ont pourtant été remplis
durant les heures de cours.
L'indifférence se remarque aussi au
manque de cohérence de la plupart
des réponses aux questionnaires.
L'élève indifférent
n'a pas de certitudes absolues concernant
son expérience scolaire, et ses
opinions sont susceptibles de
modifications rapides, au gré des
circonstances. C'est pourquoi il peut
très facile pour un
élève qu'une discipline soit
à la fois importante et ennuyeuse,
et inutile et sans
intérêt.
Pourquoi cette
indifférence ? La
première raison tient en
l'inutilité du questionnaire
lui-même, en la conviction profonde
de l'élève que son avis ne
sera pas pris en compte, que la
consultation n'est qu'un simulacre. On
peut aussi penser que c'est une
manière de se protéger,
l'expérience scolaire étant
douloureuse pour certains (ce n'est quand
même pas un hasard si la
majorité des non réponses se
retrouvent dans les lycées
professionnels), la mise en avant d'un
désintérêt pour
l'école est une manière de
prétendre être à
l'abri d'une mise à
l'épreuve, voire d'une remise en
cause de l'image de soi ; c'est un moyen
de réconfort
narcissique.
Un constat d'A.
Barrère va dans le
même sens. L'auteur
remarque que dans les
lycées techniques, le
rapport au travail est peu
dramatisé. " Les
émotions sont absentes.
Cette anesthésie est
plutôt le signe de la
constitution d'une cuirasse
à partir d'une orientation
peu favorable que celui d'un
rapport serein au travail. Cette
indifférence
protège provisoirement les
élèves, alors
même qu'une partie de leur
destin scolaire est
désormais
déjà scellé
[Barrère,
1997, p. 57]. " Cette absence
d'émotions pourrait se
retrouver pour les mêmes
raisons dans les lycées
professionnels. ·
Narcissisme :
A travers les questionnaires,
les élèves revendiquent un
grand besoin d'expression
personnelle. Ce constat donnera
d'ailleurs lieu par la suite à une
volonté de revaloriser l'oral au
lycée, et on assistera notamment
à la création de cours se
déroulant sous formes de
débats (ECJS). Pour les
lycéens, tout le monde doit
s'exprimer et sur le même plan : les
élèves, les professeurs, les
personnes extérieures au
lycée. Le prestige du professeur
(du moins celui qui flotte dans
l'imaginaire enseignant !)
disparaît. Il n'est plus le seul
à avoir la parole légitime.
Son discours est désacralisé
et tenu sur le même plan que celui
des médias. Ce n'est pas une
leçon que l'on attend du professeur
(il est à noter que ce vocable est
pratiquement absent du discours
lycéen), mais des conseils
pratiques tels qu'on peut les trouver dans
les magazines ou à la
télévision. <<Une
aide pratique pour toutes les choses qui
existent à l'extérieur du
lycée (faire la demande d'une carte
d'identité, ouvrir un
compte)
>>(F- 1 SMS)
Mais ce désir de vouloir
s'exprimer pour dire son opinion ne va pas
jusqu'à tolérer l'expression
des autres. Finalement, face à
cette abondance de paroles, l'oral est
discrédité, parce qu'il
semble vide. Les élèves
peuvent alors en venir à opposer
les " bons " cours, ceux où le
maître parle et où les
élèves écrivent, et
les " mauvais " cours, ceux où on
ne fait que parler et où les
lycéens ont l'impression qu'ils ne
travaillent pas, d'où la mise en
garde d'un élève s'agissant
d'un remède à l'ennui :
<<Ne
pas faire un cours où on ne fait
que de parler.>>
(G- sec).
Narcissique encore
ce dédain de tout ce qui
concerne pas directement sa vie,
son présent, son petit
monde. A la limite, l'univers
commence à sa propre
naissance. Les recommandations
pour changer les programmes sont
alors très précises
: <<Oui,
le remède possible c'est
de ne plus étudier les
uvres des auteurs des
siècles
précédents mais
d'étudier ceux des
contemporains d'aujourd'hui ou de
30 ans avant ce jour mais pas
au-delà.>>
(G- 1 S)
<<Oui.
On devrait nous apprendre tout ce
qui se passe de nos
jours.>>
(F - sec)
<<Oui,
je pense que l'on devrait passer
moins de temps sur l'étude
de ces auteurs et plus de temps
sur celle des auteurs
contemporains.>>
(F- sec) <<Des
choses plus d'actualité et couvant
tous les domaine. Ça pourrait faire
partie de
l'histoire.
>>(F- 1 S)
<<Je
souhaiterais apprendre le droit
(principales notions, bases) ainsi que
l'actualité ou les
événements récents
historiques.>>
(F- T ES)
Ce narcissisme se double
d'une angoisse très forte à
l'idée de ne pas arriver à
s'intégrer dans la
société, ou à
l'idée de " se faire avoir ", ce
que l'on assimile à un manque
d'esprit critique. Si on manifeste de
l'intérêt pour la
société c'est pour s'y
intégrer et non pour la
changer. <<La
gestion : savoir remplir des papiers,
savoir choisir nous-mêmes au niveau
des banques ce qui nous permettrait
d'avoir un esprit plus critique.
>>(F-
1 S)... ·
Séduction :
Le lycée doit jouer à
la fois sur l'autorité et la
répression, en excluant les
perturbateurs des classes par exemple,
mais aussi sur la séduction.
L'école doit se montrer
séduisante en proposant des
horaires mobiles, un programme scolaire
à la carte (on garde ce qui
intéresse et on jette le
reste). <<Avoir
un choix multiple au niveau du
programme.>>
(G- 1 S)... De
même, les professeurs doivent eux
aussi fonctionner à la
séduction et non à
l'autorité, ou du moins cette
autorité doit se présenter
masquée. Pour cela, ils doivent
avoir recours à l'humour et en
savoir s'adapter à la classe pour
qu'il y ait une bonne " ambiance
". <<Que
les enseignants puissent adapter leurs
cours sur l'humeur de la
classe.>>
(G- T STI)
<<Apprendre,
en ayant des moments pour rigoler (avoir
une ambiance dans la classe) pour que l'on
puisse s'intéresser au
cours.>>
(F- 1 STT)... ·
Hédonisme :
Le temps libre, les
loisirs sont valorisés, au
détriment de l'effort. On
notera d'ailleurs qu'un certain
nombre de motivations trouve leur
origine dans le monde des
loisirs, comme pour les langues
(voyager). <<Pour
la vie culturelle, il serait bien
d'organiser plus de voyages pour
mieux
visualiser.>>
(F- T STT)
<<[Un
remède à l'ennui
serait : ] Ne pas venir, (ce
que je fais
régulièrement)
>>(G-
sec)
<<Oui,
essayer d'apprendre en
s'amusant.
>>(G- sec) · Vide
émotionnel
Lors des cours, les
élèves cherchent souvent
à ressentir des émotions, ce
qu'ils espèrent rencontrer
grâce à " l'ambiance ". Si
l'on n'est pas arrivé à
créer cette atmosphère
particulière, il faut alors que les
élèves n'aient pas le loisir
de se poser des questions, de se
confronter à une
réalité peu stimulante, de
réaliser qu'ils s'ennuient. Le
cours doit être prenant : ils ne
doivent pas pouvoir " décrocher ",
donc ils ne peuvent pas s'ennuyer, parce
qu'ils n'en ont pas le temps. <<Je
souhaiterais des cours plus rapides, plus
brefs, d'une demi-heure, des cours plus
speed, plus organisé et il n'y
aurait pas cours de 7h à 13h par
exemple. Les détails de certains
programmes pour moi [sont
ennuyeux], apprendre ce qu'il y a de
principal, les bases du programme
[suffisent].>>
(G-1 STI)
<<Je
pense qu'il faudrait faire ces
études plus courtes et plus
actives, et plus explicites en
classe.>>
(F- sec)
Nous retrouvons dans les
discours des élèves les
mêmes valeurs d'individualisme et de
narcissisme qui imprègnent la
société dans son ensemble,
mais qui contribuent aussi à la
pérennité de
l'ennui.
On pourrait penser que les
solutions que nous venons d'évoquer
: changer les relations avec les
élèves, revoir les
programmes, utiliser les TICE
seraient des remèdes valables pour
tous les élèves. Force est
de constater que certains sont plus
réclamés que d'autres selon
la filière d'enseignement
empruntée par
l'élève... Quels
sont les principaux remèdes
proposés selon les filières
?
Les secondes sont les plus
radicaux, puisqu'ils proposent tout
simplement de supprimer les cours. Les L
souhaiteraient changer les sujets qu'on
leur propose et actualiser les programmes
(on se plaint en particulier de devoir
étudier des textes de " vieux "
auteurs). Les S formulent la même
revendication. Les ES souhaiteraient en
plus utiliser davantage les TICE. Les STT
restent dans le domaine de l'incantatoire
: pour que les cours soient moins
ennuyeux, il faudrait que les professeurs
soient plus
intéressants.
D'une manière plus
générale, on
s'aperçoit que dans les
lycées d'enseignement
général, on prône
l'utilisation des TICE, et l'actualisation
des programmes. Les remèdes
relevant du savoir restent
prégnants. Dans les lycées
d'enseignement technologique, on
souhaiterait des classes moins nombreuses.
C'est compréhensible, puisque ces
élèves ont aussi
été les premiers à
pointer le problème de
l'indiscipline des lycéens, qui
gênait les cours. On perçoit
moins le rôle que pourrait avoir
l'élève dans la production
de l'ennui. Enfin, dans les lycées
professionnels et agricoles, les cours
sont trop théoriques, par contre on
est prêt à faire plus
d'effort pour s'intéresser au
cours. On perçoit moins le
rôle que pourrait avoir le savoir
dans la production de
l'ennui... Force est
de constater que la plupart des
remèdes proposés par les
élèves se distinguent des
solutions traditionnellement
suggérées dans la
littérature issues des sciences de
l'éducation. En effet, nous avions
établi une liste de ces
remèdes : Les
remèdes théoriques à
l'ennui Faire
participer les élèves au
lieu de faire un cours
magistral. Tenir
compte des qualités personnelles de
l'enseignant Utiliser
une pédagogie
différenciée Instaurer
plus de souplesse dans les emplois du
temps Rendre
l'école facultative Créer
des classes de niveau Donner du
sens à
l'école Aider
l'élève à accorder du
sens aux savoirs
scolaires.
Or, en comparant avec les
données de notre travail empirique,
que pouvons-nous constater ? Un
remède n'est jamais cité :
faire des classes de niveau par
exemple. Ce n'est guère surprenant,
car ce serait reconnaître et
généraliser l'idée
qu'il existe des degrés
différents de maîtrise des
savoirs, pour une même classe
d'âge, principe peu populaire aussi
bien dans l'institution que chez les
élèves.
Des solutions que nous n'avions
pas envisagées d'une manière
théorique apparaissent maintenant,
celles qui relèvent de
l'élève lui-même.
C'est tout à fait normal, puisqu'en
sciences de l'éducation on ne
prétend évidemment pas
changer l'élève, mais
modifier son environnement afin de
l'influencer.
Quant aux autres
remèdes, ils apparaissent sous
une forme ou une autre sous la plume des
élèves, mais ils peuvent
revêtir une signification
différente de celle de la
littérature.
C'est principalement la relation
avec le professeur qui distingue un cours
ennuyeux d'un cours agréable,
résultat qui rejoint celui d'Anne
Barrère [1997]. Les
méthodes d'apprentissage sont
certes remises en cause, mais de
façon moins massive que l'on aurait
pu le croire. Évidemment, certains
élèves s'ennuient lors des
cours magistraux, et se plaignent de
devoir toujours écrire. Pour
autant, souhaitent-ils réellement
prendre une part plus active dans leur
formation ? Rien n'est moins
sûr. En effet, certaines
idées, présentées
d'habitude comme des remèdes (le
travail autonome comme élaborer un
exposé, lire un livre
) sont
en fait considérées comme
des sources d'ennui....
Examinons maintenant les autres
remèdes théoriques à
l'ennui. Ont-ils été
cités par les lycéens ?
Qu'en est-il de la participation ? Certes,
les lycéens veulent participer.
<<Il
suffit que les profs fassent participer un
peu plus les élèves et
d'éviter de ne faire que parler
pendant une
heure.>>
(F- sec).
Mais est ce vraiment pour
construire le cours avec le professeur ou
pour donner son avis, s'exprimer
?
Quant à la
pédagogie
différenciée, pourquoi
pas ? Les élèves sont
friands que l'on s'intéresse
à leur cas individuel. Mais
finalement, les élèves ne
suggèrent pas à ce niveau
des traitements très
sophistiqués. Ils veulent un
enseignant qui soit gentil mais ferme, qui
explique bien, qui les laisse s'exprimer,
et qui peut les aider quand ils en ont
besoin. Les techniques pédagogiques
sont secondaires. Ils sont prêts
à faire quelques efforts ("
travailler ", " écouter "
)
mais ils considèrent que les
motiver est principalement du ressort de
l'enseignant.
Le savoir joue cependant un
rôle important dans la production de
l'ennui, et l'on peut comprendre les
nombreuses demandes d'actualisation ou de
changement des programmes comme une
tentative des élèves de
rapprocher les savoirs de leurs
préoccupations, et/ou de leurs
compétences. A première vue
donc, le thème du rapport au savoir
apparaît comme aussi prégnant
que ce que la littérature pouvait
nous le laisser supposer.
L'institution conserve une influence
sur l'ennui des lycéens par son
pouvoir de gérer le temps des
élèves : leur emploi du
temps, certes, mais aussi et surtout les
cours qu'elle leur impose de suivre. Mais
son rôle dans le traitement de
l'ennui est tout de même largement
sous estimé par les
élèves, si du moins on le
rapporte à l'importance
théorique que l'institution
était gratifiée. Comparaison
entre les remèdes proposés par les
élèves et par les
enseignants.
Qu'en est-il maintenant des
enseignants ? Avancent-ils les mêmes
solutions que les élèves ?
Parmi les remèdes proposés
par les professeurs, le changement de la
relation avec les élèves est
le plus fréquent. Les
enseignants s'attribuent en effet
massivement le premier rôle dans le
traitement de l'ennui scolaire, alors
même qu'ils pensent que l'ennui des
élèves est d'abord le fait
des élèves eux-mêmes
et de l'institution.
C'est pourquoi ils ne
mentionnent aucun remède à
l'ennui scolaire qui puisse venir des
élèves et de l'institution.
Ils comptent principalement sur leurs
qualités personnelles, leur
démarche pédagogique pour
motiver les jeunes. C'est un point commun
avec les élèves. C'est du
moins ce qu'ils affirment faire en
général. Que se passe-t-il
réellement dans la classe
?
Les professeurs devinent souvent
qu'un élève s'ennuie
à son comportement non verbal. Deux
cas de figure se présentent : soit
l'élève est totalement
passif et semble ailleurs, renfermé
sur lui-même, soit il bavarde et
présente un comportement
agité. Les enseignants y
réagissent de la manière
suivante : les bavards sont
sanctionnés (cité 8 fois),
les autres sont interrogés pour
qu'ils reviennent au cours (cité 7
fois). Mais les professeurs peuvent aussi
ne manifester aucune réaction soit
parce qu'ils jugent le cas "
désespéré "
(cité 3 fois), soit parce qu'ils
accordent une sorte de " droit à
l'ennui " aux élèves
(cité 6 fois). C'est surtout vrai
dès lors que l'élève
ne gêne pas le cours par son
comportement. Pourtant, la totalité
des enseignants interrogés a
déclaré être sensible
à l'intérêt que les
élèves pouvaient porter
à leur cours. Cependant, susciter
l'intérêt des
élèves en
général et maintenir la
discipline peut constituer une tâche
suffisamment écrasante pour ne pas
s'intéresser aux cas particuliers,
qui ne présentent finalement qu'une
déviance mineure. " Pour cette
raison, le professeur finit par
dévaloriser les petits
écarts qui limitent mais
n'empêchent pas totalement la
production et ne considère comme
indiscipline que ceux qui visent
directement son autorité ou sa
personne. [Estrela, 1994, p.84] "
De plus, les enseignants sont tous
d'accord pour estimer que leurs propres
cours ne sont pas toujours
intéressants. D'ailleurs plus de la
moitié d'entre eux a reconnu
s'être déjà
ennuyé dans ses propres cours
.
Les enseignants s'ennuient quand
ils sentent que le contact ne passe pas
bien avec les élèves
(cité 8 fois) : ceux-ci ne
participent pas, semblent ne pas
comprendre et s'ennuyer. Les sujets
traités ce jour-là peuvent
aussi être inintéressants
(cité 4 fois). En fait, l'exercice
du métier lui-même avec ses
contraintes peut être fastidieux :
refaire les mêmes TD et donc se
répéter (cité 1
fois), corriger des copies (cité 2
fois). On a vu que les
élèves attendaient de
l'enseignant " idéal " qu'il aime
son métier.
Finalement, alors même
que leurs conceptions de l'ennui en classe
sont assez proches de celles des
élèves, que dans l'ensemble
ce sont des individus motivés par
leur métier, soucieux
d'éveiller l'intérêt
des élèves, on ne peut
qu'être surpris par la
pauvreté des moyens mis en
uvre : soit
l'élève est
sanctionné, ou interrogé
oralement, soit il est laissé dans
son coin. C'est particulièrement
flagrant pour les élèves
plus rapides que les autres. Les
enseignants reconnaissent en effet qu'il y
a un certain nombre d'élèves
qui travaillent plus vite que les autres
et qui doivent s'ennuyer parce qu'ils sont
freinés dans leur progression. Ceci
dit, peu (3 enseignants sur 18) y
réagissent, et quand c'est le cas,
cela passe par un exercice
supplémentaire que l'on donne
à l'élève. La plupart
du temps, les enseignants demandent
à l'élève d'attendre
sagement que la majorité de la
classe ait terminé
l'activité en cours. En
définitive, les enseignants
essayent de susciter
l'intérêt de la classe en
général et s'occupent
individuellement des élèves
qui ne savent pas s'ennuyer en silence.
Ces derniers leur donnant suffisamment de
travail, les autres sont censés
prendre leur mal en patience.
Si les représentations des
causes de l'ennui par les enseignés
et les enseignants sont assez proches,
elles ne sont toutefois pas
similaires et peuvent parfois
être antinomiques. Par
exemple, les difficultés cognitives
de certains lycéens expliquent que
des élèves réclament
un rythme moins rapide dans l'acquisition
des connaissances, et un programme moins "
long " et moins " lourd ". La " lourdeur "
du programme le rendrait ainsi
ennuyeux. <<Un
programme moins chargé, plus lent
qui permettrait à chacun
d'assimiler tout un programme avant de
passer à la classe
supérieure.>>
(F- 1 SMS)
<<Oui,
les professeurs devraient prendre leur
temps pour expliquer le cours. Ils sont
trop pressés parce que le programme
est trop
chargé.>>
(G- 1 PRO)
Ils ne se rendent pas
compte que cette invocation de
l'impératif du programme
par les professeurs est un moyen
des enseignants pour
établir leur
autorité. En effet,
d'après A. Barrère
[1997, p. 75], " les
enseignants sont ainsi
amenés à justifier
le rythme des cours et des
devoirs pour la longueur et la
lourdeur du programme
l'enseignant a tendance à
se faire otage, en même
temps que ses
élèves, de la
pression au travail scolaire pour
trouver une solution à la
discipline " sans filet " qu'il
est continuellement en train de
mettre en uvre mais aussi
pour éluder les
difficultés des
élèves à
donner un sens à ce qu'ils
font ". La pression au travail
devient la forme la mieux
acceptée de
l'autorité (qui prend
alors une forme professionnelle
en se définissant comme la
capacité à faire
travailler les
élèves), par
rapport à
l'autorité traditionnelle
(inopérante) ou
charismatique (aléatoire
et fragile). Si les enseignants
donnent aux élèves
l'impression que les programmes
sont chargés, c'est pour
éviter que ceux-ci ne
s'interrogent sur
l'intérêt des
savoirs enseignés. Ce qui
est un remède à
l'ennui pour les professeurs est
en fait invoqué comme
cause de l'ennui par les
élèves ! Ou du
moins par certains. Car
évidemment, ces
revendications se heurtent
à celles d'autres
lycéens (moins nombreux)
qui trouvent qu'au contraire le
tempo des cours n'est pas assez
rapide : En
définitive
L'ennui scolaire semble
être principalement une affaire
entre l'élève et son
professeur, et dans une moins large
mesure, avec le savoir. Cette
apparente circonscription de l'ennui au
triangle didactique ne facilite en rien
son éradication. En
effet, ·
Les causes de l'ennui sont multiples,
ce qui entraîne automatiquement une
inflation des remèdes
proposés. Théoriquement, il
faudrait en effet envisager une solution
pour chaque cas, ce qui paraît
difficile à
réaliser. ·
Le problème est que ces
remèdes sont inspirés par
des logiques différentes, voire
concurrentes. Une solution peut
paraître être un remède
pour certains élèves, en
fonction de leur situation scolaire et de
leur propre histoire, mais pas pour
tous. ·
En particulier, un grand nombre
d'élèves se
révèlent très
attachés non à l'esprit de
l'institution scolaire, mais à ses
formes. Ce qui est scolaire est
forcément ennuyeux ; si c'est
intéressant, ce n'est plus
scolaire, et c'est donc inutile et sans
intérêt au
lycée. ·
Une cause d'ennui est souvent fortement
reliée à une ou des
disciplines particulières.
Là encore, si on suivait la
logique, il faudrait envisager des
remèdes différents selon la
discipline. ·
Les causes de l'ennui s'appuient sur
des représentations propres
à une discipline, ou plus
générales comme celles du "
métier ", de la " vie courante " de
la " culture générale
"
La disparition de l'ennui passe
certainement par un changement de ces
représentations
associées. ·
L'ennui scolaire déborde du cadre
de la classe, et du lycée ; il
peut laisser l'institution
désemparée, car il sera
difficile à éradiquer avec
des moyens pédagogiques par
exemple. ·
Les principaux acteurs,
élèves et enseignants, ont
des représentations relativement
proches des causes et des remèdes
à l'ennui. Ceci dit, dans la
réalité de la classe, la
pauvreté des moyens mis en
uvre des enseignants tranche avec la
multiplicité des remèdes
proposés par les
élèves. De plus, les
enseignants et les élèves ne
s'accordent pas forcément sur
l'efficacité des remèdes en
question : une cause d'ennui pour les uns
peut être un remède à
l'ennui pour les autres. ·
La
certaine stéréotypie des
arguments employés pour expliquer
l'ennui, la diversité des facteurs
possibles, la difficulté de mise en
uvre des remèdes, peuvent
laisser penser que l'ennui permet de
masquer certaines tensions chez les
acteurs. Ainsi,
élèves et enseignants
préfèrent justifier l'ennui
scolaire en arguant de l'abstraction de la
matière par exemple.
L'élève n'a pas à
avouer qu'il maîtrise mal la
discipline, et l'enseignant, qu'il peine
à transmettre le savoir.
Le
narcissisme des uns et des autres est
protégé, ce qui peut
expliquer d'ailleurs pourquoi les
représentations des
enseignés et des enseignants sont
assez proches. Les uns et les autres y
trouvent leur compte.
<<Certains
profs ne s'intéressent qu'à
leurs cours, moi je pense qu'ils devraient
nous mettre sur le chemin de la
réussite en nous poussant un peu
à travailler et ne pas nous laisser
dans un coin si on est
nul.>>
(F-sec)
Apprendre, c'est alors retenir des
faits bruts que le professeur
énonce. Une discipline " scrabble "
est fermée sur elle-même,
c'est une discipline qui ne peut pas
prendre appui sur un
référent extérieur
à la discipline elle-même.
Beaucoup de disciplines peuvent a priori
être rangées dans cette
catégorie. Par exemple, les langues
vivantes ne sont pas
évaluées sur la
capacité des élèves
à parler avec des étrangers.
En mathématiques, on
s'intéresse autant à la
démarche intellectuelle, au
raisonnement qu'à la justesse du
résultat. En français, on
considère le plan qu'a suivi
l'élève, les outils
techniques qu'il a pu employer pour
commenter un texte, et non plus
forcément ses connaissances en
terme de culture
littéraire.
Il s'agit alors d'installer ici,
non une ambiance de travail, ce qui est le
rôle du professeur, mais de
recréer l'ambiance de la
période historique. Ce mot "
ambiance " est un mot typiquement
lycéen. Il est polysémique.
Il signifie aussi bien le chahut que plus
généralement
l'atmosphère de la classe. Une "
ambiance " est en quelque sorte un climat
émotif qu'il s'agit de
recréer, puisque les cours
où il n'y a pas " d'ambiance " sont
les cours sans
émotion.
<<Je
souhaiterais qu'il y ait plus de pratique
car lorsque nous sortirons, la seule chose
que nous allons savoir faire c'est de nous
asseoir à une table et
d'écrire.
>>(F-T SMS).
<<Que
le prof explique oralement plutôt
que de nous dicter 5 pages. Initier les
élèves à quelque
chose de plus concret (stage) au lieu de
rester assis toute la journée
à copier des cours, afin d'aiguiser
notre
intérêt.>>(F-
1 S)...
Il ne s'élargit pas jusqu'à
englober l'État et les entreprises.
Tout se passe comme si pour ces
élèves le critère
d'intérêt tenait en la
convergence de l'expérience
personnelle et du discours qui devrait
être tenu à l'école.
Il y a là une culture, mais
centrée sur la vie, le quotidien,
l'action et non une culture " savante "
qui construit des objets, telle qu'on la
conçoit à
l'école.
Une rapide analyse pourrait
conclure que, du fait que le questionnaire
s'adressait au Ministère de
l'Éducation nationale,
l'élève
préfère employer le mot "
cours ", parce que cela fait plus
scolaire, et que justement sa demande
risque d'être mieux prise en compte
par le Ministère. Bien qu'une telle
analyse ne puisse être
écartée, on retiendra le nom
qu'elle a trouvé pour baptiser
cette nouvelle matière : "
sciences vies ". Là encore,
on peut imaginer que ce sont pour des
raisons de légitimité
scolaire qu'elle emploie ce terme,
l'institution ne comprenant pas si l'on
n'utilise pas son langage, mais on peut
aussi croire que, pour elle, les
apprentissages sociaux peuvent être
abordés de manière
scientifique.
Ce qui est important, c'est ce qui
arrive " après " les études,
celles-ci étant très floues.
On a l'impression que continuer à
faire des études constitue une
obligation, mais qu'il n'y a pas vraiment
d'idée précise ni sur la
filière que l'on va choisir ni en
quoi consistent des études
supérieures, mais ce n'est pas
important, car ce qui a du sens, c'est de
finalement de continuer. C'est d'autant
plus grave que, comme le souligne A.
Barrère [1997, p.25]: "
le double mouvement de
séparation et d'affaissement des
significations du travail scolaire se
produit alors même que la longueur
croissante de la scolarité rend
impérieuse la recherche d'un sens
".
Curieusement, le plaisir
apparaît toujours dans les phrases
d'une manière paradoxale.
On note en effet un usage important de la
restriction : un élève
affirme une proposition, et juste
après il ajoute un
énoncé qui en limite ou en
modifie le sens. Ainsi fonctionnent le
fragment suivant :
Une analyse des réponses un
peu marginales au questionnaire (les
réponses " autres ") peut se
révéler à ce titre
intéressante. Dans l'ensemble, les
lycéens qui ont répondu au
questionnaire ont joué le jeu,
c'est-à-dire qu'ils ont bien
compris qu'ils s'adressaient à un
lecteur qui méritait un certain
respect. C'est pourquoi on trouve
relativement peu de mots grossiers dans
les réponses, et quand
interpellation du lecteur il y a, elle se
fait en utilisant la forme de politesse
(vous).
Enfin, quelques rares
élèves admettent que le
principal remède à l'ennui
puisse venir d'eux- mêmes, et qu'il
suffirait donc de modifier leur propres
actions et leur façon de travailler
:
L'utilité professionnelle ou
pour l'examen contre la culture
générale
C'est très net quand on
s'intéresse à la
façon dont les élèves
envisagent l'histoire. Ils veulent vivre
pour eux-mêmes, sans se soucier de
ce qui les a précédés
: le sens historique se trouve
déserté. Pour eux,
l'histoire ne doit pas
s'intéresser au passé mais
seulement au présent. Un
événement " historique " est
un événement important, les
deux termes " importants " et "
historiques " deviennent synonymes
:
On remarque également une
prédominance d'une
appréhension du monde grâce
aux sens et à l'émotionnel
sur une appréhension grâce
à la raison et à
l'intellectuel.