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Approche microsociologique de l'ennui scolaire

 

 Thèse de Stéphanie LELOUP

 

             Sans prétendre à l'exhaustivité, les différentes formes d'ennui que nous proposons se veulent avant tout éclairage sur le concept. Il nous est impossible de préciser le poids de chacune des catégories que nous allons identifier. En effet, elles correspondent à des idéaux-types, qui n'apparaissent jamais aussi nettement chez les individus. De plus, tous les élèves connaissent, à des degrés divers, les différents types d'ennuis que nous allons présenter. C'est pourquoi, après avoir exposé les différents idéaux-types, nous décrirons l'expérience d'élèves en particulier.

 

Il semblerait qu'il existe bien des façons de s'ennuyer au lycée.

L'analyse des entretiens permet cependant d'identifier les cinq figures suivantes.

 

1 ère forme - L'affirmation de soi ou l'ennui narcissique

             Cette forme spécifie l'expérience d'élèves qui estiment que pour s'intégrer au lycée, il leur faut réprimer en eux quelque chose qu'ils ressentent comme étant tout simplement leur « vraie » personnalité. Comme ils ne peuvent s'y résoudre, leur expérience au lycée est marquée par l'ennui, mais qui est en fait le signe de la résistance de l'élève à adhérer au modèle proposé par l'école. C'est pourquoi, à chaque fois que le choix se présente entre un investissement sur le lycée, ou un investissement sur sa vie privée, la deuxième option est bien souvent privilégiée.

             Enfin, il y des raisons affectives. Je suis déjà avec mon copain depuis un an, cette année, il va, finir ces études, je voudrais vivre avec, et le rejoindre le plus vite possible. Poursuivre après le bac... Cela serait du gâchis. Je pourrais y arriver mais je pourrais aussi ne pas y arriver. Je voudrais déjà servir à quelque chose pour la société. (Élève 3)

             Il ne s'agit pas ici d'une résistance violente à la culture de l'école : ces jeunes accordent du sens à ce qui leur est enseigné. Ils peuvent même manifester un intérêt intrinsèque pour certaines matières, à condition que celles-ci s'accordent avec leurs propres préoccupations. Le tri entre les matières se fait alors selon les goûts et les dégoûts.

             Une matière intéressante touchera à un de mes centres d'intérêt. Je sais à l'avance si une matière va m'intéresser ou non... Dans ma scolarité, il y a toujours eu une distinction entre les matières qui m'intéressent et celles qui ne m'intéressent pas. (Élève 9)

             Ces élèves ne sont pas « en guerre » contre l'institution. Si opposition il y a, elle se manifeste plutôt par de la subversion. Il s'agit d'en faire le minimum pour réaliser ses buts (la moyenne dans une matière par exemple), et par ailleurs utiliser le lycée pour atteindre ses propres objectifs. Après tout, selon eux, le lycée gêne leur épanouissement personnel il n'offre pas assez de libertés, de possibilités de prendre des responsabilités... Il faut bien qu'il propose des compensations.

             Cette situation fait que, curieusement, ces élèves peuvent être très impliqués dans la vie du lycée, parce que les divers clubs, associations leur permettent de satisfaire des besoins que la vie en classe ne remplit pas.

             Et puis là-bas, j'aimais bien, je faisais beaucoup de choses et je connaissais tout le monde. J'étais responsable de clubs, équipier sur le bateau qui était rattaché au lycée, une année président du FSE. Je me suis trop investi avant, je pense, je me suis fait un peu débordé. Maintenant, je donne la priorité à la vie scolaire, j'évite de trop me crever sur des activités extra-scolaires. Avant, si j'étais trop crevé parce que j'avais passé la nuit à travailler sur un reportage vidéo, et que je ne suivais en cours et que je dormais, je m'en foutais. Ma première première, je ne l'estime pas l'avoir perdue. Mais mes parents, eux, ils n'ont pas le même avis. (Élève 9)

             Ces adolescents résistent, mais ils restent dans le système scolaire, du moins le temps nécessaire à l'atteinte de leur objectif: ils peuvent sécher les cours qu'ils n'aiment pas, à condition que cela ne nuise pas à leur « carrière » scolaire. Ils peuvent faire leur « métier d'élève » correctement, mais ils le conçoivent comme un sacrifice, qui doit être compensé par autre chose : de bons résultats scolaires, l'évitement d'une sanction... A ce propos, on peut parler de « culture de la réticence ». C'est la culture « par laquelle on relativise, sans la contredire frontalement, l'emprise du lycée sur soi et sur ses rapports à autrui. » [Bautier, Rochex, 1992, p. 75]. Les élèves ne s'opposent pas irrémédiablement à l'institution scolaire, mais opèrent une dissociation entre l'élève qu'ils sont obligés d'être, et l'individu dont ils désirent préserver l'autonomie. Pour ce faire, ils n'adhèrent que le moins possible aux normes qui régissent l'univers scolaire : « à cette non-adhésion et à ce non-engagement fait contrepoids l'affirmation de l'authenticité de la vie et de la socialité juvéniles. » [Bautier, Rochex, 1992, p. 75] Le travail est alors dosé au plus juste, et si on peut l'éviter, et recourir par exemple à la triche, peu importe du moment que le résultat est atteint.

             Moi, la mauvaise conscience, je m'en fous pas mal. Tous les moyens sont bons pour avoir de bonnes notes. (élève 7)

             Ce sont souvent des élèves qui déclarent s'être toujours ennuyés à l'école. Ils ressentent intensément son aspect contraignant. Ceci dit, ils restent très sensibles au contact que les adultes peuvent avoir avec eux.

             Je m'ennuie... D'abord, je me suis toujours ennuyé même au collège. (Élève 1)

             Je crois que les seules fois où je me suis mis à bosser vraiment à fond, c'est parce que j'avais déçu le professeur. C'est les seuls cas où je bosse à fond. (Élève 9)

             Le temps de la vie hors du lycée est prépondérant, le temps scolaire, lui, est un peu considéré comme du temps « perdu ». Le temps libre est perçu comme celui de la réalisation de soi, de l'autonomie et de l'authenticité. Ces élèves insistent ici sur l'opposition entre le temps scolaire, vécu comme une contrainte, mais une contrainte nécessaire, et le temps extra-scolaires, vécu comme celui de la vie sociofamiliale, qui invite à d'autres investissements, dans le domaine des loisirs principalement. La coupure entre la maison et le lycée est nette. Il est alors difficile de travailler chez soi

             A la maison j'ai un peu de mal à apprendre. C'est dur de s'y mettre. Quand on arrive à la maison, on a déjà bien travaillé, quand on va à l'école, c'est que pour travailler, et quand on arrive chez nous, c'est pour se détendre et tout, et donc, après quand il faut s'y remettre, c'est un peu ennuyeux. (élève 4)

Déjà, je consacre beaucoup trop de temps à mes loisirs. Je sais très bien que mes devoirs, mes exercices, je les bâcle... (élève 17)

             Dans cette optique, l'élève « idéal » pour les professeurs, selon ces élèves, est considéré comme quelqu'un qui « gâche » sa vie à travailler, et qui ne profite pas de sa jeunesse. L'image stéréotypée est la suivante : l'élève « idéal » est un intellectuel, toujours en train de lire, et il ne sort pas ou peu avec des amis. Le fait de « trop » travailler, de viser au-delà de la moyenne ou du passage dans la classe supérieure, est considéré sans intérêt s'il implique un investissement personnel, investissement que l'élève préfère réserver pour sa vie sociale. Cette façon de penser est souvent présentée comme « naturelle », c'est-à-dire comme inhérente à la jeunesse et à l'adolescence.

             Bon, je pense c'est bien, ils le méritent, et en même temps, la plupart des gens qui travaillent, ils n'ont aucune vie. Moi, je vois, j'ai deux vies : je vais au lycée, et en même temps je fais mes loisirs, et je m'en sors. Moi, je me suis toujours contenté de la moyenne, j'ai jamais fait plus. Cela sert à rien, regardez : vous pouvez être premier dans une matière, sur votre CV, cela ne sera pas marqué... Si on vous oblige ou si on a envie de travailler, on va travailler. Mais je ne saurais pas trop vous expliquer pourquoi je n'avais pas envie de travailler. C'est quand on est jeune, quoi. On ne réfléchit pas trop, quoi. (élève 18)

             Plus généralement, le comportement en cours de ces jeunes est souvent déviant par rapport aux attentes de l'institution, mais encore une fois il est souvent présenté comme « naturel » : par exemple, ils sont bavards parce que c'est « dans leur tempérament ». Le tempérament, la personnalité jouent un rôle important dans leur argumentation.

Il y a donc ennui parce que l'institution scolaire fait obstacle à l'expression du moi.

 

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2 ème forme - La protection de soi.

             A l'inverse de la forme précédente, les élèves ne cherchent pas ici à faire coïncider les exigences du lycée à leurs besoins. Au contraire, ils veulent s'adapter à l'institution scolaire, et aux épreuves qu'elle leur présente : la sanction de leur travail par une note, la nécessité d'établir des relations avec les autres en particulier. L'ennui est une façon ici de protéger son narcissisme : il est plus facile de prétendre que l'on s'ennuie dans une discipline où l'on obtient de mauvaises notes.

             Je suis arrivée en section européenne, mais cela ne m'a pas plu. Déjà, en histoire, la prof elle parlait en anglais, et il fallait prendre des notes. Quand je ne comprends pas, cela m'énerve alors je laisse tomber, alors les notes je ne les prenais pas. En anglais, on parlait de l'école britannique... C'était pas bien quoi. Je ne m'attendais pas du tout à cela. (Élève 5)

             De même, on a vu comment la participation en classe était considérée par les enseignants comme un signe de la motivation de l'élève. A contrario, un élève qui ne dit rien est souvent suspecté d'être plongé dans ses pensées et donc de s'ennuyer. Pour certains élèves, la participation est fonction de l'intérêt pour la discipline, mais cet intérêt dépend lui-même de la maîtrise de ladite discipline. En effet, en intervenant oralement en classe, l'élève s'expose au regard d'autrui, qui peut ainsi juger la pertinence de ses questions et de ses remarques.

             oui, je suis assez sérieuse, mais la participation... C'est selon les matières, selon que cela m'intéresse ou pas. Et surtout selon si je sais répondre ou pas : en fait, je participe dans les matières où je suis bonne, où je sais que je vais pouvoir répondre sans trop me tromper. Si on prend l'exemple de l'anglais, on ne m'entend pas souvent, parce que je ne connais pas grand chose en anglais. Si j 'étais bonne, je participerai sans doute davantage. (Élève 14)

             Par ailleurs, il est aussi plus aisé de décréter ses camarades ennuyeux parce qu'on n'a pas su s'intégrer à la classe. Autant le premier groupe d'élèves étudiés plus haut étaient tournés vers eux-mêmes, vers l'affirmation de leur ego, autant ces jeunes sont soucieux de se faire accepter par leurs camarades. Le regard des pairs sur eux est très important.

           Il y a du chahut ? Le cours est intéressant, mais c'est dans leur tête, ils ( Les autres élèves de la classe) y peuvent rien eux-mêmes... Non, c'est les élèves. Ils n'ont pas envie d'apprendre et ils n'apprendront pas. Point. Et ils feront tout pour embêter les autres (..) On m'a toujours dit que j'étais très sociable. Je suis la préférée de toute ma famille. En fait tout le monde m'aime, à part eux. (Toujours les autres élèves de la classe) Je ne sais pas pourquoi. De toute façon, je ne veux pas de leur sympathie car sinon je deviendrai comme eux. Pourtant, j'essaie toujours de sympathiser: a si tu ne peux en faire ton ennemi, fais en ton ami ». C'est ce que je me dis toujours. Je me force à les aimer même si je ne les aime pas. (élève 3)

             Cette forme couvre aussi l'expérience d'élèves qui déclarent dans un premier temps s'ennuyer dans une matière, mais on découvre en fait que lors du cours en question, ils éprouvent plus souvent de l'angoisse face au jugement de leurs pairs, que de l'ennui.

 

             L'ennui leur paraît simplement un affect plus avouable. Ces élèves sont les premiers à rejeter toute forme d'évaluation, dès qu'elle risque d'être en leur défaveur. C'est souvent l'EPS qui est concerné, parce que les performances de chacun y sont plus visibles. Il y a aussi dans cette discipline un accent qui est mis sur le corps, ce qui peut troubler certains adolescents.

             Mais je ne sèche, en général, que les cours que je n'aime pas. Le sport par exemple ... Je déteste le sport, je suis nul en sport, le sport, c'est rébarbatif. Cela m'oblige à faire des choses que je n'aime pas. J'aime pas courir pendant une 1/2 heure par exemple... Non, cela ne m'ennuie pas. Mais j'aime pas. (Élève 7)

             Le sport... J'aime bien le sport, mais je ne sais pas pourquoi quand je suis avec la classe, je ne suis pas trop motivée. Comme je suis complexée et tout, j'aime pas trop. Chez moi, j'aime bien faire des abdos, courir, danser surtout, parce qu'avant j'en faisais. Enfin, j'adore le sport parce que c'est bien pour maigrir et tout. Mais, vu que je suis complexée, quand on arrive en sport, et qu'on est en T-shirt, enfin des trucs un peu... et puis j'aime pas quand je me mets à courir... Comme je suis complexée, j'arrive à rien faire... Quand je vais en cours, je m'assois et puis après j'enlève mon manteau, parce que j'aime pas enlever mon manteau, parce qu'en fait je n'aime pas mes formes... (élève 4)

             Ces élèves sont particulièrement sensibles à l'influence de leurs camarades : s'ils constatent que la classe s'ennuie dans un cours, ils adapteront leur comportement en conséquence et montreront ainsi qu'ils appartiennent bien au groupe classe. Ce sont rarement des « leaders », mais ils subissent pleinement l'effet du groupe.

             Des fois quand je vois l'ambiance de la classe, je n'ai pas envie de travailler. J'ai envie d'être comme eux, parce qu'ils sont peinards dans la vie. Ils rigolent et tout. Alors que moi... Je suis timide alors je parle avec presque personne, je suis toujours dans mon coin. (Élève 4)

             Le regard des autres est omniprésent dans le discours de ces élèves. Il y a donc ennui parce que dans l'enceinte de l'institution scolaire, les professeurs et leurs camarades peuvent les juger.

 

 

3 ème forme - « Bienvenue à Ennuiland » ou l'ennui - manque de divertissement

             Cette forme se caractérise par le regret qu'ont certains élèves de constater que le lycée ne ressemble en rien à un pare d'attractions. Ils estiment que les distractions sont au contraire plutôt rares, ce qui entraîne alors leur ennui

             En fait, on a pas de loisirs. On devrait, je sais pas, pendant les heures de perm, avoir des trucs à faire, je ne sais pas, des petits jeux, des conneries quoi, un baby-foot. (Élève 1) Oui, il faudrait un endroit où il y aurait de la musique, où on pourrait mettre de la musique, des fauteuils et tout... Où on pourrait se voir, quoi. Parce que là, on a seulement les salles de perm... Oui, un endroit pour se retrouver entre élèves, pas seulement pour travailler comme le CDI. Un endroit pour se détendre... (élève 5)

             Dans la même optique, ces élèves cherchent à aménager au mieux leurs conditions de travail: les bâtiments scolaires et l'emploi du temps principalement. Comme dans la première forme, il y a une aspiration d'adapter le lycée à leurs désirs, mais ici il n'y pas d'enjeu primordial, ce n'est pas leur propre personnalité qui est en cause. Simplement, il faudrait par exemple aménager les horaires, pour ne pas qu'ils arrivent trop fatigués en physique après deux heures de sport, ou repeindre le lycée, parce que le gris, c'est un peu triste. Leurs justifications ne sont pas toujours aussi recevables, du moins pour l'administration. Car ces élèves se soucient essentiellement de leur confort.

             Samedi matin, on ne devrait pas avoir cours, car un week-end, c'est fait pour en profiter. (Élève 17)

             Ces élèves ne cherchent pas non plus de responsabilités. Ils s'investissent donc rarement dans la vie scolaire. Ils se conduisent un peu comme des enfants, qu'il faut occuper et amuser, sinon ils s'ennuient. Pour eux, les autres, en particulier l'institution et les professeurs, sont entièrement responsables de leur ennui. Pourtant, l'expérience scolaire de ces élèves n'est en rien catastrophique. Cependant, elle pourrait être meilleure : les enseignants ne sont pas en général trop ennuyeux, mais évidemment il y a toujours des cas particuliers qui manquent d'enthousiasme pour leur métier, ou qui manquent d'autorité. On ne sent pas ces jeunes contestataires. Ils demandent certes des ajustements de l'institution, mais ils ne la remettent pas en cause. En définitive, il paraît assez facile de faire disparaître leur ennui. Il suffit de leur trouver une activité qui les occupent, même si cette activité ne revêt pas une signification particulière pour eux. Il n'y a chez eux aucun rapport de distanciation: la recherche d'une motivation, d'un intérêt ne s'accomplit pas par un effort sur soi-même, mais par un engagement dans l'action, quelle qu'elle soit.

             Du fait que je suis nerveuse, il faut toujours que je fasse quelque chose, parce que dès que je fais rien, je m'ennuie, et j'aime pas ça, et c'est ce qui fait que je suis quand même bavarde... Et puis, je ne peux pas dire que je m'ennuie en cours, puisque je fais toujours quelque chose. Et tant que je fais quelque chose, je m'ennuie pas. Mais il suffit que je passe 10 minutes à rien faire pour m'ennuyer... (élève 17)

             Ces jeunes donnent l'impression que dès qu'un vide s'installe, ils s'ennuient, et dès qu'ils s'ennuient, ils ne peuvent rien faire d'autre que de poser des problèmes à leurs enseignants. Il s'agira alors de les occuper un peu comme on occupe un pays. Pour eux, il y a ennui parce qu'au lycée, on ne s'amuse pas assez.

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4 ème forme - La lycémie ou quand le sens vient à manquer

             D'après l'expression citée par M. Coutty 1981, p. 81. Lycémie : « cancer pernicieux qui ronge le désir d'apprendre ».

             Cette forme spécifie l'expérience d'élèves qui font état d'un « manque de motivation » difficilement explicable, même pour eux-mêmes, et qui recherchent désespérément une motivation à laquelle se cramponner

             En ce moment, je vais vous l'avouer, je ne le fais pas du tout, parce que je n'arrive pas à retrouver une motivation depuis que je suis rentré des vacances. Jusqu'à présent, j'avais réussi à me raccrocher à 2 3 motivations qui me faisaient rester dedans, mais mes motivations c'est les vacances, alors ce n'est pas des motivations de travail. (Élève 21)

             La principale caractéristique de cette forme est la distance que prennent les élèves concernés avec le lycée et plus particulièrement avec les savoirs. Ceux-ci ne font pas sens pour eux, ni dans leur vie personnelle, ni pour leur future vie professionnelle, d'ailleurs ils ne comptent pas sur le lycée pour « s'en sortir ».

             Et moi je sais exactement ce que je veux faire, et comment je vais le faire et je vais y arriver, même si cela ne passe pas par l'école. (élève 11)

             S'il y a rejet du lycée comme lieu d'apprentissage, le comportement n'est pas forcément déviant : tout dépend en fait de la relation avec les professeurs et les camarades qui devient alors prépondérante. Si l'élève ne trouve pas du sens dans les attentes de l'institution scolaire, il peut tout de même trouver sympathique de se rendre au lycée, pour y voir ses copains, entretenir sa vie sociale. Ainsi, B. Charlot, E. Bautier et J.Y. Rochex [1992] rappellent qu'il faut faire attention à ne pas confondre les élèves qui disent « aimer l'école », ou plutôt « aimer être à l'école », et ceux qui aiment réellement les apprentissages. Cependant, ce type d'investissement n'est pas toujours suffisant, parce que ces adolescents se sentent tout de même marginalisés. Ces élèves peuvent alors devenir des « décrocheurs » et abandonner leurs études.

             Et le 3 ème trimestre, je savais que j'allais redoubler alors j'ai plus rien fait, et je me suis ennuyé. Mais tous les autres ils bossaient alors moi je me retrouvais en cours, je les regardais ils grattaient tous, et je me faisais un morpion tout seul. C'était plus la peine, quoi. Je faisais chier, alors. A la fin, je ne venais plus du tout en cours. (Élève 1)

             Par ailleurs, ces jeunes peuvent être particulièrement sensibles au thème de la discipline scolaire, comme si la contrainte extérieure pouvait relayer un désir de savoir qu'ils n'ont pas (ou plus). Ce n'est pas vraiment le lycée en lui-même qui est l'objet de dégoût, mais c'est le cours lui-même qui apparaît comme une épreuve. Ils insistent particulièrement sur les contraintes corporelles, comme rester assis et écrire, et relationnelles (ne pas parler).

             Je sais pas, en fait je m'ennuie un peu. Passer des journées entières assis à écrire et à écouter un prof, cela ne m'a jamais attiré. D'un autre côté, j'admets que si on ne fait pas ça, après, on ne peut rien faire dans la vie. Si c'est pour rester chez soi, et ne savoir rien faire, c'est pas intéressant non plus de vivre à ce moment-là. Le fait d'aller à l'école, c'est normal d'y venir, mais après, à chacun ses goûts. (élève 6)

             Là, ce n'est pas la vie privée qui est opposée à la vie scolaire, c'est la vie active. La vie professionnelle se situe dans l'ordre du « bien », parce c'est là où on peut être adulte et autonome. La formation qu'on y dispense est jugée « pratique » ; elle est d'utilité directe, car elle apporte une aide immédiate. Au regard de cette formation, la formation scolaire ne peut être que disqualifiée.

             J'ai fait un stage en BEP, et c'est vrai que c'est bien, on apprend plein de choses, mais le problème, c'est qu'après on a plus envie de travailler en cours. En cours, on donne les bases, c'est tout. C'est juste une approche. En entreprise, on est obligé de se lancer. (Élève 18)

             Dans ce groupe d'élèves, on rencontre le plus souvent des jeunes en échec scolaire plus ou moins généralisé, car souvent certains ne font même pas le minimum du travail demandé. Il y a donc ennui parce que, au lycée, ces jeunes n'accordent que peu de sens aux savoirs enseignés.

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5 ème forme - L'ennui: un problème de temps

             Cette forme se manifeste chez les élèves qui dénoncent certaines lacunes de l'institution ou des professeurs : le rythme des cours est trop lent, ils ont l'impression de stagner dans la matière, de ne pas progresser.

             Aussi dans certaines matières, on pourrait faire le même programme en moins de temps. Alors des fois j'ai l'impression qu'on perd du temps. En techno, par exemple, le régime pourrait être plus élevé. (Élève 9)

Il met une 1/2 heure pour corriger un exercice qu'on a mis 5 minutes à faire alors ça... Il part trop dans les détails, cela ne va pas assez vite. Avec le prof de maths, on fait des exercices, la réponse c'est ça, tandis que l'autre, la réponse c'est ça, mais il va développer autour, alors qu'il n'y a pas besoin de développement, tout le monde a compris. (élève 14)

             Cette catégorie prend la forme d'une critique marquée tant à l'égard des contenus scolaires que vis-à-vis des enseignants. A l'inverse de la troisième catégorie d'élèves, il ne suffit pas de leur proposer n'importe quelle tâche à effectuer pour qu'ils ne s'ennuient plus, il faut encore que cette tâche ait du sens.

             On pourrait ranger dans ce groupe les élèves pour qui le savoir enseigné au lycée ne représente pas un défi intellectuel. Au contraire, ce qu'ils doivent apprendre n'est pas assez difficile, ce qui les conduit à développer un sentiment d'ennui.

             Les profs qui ont pas envie de s'embêter, qui ont 20 ans d'ancienneté derrière eux, ils ne se fatiguent pas ils font un cours magistral. (élève 1)

             Je pense que j'ai le niveau d'une première générale et là ce qu'on fait c'est trop simple pour moi. C'est de là que découle l'impression que je donne aux profs, que je ne suis pas. (élève 1)

             Ce sont des élèves qui n'ont, en général, qu'un faible intérêt pour une partie des activités qui leur sont proposées, parce qu'elles portent sur des compétences ou des connaissances qu'ils ont déjà acquises et, donc elles ne répondent pas à leur besoin d'apprentissage. Ils ne trouvent pas en classe les réponses aux questions qu'ils posent, les connaissances qu'ils attendent sur les sujets qui les intéressent.

             Sinon, l'histoire j'aime bien, mais c'est aussi parce que ma mère était prof d'histoire. Des fois aussi, cela ne m'intéresse pas trop, parce que quand on fait un cours, ma mère, des fois, je lui dis mon cours, et elle, elle me raconte le cours d'après sans le vouloir, et moi je me dis a c'est bien, mais maman me l'a déjà dit. (élève 23)

             Pourtant, ils peuvent manifester une certaine curiosité pour le savoir, et en particulier aimer réfléchir, découvrir par eux-mêmes les connaissances qu'on cherche à leur transmettre.

En fait, on fait le cours avant, et ensuite, on fait des exos. Alors que moi, je trouve que c'est mieux de faire des exos pour amener la notion, plutôt que de donner la notion directement. (élève 23)

             Il y a donc ennui parce que ces élèves vivent sur un rythme plus rapide que celui prévu par l'institution scolaire.

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Réactions

<<vous oubliez un domaine de l’ennui La douance>>

<< L’ennui, l’ennemi numéro 1 au lycée.>>

<<Visiblement ce panorama des façons de s'ennuyer au lycée (je plaisante: des causes de l'ennui) intéresse les lycéens. J'ai l'impression, en tant qu'enseignant, qu'il y manque un personnage: l'élève en difficulté. Lui aussi s'ennuie! Et maintenant le scoop: les profs aussi s'ennuient. Ce qui bien sûr ne les rend pas passionnants... D'après mon expérience, cela vient de la routine, enseigner la même matière indéfiniment, c'est pesant, voir les générations d'élèves se succéder c'est pesant aussi, on atteint à un moment ou à un autre son optimum d'efficacité professionnelle, et voilà pourquoi tant d'enseignants ont des vies para-professionnelles aussi actives (associations, syndicats, hobbies...). Certains choisissent la stratégie inverse, ils se donnent bien plus de travail qu'il n'est nécessaire, le grand chic étant ensuite de s'en plaindre et de se répandre en propos douloureux sur les "gens du privé incapables de reconnaître que nous avons bien besoin de nos vacances". Personnellement, je pense que la lassitude professionnelle explique bien mieux cet ennui que les facteurs habituellement dénoncés, comme le fameux niveau des élèves, etc.>>

<< L'ennui au lycée?Je crois qu'il arrive à tout le monde au moins une fois dans sa vie de s'ennuyer au bahut. Pourquoi? je pense qu'il n'y a pas de véritable raison. Peut-être que le cycle que l'on suit scolairement ne nous ais pas adapté. Au collège il est vrai que certains professeurs se sont faits plus marquants(positivement)que d'autres. On sentait cette passion pour leur matière et tout de suite on avait plus d'attetion dans leur cours. Je pense enfin que l'ennui est une forme de rempart pour les jeunes qui ont du mal à s'adapter aux rythme de leur classe. Il est plus facile pour eux de dire qu'ils s'ennuient dans une matière que d'avouer leur faiblesse. Mais attention je ne généralise pas tout quand même. Je vais passer en 1ère S où l'ennui je pense n'aura pas sa place!>>

<<Très bonne conclusion>>

<<L'ennui, un problème récurant... Je me suis toujours ennuyée en cours mais encore plus pendant cette année de terminale. Le bac arrive et aucune motivation n'apparaît à l'horizon. Sécher les cours, c'est devenu presque quotidien. Convocations, avertissements... Les notes sont bonnes, ma moyenne est la meilleure de la classe alors pourquoi cet acharnement ? Les cours me font l'effet d'un somnifère, je n'ais jamais autant dormis. Voila pour le témoignage, quand à l'explication.... Elle reste dans les méandres de mon cerveau. Thèmes inintéressant, bourrage de crâne mais surtout filière trop vagues. Cela dépend peut être de l'évolution de chacun. Certains restent incertains quant à leur vie futur, l'école c'est bien, ils prennent le temps de choisir. Les autres, surs d'eux ou presque n'attendent que la sortie de cette cage pour émerger dans le monde de l'emploi. Deux catégorie parmis tant d'autres... Bref l'ennui, c'est déprimant>>

 

<<Jesuis maman d'une jeune de 15 ans et votre classification fine des types d'ennui m'a beaucoup interessée car ça donne du sens à quelque chose que l'on comprend mal, à savoir une certaine souffrance des ados au collège ou au lycée. Si je devais reconnaitre ma fille dans les descriptions je crois que ça serait dans la protection de soi. J'aimerais l'aider en adoptant une position juste ... je cherche le mode d'emploi...pas facile! Merci pour votre travail passionnant que beaucoup de profs devraient lire avant de juger leurs élèves!!!>>

<<L'ennui... moui, il est dû à beaucoup de choses : le désinterêt, les profs qui "ne savent pas y faire", qui prennent 15 ans à faire taire le monde et 38 siècles à corriger un exercices qu'on a déjà vu l'an passé... Les motivations qui manquent aussi, le peu de temps passé chez soi, le "trop de temps" à ne rien faire assis sur une chaise à attendre que les autres aient compris, le débit monotone du cours qui pourrait être passionnant s'il était plus dynamique... Aussi le manque de trucs à faire en clubs après les cours, si on a pas de passion pour se soutenir, pour se motiver, ne serais-ce qu'en dehors des cours, c'est déjà assomant, donc bon.. Aussi certains profs ne savent pas choisir ce qui va interresser les élèves, en français par exemple : moi je lis énormément, en ce moment j'ai mêem trois livres en cours, mais en français on nous demande de lire des livres dépassés, ininterressnts, avec un style lourd...mais lourd ! Et après on viendra nous dire que le nombre d'élève ne lisant pas est affligeant... Mais 'faut savoir que la plupart n'ont u que les livres scolaires dans leur vie, si on leur donne n tel aperçu des livres, pas étonnants qu'ils ne s'y accrochent pas...

Je suis en seconde cette année, les seuls cours dans lesquels j'aime aller sont l'anglais et le français, parce que j'ai toujours depuis toute petite aimé ces matières, ce n'est pas l'école qui me les a faits aimer : ce sont les profs (pour l'anglais)ou mes parents (pour le français, à cause des livres).

L'ennui est un gros facteur dans nos vies de lycéens, si les profs ne savent pas nous le faire oublier, c'est foutu d'avance !Et qu'on ne me dise pas que certaines matières sont préférées des filles ou des garçons pour je ne sais quelles obscures raisons : ce n'est pas vrai, je suis une fille, j'aime bien le sport, ça dépends juste des cycles, des matières. L'ennui ne vient que de ça : les profs, l'ambiance, les cours, et l'interêt de départ.. Enfin, je crois..>>

Thèse de Stéphanie LELOUP
SOMMAIRE
Formes de l'ennui
Étude de cas
Décalage entre les représentations des élèves et celle des enseignants
Analyse des écarts
Remèdes à l'ennui scolaire
Le cours
Le professeur
L'élève
Le lycée
 
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