PLAN
DU SITE
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Approche
microsociologique de l'ennui
scolaire
Thèse
de
Stéphanie
LELOUP
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Sans
prétendre à
l'exhaustivité, les
différentes formes d'ennui que nous
proposons se veulent avant tout
éclairage sur le concept. Il nous
est impossible de préciser le poids
de chacune des catégories que nous
allons identifier. En effet, elles
correspondent à des
idéaux-types, qui n'apparaissent
jamais aussi nettement chez les individus.
De plus, tous les élèves
connaissent, à des degrés
divers, les différents types
d'ennuis que nous allons présenter.
C'est pourquoi, après avoir
exposé les différents
idéaux-types, nous décrirons
l'expérience d'élèves
en particulier.
|
Il
semblerait qu'il existe bien des façons de
s'ennuyer au lycée.
L'analyse des
entretiens permet cependant d'identifier les cinq
figures suivantes.
1
ère forme - L'affirmation de soi ou
l'ennui narcissique
|
Cette forme spécifie
l'expérience d'élèves
qui estiment que pour s'intégrer au
lycée, il leur faut réprimer
en eux quelque chose qu'ils ressentent
comme étant tout simplement leur
« vraie » personnalité.
Comme ils ne peuvent s'y résoudre,
leur expérience au lycée est
marquée par l'ennui, mais qui est
en fait le signe de la résistance
de l'élève à
adhérer au modèle
proposé par l'école. C'est
pourquoi, à chaque fois que le
choix se présente entre un
investissement sur le lycée, ou un
investissement sur sa vie privée,
la deuxième option est bien souvent
privilégiée.
|
Enfin, il y des raisons affectives.
Je
suis déjà avec mon copain depuis un
an, cette année, il va, finir ces
études, je voudrais vivre avec, et le
rejoindre le plus vite possible. Poursuivre
après le bac... Cela serait du gâchis.
Je pourrais y arriver mais je pourrais aussi ne pas
y arriver. Je voudrais déjà servir
à quelque chose pour la
société.
(Élève 3)
Il ne s'agit pas ici d'une résistance
violente à la culture de l'école :
ces jeunes accordent du sens à ce qui leur
est enseigné. Ils peuvent même
manifester un intérêt
intrinsèque pour certaines matières,
à condition que celles-ci s'accordent avec
leurs propres préoccupations. Le tri entre
les matières se fait alors selon les
goûts et les dégoûts.
Une
matière intéressante touchera
à un de mes centres d'intérêt.
Je sais à l'avance si une matière va
m'intéresser ou non... Dans ma
scolarité, il y a toujours eu une
distinction entre les matières qui
m'intéressent et celles qui ne
m'intéressent
pas.
(Élève 9)
Ces élèves ne sont pas «
en guerre » contre l'institution. Si
opposition il y a, elle se manifeste
plutôt par de la subversion. Il s'agit
d'en faire le minimum pour réaliser ses buts
(la moyenne dans une matière par exemple),
et par ailleurs utiliser le lycée pour
atteindre ses propres objectifs. Après tout,
selon eux, le lycée gêne leur
épanouissement personnel il n'offre pas
assez de libertés, de possibilités de
prendre des responsabilités... Il faut bien
qu'il propose des compensations.
|
|
Cette situation fait que, curieusement, ces
élèves peuvent être très
impliqués dans la vie du lycée, parce
que les divers clubs, associations leur permettent
de satisfaire des besoins que la vie en classe ne
remplit pas.
Et
puis là-bas, j'aimais bien, je faisais
beaucoup de choses et je connaissais tout le monde.
J'étais responsable de clubs,
équipier sur le bateau qui était
rattaché au lycée, une année
président du FSE. Je me suis trop investi
avant, je pense, je me suis fait un peu
débordé. Maintenant, je donne la
priorité à la vie scolaire,
j'évite de trop me crever sur des
activités extra-scolaires. Avant, si
j'étais trop crevé parce que j'avais
passé la nuit à travailler sur un
reportage vidéo, et que je ne suivais en
cours et que je dormais, je m'en foutais. Ma
première première, je ne l'estime pas
l'avoir perdue. Mais mes parents, eux, ils n'ont
pas le même avis.
(Élève
9)
|
Ces adolescents résistent, mais ils
restent dans le système scolaire, du moins
le temps nécessaire à l'atteinte de
leur objectif: ils peuvent sécher les cours
qu'ils n'aiment pas, à condition que cela ne
nuise pas à leur « carrière
» scolaire. Ils peuvent faire leur «
métier d'élève »
correctement, mais ils le conçoivent comme
un sacrifice, qui doit être compensé
par autre chose : de bons résultats
scolaires, l'évitement d'une sanction... A
ce propos, on peut parler de « culture de la
réticence ». C'est la culture «
par laquelle on relativise, sans la contredire
frontalement, l'emprise du lycée sur soi et
sur ses rapports à autrui. »
[Bautier, Rochex, 1992, p. 75]. Les
élèves ne s'opposent pas
irrémédiablement à
l'institution scolaire, mais opèrent une
dissociation entre l'élève qu'ils
sont obligés d'être, et l'individu
dont ils désirent préserver
l'autonomie. Pour ce faire, ils n'adhèrent
que le moins possible aux normes qui
régissent l'univers scolaire : «
à cette non-adhésion et à ce
non-engagement fait contrepoids l'affirmation de
l'authenticité de la vie et de la
socialité juvéniles. »
[Bautier, Rochex, 1992, p. 75] Le travail
est alors dosé au plus juste, et si on peut
l'éviter, et recourir par exemple à
la triche, peu importe du moment que le
résultat est atteint.
Moi,
la mauvaise conscience, je m'en fous pas mal. Tous
les moyens sont bons pour avoir de bonnes
notes.
(élève
7)
Ce sont souvent des élèves qui
déclarent s'être toujours
ennuyés à l'école. Ils
ressentent intensément son aspect
contraignant. Ceci dit, ils restent très
sensibles au contact que les adultes peuvent avoir
avec eux.
Je
m'ennuie... D'abord, je me suis toujours
ennuyé même au collège.
(Élève
1)
Je
crois que les seules fois où je me suis mis
à bosser vraiment à fond, c'est parce
que j'avais déçu le professeur. C'est
les seuls cas où je bosse à
fond.
(Élève
9)
Le temps de la vie hors du lycée est
prépondérant, le temps scolaire, lui,
est un peu considéré comme du temps
« perdu ». Le temps libre est
perçu comme celui de la réalisation
de soi, de l'autonomie et de
l'authenticité. Ces élèves
insistent ici sur l'opposition entre le temps
scolaire, vécu comme une contrainte, mais
une contrainte nécessaire, et le temps
extra-scolaires, vécu comme celui de la vie
sociofamiliale, qui invite à d'autres
investissements, dans le domaine des loisirs
principalement. La coupure entre la maison et le
lycée est nette. Il est alors difficile de
travailler chez soi
A
la maison j'ai un peu de mal à apprendre.
C'est dur de s'y mettre. Quand on arrive à
la maison, on a déjà bien
travaillé, quand on va à
l'école, c'est que pour travailler, et quand
on arrive chez nous, c'est pour se détendre
et tout, et donc, après quand il faut s'y
remettre, c'est un peu
ennuyeux.
(élève
4)
Déjà,
je consacre beaucoup trop de temps à mes
loisirs. Je sais très bien que mes devoirs,
mes exercices, je les
bâcle...
(élève
17)
Dans cette optique, l'élève
« idéal » pour les professeurs,
selon ces élèves, est
considéré comme quelqu'un qui «
gâche » sa vie à travailler, et
qui ne profite pas de sa jeunesse. L'image
stéréotypée est la suivante :
l'élève « idéal »
est un intellectuel, toujours en train de lire, et
il ne sort pas ou peu avec des amis. Le fait de
« trop » travailler, de viser
au-delà de la moyenne ou du passage dans la
classe supérieure, est
considéré sans intérêt
s'il implique un investissement personnel,
investissement que l'élève
préfère réserver pour sa vie
sociale. Cette façon de penser est souvent
présentée comme « naturelle
», c'est-à-dire comme inhérente
à la jeunesse et à
l'adolescence.
Bon,
je pense c'est bien, ils le méritent, et en
même temps, la plupart des gens qui
travaillent, ils n'ont aucune vie. Moi, je vois,
j'ai deux vies : je vais au lycée, et en
même temps je fais mes loisirs, et je m'en
sors. Moi, je me suis toujours contenté de
la moyenne, j'ai jamais fait plus. Cela sert
à rien, regardez : vous pouvez être
premier dans une matière, sur votre CV, cela
ne sera pas marqué... Si on vous oblige ou
si on a envie de travailler, on va travailler. Mais
je ne saurais pas trop vous expliquer pourquoi je
n'avais pas envie de travailler. C'est quand on est
jeune, quoi. On ne réfléchit pas
trop, quoi.
(élève
18)
Plus généralement, le
comportement en cours de ces jeunes est souvent
déviant par rapport aux attentes de
l'institution, mais encore une fois il est souvent
présenté comme « naturel »
: par exemple, ils sont bavards parce que c'est
« dans leur tempérament ». Le
tempérament, la personnalité jouent
un rôle important dans leur
argumentation.
Il y a donc
ennui parce que l'institution scolaire fait
obstacle à l'expression du moi.
.
2
ème forme - La protection de
soi.
|
A l'inverse de la forme
précédente, les
élèves ne cherchent pas ici
à faire coïncider les
exigences du lycée à leurs
besoins. Au contraire, ils veulent
s'adapter à l'institution scolaire,
et aux épreuves qu'elle leur
présente : la sanction de leur
travail par une note, la
nécessité d'établir
des relations avec les autres en
particulier. L'ennui est une façon
ici de protéger son narcissisme :
il est plus facile de prétendre que
l'on s'ennuie dans une discipline
où l'on obtient de mauvaises
notes.
|
Je
suis arrivée en section européenne,
mais cela ne m'a pas plu. Déjà, en
histoire, la prof elle parlait en anglais, et il
fallait prendre des notes. Quand je ne comprends
pas, cela m'énerve alors je laisse tomber,
alors les notes je ne les prenais pas. En anglais,
on parlait de l'école britannique...
C'était pas bien quoi. Je ne m'attendais pas
du tout à cela.
(Élève 5)
De même, on a vu comment la
participation en classe était
considérée par les enseignants comme
un signe de la motivation de l'élève.
A contrario, un élève qui ne dit rien
est souvent suspecté d'être
plongé dans ses pensées et donc de
s'ennuyer. Pour certains élèves, la
participation est fonction de
l'intérêt pour la discipline, mais cet
intérêt dépend lui-même
de la maîtrise de ladite discipline. En
effet, en intervenant oralement en classe,
l'élève s'expose au regard d'autrui,
qui peut ainsi juger la pertinence de ses questions
et de ses remarques.
oui,
je suis assez sérieuse, mais la
participation... C'est selon les matières,
selon que cela m'intéresse ou pas. Et
surtout selon si je sais répondre ou pas :
en fait, je participe dans les matières
où je suis bonne, où je sais que je
vais pouvoir répondre sans trop me tromper.
Si on prend l'exemple de l'anglais, on ne m'entend
pas souvent, parce que je ne connais pas grand
chose en anglais. Si j 'étais bonne, je
participerai sans doute
davantage.
(Élève
14)
Par ailleurs, il est aussi plus aisé
de décréter ses camarades ennuyeux
parce qu'on n'a pas su s'intégrer à
la classe. Autant le premier groupe
d'élèves étudiés plus
haut étaient tournés vers
eux-mêmes, vers l'affirmation de leur ego,
autant ces jeunes sont soucieux de se faire
accepter par leurs camarades. Le regard des pairs
sur eux est très important.
|
Il
y a du chahut ? Le cours est intéressant,
mais c'est dans leur tête, ils
(
Les autres élèves de la
classe)
y peuvent rien eux-mêmes... Non, c'est les
élèves. Ils n'ont pas envie
d'apprendre et ils n'apprendront pas. Point. Et ils
feront tout pour embêter les autres (..) On
m'a toujours dit que j'étais très
sociable. Je suis la préférée
de toute ma famille. En fait tout le monde m'aime,
à part eux.
(Toujours les autres élèves de la
classe) Je
ne sais pas pourquoi. De toute façon, je ne
veux pas de leur sympathie car sinon je deviendrai
comme eux. Pourtant, j'essaie toujours de
sympathiser: a si tu ne peux en faire ton ennemi,
fais en ton ami ». C'est ce que je me dis
toujours. Je me force à les aimer même
si je ne les aime pas.
(élève
3)
Cette forme couvre aussi l'expérience
d'élèves qui déclarent dans un
premier temps s'ennuyer dans une matière,
mais on découvre en fait que lors du cours
en question, ils éprouvent plus souvent de
l'angoisse face au jugement de leurs pairs, que de
l'ennui.
|
|
L'ennui leur paraît simplement un
affect plus avouable. Ces élèves sont
les premiers à rejeter toute forme
d'évaluation, dès qu'elle risque
d'être en leur défaveur. C'est souvent
l'EPS qui est concerné, parce que les
performances de chacun y sont plus visibles. Il y a
aussi dans cette discipline un accent qui est mis
sur le corps, ce qui peut troubler certains
adolescents.
Mais
je ne sèche, en général, que
les cours que je n'aime pas. Le sport par exemple
... Je déteste le sport, je suis nul en
sport, le sport, c'est rébarbatif. Cela
m'oblige à faire des choses que je n'aime
pas. J'aime pas courir pendant une 1/2 heure par
exemple... Non, cela ne m'ennuie pas. Mais j'aime
pas.
(Élève
7)
Le
sport... J'aime bien le sport, mais je ne sais pas
pourquoi quand je suis avec la classe, je ne suis
pas trop motivée. Comme je suis
complexée et tout, j'aime pas trop. Chez
moi, j'aime bien faire des abdos, courir, danser
surtout, parce qu'avant j'en faisais. Enfin,
j'adore le sport parce que c'est bien pour maigrir
et tout. Mais, vu que je suis complexée,
quand on arrive en sport, et qu'on est en T-shirt,
enfin des trucs un peu... et puis j'aime pas quand
je me mets à courir... Comme je suis
complexée, j'arrive à rien faire...
Quand je vais en cours, je m'assois et puis
après j'enlève mon manteau, parce que
j'aime pas enlever mon manteau, parce qu'en fait je
n'aime pas mes
formes...
(élève 4)
Ces élèves sont
particulièrement sensibles à
l'influence de leurs camarades : s'ils constatent
que la classe s'ennuie dans un cours, ils
adapteront leur comportement en conséquence
et montreront ainsi qu'ils appartiennent bien au
groupe classe. Ce sont rarement des «
leaders », mais ils subissent pleinement
l'effet du groupe.
Des
fois quand je vois l'ambiance de la classe, je n'ai
pas envie de travailler. J'ai envie d'être
comme eux, parce qu'ils sont peinards dans la vie.
Ils rigolent et tout. Alors que moi... Je suis
timide alors je parle avec presque personne, je
suis toujours dans mon
coin.
(Élève
4)
Le regard des autres est omniprésent
dans le discours de ces élèves. Il y
a donc ennui parce que dans l'enceinte de
l'institution scolaire, les professeurs et leurs
camarades peuvent les juger.
3
ème forme - « Bienvenue
à Ennuiland » ou l'ennui -
manque de divertissement
|
Cette forme se
caractérise par le regret qu'ont
certains élèves de constater
que le lycée ne ressemble en rien
à un pare d'attractions. Ils
estiment que les distractions sont au
contraire plutôt rares, ce qui
entraîne alors leur
ennui
|
En
fait, on a pas de loisirs. On devrait, je sais pas,
pendant les heures de perm, avoir des trucs
à faire, je ne sais pas, des petits jeux,
des conneries quoi, un
baby-foot.
(Élève
1)
Oui,
il faudrait un endroit où il y aurait de la
musique, où on pourrait mettre de la
musique, des fauteuils et tout... Où on
pourrait se voir, quoi. Parce que là, on a
seulement les salles de perm... Oui, un endroit
pour se retrouver entre élèves, pas
seulement pour travailler comme le CDI. Un endroit
pour se
détendre...
(élève
5)
Dans la même optique, ces
élèves cherchent à
aménager au mieux leurs conditions de
travail: les bâtiments scolaires et l'emploi
du temps principalement. Comme dans la
première forme, il y a une aspiration
d'adapter le lycée à leurs
désirs, mais ici il n'y pas d'enjeu
primordial, ce n'est pas leur propre
personnalité qui est en cause. Simplement,
il faudrait par exemple aménager les
horaires, pour ne pas qu'ils arrivent trop
fatigués en physique après deux
heures de sport, ou repeindre le lycée,
parce que le gris, c'est un peu triste. Leurs
justifications ne sont pas toujours aussi
recevables, du moins pour l'administration. Car ces
élèves se soucient essentiellement de
leur confort.
Samedi
matin, on ne devrait pas avoir cours, car un
week-end, c'est fait pour en profiter.
(Élève
17)
Ces élèves ne cherchent pas
non plus de responsabilités. Ils
s'investissent donc rarement dans la vie scolaire.
Ils se conduisent un peu comme des enfants, qu'il
faut occuper et amuser, sinon ils s'ennuient. Pour
eux, les autres, en particulier l'institution et
les professeurs, sont entièrement
responsables de leur ennui. Pourtant,
l'expérience scolaire de ces
élèves n'est en rien catastrophique.
Cependant, elle pourrait être meilleure : les
enseignants ne sont pas en général
trop ennuyeux, mais évidemment il y a
toujours des cas particuliers qui manquent
d'enthousiasme pour leur métier, ou qui
manquent d'autorité. On ne sent pas ces
jeunes contestataires. Ils demandent certes des
ajustements de l'institution, mais ils ne la
remettent pas en cause. En définitive, il
paraît assez facile de faire
disparaître leur ennui. Il suffit de leur
trouver une activité qui les occupent,
même si cette activité ne revêt
pas une signification particulière pour eux.
Il n'y a chez eux aucun rapport de distanciation:
la recherche d'une motivation, d'un
intérêt ne s'accomplit pas par un
effort sur soi-même, mais par un engagement
dans l'action, quelle qu'elle soit.
Du
fait que je suis nerveuse, il faut toujours que je
fasse quelque chose, parce que dès que je
fais rien, je m'ennuie, et j'aime pas ça, et
c'est ce qui fait que je suis quand même
bavarde... Et puis, je ne peux pas dire que je
m'ennuie en cours, puisque je fais toujours quelque
chose. Et tant que je fais quelque chose, je
m'ennuie pas. Mais il suffit que je passe 10
minutes à rien faire pour
m'ennuyer...
(élève
17)
Ces jeunes donnent l'impression que
dès qu'un vide s'installe, ils
s'ennuient, et dès qu'ils
s'ennuient, ils ne peuvent rien faire
d'autre que de poser des problèmes
à leurs enseignants. Il s'agira
alors de les occuper un peu comme on
occupe un pays. Pour eux, il y a ennui
parce qu'au lycée, on ne s'amuse
pas assez.
|
.
4
ème forme - La lycémie ou
quand le sens vient à
manquer
|
D'après l'expression
citée par M. Coutty 1981, p. 81.
Lycémie : « cancer pernicieux
qui ronge le désir d'apprendre
».
Cette forme spécifie
l'expérience d'élèves
qui font état d'un « manque de
motivation » difficilement
explicable, même pour
eux-mêmes, et qui recherchent
désespérément une
motivation à laquelle se
cramponner
|
En
ce moment, je vais vous l'avouer, je ne le fais pas
du tout, parce que je n'arrive pas à
retrouver une motivation depuis que je suis
rentré des vacances. Jusqu'à
présent, j'avais réussi à me
raccrocher à 2 3 motivations qui me
faisaient rester dedans, mais mes motivations c'est
les vacances, alors ce n'est pas des motivations de
travail.
(Élève
21)
La principale caractéristique de
cette forme est la distance que prennent les
élèves concernés avec le
lycée et plus particulièrement avec
les savoirs. Ceux-ci ne font pas sens pour eux, ni
dans leur vie personnelle, ni pour leur future vie
professionnelle, d'ailleurs ils ne comptent pas sur
le lycée pour « s'en sortir
».
Et
moi je sais exactement ce que je veux faire, et
comment je vais le faire et je vais y arriver,
même si cela ne passe pas par
l'école.
(élève 11)
|
|
S'il y a rejet du lycée comme lieu
d'apprentissage, le comportement n'est pas
forcément déviant : tout
dépend en fait de la relation avec les
professeurs et les camarades qui devient alors
prépondérante. Si
l'élève ne trouve pas du sens dans
les attentes de l'institution scolaire, il peut
tout de même trouver sympathique de se rendre
au lycée, pour y voir ses copains,
entretenir sa vie sociale. Ainsi, B. Charlot, E.
Bautier et J.Y. Rochex [1992] rappellent
qu'il faut faire attention à ne pas
confondre les élèves qui disent
« aimer l'école », ou plutôt
« aimer être à l'école
», et ceux qui aiment réellement les
apprentissages. Cependant, ce type d'investissement
n'est pas toujours suffisant, parce que ces
adolescents se sentent tout de même
marginalisés. Ces élèves
peuvent alors devenir des « décrocheurs
» et abandonner leurs
études.
Et
le 3 ème trimestre, je savais que j'allais
redoubler alors j'ai plus rien fait, et je me suis
ennuyé. Mais tous les autres ils bossaient
alors moi je me retrouvais en cours, je les
regardais ils grattaient tous, et je me faisais un
morpion tout seul. C'était plus la peine,
quoi. Je faisais chier, alors. A la fin, je ne
venais plus du tout en
cours.
(Élève
1)
|
Par ailleurs, ces jeunes peuvent être
particulièrement sensibles au thème
de la discipline scolaire, comme si la contrainte
extérieure pouvait relayer un désir
de savoir qu'ils n'ont pas (ou plus). Ce n'est pas
vraiment le lycée en lui-même qui est
l'objet de dégoût, mais c'est le cours
lui-même qui apparaît comme une
épreuve. Ils insistent
particulièrement sur les contraintes
corporelles, comme rester assis et écrire,
et relationnelles (ne pas parler).
Je
sais pas, en fait je m'ennuie un peu. Passer des
journées entières assis à
écrire et à écouter un prof,
cela ne m'a jamais attiré. D'un autre
côté, j'admets que si on ne fait pas
ça, après, on ne peut rien faire dans
la vie. Si c'est pour rester chez soi, et ne savoir
rien faire, c'est pas intéressant non plus
de vivre à ce moment-là. Le fait
d'aller à l'école, c'est normal d'y
venir, mais après, à chacun ses
goûts.
(élève
6)
Là, ce n'est pas la vie privée
qui est opposée à la vie scolaire,
c'est la vie active. La vie professionnelle se
situe dans l'ordre du « bien », parce
c'est là où on peut être adulte
et autonome. La formation qu'on y dispense est
jugée « pratique » ; elle est
d'utilité directe, car elle apporte une aide
immédiate. Au regard de cette formation, la
formation scolaire ne peut être que
disqualifiée.
J'ai
fait un stage en BEP, et c'est vrai que c'est bien,
on apprend plein de choses, mais le
problème, c'est qu'après on a plus
envie de travailler en cours. En cours, on donne
les bases, c'est tout. C'est juste une approche. En
entreprise, on est obligé de se lancer.
(Élève
18)
Dans ce groupe
d'élèves, on rencontre le
plus souvent des jeunes en échec
scolaire plus ou moins
généralisé, car
souvent certains ne font même pas le
minimum du travail demandé. Il y a
donc ennui parce que, au lycée, ces
jeunes n'accordent que peu de sens aux
savoirs enseignés.
|
.
5
ème forme - L'ennui: un
problème de
temps
|
Cette forme se manifeste chez
les élèves qui
dénoncent certaines lacunes de
l'institution ou des professeurs : le
rythme des cours est trop lent, ils ont
l'impression de stagner dans la
matière, de ne pas
progresser.
|
Aussi
dans certaines matières, on pourrait faire
le même programme en moins de temps. Alors
des fois j'ai l'impression qu'on perd du temps. En
techno, par exemple, le régime pourrait
être plus
élevé.
(Élève
9)
Il
met une 1/2 heure pour corriger un exercice qu'on a
mis 5 minutes à faire alors ça... Il
part trop dans les détails, cela ne va pas
assez vite. Avec le prof de maths, on fait des
exercices, la réponse c'est ça,
tandis que l'autre, la réponse c'est
ça, mais il va développer autour,
alors qu'il n'y a pas besoin de
développement, tout le monde a
compris.
(élève
14)
Cette catégorie prend la forme
d'une critique marquée tant à
l'égard des contenus scolaires que
vis-à-vis des enseignants. A l'inverse de la
troisième catégorie
d'élèves, il ne suffit pas de leur
proposer n'importe quelle tâche à
effectuer pour qu'ils ne s'ennuient plus, il faut
encore que cette tâche ait du
sens.
On pourrait ranger dans ce groupe les
élèves pour qui le savoir
enseigné au lycée ne
représente pas un défi intellectuel.
Au contraire, ce qu'ils doivent apprendre n'est pas
assez difficile, ce qui les conduit à
développer un sentiment d'ennui.
Les
profs qui ont pas envie de s'embêter, qui ont
20 ans d'ancienneté derrière eux, ils
ne se fatiguent pas ils font un cours
magistral.
(élève
1)
Je
pense que j'ai le niveau d'une première
générale et là ce qu'on fait
c'est trop simple pour moi. C'est de là que
découle l'impression que je donne aux profs,
que je ne suis pas.
(élève 1)
Ce sont des élèves qui n'ont,
en général, qu'un faible
intérêt pour une partie des
activités qui leur sont proposées,
parce qu'elles portent sur des compétences
ou des connaissances qu'ils ont déjà
acquises et, donc elles ne répondent pas
à leur besoin d'apprentissage. Ils ne
trouvent pas en classe les réponses aux
questions qu'ils posent, les connaissances qu'ils
attendent sur les sujets qui les
intéressent.
Sinon,
l'histoire j'aime bien, mais c'est aussi parce que
ma mère était prof d'histoire. Des
fois aussi, cela ne m'intéresse pas trop,
parce que quand on fait un cours, ma mère,
des fois, je lui dis mon cours, et elle, elle me
raconte le cours d'après sans le vouloir, et
moi je me dis a c'est bien, mais maman me l'a
déjà dit.
(élève
23)
|
Pourtant, ils peuvent manifester une
certaine curiosité pour le savoir, et en
particulier aimer réfléchir,
découvrir par eux-mêmes les
connaissances qu'on cherche à leur
transmettre.
En
fait, on fait le cours avant, et ensuite, on fait
des exos. Alors que moi, je trouve que c'est mieux
de faire des exos pour amener la notion,
plutôt que de donner la notion
directement.
(élève 23)
Il y a donc ennui parce que ces
élèves vivent sur un rythme plus
rapide que celui prévu par l'institution
scolaire.
|
|
Réactions
<<vous
oubliez un domaine de lennui La
douance>>
<<
Lennui, lennemi numéro 1 au
lycée.>>
<<Visiblement
ce panorama des façons de s'ennuyer au
lycée (je plaisante: des causes de l'ennui)
intéresse les lycéens. J'ai
l'impression, en tant qu'enseignant, qu'il y manque
un personnage: l'élève en
difficulté. Lui aussi s'ennuie! Et
maintenant le scoop: les profs aussi s'ennuient. Ce
qui bien sûr ne les rend pas passionnants...
D'après mon expérience, cela vient de
la routine, enseigner la même matière
indéfiniment, c'est pesant, voir les
générations d'élèves se
succéder c'est pesant aussi, on atteint
à un moment ou à un autre son optimum
d'efficacité professionnelle, et
voilà pourquoi tant d'enseignants ont des
vies para-professionnelles aussi actives
(associations, syndicats, hobbies...). Certains
choisissent la stratégie inverse, ils se
donnent bien plus de travail qu'il n'est
nécessaire, le grand chic étant
ensuite de s'en plaindre et de se répandre
en propos douloureux sur les "gens du privé
incapables de reconnaître que nous avons bien
besoin de nos vacances". Personnellement, je pense
que la lassitude professionnelle explique bien
mieux cet ennui que les facteurs habituellement
dénoncés, comme le fameux niveau des
élèves, etc.>>
<< L'ennui au
lycée?Je crois qu'il arrive à tout le
monde au moins une fois dans sa vie de s'ennuyer au
bahut. Pourquoi? je pense qu'il n'y a pas de
véritable raison. Peut-être que le
cycle que l'on suit scolairement ne nous ais pas
adapté. Au collège il est vrai que
certains professeurs se sont faits plus
marquants(positivement)que d'autres. On sentait
cette passion pour leur matière et tout de
suite on avait plus d'attetion dans leur cours. Je
pense enfin que l'ennui est une forme de rempart
pour les jeunes qui ont du mal à s'adapter
aux rythme de leur classe. Il est plus facile pour
eux de dire qu'ils s'ennuient dans une
matière que d'avouer leur faiblesse. Mais
attention je ne généralise pas tout
quand même. Je vais passer en 1ère S
où l'ennui je pense n'aura pas sa
place!>>
<<Très
bonne conclusion>>
<<L'ennui, un
problème récurant... Je me suis
toujours ennuyée en cours mais encore plus
pendant cette année de terminale. Le bac
arrive et aucune motivation n'apparaît
à l'horizon. Sécher les cours, c'est
devenu presque quotidien. Convocations,
avertissements... Les notes sont bonnes, ma moyenne
est la meilleure de la classe alors pourquoi cet
acharnement ? Les cours me font l'effet d'un
somnifère, je n'ais jamais autant dormis.
Voila pour le témoignage, quand à
l'explication.... Elle reste dans les
méandres de mon cerveau. Thèmes
inintéressant, bourrage de crâne mais
surtout filière trop vagues. Cela
dépend peut être de l'évolution
de chacun. Certains restent incertains quant
à leur vie futur, l'école c'est bien,
ils prennent le temps de choisir. Les autres, surs
d'eux ou presque n'attendent que la sortie de cette
cage pour émerger dans le monde de l'emploi.
Deux catégorie parmis tant d'autres... Bref
l'ennui, c'est déprimant>>
<<Jesuis
maman d'une jeune de 15 ans et votre classification
fine des types d'ennui m'a beaucoup
interessée car ça donne du sens
à quelque chose que l'on comprend mal,
à savoir une certaine souffrance des ados au
collège ou au lycée. Si je devais
reconnaitre ma fille dans les descriptions je crois
que ça serait dans la protection de soi.
J'aimerais l'aider en adoptant une position juste
... je cherche le mode d'emploi...pas facile! Merci
pour votre travail passionnant que beaucoup de
profs devraient lire avant de juger leurs
élèves!!!>>
<<L'ennui...
moui, il est dû à beaucoup de choses :
le désinterêt, les profs qui "ne
savent pas y faire", qui prennent 15 ans à
faire taire le monde et 38 siècles à
corriger un exercices qu'on a déjà vu
l'an passé... Les motivations qui manquent
aussi, le peu de temps passé chez soi, le
"trop de temps" à ne rien faire assis sur
une chaise à attendre que les autres aient
compris, le débit monotone du cours qui
pourrait être passionnant s'il était
plus dynamique... Aussi le manque de trucs à
faire en clubs après les cours, si on a pas
de passion pour se soutenir, pour se motiver, ne
serais-ce qu'en dehors des cours, c'est
déjà assomant, donc bon.. Aussi
certains profs ne savent pas choisir ce qui va
interresser les élèves, en
français par exemple : moi je lis
énormément, en ce moment j'ai
mêem trois livres en cours, mais en
français on nous demande de lire des livres
dépassés, ininterressnts, avec un
style lourd...mais lourd ! Et après on
viendra nous dire que le nombre
d'élève ne lisant pas est
affligeant... Mais 'faut savoir que la plupart
n'ont u que les livres scolaires dans leur vie, si
on leur donne n tel aperçu des livres, pas
étonnants qu'ils ne s'y accrochent
pas...
Je suis en seconde
cette année, les seuls cours dans lesquels
j'aime aller sont l'anglais et le français,
parce que j'ai toujours depuis toute petite
aimé ces matières, ce n'est pas
l'école qui me les a faits aimer : ce sont
les profs (pour l'anglais)ou mes parents (pour le
français, à cause des
livres).
L'ennui est un gros
facteur dans nos vies de lycéens, si les
profs ne savent pas nous le faire oublier, c'est
foutu d'avance !Et qu'on ne me dise pas que
certaines matières sont
préférées des filles ou des
garçons pour je ne sais quelles obscures
raisons : ce n'est pas vrai, je suis une fille,
j'aime bien le sport, ça dépends
juste des cycles, des matières. L'ennui ne
vient que de ça : les profs, l'ambiance, les
cours, et l'interêt de départ.. Enfin,
je crois..>>
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