1/
Comprendre la culture systémique : une
éducation à l'ère
planétaire
En
2000, Gérard Meudal interroge Morin dont
l'ouvrage, commandé et soutenu par l'UNESCO,
" Les
sept savoirs nécessaires à
l'éducation du futur
" vient de paraître : " Vous avez
travaillé dans un Conseil de réforme
de l'enseignement secondaire. Quel a
été l'impact des conclusions de ce
rapport pour l'Education nationale ? " Morin
répond : "Zéro". A la fin de
son entretien, Meulan souligne ce constat : "
Vos travaux au sein du Conseil de réforme
n'ont abouti à rien " ; il interroge : "
Est-ce que ce n'est pas
désespérant de prêcher dans le
désert ? Morin : Cela m'a d'abord "
aidé à mieux formuler mes propres
idées ". Et il invoque - avant " Les
sept savoirs " - ses livres de 1999 : " Relier les
connaissances " et " La tête bien faite ". Il
ajoute que : " si ça ne sert à
rien en France ", ça sert peut-être
davantage " dans d'autres pays ".
|
Notre
livre de ce printemps 2010, Déjouer
l'inhumain, est sous-titré Avec
Edgar Morin. C'est qu'en effet nous
faisons aussi le constat que les
très riches apports d'Edgar Morin
sont loin d'aboutir à ce qu'ils
devraient permettre : la formation
d'une nouvelle culture humaine. C'est
aussi le cas pour les uvres d'autres
auteurs que nos ouvrages tentent de
relayer, ainsi dans " Complexité
des cultures et de l'interculturel. Contre
les pensées uniques ( 2010). On
dira que l'effort de pensée des
grands penseurs ne peut pas se transformer
facilement en culture commune. En effet,
pas sans l'implication des politiques, des
médias, des
enseignants
Au
cur de l'uvre d'Edgar Morin,
on trouve " La
Méthode
". Ses six tomes sont parus entre 1977 et
2004. En 2008, ils ont été
réunis en deux tomes couvrant 2460
pages. La durée de cette entreprise
offerte au public s'étend ainsi sur
un tiers de siècle. Pourtant nous
le disions, les apports fondamentaux
d'Edgar Morin ne parviennent pas à
devenir notre nouvelle culture commune. Y
pouvons-nous quelque chose ?
|
Ce
n'est pas certain si l'on pense que la
civilisation européenne a conduit
au XXe siècle à deux guerres
mondiales aux violences inhumaines les
plus extrêmes. On doit sans
doute en conclure que l'action, la
pensée, l'éducation humaines
ne sont toujours pas ce qu'elles devraient
être puisque ces violences
continuent au XXIe siècle.
Pourtant, des uvres comme celles
de Morin et d'autres auteurs
insuffisamment connus, ne sont-elles pas
porteuses de changements décisifs ?
Nous voudrions apporter, ici, un
début de réponse.
(Voir
s'éduquer aux
cultures)
|
|
2/
L'identité, l'altérité nous
accaparent ; nous oublions
l'intérité, la
reliance
La
pensée et l'action humaines habituelles
mettent en avant l'identité
et l'altérité.
Ce n'est pas nouveau. Les ethnologues ont
remarqué que nombre de tribus se
dénommaient elles-mêmes " les vrais
hommes ". Face à cela,
l'intérité est un terme inconnu.
Morin n'emploie pas ce mot qu'à l'exception
de Stanislas Breton (1986) nous avons tous
oublié depuis que le logicien et
interlinguiste Louis Couturat (1904) l'a
proposé au début du XXe
siècle. Un tel oubli ne saurait être
innocent. Il signe l'existence dans notre
connaissance d'un de ces " trous noirs " que Morin
poursuit. Le mot que va trouver Morin est celui de
reliance qu'il emprunte au sociologue Marcel
Bolle de Bal (1985).
Morin
montre comment notre pensée,
simplificatrice et mutilée, mutile
nos conduites et nos devenirs, en
renforçant tout ce qui est de
l'ordre de la séparation des objets
comme de la séparation des
êtres.
La
séparation est
certes une dimension du réel mais elle ne
doit pas oblitérer la dimension de
reliance. Ce qui est " entre
",
ce
qui est reliance, est à
l'origine du changement et permet aux
identités d'évoluer.
La
reliance ne disparaît même pas
entre des ennemis qui s'affrontent. Elle sera
à la source des compromis qu'ils
devront inventer avant ou après la
défaite des uns et la victoire des autres.
Les Romains, vainqueurs militaires des Grecs, se
sont hellénisés. Les Gaulois, vaincus
par les romains, sont devenus gallo-romains. Les
Mongols et les Mandchous, vainqueurs des Chinois,
se sont sinisés.
La
valorisation abusive des
identités supposées
stables a bien une raison dans
l'expérience humaine : le
changement, l'inconnu angoissent
l'acteur humain qui leur
préfère la
stabilité, la continuité,
la reproduction du même puisque
c'est ce qu'il connaît, ce avec
quoi il est à l'aise.
L'éducation
doit prendre acte du
fait que les oppositions classiques entre
l'identité et l'altérité, les
uns et les autres, " nous " et " eux " est
légitime à condition de n'être
pas la seule référence. C'est
quand elle l'est que se déploient
stéréotypes, préjugés,
xénophobies et que les identités
deviennent meurtrières comme l'a
montré Amin Maalouf. Récemment
encore, Guillebaud (2008 : 277) le souligne : "
La guerre parle à notre sentiment
d'identité le plus fondamental : il y a un "
nous " et il y a un " eux ". Aucune
possibilité de les confondre ".
Dès
lors, valorisant sa seule
identité, dévalorisant
toute altérité, l'acteur
humain devint inhumain. Une
identité qui se sépare,
se mure, se sclérose, peut
n'avoir comme seul reste de vie que le
meurtre des autres.
3/
Action et pensée systémiques
intègrent les oppositions
(voir:
construire
les antagonismes)
L'éducation
doit prendre acte du fait que " la
séparation identitaire " et " la reliance
entre " - constituent un système
d'oppositions.
Une
distinction voisine doit être posée
pour contribuer à une meilleure intelligence
du réel. En parlant d'êtres et
d'objets, nous sommes encore très
imprégnés de cette pensée des
identités définies et fermées
voir définitives.
Les
apports des sciences contemporaines,
sur lesquels nous allons revenir, ont
ouvert une autre direction qui fait
davantage dépendre les objets et
les êtres de leurs relations
entre eux et avec leurs
environnements.
La
pensée de la séparation
privilégie des objets, des " êtres "
relativement clos sur eux-mêmes. La
pensée de la reliance privilégie
l'objet, l'être comme système
et donc des systèmes
d'objets, des
systèmes
d'êtres, en
interaction
modificatrice réciproque. Bachelard
l'exprimait, à sa façon : " Loin
que ce soit l'être qui illustre la relation,
c'est la relation qui illumine l'être ".
Et Jean-Louis
Le Moigne commente :
" Subreptice changement de regard qui fait de la
relation l'acteur et de l'être le
résultat alors que nous sommes
accoutumés à tenir l'être,
acteur essentiel, illustrant son action par son
résultat : la relation ". Pour cette
nouvelle conception du réel, il faut un mot
spécifique, et nous venons de le voir, ce
sera celui de système.
A condition de ne pas trahir ce terme en
l'entraînant dans le sens de
systématique c'est-à-dire de
répétitif et de fermé. Le
système relationnel qui intègre "
objets, êtres, environnements " n'est ni
répétitif ni fermé. C'est tout
le contraire, il est largement ouvert c'est
à dire relativement
indéterminé donc inconnu dans ses
évolutions possibles. Morin écrit : "
la pensée complexe est un mode de
reliance. Elle est donc contre l'isolement des
objets de connaissance, elle les restitue dans leur
contexte et, si possible, dans la globalité
dont ils font partie ".
La
pensée et l'action
systémique ne coupent pas les
objets et les êtres des relations
qu'ils ont entre eux et avec tout
l'environnement.
Cette
coupure est, par exemple, à l'origine de
la crise écologique. Les acteurs
humains ont pensé pouvoir se séparer
les uns des autres et se séparer aussi de
tout leur environnement considéré
comme un simple cadre qu'ils pouvaient traiter
à leur guise, chacun pour son propre
bénéfice au détriment des
autres mais aussi, finalement, au détriment
de l'environnement physique et biologique de
l'espèce humaine.
L'action
et la pensée écologiques,
quand elles savent aussi se
problématiser dans l'incertitude,
sont un des rares exemples connus de tous
de la pensée et de l'action
systémiques.
4/
La régulation systémique antagoniste
du cosmos, du vivant, de l'humain (exemple:
maternage)
La
pensée systémique a une
caractéristique que nous ne voulons
pas voir car elle va contre nos habitudes
de pensée identitaire, elle
conjugue les opposés, les
contraires, les antagonistes.
Les
apports des sciences au XXe siècle ont
été pourtant obligés d'aller
dans ce sens :
- la relativité
einsteinienne, conjugue l'opposition "
espace-temps ",
- la mécanique
ondulatoire de Niels Bohr, ne sépare pas
les deux aspects opposés " onde et
corpuscule ".
- La
cybernétique d'Ashby, conjugue la
rétroaction (feed-back) négative
(maintient en l'état) et la
rétroaction positive (changement). A son
propos, Nelson Vallejo-Gomez parle du " paradoxe
d'un système causal dont l'effet retentit
sur la cause et la modifie ", ainsi du thermostat
adaptant la production de chaleur aux variations de
température.
Morin
généralise cette boucle
rétroactive. Dans la table des
matières des " Sept
savoirs nécessaire à
l'éducation du futur,
cette notion est énoncée à dix
reprises.
Elle est à
deux termes : " action, contexte
", " fins, moyens ", " risque,
précaution " ;
ou, à trois termes
: " raison, affection, pulsion ", "
cerveau, esprit, culture ", "
individu, société,
espèce humaine ".
Le
but est toujours de prendre
chaque terme en reliance à
l'autre et aux autres, et donc
dans leurs interactions
réciproques.
Ainsi
la pensée et l'action systémiques
prennent aussi bien en charge les liens entre les
opposés. Elles suivent ces contraires
co-présents et à la base de toute
adaptation, de toute régulation. Le monde du
vivant met cela sans cesse en avant. La circulation
sanguine s'accroit avec l'effort, se ralentit au
repos. La pupille s'accroit dans l'obscurité
et se rétrécit à la forte
lumière. Les zoologistes parlent de la "
marche antagoniste " des quadrupèdes qui
oppose et associe, en diagonale, pattes qui se
lèvent et pattes qui se posent. La main
s'ouvre pour offrir, ou bien se ferme et c'est le
poing.
Cette
régulation antagoniste est partout : du
biologique au psychologique, au sociologique. Morin
(1984 : 75). s'appuie sur Lupasco : " Les
constituants de tout ensemble doivent être en
même temps, susceptibles de se rapprocher en
même temps que de s'exclure, à la fois
de s'attirer et de se repousser, de s'associer et
de se dissocier, de s'intégrer et de se
désintégrer ". Morin, s'appuie sur
Piaget, pour qui toute l'adaptation humaine est
clairement antagoniste. En effet, l'humain doit
tenir compte du réel extérieur et
s'accommoder à lui mais il doit aussi tenir
compte de son propre réel humain et lui
assimiler le monde. Il ne doit pas négliger
son environnement mais pas davantage se laisser
écraser par lui. Piaget nomme intelligence
cet équilibre entre accommodation et
assimilation, intelligence du réel et de
soi-même inclus.
Morin
emploie ainsi plusieurs termes nouveaux pour
signifier la nouveauté de cette
pensée systémique seule en mesure de
révolutionner nos connaissances et nos
actions. A côté de la "
reliance ", la " boucle
rétroactive " montre que l'effet agit en
retour sur la cause : on l'a vu avec le thermostat.
On ne peut pas non plus
séparer le tout et les parties. Morin
cite ici Pascal : " Toutes choses étant
causées et causantes
, je tiens
impossible de connaître les parties sans
connaître le tout non plus que de
connaître le tout sans connaître
particulièrement les parties. " Morin
poursuit : " cela montre que toute organisation
fait apparaître des qualités
nouvelles, qui n'existaient pas dans les parties
isolées, et qui sont les "
émergences organisationnelles ".
Cela
le conduit à mettre en évidence des
phénomènes d'organisation
exceptionnelles de la complexité du vivant
tels que la " symbiose " ou encore la "
métamorphose ". Morin fait
l'éloge de celle-ci dans " Le Monde " de
janvier 2010. C'est qu'en effet, sans elle, nous
aurions nombre de raisons de doute et de
désespoir en ce qui concerne
l'éducation des personnes comme en ce qui
concerne l'évolution de l'humain.
La
conjonction dynamique des contraires, est
à l'uvre dans l'éducation
individuelle comme dans l'aventure humaine
tout entière. Des métamorphoses
inimaginables sont toujours potentiellement
devant nous avec des émergences
organisationnelles qui apparaissent
aujourd'hui, totalement improbables.
Là
encore, reliant l'aventure de la vie à
l'aventure humaine, Morin peut écrire : " La
formation d'un enfant à partir d'un oeuf
puis d'un embryon est une métamorphose
intra-utérine au terme de laquelle un
ftus à branchies se transforme en
humain à poumons " (2001 : 300).
De
plus, nous ne savons toujours pas voir la
profondeur et l'intensité de l'interaction "
tout, parties ". La notion d'hologramme est
là pour nous le rappeler. Exemples : " la
cellule contient en elle la totalité de
l'information génétique ce qui permet
en principe le clonage ; ou encore la
société en tant que tout, via sa
culture, est présente en l'esprit de chaque
individu ".
Autre
notion cruciale inséparable de la
pensée et de l'action systémiques,
la dialogique. Le terme de dialogique
signifie que les constituants d'un système
sont liés entre eux, et avec
l'extérieur, par un ensemble de relations en
même temps contradictoires, concurrentielles,
conflictuelles et complémentaires. Toutes
sortes de compositions sont possibles entre ces
relations. Certaines vont, un temps, l'emporter sur
les autres mais le système perdure comme
matrice de nouveaux possibles parce que ni la
reliance ni l'antagonisme ne disparaissent. Morin
se résume lui-même : " le principe
hologrammique (tout inscrit dans la partie) et le
principe récursif (boucle
derétroaction) s'appuient sur le principe
dialogique (système d'oppositions
irréductibles) qui conduit à
maintenir la dualité (ou la
pluralité) au sein de l'unité
"(1990 : 99).
Montrons
ci-après que ces apports
théoriques sont fondamentaux en tant
qu'ils sont indispensables pour nous aider
à produire de nouvelles conduites plus
en prises avec la complexité du
réel, c'est à dire de nouvelles
manières d'être, de ressentir,
de connaître, et d'agir.
5/
Education et maternage : premiers antagonismes
A
l'avant-scène de l'éducation, le
maternage qui requiert déjà
"
l'antagonisme "
régulateur.
Dans le maternage, il ne s'agit pas d'appliquer un
modèle théorique
élaboré d'avance,
indépendamment des bébés
réels et des mères réelles. Il
n'y a pas de modèle de " la bonne
mère " qu'il suffirait d'appliquer tel que.
Il s'agit d'articuler dissociation et reliance
permanentes de la mère et de l'enfant.
À tout moment, la mère et l'enfant
changent et pourtant doivent s'ajuster. Seule, une
conduite de régulation antagoniste permet la
régulation, continue et discontinue, d'une
telle complexité. Bien sûr, il faut
comprendre quelles sont les orientations en
opposition. Pendant la grossesse, l'enfant est
plutôt bien " tenu ", " soutenu " mais il
paye cela par un enfermement. Après la
naissance, il gagne l'ouverture mais avec tous les
risques qu'elle comporte. Comment parvenir à
ce que le bébé soit " soutenu ", "
tenu " pour sa sécurité, sans
l'être au point de se trouver de nouveau "
enfermé ", ou du moins trop serré,
voire " étouffé " ?
Ce
que l'enfant aura vécu dans le
maternage et dans sa relation au couple
parental - il sera conduit à tenter de
le revivre dans sa relation au monde, aux
autres et à lui-même. Un
maternage trop désinvolte sera
anxiogène mais un maternage trop
protecteur le sera tout autant. La
régulation est extrêmement
difficile entre la progression d'une
autonomie et la garantie maintenue d'une
sécurité.
6/
S'éduquer au monde et à soi : entre "
ouverture et fermeture ", " risque et
réserve "
De
même, par la suite, comment l'enfant peut-il
accéder à son ouverture
au monde, aux autres et à
lui-même, sans
risquer d'y rencontrer ce qui le contraint, voire
le nie et parfois même peut le tuer ? Quelle
mère et quel père peuvent se targuer
d'être complètement assurés de
réussir cet équilibre antagoniste
entre nécessité de la prise de
risques et nécessité opposée
de la réserve. Quelle prudence à
tel moment sera la bonne ? Quel équilibre
singulier, unique, devront-ils composer avec leur
enfant singulier, selon des moments singuliers
?
Certains
pourront juger ces observations
décourageantes. C'est tout le contraire. En
effet, elles permettent d'anticiper les erreurs
graves d'orientation. Surtout elles permettent de
comprendre que rien ne se joue de façon
simpliste. Il s'agit de mettre en oeuvre des
régulations successives qui peuvent se
corriger au fur et à mesure de
l'évaluation de leurs résultats.
L'éducation doit se garder de toute raideur.
Elle doit être vivante c'est à dire
s'ajuster, se modifier, se maintenir dans la
singularité relationnelle qu'elle constitue.
Elle
à toujours à inventer entre
trop d'ouverture ou de fermeture, trop de
changement ou de stabilité, trop de
prise de risque ou de précaution, trop
de liberté ou d'autorité, trop
de diversité ou
d'unité.
7/
S'éduquer aux cultures : être
multiculturel, interculturel, transculturel
?
Abordons
un troisième exemple de régulation
complexe psychosociale et institutionnelle telle
que nous l'avons vue à l'uvre à
travers maintes fluctuations et incertitudes sur le
terrain éducatif européen. L'Office
franco allemand pour la jeunesse mettait en place
des rencontres bi- ou tri-nationales entre jeunes
et souhaitait qu'elles puissent être aussi
l'occasion
d'une prise de conscience des différences
culturelles et d'un travail d'ajustement
interculturel. Dans
la plupart de nos observations, nous constations
que les participants, écoliers,
lycéens, étudiants, se
dérobaient plus ou moins à cette
injonction institutionnelle. Ils mettaient
constamment en avant des dimensions "
transculturelles " : " On est tous des
jeunes ", " on a tous les mêmes
intérêts ", " on est tous des
Européens "
.
Des
entretiens approfondis qui
prolongèrent les observations
permirent de comprendre que les jeunes
étaient parfaitement conscients des
différences culturelles nationales
qui étaient bien présentes
dans le quotidien des rencontres ; ainsi
dans les modes alimentaires ou la gestion
du temps. Mais la perspective
institutionnelle d'un travail
interculturel conscient et organisé
sur ces différences leur
apparaissait au dessus de leurs moyens. La
transculturalité - d'âge par
exemple - était un point d'appui
autrement disponible. Elle était
porteuse de résolutions,
peut-être un peu superficielles,
mais rapides des conflits.
Ainsi,
" multiculturel, interculturel,
transculturel " recouvraient, en fait,
trois orientations adaptatives
différentes : " être
séparés, être
réunis, échanger ".
Chaque participant faisait sa composition
singulière entre ces trois
orientations. Tel était l'objet
complexe d'une pédagogie
systémique tenant compte des
compositions singulières des
participants à tel moment au lieu
de se contenter de modèles
supposés directement applicables.
|
|
Des
travaux conduits ensuite sur le plan
sociétal plus vaste des évolutions
nationales montrèrent que les Etats
Unis avaient d'abord misé sur une
transculturalité " blanche " pour
surmonter les différences culturelles des
immigrants européens. Ils avaient
été conduits à constater la
résistance de la multiculturalité
noire ou hispanique. Enfin avec l'invention de la
discrimination positive, ils s'étaient
engagés dans la perspective
interculturelle.
En
France on avait d'abord
privilégié un " transculturel "
républicain " refusant les distinctions
culturelles ethniques ou nationales. Les
immigrations persistantes avaient imposé le
constat des différences donc des situations
multiculturelles. La construction européenne
aussi. Et le nécessaire recours à
l'interculturalité, d'abord refusée
tant par les gouvernements que par la population
nationaliste, s'était trouvé mis en
avant.
Mais
surtout une grande conclusion
systémique continuait à se
dissimuler. Il était impossible de
supprimer l'une ou l'autre des trois
orientations multi, trans ou
interculturelles. C'est ensemble qu'elles
constituaient le système culturel en
mesure de produire les ajustements multiples
requis par les évolutions nationales
et internationales aussi bien personnelles,
que groupales et
sociétales.
8/
Une articulation antagoniste : l'institution, telle
la démocratie
La
pensée systémique est une ressource
indispensable pour comprendre, en profondeur, les
institutions. Avec plus ou moins d'adresse ou de
maladresse, les institutions tentent le plus
souvent de résoudre des oppositions.
Ainsi des grandes
oppositions historiques au cur de la
genèse des formes de société.
De tribus aux royaumes, les Grecs ont du traiter "
ethnos " pour faire advenir " demos " : le peuple
non plus ethnique mais politique. Une institution
comme les jeux Olympiques ont, sous le regard des
Dieux, transformé le héros tribal,
vainqueur orgueilleux, en sportif triomphant et
honoré.
Quand
Rome se retrouve avec un roi qui meurt sans
succession et risque d'être annexée
par le royaume voisin, les patriciens se disent
qu'il est temps de se rallier le peuple en lui
accordant l'institution d'un tribunat de la
plèbe.
Ayant éprouvé
le grand écart tragique entre la
royauté absolue des Stuart et la dictature
puritaine de Cromwell, La noblesse britannique
décide de renforcer le parlement pour
parvenir à des règlements pacifiques
des différends.
Montesquieu,
dans " L'Esprit des Lois " tire la loi
générale de la bonne institution :
elle est une articulation des opposés.
Dans le despotisme tous les pouvoirs sont
réunis dans la main du despote. Une
constitution distingue et articule les trois
principaux pouvoir : législatif
exécutif et judiciaire.
9/
Comprendre l'histoire systémique: secteurs
d'activité et formes des
sociétés
|
Dans
son effort pour trouver des mots qui
parlent à tous, Morin a converti
les apports de l'histoire
systémique en formules simples.
C'est ainsi que la troisième forme
sociétale, celle de la nation
marchande industrielle capitaliste, vue
sous son meilleur jour, est aussi " la
Mère-Patrie ", bien que
marâtre aussi. Quant à la
mondialisation, au delà des
errements dont on voit bien en ce moment
les multiples conséquences
négatives, elle doit être
aussi vue dans la perspective d'une tout
autre réalité qui
mériterait le beau nom de "
Terre-patrie ". Idéalisation,
dira-t-on ! Utopie ?
Cela
serait vrai si nous étions sans
indications sur les choix que nous pouvons
faire concrètement et sans raisons
permettant de comprendre les sens des
différents choix. L'histoire
systémique est précieuse,
découvrant la source de l'inhumain.
|
L'inhumain tient
toujours à la montée d'un pouvoir
séparateur qui s'imagine qu'il peut tout
résoudre à lui seul.
Cette
stimulation extrême peut aussi conduire
à des résultats impressionnants.
Ceux-ci masquent d'autant plus les déficits
non traités qui vont s'aggraver.
Nous
devons découvrir, dans
l'histoire, les tragédies qui
ont finalement résulté du
Tout-religieux comme du Tout-politique.
Nous sommes maintenant dans
l'expérience du
Tout-économique et
déjà presque du Tout
informationnel. En effet, jeux, arts,
lettres, sciences et techniques sont
soumis au pouvoir de l'information
médiatique.
Que nous dit la pensée
systémique ?
10/
S'impliquer dans l'histoire : construire
les
antagonismes,
déjouer l'inhumain
La
pensée systémique que peut soutenir
une éducation pour aujourd'hui et demain,
est en mesure de changer nos habitudes d'agir et de
penser. D'abord, elle nous prouve au travers de
l'histoire, que religion, politique,
économie, information ne sont pas
définies une fois pour toutes. Elles sont
produites dans le système relationnel
interhumain. Elles peuvent difficilement
disparaître, l'une ou les unes, au
bénéfice de l'autre ou des autres.
Celle de ces quatre grandes orientations
d'activité, qui prétend
résoudre, à elle seule, l'ensemble
des problèmes se trompe. Malheureusement,
celle qui est dans l'erreur, concernant ses
véritables capacités, n'est justement
pas en mesure de s'en rendre compte. Mais, il n'y a
pas de fatalité, c'est chacun de nous qui
contribue pour sa part à produire l'avenir
par ses engagements multiples et divers en relation
au religieux, au politique, à
l'économie, à
l'information.
Il
en va de même en ce qui concerne les grandes
formes de sociétés. Il y a peu, nous
étions à peine capables de penser
à d'autres formes que les nations.
Aujourd'hui nous avons compris que les formes
communautaires-tribales n'avaient pas disparu et
moins encore les formes royales-impériales
que nous qualifions, parfois un peu
précipitamment, de dictatures. Sans parler
de la mondialisation porteuse d'une forme de
société encore en genèse.
Bref,
de même que nous devons nous
éduquer à la dynamique
systémique " religion, politique,
économie, information ", nous devons
nous éduquer à la dynamique
systémique " tribal, royal, national,
mondial ".
C'est
à ce prix seulement que nous pourrons,
à l'ère planétaire, mieux
orienter les antagonismes entre destruction,
régulation et création, et commencer
à construire une cosmopolitique de
civilisation pour parvenir, demain, à
réduire, à déjouer
l'inhumain.
|