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 Humour et pensée complexe  

Didier Martz

          Raymond Devos aimait poser cette question : "Comment pouvez-vous identifier un doute avec certitude?".. "A son ombre! L'ombre d'un doute, c'est bien connu..." Trait d''humour, certes. Mais pas seulement.

Koan

           La pensée aime bien les distinctions tranchées, l'exclusion : le blanc ne peut être noir, le bien n'est jamais mal, le vrai ne fait pas bon ménage avec le faux, quant à la gauche, élections obligent, elle s'accommode mal de la droite et réciproquement. C'est utile, facile et confortable. La réalité qui pourtant ne se laisse jamais faire est ainsi bien rangée dans des boîtes, corsetée : l'ordre règne.

 

           Pourtant, à certains moments, la pensée est prise en défaut, quelque chose ne va pas dans notre interprétation du monde. Le lapsus fait irruption, l'acte manqué finit par réussir, l'injonction paradoxale imminente, le clair devient obscur, quelque chose dérange. Le sens échappe, l'absurde n'est pas loin. L'oxymore vient à notre secours, l'humour peut nous tendre une perche, l'artiste place le parapluie sur la table d'opération à côté de la machine à coudre et écorne la pensée duelle, rationnelle et analytique.

 

           On sourit ou on rit du bon trait sans oser aller plus loin par peur de l'abîme qui s'ouvre dans la pensée friande de simplification. La logique duelle est poussée dans ses retranchements. Mais pas les derniers. Elle résiste et sert toujours à celui qui veut se sauver.

 

           " Quel est le son d'un applaudissement fait d'une seule main ? " Amusant, non ? Absurde encore plus. On applaudit des deux mains, cela va de soi. Tournons la page. Pourtant s'ouvre ici un espace inconnu pour la pensée, la possibilité d'un commencement absolument indéterminé.

 

           Ouvrir des espaces pour la pensée est un principe de la philosophie bouddhiste en utilisant ce qu'elle appelle des koans , le but étant de suspendre les réflexes automatiques de la pensée dualiste ou binaire. Plus qu'un jeu, l'art du koan est de mettre en évidence les illusions créées par le langage et de l'utiliser selon des modalités inhabituelles. Il empêche le raisonnement classique de fonctionner et oblige à sortir des sentiers battus par la pensée duelle. Stéphane Lupasco, Edgar Morin ont sur les bases de la philosophie boudhiste développé un nouveau paradigme dit de la complexité pour dépasser la logique de la dualité ou, sinon dépasser, offrir un autre modèle de pensée pour tenter une meilleure compréhension du réel. Ce n'est pas le lieu de développer ici tous les tenants et les aboutissants de ce modèle. Mentionnons sa force éducatrice principalement en empêchant notamment dans l'usage d'un humour paradoxal la réponse trop rapide.

Devant une question, nous pouvons toujours chercher une réponse satisfaisante, mais devant un paradoxe l'esprit est comme arrêté, interdit, ne sachant plus quoi penser. Certains élèves abandonneront certes rapidement la partie, paralysés qu'ils sont déjà par des lustres de pensée formatée inculquée par leur éducateur. A d'autres il faudra beaucoup d'efforts pour s'abandonner dans les voies de l'impossibilité rationnelle.

 

           " Quel est le son d'un applaudissement fait d'une seule main ? ". Aucun. C'est absurde. Un demi-applaudissement ? Ou bien le son du déplacement d'air ? Dans une telle situation, la pensée s'immobilise : sans le choc de deux éléments il n'y a pas de bruit or l'applaudissement est un son. Dans le silence du battement de l'unique main quelque chose comme une intelligence nouvelle peut émerger. L'esprit ne peut plus simplement affirmer ou nier, se pavaner dans les quiétudes des séries duales. Comme dans le jeu des neufs points à relier d'un trait de plume sans repasser deux fois dans le même fleuve, il faut sortir du cadre, adopter un autre point de vue, transcender les oppositions habituelles.

 

           Dans ce silence bruyant de la main qui agite l'air à la fin du spectacle n'y aurait-il pas quelque chose de la réprobation, du refus de participer à l'air ambiant et dominant du consensuel ? Un acte de courage, donc ? Comme dit J. Lappasset, le geste retenu serait alors la menace (d'un soufflet) pour la cohésion imbécile d'un groupe. Ou bien ne s'agirait-il, au contraire ou presque, que d'un compromis boiteux, le signe d'une peur à ne pas être ou faire comme les autres ? Geste d'esprit, il appartiendrait ainsi, comme le dirait Freud à propos des mots d'esprit, à un moyen d'éviter la censure sociale tout en révélant partiellement un sentiment profond.

           Ce qui jette encore de l'ombre sur le doute !

1er mai 2012

Des textes de Didier Martz sur ce site:

Anatomie du goût philosophique

Bachelard entre théorème et poème

Le concept de chien n'aboie pas (Spinoza)

Le corps altéré

Quel genre de femme ou d'homme êtesvous?

 

Le site de Didier Martz:

http://www.cyberphilo.org/

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<<Ce qu’on appelle la dialectique a pour fonction de distinguer en tout occurrence les polarités à la fois opposées ( ou contraires # et complémentaires . ces polarités sont des repères censées borner les extrêmes . Au-delà s’étendent à l’in # dé # fini les espaces de transgression tenus pour barbares ou baroques . Entre les limites se déploie l’intervalle de définition considéré comme normal : il est riche et puissant de toutes les nuances de la gamme des singularités intermédiaires . Ce qui oblige à assumer subtilité et complexité ... qui vont en croissant selon le principe d’entropie et selon le devenir que certains chercheurs ont essayé de modéliser... >>
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