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Étude de cas sur l'ennui à l'école

Thèse de Stéphanie LELOUP (p.270-278)

 

            La distinction entre ces différents types d'ennui est un peu schématique. La plupart du temps, chez les lycéens, ces formes se combinent entre elles à des degrés divers. Si l'on veut vraiment comprendre ce qu'est l'ennui des élèves, il convient de considérer la singularité des histoires individuelles.

             Cette présentation ne pourra être exhaustive. Néanmoins, nous allons essayer de présenter maintenant quelques configurations particulièrement significatives. A dessein, nous avons choisi trois élèves a priori atypiques :

- le premier dit s'ennuyer beaucoup à l'école, mais il est très impliqué dans la vie scolaire, et certains de ses professeurs le considèrent comme motivé intrinsèquement.

- Le second nous avait été décrit par ses enseignants comme très attentif dans une classe, qui, dans l'ensemble, ne l'était pas. Pourtant, ce sera le seul à interrompre ses études après son année de première.

- Quant au troisième, il ne s'ennuie pas au lycée. Pourtant, il ne paraît guère mobilisé sur les savoirs.

 

François : entre affirmation de soi et protection de soi

             François, 18 ans, est en terminale littéraire au lycée Bergson. Élève moyen, il n'a toutefois jamais redoublé lors de sa scolarité. Il suit l'option Arts plastiques que propose le lycée, mais ce cours représente beaucoup plus qu'une option pour lui, puisqu'il envisage d'entrer dans une école d'arts après le baccalauréat. Très impliqué dans la vie du lycée, il est entre autres vice-président du foyer socio-éducatif, il a été très vite intéressé à l'idée de parler de son expérience scolaire. Dès le début de l'entretien, il aborde de lui-même le thème de l'ennui

             Cela dépend de l'intérêt que je porte aux cours. En général, j'essaie de prendre des notes ou de rentabiliser mon temps. Comme je veux faire dans le dessin, si cela m'ennuie, je dessine. Comme cela, je ne perds pas de temps.

             Le mot important est « rentabiliser », terme qui reviendra dans la conversation dès la question suivante. L'élève ne veut pas dire qu'il ne s'investit que lorsque l'enjeu est important, puisque même en philosophie, matière à gros coefficient, il convient qu'il est distrait. Simplement, il refuse qu'on lui fasse perdre du temps, parce que celui-ci est perçu comme une denrée rare.

             Le temps. J'aimerais bien avoir un peu plus de temps.

             Il est conscient de l'obligation de suivre les cours, mais en dernier ressort il se permet de doser son attention selon l'intérêt que le cours suscite en lui. Ainsi en témoigne sa description d'un cours-type

             Il y a quelque chose que tu ne peux pas zapper, même si cela t'ennuie, sauf que là tu ne peux pas partir. Il y a de la vie, de l'animation tout autour de ce thème, et c'est à toi de voir si tu veux écouter ou non le film. Sachant que tu ne peux pas quitter la salle !

             D'ailleurs, il n'hésite pas à ne pas aller en cours quand cela ne lui plaît pas, car finalement il a du mal à accepter que quelqu'un d'autre que lui dispose de son temps. Le temps libre est valorisé, puisqu'il permet de vivre pleinement, ce qui n'est pas permis dans l'enceinte scolaire.

             C'est pour ça que je sèche des cours parfois... Oui, des après-midi entières parfois. Je me dis: << Il faut bien profiter de la vie, de la jeunesse.>> Et puis, à long terme, cela n'aura aucune importance. Mais je ne sèche, en général, que les cours que je n'aime pas. Le sport par exemple.

             Cet absentéisme est considéré comme « normal », comme une pause que l'élève s'accorde pour se permettre de respirer. En effet, d'une part une de ses valeur clé est la liberté, et d'autre part, François revendique sans complexe sa transgression de certaines règles, que ce soit celles de l'assiduité ou celles qui organisent les évaluations.

J            'ai jamais aimé les thèmes proposés, moi j'aime bien la liberté, et ce que je reproche au lycée, c'est de nous enlever cette liberté (..) Quand j'étais au collège, je me disais " encore sept ans, encore six ans, encore cinq ans... " C'est long à force, c'est une vraie prison. Cela essaie de tout sortir sur un même moule, cela détruit l'individualité. C'est une bulle. Et cela détruit les libertés. (...) Je ne vais pas dire que c'est trop contraignant par rapport aux horaires de cours, mais bon j'aimerais bien avoir un peu plus de libertés.

             François n'adhère pas au discours traditionnel véhiculé par l'école : un élève doit être assidu, une note est en fonction du travail fourni. Au contraire, il prend plaisir à étaler ses pratiques illicites comme la triche, ce qui lui permet de tourner en dérision, avec une certaine insolence, le mérite.

             Oui, en maths, quand je copie sur quelqu'un. La dernière fois que je l'ai fait, j'ai eu 14, j'étais très content de moi. Pourtant j 'avais copié. En physique, cela m'est arrivé aussi de tricher... Moi, la mauvaise conscience, je m'en fous pas mal. Tous les moyens sont bons pour avoir de bonnes notes.

             Ce non respect flagrant des règles de l'institution scolaire ne l'empêche toutefois en aucune manière de tenir une place active dans l'enceinte du lycée. D'ailleurs, il est heureux d'énumérer toutes les fonctions qu'il occupe au lycée. Cet investissement dans la vie scolaire est possible parce loin d'être une contrainte, il lui permet de prendre les responsabilités auxquelles il aspire

             J'essaie d'utiliser le lycée pour réaliser mes propres objectifs.

             D'ailleurs, François ne conteste pas l'ordre scolaire. En effet, quand on lui demande ce qu'il souhaiterait apprendre s'il était libre de choisir ses cours, il n'opte pas forcément pour les cours qui l'intéressent le plus, mais ceux qu'il pense être essentiel pour son avenir : le français et les langues principalement, même s'il n'apprécie pas ces matières.

             J'aurais enlevé les matières scientifiques, j'aime bien la bio, mais bon... Il faut se consacrer à l'essentiel. L'anglais... Je suis peut-être masochiste mais oui, j'aurais mis l'anglais.

             Pourtant, la biologie semble l'intéresser véritablement. Il a établi un rapport particulier avec son professeur, qui le félicite d'ailleurs sur son bulletin pour sa curiosité toujours en éveil, et, lors de l'entretien, il montre combien la discipline peut lui plaire.

             Ce que j'aime bien en bio et en physique, c'est que cela laisse une part à l'imagination... Si, par exemple, en bio, il y a plein de choses qu'on en connaît pas sur le cerveau. En plus, comme j'aime bien la science-fiction... C'est très bien.

             Ceci dit, son intérêt semble largement déborder le cadre du scolaire, c'est pourquoi il avouera plus loin qu'il renoncerait sans aucun mal à l'enseignement de cette matière, puisqu'on peut très bien être intéressé par un domaine de connaissances, sans vouloir pour autant suivre un cours à ce sujet. La critique des professeurs peut être sévère, à partir du moment où les enseignants n'ont pas su s'imposer. Ce n'est pas, ou pas seulement, un problème d'autorité au sens traditionnel du terme, mais un manque de charisme que cet élève dénonce. Ainsi, le professeur de philosophie a des défauts mais de la personnalité, alors il lui convient, même si l'élève n'excelle pas dans la matière. C'est le contraire pour un ex-professeur de dessin, pourtant matière préférée de François

             Au collège, c'est un endroit où on fait des dessins, où on apprend des techniques. Mais bon, la prof, elle était pas terrible. Pas dans ce qu'elle faisait, non, plutôt dans ce qu'elle ne faisait pas. Elle passait par là, elle donnait son avis. Elle était décorative, quoi. J'ai pas eu de mal à la dépasser. En toute modestie, bien sûr.

             Cette apparente confiance en soi ne doit pas cacher pourtant un certain manque d'assurance. Ainsi, quand on l'interroge sur les raisons de la réussite des élèves brillants, il commence par évoquer le cas particulier de l'élève doué en langue, parce qu'il a effectué un séjour à l'étranger. Mais en le poussant dans ses retranchement, il reconnaît que les élèves brillants sont le plus souvent des élèves intelligents. Mais juste après il insiste pour dire qu'il n'y a pas besoin d'être intelligent pour réussir à l'école, une bonne mémoire et de la logique suffisent. En fait, en creusant un peu, on s'aperçoit qu'il a des difficultés dans toutes les matières où il s'ennuie. Il a du mal à suivre en mathématiques, parce c'est trop abstrait, et de toute façon, cela ne lui servira pas plus tard ; il a des mauvaises notes en français, mais l'enseignante fait mal son cours. La référence à l'évaluation est omniprésente pour déterminer si oui ou non la matière l'intéresse.

             La philo, remarquez, j'ai trouvé un intérêt. Remarquez, j'ai eu une bonne note aussi. Physique, je vous dirais ça... Si j'ai une mauvaise note je ne vais pas aimer. Bio, cela va. L'espagnol... Cela dépend des notes en langues. La philo... Cela dépend des notes aussi.

             Dans ces cas-là peut-on encore parler de motivation ou d'ennui ? L'ennui pourrait cacher autre chose, être une émotion plus avouable que l'angoisse par exemple, surtout chez un jeune homme assez satisfait de lui-même. Son rapport au sport illustre à merveille cette idée. Il commence par trouver « rébarbatif » cette discipline, dans laquelle il peine et qu'il hait. Mais un peu plus loin, il indique que finalement ce n'est pas de l'ennui qu'il éprouve.

            Je déteste le sport, je suis nul en sport, le sport, c'est rébarbatif Cela m'oblige à faire des choses que je n'aime pas. J'aime pas courir pendant une 1/2 heure par exemple... Non, cela ne m'ennuie pas. Mais j'aime pas.

             Seuls les arts plastiques échappent à cette logique, parce qu'ils apparaissent chez François comme une passion et comme une vocation. On observe alors le pouvoir dissolvant de la passion sur l'ennui: peu importe qu'il y ait des notes ou pas, peu importe l'enseignant, le dessin semble être à la fois un moyen d'exprimer son identité et de la construire.

             Le dessin, c'est pas une matière, c'est ce que je veux faire. Le dessin, j'en fais depuis que je suis tout petit. C'est vraiment ce que je vous ai dit, un moyen d'expression. Comme avant j'étais très timide, je faisais du dessin, je m'exprimais avec le dessin. Maintenant, c'est plus avec des projets. Il y en a qui pensent avec des mots, moi c'est avec le graphisme. Un projet en dessin, c'est un travail complexe, c'est une réflexion sur un thème donné. Par exemple, le policier, le fantastique. On le travaille, on cherche une histoire. En ce moment, je travaille sur les « quatre cavaliers de l'Apocalypse ».

             En résumé, on retrouve chez cet élève un certain nombre de traits de la première forme : la volonté d'utiliser son temps à affirmer sa personnalité, sa réticence à adhérer au modèle scolaire, vu comme un « moule » broyant toute individualité, son admiration pour les professeurs dont l'ego arrive à lui en imposer, son léger mépris pour les autres, dont la vie lui semble terne et peu excitante. François s'ennuiera au lycée dès lors qu'il n'arrivera pas à manipuler l'institution pour qu'elle lui permette de briller. Et en même temps, mais peut-être est ce simplement le revers de la médaille, l'ennui chez lui peut masquer aussi ce qu'il ressent comme des faiblesses : ses mauvaises notes, ses manques, de logique, d'aptitudes physiques par exemple.

 

Julien : un élève sous la tyrannie du « concret »

           Julien, 17 ans, est en première STT au lycée Verlaine. C'est sa première année dans cet établissement, car en seconde il était scolarisé dans un autre lycée de la ville, où il a connu, semble-t-il, des problèmes liés à la drogue. Élève moyen en début d'année, ses notes ont fortement chuté lors du deuxième trimestre. Au moment de l'entretien, il hésite entre poursuivre une terminale ou arrêter définitivement ses études, ce qu'il finira par décider. Il travaille le week-end comme disc-jockey dans une discothèque, et il aimerait vivre de cette passion. En cours, il est « sage comme une image », mais il se ne mobilise en aucune façon sur les contenus enseignés, ce dont il est pleinement conscient.

             Je ne dérange pas le cours mais je ne m'investis pas.(...) [L'élève idéal] C'est un élève calme qui ne perturbe pas le cours.

             Pour lui, l'institution n'attend des élèves qu'un comportement adapté : être attentif en cours, ce qui signifie ne pas bavarder. Les apprentissages ne tiennent aucune place dans son discours. Cela peut expliquer que la relation au professeur soit le seul critère qui sépare les cours ennuyeux des cours intéressants. Un cours ennuyeux est donné par un enseignant qui sait pas « tenir sa classe », et qui n'établit pas des contacts avec ses élèves. La spontanéité des échanges est mise en avant

             Les cours que je préfère c'est gestion et com. La com, parce que l'on peut parler avec la prof, elle nous comprend. Comparé au cours d'économie droit par exemple... Cela dépend du prof aussi. Ils n'apprennent pas leurs cours quoi... Oui, ils devraient dire ce qu'ils ont dans leurs têtes et non suivre sur des fiches qu'ils ont préparées. J'aime mieux les profs qui ont une certaine expérience et qui n'ont pas besoin de fiches pour construire leurs cours. Cela permet de pouvoir parler avec les élèves.

             L'idée même que le savoir puisse être une construction indépendante du professeur est absente de son discours. Ce non investissement sur les savoirs se retrouve quand il explique quel est le sens de sa présence au lycée. Selon lui, le passage au lycée devrait permettre à chaque élève de décrocher un travail par la suite, mais il estime que sur ce thème-là, l'institution n'a rien à lui apporter. Il estime aussi qu'on va à l'école pour se faire des amis.

             Et puis le lycée aussi, c'est là où on rencontre les jeunes filles. II y a un rôle aussi d'entrer dans la vie sociale.

             Deux raisons semblent le conduire à rester au lycée : ses investissements relationnels, comme on vient de le voir, que ce soit auprès de certains enseignants avec qui il aime bien parler, ou auprès de ses camarades, et aussi la contrainte qu'il sent s'exercer sur lui parce qu'il est élève. Cette contrainte, il est loin de la rejeter. Au contraire, il n'en a jamais assez : il estime que le règlement intérieur du lycée n'est pas assez sévère, qu'il n'y a pas assez d'heures de cours prévus à son emploi du temps, pas assez de travail à la maison (même s'il ne le montre pas aux professeurs, parce qu'il ne travaille que « pour lui »).

             Oui, par exemple à Renoir, au bout de 3 absences non justifiées, c'est l'exclusion. Ici, c'est plus lâche qu'à Renoir. On est loin de la discipline du bon vieux temps.

             Ce discours pour l'instant plutôt positif sur l'école ne doit pas cacher cependant un certain ennui de l'élève à l'égard de l'institution scolaire, accusée de mal préparer les élèves à s'insérer dans la vie active, d'utiliser des styles pédagogiques démodés.

             C'est pour ça que je préfère les matières technologiques industrielles, on manipule plus. Et puis, cela correspond plus à ma personnalité. J'ai plus un profil « industriel » que « tertiaire ». En tertiaire, on est loin de la vie active, c'est moins concret.

             Entre un livre de 300 pages et un film, on est plus attiré par un film, c'est moins ennuyeux. Et puis, la télé, cela attire plus les jeunes que les bouquins.

             Le « concret » est un thème phare pour Julien. Est « concret » ce qui est directement utile soit dans la vie personnelle, ou soit dans la vie active. L'élève souligne l'absurdité d'un savoir qui lui apparaît comme gratuit, ne servant à rien. A la limite, l'école ne sert à former que des futurs enseignants, et à sélectionner les bons et les mauvais élèves. Sous l'ennui semble poindre un certain ressentiment contre l'école, qui peut prendre la forme de l'anticonformisme

             Les différences, c'est que moi j'ai une autre vision de l'intelligence par rapport à la vision que certains ont de l'intelligence. Pour moi, l'intelligence, ce n'est pas suivre des cours et les apprendre.

             Julien souffre de l'image d'élève en échec que le lycée lui renvoie, et pour protéger son narcissisme mis à mal, il cherche à se présenter comme quelqu'un qui est très différent des autres. Il commence par relativiser la réussite d'autrui. Il explique en effet que les élèves brillants réussissent parce qu'ils ont des parents attentifs au travail scolaire de leurs enfants (lui-même vit chez sa grand-mère). Il finira par admettre du bout des lèvres qu'ils peuvent être également doués, justification qu'il abandonnera dès qu'il s'agira de comprendre l'échec de certains élèves. Il se sentira directement visé par la question, et il essaiera alors de se montrer sous un meilleur jour. Voilà comment il considère les élèves ayant de mauvaises notes

             C'est des gens qui pensent qui ont une ouverture vers la société, et qui vont avoir un boulot même s'ils ne travaillent pas. Ils ont sûrs d'eux alors ils ne bossent pas.

             Face à cette mauvaise image que lui renvoie l'école, Julien espère tout de même se réinventer un avenir. Il se présente alors comme un jeune qui sait exactement ce qu'il veut, et pour qui réussir sa vie ne passe pas par la réussite scolaire.

             De toute façon, je sais le boulot que je veux faire plus tard, et ma place, elle est déjà faite... Voilà, quoi. Si j 'arrête mes études, c'est pour travailler. Pas pour ne rien faire.

             Le cas de Julien nous enseigne comment le décalage entre ses aspirations et la spécialité dans laquelle il est scolarisé l'enferme dans un non-sens où les différentes activités scolaires prennent pour lui la forme de tâches non finalisées, et imprégnant peu la vie de cet élève. L'ennui de Julien semble venir du fait que les savoirs enseignés ne font pas sens pour lui, il n'en fait d'ailleurs à peine mention lors de l'entretien, préférant s'attarder sur les relations qu'il peut avoir avec ses professeurs. Non seulement les savoirs scolaires ne sont pas désirables en eux-mêmes, mais ils n'aident pas à être autonome et adulte. Ils doivent être appris et assimilés, puisqu'ils donnent lieu à une évaluation. Julien rejette cette évaluation qui lui renvoie une mauvaise image de lui-même. L'ennui ici cache aussi une certaine rancœur vis-à-vis d'une institution qui blesse ainsi son amour-propre.

  .

Thibault : « Au lycée, c'est bien, il y a des soirées télé. »

             Thibault, 15 ans, est en seconde au lycée Bergson. Il a choisi comme enseignement de détermination les sciences économiques et sociales. Élève moyen voire médiocre dans certaines matières, il éprouve quelques difficultés à suivre le cours. Plutôt bavard, il se fait rappeler à l'ordre régulièrement par le professeur. Il n'a toutefois encore jamais redoublé lors de sa scolarité. Thibault aime bien être au lycée, parce que c'est l'endroit où il retrouve ces copains. Étant interne, il est heureux d'avoir une vie relationnelle assez riche. Il apprécie pour cela d'être passé du collège au lycée, qui lui laisse plus d'autonomie et qui lui offre plus de distractions

             Là, on a plus de libertés. Bon, je suis interne, alors il y a des horaires à respecter, comme tous les internes. Mais cela ne me dérange pas. Il y a de la liberté, c'est bien... Il y a des soirées télé.

             Évidemment, tout n'est pas parfait, et même si dans l'ensemble Thibault est content de son sort, les professeurs sont sympathiques, il y a une bonne « ambiance » dans la classe, il peut s'ennuyer parce que ses journées sont trop longues ou mal organisées.

             Et puis aussi quand on a cours le samedi matin... C'est chiant. Pour deux heures de sport, ils pourraient les mettre ailleurs quand même... Tandis que là, je trouve que les cours sont mal répartis. Le mardi on a trop d'heures de maths, il faudrait les répartir sur les autres jours. Il ne faudrait pas qu'on ait une grosse journée comme le mardi par exemple, où on finit à 18h et où on est toujours en classe entière.

             L'aspect relationnel est primordial pour Thibault. Là encore, c'est souvent la relation avec le professeur qui distingue un cours « ennuyeux » d'un cours « intéressant ».

             Je travaille, mais c'est pas une punition d'aller en cours. Je travaille, mais je m'amuse aussi. Enfin je m'amuse sans ... Je serais malheureux si on n'avait que des cours particuliers... J'aime bien la relation avec le prof aussi.

          Il établit en outre une distinction entre les vrais cours où il faut être sérieux et ne pas parler, et les autres, où l'on peut se détendre.

             Être attentif et ne pas parler, enfin parler quand il faut parler, quand le prof le veut, et puis écouter et prendre des notes comme je l'ai déjà dit.

             L'espagnol, j'adore, la prof, elle est trop bien... Le sport. En sport, c'est cool, les profs ils sont cool. Ils marquent les trucs au tableau, ils expliquent, et puis voilà. Franchement en sport c'est sympa... Oui, le sport c'est une détente. C'est un cours mais cela permet de nous détendre quand même. J'aimerais bien avoir du sport le mardi par exemple ! Oui, je considère cela comme de la détente.

             Le rapport au lycée n'est pourtant pas entièrement positif. En classe, Thibault doit faire face à deux types d'épreuves : comprendre le cours, faire bonne figure devant ses pairs. S'approprier certains savoirs lui paraît ennuyeux, parce que c'est difficile pour lui. Tel est le cas des mathématiques

             Bon les maths, c'est pas super... Cela m'a toujours ennuyé. Au début, 6 ème 5 ème, 4 ème, bon c'est facile donc les maths cela me dérangeait pas. Mais maintenant en seconde, c'est plus dur. Je me débrouille mais j 'aime pas quand même la matière.

            La maîtrise de la matière joue ainsi un rôle fondamental dans l'ennui que cet élève peut ressentir. En effet, voici ce qu'il répond quand on lui demande ce qui est le plus ennuyeux en fait dans un cours

             Et bien, c'est de ne pas comprendre ce que tout le monde comprend. Le prof explique, tout le monde a un peu près compris, et moi j 'ai rien compris, et ça, ça m'énerve. Et même si je redemande au prof qu'il m'explique, je comprends toujours pas. En maths, je demande à des copains de m'expliquer. C'est pas pareil, c'est pas avec les mêmes mots.

             Dans cette optique, il peut convenir qu'il est important de travailler toutes les matières, parce qu'il n'y en a pas de plus importantes que d'autres. Par contre, en pratique il cesse de faire des efforts dès qu'il se sent peu compétent dans la discipline en question.

             Mais bon retenir le vocabulaire, j'ai pas envie de faire l'effort pour ça, parce que c'est pas une matière importante... Oui, mais il y a quand même des matières où on n'a pas envie de travailler. Pour moi, c'est la bio, car j'ai jamais été bon, j'ai jamais compris pourquoi on travaillait sur des trucs qui font un millimètre dans le cerveau. Moi, je pense, la bio, faut apprendre l'anatomie, les muscles, les os, comment cela se passe et tout ça, et pas pourquoi on a une molécule qui est là et pas là.

             Le recours aux camarades, l'avis des copains, tout cela pèse énormément dans la vie de Thibault. Il n'est pas tant préoccupé de « sauver la face» que de se bâtir une « réputation », en l'occurrence celle d'un joyeux boute-en-train, serviable et sympathique.

             Moi, de toute façon, on m'a toujours dit que je faisais rire les autres. Et c'est vrai, à chaque fois que je peux sortir un truc, je le sors. C'est pas une réputation, mais bon, quand on arrive dans un lycée où personne ne nous connaît, il faut se faire une réputation, enfin montrer comment on est. Moi, j'ai toujours été comme cela. Car si on se renferme sur soi même, personne ne nous connaîtra vraiment, notre personnalité, personne ne nous fera confiance. (...) Moi j 'ai jamais été malheureux, à être enfermé dans mon coin. J'aime rire, j'aime bien quand il y a de l'ambiance, quand cela rigole, j'aime bien l'ambiance quoi. J'ai jamais été renfermé sur moi. Déjà quand on est interne, on a des avantages pour se faire des copains. Et puis on finit par connaître tout le monde. Enfin cela dépend si on a envie d'être tout seul ou pas. C'est pas qu'il sera tout seul, mais il sera toujours avec les mêmes copains. Moi, je pense que ceux qui sont renfermés sur eux-mêmes, qui ne s'amusent pas, ils viennent en cours, mais c'est vraiment pour travailler, c'est que du travail.

             Une sorte d'équivalence s'installe en fait dans l'esprit de Thibault : pour avoir des copains, il faut se bâtir une réputation, sinon on est malheureux parce qu'on est solitaire, et le cours n'est plus aussi l'occasion d'entretenir sa vie sociale, mais juste un moment pour travailler.

             Ce phénomène d'image de soi est si prégnant chez Thibault qu'il s'en sert aussi pour expliquer la réussite des élèves brillants

             C'est dû... Ils veulent se faire remarquer moi je pense. Par la classe, par le prof... Oui, ils veulent se, faire remarquer.

             En définitive, Thibault aime bien vivre au lycée, apprécie de faire rire la classe, d'établir des relations avec certains de ses professeurs, de pratiquer les disciplines dans lesquelles il excelle, le sport par exemple. Mais même si en classe, il semble beaucoup s'amuser, cet entrain cache fréquemment un ennui certain, ennui qu'il attribue à ses difficultés d'apprentissage. Cet ennui est difficilement décelable pour un observateur non averti, parce que l'obligation de « sauver la face » le conduit à minimiser ce qu'il perçoit comme une faiblesse, et au contraire à en rajouter dans le sens du panache et de l'exubérance.

             A la lecture de ces expériences singulières, on peut penser que les cinq formes précédemment identifiées sont probablement liées entre elles. Ainsi, une trop grande crispation sur l'expression de son moi (l ère forme) rend plus perméable aux blessures d'amour propre (2 ème forme). C'est du moins ce que nous constatons chez François. De la même façon, quand les savoirs ne font pas sens (4 ème forme), alors peut-être attend on davantage du lycée en termes d'animation et de divertissement (3 ème forme). Tel semble être le cas de Thibault.

 

L'ennui pensé comme décalage

             Cette première approche de l'ennui scolaire, que ce soit d'un point de vue macrosociologique ou microsociologique, restait dans la lignée de la conception traditionnelle de l'ennui, défini comme un manque de motivation. Cette définition de l'ennui est-elle suffisante pour comprendre ce phénomène ? Rien n'est moins sûr. En effet, lors de l'analyse des questionnaires issus de la consultation nationale, nous avions remarqué qu'un certain nombre de lycéens semblaient en décalage par rapport aux attentes de l'institution. Quels liens peut-on établir entre le décalage observé et l'ennui ? De quel type de décalage peut-il s'agir ?

Y a-t-il un décalage entre les représentations des élèves et celles des enseignants ?

             Pour vérifier qu'un tel décalage existe, nous avons identifié, pour chaque catégorie (le cours, le prof, le lycée, et l'élève), les représentations des élèves et des enseignants. Ce travail nous a permis de déterminer les représentations communes et les représentations non partagées. Nous commencerons toutes nos présentations par le point de vue des élèves, puis par celui des enseignants, et nous terminerons en comparant ces deux types de représentations.

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<Je pense qu'il y a un hyper-actif dans le groupe, que le deuxième est un surdoué et que le troisième devrait faire un apprentissage. A part ça l'article que vous présentez est très bon Jacques et c'est vrai qu'on est malléable à cet âge et que rien n'est facile dans la vie. Difficile pour les jeunes ... et les vieux en ce moment ! >>

<< je sais pas comment vous remercier pour les efforts que vous deployez. je suis orienteur egyptien de francais grace a vous je peux bien observer la classe>>

<<Vraiment très intéressant... Je n'avais perçu que quelques raisons pour lesquelles un élève pouvait s'ennuyer : manque d'interactions, d'échanges, des cours trop lents ou/et qui ne font pas sens, et enfin le plus commun, le manque de motivation...Ce sont des études comme celle-là qui nous permettent de nous interroger sur nos pratiques pédagogiques et de les repenser...Vraiment merci! >>

<<L'ennui... On ne s'ennuie pas qu'à l'école, même si elle est un lieu privilégié pour le cultiver. On doit pouvoir découvrir, pour l'ennui, beaucoup de causes et des sens différents selon le sujet et le contexte dans lequel il nait. En voici deux qui semblent en tous cas articulés entre eux. L'ennui, dit quelqu'un, c'est cet état intérieur qui apparaît chez quelqu'un quand son objectif ou son but ont été atteints, quand son projet a abouti (ainsi, par exemple, quand la réunion à laquelle je participe a répondu à mes questions et mes attentes et que l'on continue à discuter à vide, je m'ennuie). En prendre conscience, savoir si l'on se plait à s'y complaire (le spleen peut être source de jouissance), classer l'ennui éprouvé sur une échelle (allant de petit ennui de rien du tout à je m'emm... royalement), rechercher ce qui est important pour soi, le critère, la valeur qui ne sont pas satisfaits et dont l'insatisfaction déclenche cet ennui, se poser la question : "Quel signal, quel message me communique cet état intérieur ?" (ce peut être par exemple : "il est temps de passer à autre chose..." ou "...tu perds ton temps là,..."), sont les axes sur lesquels travailler pour "gérer" ce sentiment. Comme beaucoup d'autres états intérieurs, d'ailleurs. L'ennui, dit l'autre, c'est l'absence de désir. Surtout de ce désir qui se manifeste à l'insu du sujet, qui le pousse dans tel ou tel sens, le soubassement donc de toute vie, psychique au moins. Chronique ou développé à un niveau pathologique ce peut être l'antichambre d'une dépression qui se construit, ou le symptôme d'une dépression cachée. A surveiller donc de près. Le poëte peut en faire son profit et y trouver un moteur de créativité. S'ennuie-t-il à ce moment ? >>

<<Il aurait été intéressant que votre travail contienne des études de cas sur les filles aussi. Je pense que le rapport à l’ennui aurait sans doute été très différent. Si on regarde les recherches anglo-saxonnes faites sur la différence filles-garçons le côté utile d’une matière a plus d’importance pour les garçons alors que pour les filles l’intérêt que suscite la matière est plus important, Il aurait donc été intéressant de voir la conception des filles sur l’ennui.>>

<<je vous félicite pour la qualité de votre travail combien original. Courage>>

Thèse de Stéphanie LELOUP
SOMMAIRE
Formes de l'ennui
Étude de cas
Décalage entre les représentations des élèves et celle des enseignants
Analyse des écarts
Remèdes à l'ennui scolaire
Le cours
Le professeur
L'élève
Le lycée

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