Le
philosophe devant l'agressivité a toujours
la certitude d'être devant le réel
alors qu'il n'a affaire qu'à un mot. Il a
pourtant lu Kant qui sépare le
phénomène du noumène et
Husserl qui lui serine que c'est sa conscience qui
donne de l'existence au monde.
Peut-être faudrait-il qu'il
intègre Lacan pour qui
le
Réel
n'est jamais acquis et que somme toute
nous n'avons affaire qu'à du
symbolique et de l'imaginaire. La porte
réelle qui me coince le doigt est
toujours au-delà de la
pensée cantonnée dans le
langage. Et pourtant elle coince bien le
doigt et fait bien mal : la preuve.
Animiste ou enfantin, il lui attribuera
quelque intention
d'agressivité.
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L'agressivité est elle naturelle ou
culturelle ?
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Mais rien n'y fait. Alors il s'enferme
dans une problématique où il
fait jongler les notions de nature et
de culture. L'agressivité est
elle naturelle ou culturelle ? Le recours
à l'animalité devient alors
un passage nécessaire et
obligé pour tenter d'y comprendre
quelque chose. Mis en possession du
concept d'agressivité, il pourra
relever chez l'animal des comportements
agressifs et induira qu'ils existent aussi
chez l'homme.
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Le tour est joué et la boucle
bouclée ! Le monde devient en fin lisible et
il n'y a plus qu'à faire tourner la notion.
Les constructivistes n'ont plus qu'eux à se
retourner dans leur tombe. L'idée que nous
inventons le monde à notre guise est hors
jeu. C'est qu'elle n'est pas rassurante pour la
sérénité rationnelle des
penseurs soucieux de vérités
établies et consistantes.
L'agressivité
à droite et à gauche !
Posons donc qu'il n'y a pas
d'agressivité en soi mais que nous la
faisons exister par le langage toujours
impliqué dans des contextes
sociétaux. Posons donc qu'il y a de
l'agressivité dans l'air depuis quelque
temps déjà. A ma droite, Hobbes.
L'homme est un loup pour l'homme et il convient de
le faire rentrer dans l'ordre pour qu'il y ait
société. A ma gauche, Rousseau avec
dans le coin des soigneurs, Marcuse. C'est la
société qui rend l'homme agressif.
Depuis, il suffit de varier sur le thème.
Tantôt l'un, tantôt l'autre. On peut
même y maintenir sans incompatibilité
un fond pulsionnel toujours tapi au fond des
psychismes.
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La variante contemporaine met
l'agressivité foncière des
hommes au premier plan. Il suffit de
puiser dans l'actualité, où
les faits sont vite essentialisés
et naturalisés, pour y trouver des
justifications. L'agressivité n'a
pas bonne presse. Dans l'air ambiant du
consensus, qu'on dit mou comme si il ne
l'était pas par nature, elle doit
être contenue, canalisée,
ordonnée, rangée. Au nom de
la santé, de l'hygiène et
surtout de la sécurité. Et
alors se poussent des cris d'orfraie - qui
au passage ne crie pas - dès lors
qu'un comportement y
contrevient.
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L'école et
l'agressivité
L'école éducative, à son
corps et esprit défendant, apporte sa
contribution à la mise en ordre. Ce
qu'apprend d'abord l'école, c'est à
ranger ses affaires, s'asseoir à sa place,
écouter, se lever au commandement de la
sonnerie, à se mettre en rang. Elle interdit
même parfois de jouer au moment de la
re-création, principe de précaution
oblige. On ne va pas resservir ici le couplet de la
castration et de la frustration mais il y a une
relation étroite entre la frustration et la
violence.
Agressivité et
violence
Tiens, vous avez dit violence ? Tenteriez-vous
ici de glisser subrepticement de l'agressivité
à la violence
? Non, on sait bien que ce sont deux choses
différentes mais pourtant il est
intéressant politiquement ou
idéologiquement de faire l'amalgame entre
les deux, de les confondre, de faire de
l'agressivité, de tout comportement agressif
une violence. Un animal est agressif pas violent.
Toujours en supposant qu'il y a de
l'agressivité en l'homme, il n'y a pas, en
soi, de violence. Elle est devenue violence. Par
quel mystère ? Quelle alchimie ? A quelles
fins ? Pour quelle fonction ?
J'ai en quelque sorte déjà
répondu. Les raisons sont évidentes.
Dans une société disciplinaire dirait
Michel Foucault, il convient de ne rien "
déranger " en obtenant l'assentiment
de tous à la mise en ordre. Les
élèves présentant ce qu'on
appelle " pudiquement " des problèmes de
comportement seront " placés " en
institution pour qu'ils rentrent dans l'ordre. Des
collèges deviennent sensibles. Sensibles
à quoi ? Ne sont-ce pas les
élèves qui deviennent sensibles
à une violence institutionnelle, dite
légitime, qui s'exerce sur eux ?
Comme le dit Guy Karl dans son blog " Il est
une agressivité juste, légitime,
exemplaire " et prenant Diogène le cynique
à témoin, " Diogène est
éminemment agressif : il vitupère,
crache dans le bénitier, provoque, aboie,
hurle, agresse les passants, se fait lui-même
machine de guerre contre les moeurs
décadentes, les valeurs hypocrites, les
conventions absurdes, opposant au corps social
dégénéré le "corps de
la nature éternelle", la vertu contre le
vice programmé, l'insolence contre le
conformisme, les vrais dieux contre les dieux
populaires, la vraie monnaie contre la fausse.
"
Agressivité et violence
allégrement confondue apparaissent
aujourd'hui comme le paradigme de la pensée
par excellence. Elles traversent de part en part le
monde et la mondialisation et, comme le spectre de
Marx, hante l'institution. Il convient alors de
faire passer toute agressivité comme un acte
violent, anti-sécuritaire voire
anormal.
Il
ne ferait pas bon à un
Diogène le Cynique de vivre
aujourd'hui lui qui se demandait à
quoi pouvait bien servir une philosophie
qui ne dérange personne ! A bien y
regarder, il y a sans doute dans les
comportements de nos contemporains des
agressivités exemplaires. A bien y
regarder.
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