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Analyse des écarts

Thèse de Stéphanie LELOUP p.295-306

 

L'idée générale est la suivante :

 

.Selon les catégories considérées (l'élève, le prof, le cours, le lycée), l'ennui pourrait naître de deux sources

Un décalage entre l'idéal et la réalité.

             Ce décalage s'observe pour les catégories « prof » et « cours ». En effet, les élèves et les enseignants sont à peu près d'accord sur ce que devrait être le cours « idéal » et le prof « idéal » (voir tableaux 72 à 75 pages suivantes). Par contre, la réalité s'éloigne souvent de l'idéal. Les enseignants, même s'ils partagent la conception des élèves du prof « idéal » ont bien du mal à l'incarner en vrai : ils n'ont pas toujours un bon contact avec les élèves, ils ne les font pas toujours participer autant qu'ils le voudraient etc. De la même façon, enseignants et enseignés aimeraient que lors d'un cours, les élèves apprennent des choses et s'intéressent aux savoirs proposés. Force est de constater que, dans la réalité, le cours s'apparente à un cours magistral dialogué.

Le cours "idéal"
Le cours "réél"
Pour les élèves
Pour les enseignants
Pour les élèves
Pour les enseignants

Se déroulant dans une ambiance détendue mais en même temps de travail, il est structuré et adapté aux élèves. Les élèves participent et comprennent le cours.

Les élèves participent beaucoup, le sujet de cours les intéresse. Le cours a été bien compris par les élèves.

Les élèves écoutent un professeur. Ils lui posent des questions et ils répondent à celles que l'enseignant pose. Ils prennent des notes. Ils travaillent plus ou moins.

Les élèves répondent aux questions d'un professeur. Les élèves travaillent à partir de documents ou de manuels. Ils prennent des notes.

Principal critère d'appréciation cité: les élèves ont le sentiment que le temps passe vite.

Principaux critères d'appréciationcité cités: les élèves disent que le temps passe vite, et le professeur a "senti" que c'était un bon cours.

L'aspect affectif est prégnant: le cours se définit en terme d'ambiance et d'intérêt.

L'aspect cognitif est prégnant: le cours se définit comme un enchaînement logique de tâches ayant un sens.

Un décalage entre les conceptions des élèves et celles des enseignants.

Ce décalage s'observe pour les catégories « lycée » et « élève ».

Pour ces thèmes, le problème ne vient pas tellement du fait que la réalité s'éloigne de l'idéal, mais déjà du constat que les deux types d'acteurs n'ont pas les mêmes valeurs.

L'élève "idéal"
Pour les élèves
Pour les profs

Très attentif en cours, il participe et il travail. Il a de bonnes notes

Très motivé par le savoir, il participe et il travail. Il fait des efforts.

Les enseignants rêvent d'un élève motivé par les savoirs. La fréquentation du lycée épanouirait sa personnalité et en ferait un vrai citoyen.

Or, les élèves, eux, n'attendent pas tant du lycée : bien préparer sa future vie active paraît déjà un objectif suffisant.

Le lycée "idéal"

Cela ne veut pas dire que les élèves se moquent des savoirs et ne pensent qu'à avoir de bonnes notes : ils indiquent aussi qu'ils viennent au lycée pour apprendre, ils soulignent son rôle éducatif. Simplement, leur vie ne se confond pas avec celle du lycée.

Pour les élèves
Pour les profs

L'élève s'y sent à la fois libre et encadré. Il y règne une bonne ambiance et une bonne organisation

L'enseignant communique bien avec tous les acteurs du lycée. Bien organisé, il sert à former des citoyens, à tranmettre des savoirs et à épanouir la personnalité des élèves.

             Cette réticence est violemment ressentie par les professeurs, qui accusent les élèves de venir en majorité pour d'autres raisons que l'acquisition des savoirs et l'épanouissement de leur personnalité. Le discours enseignant prend alors la forme du dépit amoureux: avec toutes les généreuses intentions que l'on a pour lui, pourquoi l'élève ne s'investit-il pas davantage ?

             Il paraît alors difficile de penser qu'il y a de l'ennui, dans la plupart des cas, parce que l'enseignant méconnaît les élèves, et qu'il leur propose un cours inadapté.

             Au contraire, fréquemment, le professeur sait pertinemment comment devrait se dérouler le cours « idéal » (des deux points de vue) et comment lui-même devrait se comporter.

             Quand cet idéal n'arrive pas s'incarner dans la réalité, l'enseignant en fait porter la responsabilité aux élèves, qui ne correspondent pas à l'élève « idéal » : ils posent des problèmes de discipline, ils ne sont pas intéressés par les savoirs, ils ne s'investissent pas assez (dans le travail, dans la vie de la classe).

Bien sûr qu'il y a de l'ennui, semblent dire les professeurs, mais comment voulez-vous qu'il en aille autrement avec les élèves dont j'ai la charge ?

             Évidemment pour les élèves, la faute relève des enseignants, qui ne savent pas gérer leurs classes, bien expliquer, intéresser les élèves.

             Cependant, et ce point est à souligner, certains lycéens semblent totalement méconnaître les attentes des enseignants vis-à-vis des élèves

la majorité pense qu'un élève « idéal » pour les professeurs est un bon élève qui participe, et qui ne pose pas de problème de discipline. Quant aux autres caractéristiques, elles restent largement ignorées.

Il existe également un décalage par rapport à l'institution.

Parmi toutes les interrogations soulevées par le questionnaire de la consultation nationale de 1998, nous avons considéré trois questions:

Quelle est l'importance des savoirs scolaires pour la vie personnelle ?

             Un peu plus du quart de l'ensemble des lycéens se retrouvent en décalage : ce qu'ils apprennent au lycée n'est pas important pour leur vie personnelle, ou ce qu'ils estiment important ne correspond pas à l'esprit de la filière où ils se trouvent. Les items qui reviennent le plus souvent sont les « savoirs de base » pour les secondes, "les savoir être" pour les ES. Les STI ont tendance à répondre « rien » à cette question.

Quelle est l'importance des savoirs scolaires pour l'insertion professionnelle ?

             Seuls 18,5% des élèves se sentent décalés, c'est moins que précédemment. Cela pourrait s'expliquer par le fait que le lycée est vu massivement non pas comme un lieu où l'on peut développer sa personnalité, mais comme devant préparer à la vie active, et dans ce sens, il semble remplir sa mission aux yeux des élèves. C'est donc sans réelle surprise que l'on note la moins bonne performance des lycées d'enseignement général dans cette tâche. Au regard de cette question, il y a finalement peu de différence entre les lycées d'enseignement technologique et les lycées professionnels. Quant aux items cités, ils recoupent ceux qui ont déjà été évoqués à la question précédente, les élèves n'ayant pas tous établis une distinction nette entre ces deux questions, en particulier les lycéens « décalés ».

Quelles sont les matières considérées comme inutile et sans intérêt ?

             Le pourcentage d'élèves « décalés » augmente lorsque l'on s'intéresse à cette variable. Mais cette augmentation générale masque des réalités différentes selon les types de lycée. Alors que jusqu'à présent les élèves de l'enseignement technologique se situaient en dessous de la moyenne générale, ils se trouvent maintenant légèrement au-dessus. Le lycée professionnel reste toujours « le bon élève de la classe », en affichant un taux de lycéens « décalés » relativement bas (on rappelle néanmoins que l'on n'a pas tenu compte des non réponses, et que celles-ci sont particulièrement nombreuses dans les lycées professionnels). Par contre, dans les séries comme les ES, STT, les taux sont très hauts, jusqu'à atteindre presque la moitié des élèves en STT. Ce résultat s'explique dès que l'on remarque que les mathématiques ont été très fréquemment citées par les élèves de STT comme inutiles et sans intérêt : sur les 56 élèves de STT en « décalage » sur ce point précis, 26 ont évoqué soit les mathématiques, soit une partie du programme de mathématiques, comme étant inutile et sans intérêt.

Étude selon le type d'établissement scolaire fréquenté par les élèves

Les différents types d'établissements scolaires montrent des profils assez marqués

Dans les lycées d'enseignement général, les élèves ont des attentes différentes de celle de l'institution en ce qui concerne ce qui devrait faire sens pour eux, aussi bien professionnellement (surtout pour les ES et les secondes) que personnellement (en particulier pour les S et les ES). Ce qu'ils semblent reprocher à leurs lycées, c'est justement d'être des lycées d'enseignement... général et donc de ne pas leur dispenser des savoirs « utiles » immédiatement ou à court terme. Par contre, ils semblent plus prêts à faire leur « métier d'élève » que les STT et les STI par exempte, dans le sens où ils rangent moins souvent les disciplines essentielles de leur section, celles qui auront un fort coefficient au bac, sous la rubrique « inutile et sans intérêt ». Dans une large majorité, ils classent les matières à faible volume d'heures enseignées sous la rubrique « inutile et sans intérêt ». D'une manière générale, les L semblent avoir des attentes plus conformes à celles de l'institution.

             La situation est différente dans les lycées d'enseignement technologiques. Les STI constitue une section un peu à part : c'est une filière où l'on trouve beaucoup d'élèves « décalés », quelle que soit la variable retenue. Est-ce parce que cette série est majoritairement fréquentée par des garçons ? Toujours est-il que la situation est inverse pour les SMS, qui sont principalement des filles. En général, les SMS sont bien en phase avec ce qui doit être important pour eux. C'est particulièrement vrai dans le domaine professionnel, beaucoup moins dans la vie personnelle. Les STT présentent une situation contrastée : dans l'ensemble, ils estiment que ce qu'ils apprennent est important pour eux, aussi bien sur le plan personnel que professionnel. Pourtant, cela ne les empêche pas d'estimer qu'il y a un grand nombre de disciplines « inutiles et sans intérêt ». Le problème pourrait venir non d'une carence de sens, puisqu'ils en confèrent aux contenus enseignés, mais de la façon d'enseigner ces matières.

             Enfin, dans les lycées professionnels, la situation paraît idyllique ou presque : tous les taux sont inférieurs à la moyenne générale. Les choses paraissent plus claires: ou l'on répond aux questionnaires, ou l'on n'y répond pas, mais si l'on y répond, c'est globalement pour déclarer que l'on se sent en phase avec le lycée professionnel. On sent bien là qu'il y a une réalité de l'ennui scolaire (dont le signe serait le nombre de non-réponses : 20 % des lycéens de l'enseignement professionnel n'avaient pas répondu à la question : Quelle est l'importance des savoirs scolaires pour la vie personnelle ?) dans les lycées professionnels que le questionnaire n'a pu saisir.

L'ennui scolaire peut se comprendre comme une confrontation entre deux niveaux:

celui du système scolaire avec ses spécificités, et celui de l'histoire particulière de chaque élève.

             Ainsi, des régularités émergent de l'analyse quantitative : les filles semblent moins s'ennuyer que les garçons au lycée. Plus certainement, elles expriment autrement leur ennui, de manière moins provocante. Ce résultat rejoint les analyses de Baudelot et Establet [1992] qui montraient que les filles avaient un meilleur rapport à l'école que les garçons.

             Le type de classe auquel appartient l'élève est également corrélé avec la forme d'ennui que le lycéen va ressentir : on demande plus de pratique dans les lycées d'enseignement général, plus de discipline dans les lycées d'enseignement technologique, et l'on tait son ennui dans les lycées professionnels (du moins lorsque ces lycéens sont consultés par le ministre). Cet effet-filière sur l'ennui n'est guère surprenant quand on sait qu'il existe aussi pour la violence scolaire [Debarbieux, 2000]. Par contre, les matières à faible coefficient au baccalauréat sont souvent jugées inutiles et sans intérêt par les élèves, et ce quelle que soit la série.

             Si l'on peut faire quelques prédictions sur l'ennui qu'un élève a des chances de ressentir dès lors que l'on connaît son sexe et la classe où il est scolarisé, ces variables ne suffisent toutefois pas à expliquer l'ennui propre de chaque lycéen.

L'ennui est aussi le résultat d'une expérience scolaire singulière.

             La façon dont l'élève investit ou non les savoirs, sa manière d'établir des relations avec les autres, sa capacité à affirmer sa personnalité, la perception de sa propre compétence, son aptitude à se plier aux attentes institutionnelles (ses contraintes, ses rythmes), sans ressentir cela comme un sacrifice, sont autant de paramètres qui vont avoir une influence sur son ennui. L'ennui scolaire n'est pas monolithique, il est protéiforme, nous avons d'ailleurs identifié cinq figures de l'ennui. En conséquence, on ne peut se contenter de le qualifier de simple « manque de motivation ».

             C'est donc bien dans la rencontre entre le lycée et la façon dont l'élève se pose comme sujet que l'on peut le mieux comprendre ce phénomène d'ennui. Cette confrontation peut s'analyser à la fois dans le décalage qui existe entre les attentes des différents acteurs, les élèves et les enseignants en l'occurrence, sur le rôle du lycée et la conception de l'élève qui est amené à le fréquenter, et à la fois dans le décalage entre des attentes et la réalité, celles qui se rapportent à un cours ou à la figure de l'enseignant en particulier. Ceci dit, les décalages sont circonscrits et non généralisés : dire que l'ennui naît d'un décalage, ou qu'il est protéiforme, ne signifie pas par exemple qu'il est causé par une méconnaissance totale des élèves par les professeurs, ou que l'ennui peut adopter n'importe quelle configuration. Il peut présenter plusieurs formes, certes, mais il n'est pas multiple pour autant. D'ailleurs, empiriquement, cette circonscription de l'ennui se retrouve : tous les élèves ne sont pas « décalés » , selon les sections, ils représentent une fraction plus ou moins minoritaire. Cette précision s'impose, car le risque demeure tout de même de faire un amalgame entre les différentes sortes d'ennui.

Thèse de Stéphanie LELOUP
SOMMAIRE
Formes de l'ennui
Étude de cas
Décalage entre les représentations des élèves et celle des enseignants
Analyse des écarts
Remèdes à l'ennui scolaire
Le cours
Le professeur
L'élève
Le lycée

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