François, 18 ans, est en
terminale littéraire au
lycée Bergson. Élève
moyen, il n'a toutefois jamais
redoublé lors de sa
scolarité. Il suit l'option Arts
plastiques que propose le lycée,
mais ce cours représente beaucoup
plus qu'une option pour lui, puisqu'il
envisage d'entrer dans une école
d'arts après le
baccalauréat. Très
impliqué dans la vie du
lycée, il est entre autres
vice-président du foyer
socio-éducatif, il a
été très vite
intéressé à
l'idée de parler de son
expérience scolaire. Dès le
début de l'entretien, il aborde de
lui-même le thème de
l'ennui
Cela
dépend de l'intérêt que je
porte aux cours. En général, j'essaie
de prendre des notes ou de rentabiliser mon temps.
Comme je veux faire dans le dessin, si cela
m'ennuie, je dessine. Comme cela, je ne perds pas
de temps.
Le mot important est « rentabiliser
», terme qui reviendra dans la conversation
dès la question suivante.
L'élève ne veut pas dire qu'il ne
s'investit que lorsque l'enjeu est important,
puisque même en philosophie, matière
à gros coefficient, il convient qu'il est
distrait. Simplement, il refuse qu'on lui fasse
perdre du temps, parce que celui-ci est
perçu comme une denrée
rare.
Le
temps. J'aimerais bien avoir un peu plus de
temps.
Il est conscient de l'obligation de
suivre les cours, mais en dernier ressort il se
permet de doser son attention selon
l'intérêt que le cours suscite en lui.
Ainsi en témoigne sa description d'un
cours-type
Il
y a quelque chose que tu ne peux pas zapper,
même si cela t'ennuie, sauf que là tu
ne peux pas partir. Il y a de la vie, de
l'animation tout autour de ce thème, et
c'est à toi de voir si tu veux
écouter ou non le film. Sachant que tu ne
peux pas quitter la salle !
D'ailleurs, il n'hésite pas
à ne pas aller en cours quand cela ne lui
plaît pas, car finalement il a du mal
à accepter que quelqu'un d'autre que lui
dispose de son temps. Le temps libre est
valorisé, puisqu'il permet de vivre
pleinement, ce qui n'est pas permis dans l'enceinte
scolaire.
C'est
pour ça que je sèche des cours
parfois... Oui, des après-midi
entières parfois. Je me dis: << Il
faut bien profiter de la vie, de la
jeunesse.>> Et puis, à long terme,
cela n'aura aucune importance. Mais je ne
sèche, en général, que les
cours que je n'aime pas. Le sport par
exemple.
Cet absentéisme est
considéré comme « normal »,
comme une pause que l'élève s'accorde
pour se permettre de respirer. En effet, d'une part
une de ses valeur clé est la liberté,
et d'autre part, François revendique sans
complexe sa transgression de certaines
règles, que ce soit celles de
l'assiduité ou celles qui organisent les
évaluations. J
'ai
jamais aimé les thèmes
proposés, moi j'aime bien la liberté,
et ce que je reproche au lycée, c'est de
nous enlever cette liberté (..) Quand
j'étais au collège, je me disais "
encore sept ans, encore six ans, encore cinq ans...
" C'est long à force, c'est une vraie
prison. Cela essaie de tout sortir sur un
même moule, cela détruit
l'individualité. C'est une bulle. Et cela
détruit les libertés. (...) Je ne
vais pas dire que c'est trop contraignant par
rapport aux horaires de cours, mais bon j'aimerais
bien avoir un peu plus de libertés.
François n'adhère pas au
discours traditionnel véhiculé par
l'école : un élève doit
être assidu, une note est en fonction du
travail fourni. Au contraire, il prend plaisir
à étaler ses pratiques illicites
comme la triche, ce qui lui permet de tourner en
dérision, avec une certaine insolence, le
mérite.
Oui,
en maths, quand je copie sur quelqu'un. La
dernière fois que je l'ai fait, j'ai eu 14,
j'étais très content de moi. Pourtant
j 'avais copié. En physique, cela m'est
arrivé aussi de tricher... Moi, la mauvaise
conscience, je m'en fous pas mal. Tous les moyens
sont bons pour avoir de bonnes notes.
Ce non respect flagrant des
règles de l'institution scolaire ne
l'empêche toutefois en aucune manière
de tenir une place active dans l'enceinte du
lycée. D'ailleurs, il est heureux
d'énumérer toutes les fonctions qu'il
occupe au lycée. Cet investissement dans la
vie scolaire est possible parce loin d'être
une contrainte, il lui permet de prendre les
responsabilités auxquelles il
aspire
J'essaie
d'utiliser le lycée pour réaliser mes
propres objectifs.
D'ailleurs, François ne conteste
pas l'ordre scolaire. En effet, quand on lui
demande ce qu'il souhaiterait apprendre s'il
était libre de choisir ses cours, il n'opte
pas forcément pour les cours qui
l'intéressent le plus, mais ceux qu'il pense
être essentiel pour son avenir : le
français et les langues principalement,
même s'il n'apprécie pas ces
matières.
J'aurais
enlevé les matières scientifiques,
j'aime bien la bio, mais bon... Il faut se
consacrer à l'essentiel. L'anglais... Je
suis peut-être masochiste mais oui, j'aurais
mis l'anglais.
Pourtant, la biologie semble
l'intéresser véritablement. Il a
établi un rapport particulier avec son
professeur, qui le félicite d'ailleurs sur
son bulletin pour sa curiosité toujours en
éveil, et, lors de l'entretien, il montre
combien la discipline peut lui plaire.
Ce
que j'aime bien en bio et en physique, c'est que
cela laisse une part à l'imagination... Si,
par exemple, en bio, il y a plein de choses qu'on
en connaît pas sur le cerveau. En plus, comme
j'aime bien la science-fiction... C'est très
bien.
Ceci dit, son intérêt
semble largement déborder le cadre du
scolaire, c'est pourquoi il avouera plus loin qu'il
renoncerait sans aucun mal à l'enseignement
de cette matière, puisqu'on peut très
bien être intéressé par un
domaine de connaissances, sans vouloir pour autant
suivre un cours à ce sujet. La critique des
professeurs peut être sévère,
à partir du moment où les enseignants
n'ont pas su s'imposer. Ce n'est pas, ou pas
seulement, un problème d'autorité au
sens traditionnel du terme, mais un manque de
charisme que cet élève
dénonce. Ainsi, le professeur de philosophie
a des défauts mais de la
personnalité, alors il lui convient,
même si l'élève n'excelle pas
dans la matière. C'est le contraire pour un
ex-professeur de dessin, pourtant matière
préférée de
François
Au
collège, c'est un endroit où on fait
des dessins, où on apprend des techniques.
Mais bon, la prof, elle était pas terrible.
Pas dans ce qu'elle faisait, non, plutôt dans
ce qu'elle ne faisait pas. Elle passait par
là, elle donnait son avis. Elle était
décorative, quoi. J'ai pas eu de mal
à la dépasser. En toute modestie,
bien sûr.
Cette apparente confiance en soi ne doit
pas cacher pourtant un certain manque d'assurance.
Ainsi, quand on l'interroge sur les raisons de la
réussite des élèves brillants,
il commence par évoquer le cas particulier
de l'élève doué en langue,
parce qu'il a effectué un séjour
à l'étranger. Mais en le poussant
dans ses retranchement, il reconnaît que les
élèves brillants sont le plus souvent
des élèves intelligents. Mais juste
après il insiste pour dire qu'il n'y a pas
besoin d'être intelligent pour réussir
à l'école, une bonne mémoire
et de la logique suffisent. En fait, en creusant un
peu, on s'aperçoit qu'il a des
difficultés dans toutes les matières
où il s'ennuie. Il a du mal à suivre
en mathématiques, parce c'est trop abstrait,
et de toute façon, cela ne lui servira pas
plus tard ; il a des mauvaises notes en
français, mais l'enseignante fait mal son
cours. La référence à
l'évaluation est omniprésente pour
déterminer si oui ou non la matière
l'intéresse.
La
philo, remarquez, j'ai trouvé un
intérêt. Remarquez, j'ai eu une bonne
note aussi. Physique, je vous dirais ça...
Si j'ai une mauvaise note je ne vais pas aimer.
Bio, cela va. L'espagnol... Cela dépend des
notes en langues. La philo... Cela dépend
des notes aussi.
Dans
ces cas-là peut-on encore parler de
motivation ou d'ennui ? L'ennui pourrait cacher
autre chose, être une émotion plus
avouable que l'angoisse par exemple, surtout chez
un jeune homme assez satisfait de lui-même.
Son rapport au sport illustre à merveille
cette idée. Il commence par trouver «
rébarbatif » cette discipline, dans
laquelle il peine et qu'il hait. Mais un peu plus
loin, il indique que finalement ce n'est pas de
l'ennui qu'il éprouve.
Je
déteste le sport, je suis nul en sport, le
sport, c'est rébarbatif Cela m'oblige
à faire des choses que je n'aime pas. J'aime
pas courir pendant une 1/2 heure par exemple...
Non, cela ne m'ennuie pas. Mais j'aime
pas.
Seuls les arts plastiques
échappent à cette logique, parce
qu'ils apparaissent chez François comme une
passion et comme une vocation. On observe alors le
pouvoir dissolvant de la passion sur l'ennui: peu
importe qu'il y ait des notes ou pas, peu importe
l'enseignant, le dessin semble être à
la fois un moyen d'exprimer son identité et
de la construire.
Le
dessin, c'est pas une matière, c'est ce que
je veux faire. Le dessin, j'en fais depuis que je
suis tout petit. C'est vraiment ce que je vous ai
dit, un moyen d'expression. Comme avant
j'étais très timide, je faisais du
dessin, je m'exprimais avec le dessin. Maintenant,
c'est plus avec des projets. Il y en a qui pensent
avec des mots, moi c'est avec le graphisme. Un
projet en dessin, c'est un travail complexe, c'est
une réflexion sur un thème
donné. Par exemple, le policier, le
fantastique. On le travaille, on cherche une
histoire. En ce moment, je travaille sur les «
quatre cavaliers de l'Apocalypse ».
En résumé, on
retrouve chez cet élève un
certain nombre de traits de la
première forme : la volonté
d'utiliser son temps à affirmer sa
personnalité, sa réticence
à adhérer au modèle
scolaire, vu comme un « moule »
broyant toute individualité, son
admiration pour les professeurs dont l'ego
arrive à lui en imposer, son
léger mépris pour les
autres, dont la vie lui semble terne et
peu excitante. François s'ennuiera
au lycée dès lors qu'il
n'arrivera pas à manipuler
l'institution pour qu'elle lui permette de
briller. Et en même temps, mais
peut-être est ce simplement le
revers de la médaille, l'ennui chez
lui peut masquer aussi ce qu'il ressent
comme des faiblesses : ses mauvaises
notes, ses manques, de logique,
d'aptitudes physiques par
exemple.
Julien, 17 ans, est en
première STT au lycée
Verlaine. C'est sa première
année dans cet
établissement, car en seconde il
était scolarisé dans un
autre lycée de la ville, où
il a connu, semble-t-il, des
problèmes liés à la
drogue. Élève moyen en
début d'année, ses notes ont
fortement chuté lors du
deuxième trimestre. Au moment de
l'entretien, il hésite entre
poursuivre une terminale ou arrêter
définitivement ses études,
ce qu'il finira par décider. Il
travaille le week-end comme disc-jockey
dans une discothèque, et il
aimerait vivre de cette passion. En cours,
il est « sage comme une image »,
mais il se ne mobilise en aucune
façon sur les contenus
enseignés, ce dont il est
pleinement conscient.
Je
ne dérange pas le cours mais je ne
m'investis pas.(...) [L'élève
idéal] C'est un élève
calme qui ne perturbe pas le cours.
Pour lui, l'institution n'attend des
élèves qu'un comportement
adapté : être attentif en cours, ce
qui signifie ne pas bavarder. Les apprentissages ne
tiennent aucune place dans son discours. Cela peut
expliquer que la relation au professeur soit le
seul critère qui sépare les cours
ennuyeux des cours intéressants. Un cours
ennuyeux est donné par un enseignant qui
sait pas « tenir sa classe », et qui
n'établit pas des contacts avec ses
élèves. La spontanéité
des échanges est mise en avant
Les
cours que je préfère c'est gestion et
com. La com, parce que l'on peut parler avec la
prof, elle nous comprend. Comparé au cours
d'économie droit par exemple... Cela
dépend du prof aussi. Ils n'apprennent pas
leurs cours quoi... Oui, ils devraient dire ce
qu'ils ont dans leurs têtes et non suivre sur
des fiches qu'ils ont préparées.
J'aime mieux les profs qui ont une certaine
expérience et qui n'ont pas besoin de fiches
pour construire leurs cours. Cela permet de pouvoir
parler avec les élèves.
L'idée même que le savoir
puisse être une construction
indépendante du professeur est absente de
son discours. Ce non investissement sur les savoirs
se retrouve quand il explique quel est le sens de
sa présence au lycée. Selon lui, le
passage au lycée devrait permettre à
chaque élève de décrocher un
travail par la suite, mais il estime que sur ce
thème-là, l'institution n'a rien
à lui apporter. Il estime aussi qu'on va
à l'école pour se faire des
amis.
Et
puis le lycée aussi, c'est là
où on rencontre les jeunes filles. II y a un
rôle aussi d'entrer dans la vie
sociale.
Deux raisons semblent le conduire
à rester au lycée : ses
investissements relationnels, comme on vient de le
voir, que ce soit auprès de certains
enseignants avec qui il aime bien parler, ou
auprès de ses camarades, et aussi la
contrainte qu'il sent s'exercer sur lui parce qu'il
est élève. Cette contrainte, il est
loin de la rejeter. Au contraire, il n'en a jamais
assez : il estime que le règlement
intérieur du lycée n'est pas assez
sévère, qu'il n'y a pas assez
d'heures de cours prévus à son emploi
du temps, pas assez de travail à la maison
(même s'il ne le montre pas aux professeurs,
parce qu'il ne travaille que « pour lui
»).
Oui,
par exemple à Renoir, au bout de 3 absences
non justifiées, c'est l'exclusion. Ici,
c'est plus lâche qu'à Renoir. On est
loin de la discipline du bon vieux
temps.
Ce discours pour l'instant plutôt
positif sur l'école ne doit pas cacher
cependant un certain ennui de l'élève
à l'égard de l'institution scolaire,
accusée de mal préparer les
élèves à s'insérer dans
la vie active, d'utiliser des styles
pédagogiques
démodés.
C'est
pour ça que je préfère les
matières technologiques industrielles, on
manipule plus. Et puis, cela correspond plus
à ma personnalité. J'ai plus un
profil « industriel » que «
tertiaire ». En tertiaire, on est loin de la
vie active, c'est moins concret.
Entre
un livre de 300 pages et un film, on est plus
attiré par un film, c'est moins ennuyeux. Et
puis, la télé, cela attire plus les
jeunes que les bouquins.
Le « concret » est un
thème phare pour Julien. Est « concret
» ce qui est directement utile soit dans la
vie personnelle, ou soit dans la vie active.
L'élève souligne l'absurdité
d'un savoir qui lui apparaît comme gratuit,
ne servant à rien. A la limite,
l'école ne sert à former que des
futurs enseignants, et à sélectionner
les bons et les mauvais élèves. Sous
l'ennui semble poindre un certain ressentiment
contre l'école, qui peut prendre la forme de
l'anticonformisme
Les
différences, c'est que moi j'ai une autre
vision de l'intelligence par rapport à la
vision que certains ont de l'intelligence. Pour
moi, l'intelligence, ce n'est pas suivre des cours
et les apprendre.
Julien souffre de l'image
d'élève en échec que le
lycée lui renvoie, et pour protéger
son narcissisme mis à mal, il cherche
à se présenter comme quelqu'un qui
est très différent des autres. Il
commence par relativiser la réussite
d'autrui. Il explique en effet que les
élèves brillants réussissent
parce qu'ils ont des parents attentifs au travail
scolaire de leurs enfants (lui-même vit chez
sa grand-mère). Il finira par admettre du
bout des lèvres qu'ils peuvent être
également doués, justification qu'il
abandonnera dès qu'il s'agira de comprendre
l'échec de certains élèves. Il
se sentira directement visé par la question,
et il essaiera alors de se montrer sous un meilleur
jour. Voilà comment il considère les
élèves ayant de mauvaises
notes
C'est
des gens qui pensent qui ont une ouverture vers la
société, et qui vont avoir un boulot
même s'ils ne travaillent pas. Ils ont
sûrs d'eux alors ils ne bossent
pas.
Face à cette mauvaise image que
lui renvoie l'école, Julien espère
tout de même se réinventer un avenir.
Il se présente alors comme un jeune qui sait
exactement ce qu'il veut, et pour qui
réussir sa vie ne passe pas par la
réussite scolaire.
De
toute façon, je sais le boulot que je veux
faire plus tard, et ma place, elle est
déjà faite... Voilà, quoi. Si
j 'arrête mes études, c'est pour
travailler. Pas pour ne rien faire.
Le cas de Julien nous enseigne
comment le décalage entre ses
aspirations et la spécialité
dans laquelle il est scolarisé
l'enferme dans un non-sens où les
différentes activités
scolaires prennent pour lui la forme de
tâches non finalisées, et
imprégnant peu la vie de cet
élève. L'ennui de Julien
semble venir du fait que les savoirs
enseignés ne font pas sens pour
lui, il n'en fait d'ailleurs à
peine mention lors de l'entretien,
préférant s'attarder sur les
relations qu'il peut avoir avec ses
professeurs. Non seulement les savoirs
scolaires ne sont pas désirables en
eux-mêmes, mais ils n'aident pas
à être autonome et adulte.
Ils doivent être appris et
assimilés, puisqu'ils donnent lieu
à une évaluation. Julien
rejette cette évaluation qui lui
renvoie une mauvaise image de
lui-même. L'ennui ici cache aussi
une certaine rancur vis-à-vis
d'une institution qui blesse ainsi son
amour-propre. .
Thibault, 15 ans, est en
seconde au lycée Bergson. Il a
choisi comme enseignement de
détermination les sciences
économiques et sociales.
Élève moyen voire
médiocre dans certaines
matières, il éprouve
quelques difficultés à
suivre le cours. Plutôt bavard, il
se fait rappeler à l'ordre
régulièrement par le
professeur. Il n'a toutefois encore jamais
redoublé lors de sa
scolarité. Thibault aime bien
être au lycée, parce que
c'est l'endroit où il retrouve ces
copains. Étant interne, il est
heureux d'avoir une vie relationnelle
assez riche. Il apprécie pour cela
d'être passé du
collège au lycée, qui lui
laisse plus d'autonomie et qui lui offre
plus de distractions
Là,
on a plus de libertés. Bon, je suis interne,
alors il y a des horaires à respecter, comme
tous les internes. Mais cela ne me dérange
pas. Il y a de la liberté, c'est bien... Il
y a des soirées
télé.
Évidemment, tout n'est pas
parfait, et même si dans l'ensemble Thibault
est content de son sort, les professeurs sont
sympathiques, il y a une bonne « ambiance
» dans la classe, il peut s'ennuyer parce que
ses journées sont trop longues ou mal
organisées.
Et
puis aussi quand on a cours le samedi matin...
C'est chiant. Pour deux heures de sport, ils
pourraient les mettre ailleurs quand même...
Tandis que là, je trouve que les cours sont
mal répartis. Le mardi on a trop d'heures de
maths, il faudrait les répartir sur les
autres jours. Il ne faudrait pas qu'on ait une
grosse journée comme le mardi par exemple,
où on finit à 18h et où on est
toujours en classe entière.
L'aspect relationnel est primordial pour
Thibault. Là encore, c'est souvent la
relation avec le professeur qui distingue un cours
« ennuyeux » d'un cours «
intéressant ».
Je
travaille, mais c'est pas une punition d'aller en
cours. Je travaille, mais je m'amuse aussi. Enfin
je m'amuse sans ... Je serais malheureux si on
n'avait que des cours particuliers... J'aime bien
la relation avec le prof aussi.
Il établit en outre une
distinction entre les vrais cours où il faut
être sérieux et ne pas parler, et les
autres, où l'on peut se
détendre.
Être
attentif et ne pas parler, enfin parler quand il
faut parler, quand le prof le veut, et puis
écouter et prendre des notes comme je l'ai
déjà dit.
L'espagnol,
j'adore, la prof, elle est trop bien... Le sport.
En sport, c'est cool, les profs ils sont cool. Ils
marquent les trucs au tableau, ils expliquent, et
puis voilà. Franchement en sport c'est
sympa... Oui, le sport c'est une détente.
C'est un cours mais cela permet de nous
détendre quand même. J'aimerais bien
avoir du sport le mardi par exemple ! Oui, je
considère cela comme de la
détente.
Le rapport au lycée n'est
pourtant pas entièrement positif. En classe,
Thibault doit faire face à deux types
d'épreuves : comprendre le cours, faire
bonne figure devant ses pairs. S'approprier
certains savoirs lui paraît ennuyeux, parce
que c'est difficile pour lui. Tel est le cas des
mathématiques
Bon
les maths, c'est pas super... Cela m'a toujours
ennuyé. Au début, 6 ème 5
ème, 4 ème, bon c'est facile donc les
maths cela me dérangeait pas. Mais
maintenant en seconde, c'est plus dur. Je me
débrouille mais j 'aime pas quand même
la matière.
La maîtrise de la matière
joue ainsi un rôle fondamental dans l'ennui
que cet élève peut ressentir. En
effet, voici ce qu'il répond quand on lui
demande ce qui est le plus ennuyeux en fait dans un
cours
Et
bien, c'est de ne pas comprendre ce que tout le
monde comprend. Le prof explique, tout le monde a
un peu près compris, et moi j 'ai rien
compris, et ça, ça m'énerve.
Et même si je redemande au prof qu'il
m'explique, je comprends toujours pas. En maths, je
demande à des copains de m'expliquer. C'est
pas pareil, c'est pas avec les mêmes
mots.
Dans cette optique, il peut convenir
qu'il est important de travailler toutes les
matières, parce qu'il n'y en a pas de plus
importantes que d'autres. Par contre, en pratique
il cesse de faire des efforts dès qu'il se
sent peu compétent dans la discipline en
question.
Mais
bon retenir le vocabulaire, j'ai pas envie de faire
l'effort pour ça, parce que c'est pas une
matière importante... Oui, mais il y a quand
même des matières où on n'a pas
envie de travailler. Pour moi, c'est la bio, car
j'ai jamais été bon, j'ai jamais
compris pourquoi on travaillait sur des trucs qui
font un millimètre dans le cerveau. Moi, je
pense, la bio, faut apprendre l'anatomie, les
muscles, les os, comment cela se passe et tout
ça, et pas pourquoi on a une molécule
qui est là et pas là.
Le recours aux camarades, l'avis des
copains, tout cela pèse
énormément dans la vie de Thibault.
Il n'est pas tant préoccupé de «
sauver la face» que de se bâtir une
« réputation », en l'occurrence
celle d'un joyeux boute-en-train, serviable et
sympathique.
Moi,
de toute façon, on m'a toujours dit que je
faisais rire les autres. Et c'est vrai, à
chaque fois que je peux sortir un truc, je le sors.
C'est pas une réputation, mais bon, quand on
arrive dans un lycée où personne ne
nous connaît, il faut se faire une
réputation, enfin montrer comment on est.
Moi, j'ai toujours été comme cela.
Car si on se renferme sur soi même, personne
ne nous connaîtra vraiment, notre
personnalité, personne ne nous fera
confiance. (...) Moi j 'ai jamais été
malheureux, à être enfermé dans
mon coin. J'aime rire, j'aime bien quand il y a de
l'ambiance, quand cela rigole, j'aime bien
l'ambiance quoi. J'ai jamais été
renfermé sur moi. Déjà quand
on est interne, on a des avantages pour se faire
des copains. Et puis on finit par connaître
tout le monde. Enfin cela dépend si on a
envie d'être tout seul ou pas. C'est pas
qu'il sera tout seul, mais il sera toujours avec
les mêmes copains. Moi, je pense que ceux qui
sont renfermés sur eux-mêmes, qui ne
s'amusent pas, ils viennent en cours, mais c'est
vraiment pour travailler, c'est que du
travail.
Une sorte d'équivalence
s'installe en fait dans l'esprit de Thibault : pour
avoir des copains, il faut se bâtir une
réputation, sinon on est malheureux parce
qu'on est solitaire, et le cours n'est plus aussi
l'occasion d'entretenir sa vie sociale, mais juste
un moment pour travailler.
Ce phénomène d'image de
soi est si prégnant chez Thibault qu'il s'en
sert aussi pour expliquer la réussite des
élèves brillants
C'est
dû... Ils veulent se faire remarquer moi je
pense. Par la classe, par le prof... Oui, ils
veulent se, faire remarquer.
En définitive,
Thibault aime bien vivre au
lycée, apprécie de faire
rire la classe, d'établir des
relations avec certains de ses
professeurs, de pratiquer les disciplines
dans lesquelles il excelle, le sport par
exemple. Mais même si en classe, il
semble beaucoup s'amuser, cet entrain
cache fréquemment un ennui certain,
ennui qu'il attribue à ses
difficultés d'apprentissage. Cet
ennui est difficilement décelable
pour un observateur non averti, parce que
l'obligation de « sauver la face
» le conduit à minimiser ce
qu'il perçoit comme une faiblesse,
et au contraire à en rajouter dans
le sens du panache et de
l'exubérance.
A la lecture de ces expériences
singulières, on peut penser que les cinq
formes précédemment
identifiées sont probablement liées
entre elles. Ainsi, une trop grande crispation sur
l'expression de son moi (l ère forme) rend
plus perméable aux blessures d'amour propre
(2 ème forme). C'est du moins ce que nous
constatons chez François. De la même
façon, quand les savoirs ne font pas sens (4
ème forme), alors peut-être attend on
davantage du lycée en termes d'animation et
de divertissement (3 ème forme). Tel semble
être le cas de Thibault.
Cette première approche de l'ennui
scolaire, que ce soit d'un point de vue
macrosociologique ou microsociologique, restait
dans la lignée de la conception
traditionnelle de l'ennui, défini comme un
manque de motivation. Cette définition de
l'ennui est-elle suffisante pour comprendre ce
phénomène ? Rien n'est moins
sûr. En effet, lors de l'analyse des
questionnaires issus de la consultation nationale,
nous avions remarqué qu'un certain nombre de
lycéens semblaient en décalage par
rapport aux attentes de l'institution. Quels liens
peut-on établir entre le décalage
observé et l'ennui ? De quel type de
décalage peut-il s'agir ?
Pour vérifier qu'un tel
décalage existe, nous avons
identifié, pour chaque catégorie (le
cours, le prof, le lycée, et
l'élève), les représentations
des élèves et des enseignants. Ce
travail nous a permis de déterminer les
représentations communes et les
représentations non partagées. Nous
commencerons toutes nos présentations par le
point de vue des élèves, puis par
celui des enseignants, et nous terminerons en
comparant ces deux types de
représentations. < <Je pense qu'il
y a un hyper-actif dans le groupe, que le
deuxième est un surdoué et que le
troisième devrait faire un apprentissage. A
part ça l'article que vous présentez
est très bon Jacques et c'est vrai qu'on est
malléable à cet âge et que rien
n'est facile dans la vie. Difficile pour les jeunes
... et les vieux en ce moment ! >> << je sais
pas comment vous remercier pour les efforts que
vous deployez. je suis orienteur egyptien de
francais grace a vous je peux bien observer la
classe>> <<Vraiment
très intéressant... Je n'avais
perçu que quelques raisons pour lesquelles
un élève pouvait s'ennuyer : manque
d'interactions, d'échanges, des cours trop
lents ou/et qui ne font pas sens, et enfin le plus
commun, le manque de motivation...Ce sont des
études comme celle-là qui nous
permettent de nous interroger sur nos pratiques
pédagogiques et de les repenser...Vraiment
merci! >> <<L'ennui...
On ne s'ennuie pas qu'à l'école,
même si elle est un lieu
privilégié pour le cultiver. On doit
pouvoir découvrir, pour l'ennui, beaucoup de
causes et des sens différents selon le sujet
et le contexte dans lequel il nait. En voici deux
qui semblent en tous cas articulés entre
eux. L'ennui, dit quelqu'un, c'est cet état
intérieur qui apparaît chez quelqu'un
quand son objectif ou son but ont été
atteints, quand son projet a abouti (ainsi, par
exemple, quand la réunion à laquelle
je participe a répondu à mes
questions et mes attentes et que l'on continue
à discuter à vide, je m'ennuie). En
prendre conscience, savoir si l'on se plait
à s'y complaire (le spleen peut être
source de jouissance), classer l'ennui
éprouvé sur une échelle
(allant de petit ennui de rien du tout à je
m'emm... royalement), rechercher ce qui est
important pour soi, le critère, la valeur
qui ne sont pas satisfaits et dont l'insatisfaction
déclenche cet ennui, se poser la question :
"Quel signal, quel message me communique cet
état intérieur ?" (ce peut être
par exemple : "il est temps de passer à
autre chose..." ou "...tu perds ton temps
là,..."), sont les axes sur lesquels
travailler pour "gérer" ce sentiment. Comme
beaucoup d'autres états intérieurs,
d'ailleurs. L'ennui, dit l'autre, c'est l'absence
de désir. Surtout de ce désir qui se
manifeste à l'insu du sujet, qui le pousse
dans tel ou tel sens, le soubassement donc de toute
vie, psychique au moins. Chronique ou
développé à un niveau
pathologique ce peut être l'antichambre d'une
dépression qui se construit, ou le
symptôme d'une dépression
cachée. A surveiller donc de près. Le
poëte peut en faire son profit et y trouver un
moteur de créativité. S'ennuie-t-il
à ce moment ? >> <<Il aurait
été intéressant que votre
travail contienne des études de cas sur les
filles aussi. Je pense que le rapport à
lennui aurait sans doute été
très différent. Si on regarde les
recherches anglo-saxonnes faites sur la
différence filles-garçons le
côté utile dune matière a
plus dimportance pour les garçons
alors que pour les filles
lintérêt que suscite la
matière est plus important, Il aurait donc
été intéressant de voir la
conception des filles sur
lennui.>> <<je vous
félicite pour la qualité de votre
travail combien original. Courage>>
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