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Le corps altéré

Didier Martz

             On n'est pas pareils

"Handicap, handicapé, dément, malade". Ce sont d'abord des mots, des abstractions qui tentent de désigner quelque chose, quelque chose de perçu d'abord avant d'être nommé. Qu'on perçoit, non pas comme " handicapé " ou comme " handicap " - ça, c'est le mot, la catégorie qui vient après, qui vient recouvrir ce qu'on perçoit - mais comme différent, comme " pas pareil ".

" Pourquoi il est pas comme nous ? " dit l'enfant. " Pourquoi il est dans une chaise roulante ? " " Pourquoi y parle drôle ".

             La différence est d'abord, avant tout discours, physique.

             Un fait brut porteur d'une vérité qui dépasse le discours.

             On voit des gens qui ne marchent pas bien, qui n'ont pas de bras ou un seul, pas de jambes ou une seule, des problèmes de peau, qui ne voient pas bien, qui se déplacent dans une chaise roulante, etc. Des gens qui ont de " drôles d'attitudes ". On voit ce qui se voit. Au moins lorsque ce n'est pas caché.

             La différence, on la voit aussi parce qu'elle est supposée à travers des dispositifs, des dispositions qui sont prises ici ou là. Elle est matérialisée. On voit bien dans la ville des trottoirs abaissés, des places de parking réservées qu'on aimerait bien occuper parfois (mais la raison raisonnable est là qui veille, pas chez tous, hélas, où elle sommeille), des marches électriques qui montent et qui descendent dans les bus.

Toutes ces dispositions prises laissent deviner un autre univers, un peu flou, un peu confus. Mystérieux même.

             Quand on les croise, ceux qu'on voit, on ne sait pas comment se tenir.

             On les regarde ou on les regarde pas ; on les aide ou on les aide pas. Ou on fait " comme si " ou comme ça. ". On est gauche. Quoiqu'il en soit on ne peut pas ne pas en tenir compte. Ils ne passent pas inaperçus. Ils font irruption, effraction, ils nous " interpellent " comme on dit. Etre interpellé, c'est être amené à sortir du flux habituel, tranquille, régulier des choses et être plongé dans un autre univers qui nous oblige à penser ce qui fait irruption.

Ainsi ce qu'on perçoit d'abord, ce qu'on sent, ce qu'on vit avant tout discours, c'est " qu'on n'est pas pareils ".

             C'est de là qu'on doit partir quand on veut réfléchir. Et ce " pas pareil " est le fond irréductible, incompressible. Et il ne s'agit pas là d'une différence de circonstance, conjoncturelle, liée à la production d'une norme sociale qui dit ce qui va et ce qui ne va pas à un moment donné ou une époque donnée. Non, c'est une différence de nature, métaphysique, fondamentale et on peut l'habiller comme on veut, elle demeure.

 

             On est bien lorsqu'on est entre nous

             Les philosophies du sujet qui placent l'homme au centre de leurs préoccupations reposent sur un postulat : il s'agit toujours du même homme, celui qui me ressemble.. Quand elles traitent de l'Autre, c'est " entre nous " qu'elles en parlent. On est bien entre nous : pareils et tellement différents. On est tolérant.

             C'est l'altérité.

             L'Autre qui fait partie du Même, celui qui est reconnaissable, celui qui, à condition que nous "restions entre nous ", diffère. La différence s'accommode bien du reconnaissable. Dans cet espace de la re-connaissance, la tolérance peut s'exercer.

             Nous sommes dans une altérité qui fonctionne dans le semblable, qui permet de traiter sereinement du " rapport à l'autre ", de la" différence " comme on dit aujourd'hui. Contrairement à ce que peut dire Derrida, il n'y a pas " dans la reconnaissance, le risque de la méconnaissance de l'autre. " Car cet autre est implicitement reconnu " comme tel " .

Un Autre, pas tellement Autre au fond.

             L'accès à l'Autre, accès direct et global à l'Autre décrit par Lévinas s'effectue lui aussi dans l'espace de la Mêmeté et notamment la Mêmeté la plus évidente, celle du corps. Il n'en va pas de même pour l'Autre altéré, l'Autre dissemblable, méconnaissable.

             La saisie globale de l'Autre, comme humain, comme celui qu'on ne peut tuer n'est possible que dans l'espace du Même, que dans la mesure où un élément ne m'oblige pas à le " détailler ". Je peux faire abstraction comme le dit Lévinas d'un nez, de la couleur des yeux, etc. parce que tellement évident, tellement présent, tellement ressemblant. " Je me demande si l'on peut parler d'un regard tourné vers le visage, car le regard est connaissance, perception. Je pense plutôt que l'accès au visage est d'emblée éthique. C'est lorsque vous voyez un nez, des yeux, un front, un menton, et que vous pouvez les décrire, que vous vous tournez vers autrui comme vers un objet. La meilleure manière de rencontrer autrui, c 'est de ne pas même remarquer la couleur de ses yeux".

             Mais la perception d'une déformation, d'une " diformation " me pousse à l'objectivation de l'Autre, à le détailler à le regarder dans son manque, dans ce qui lui manque. A regarder son altération par rapport à ce que je suis. Son incomplétude par rapport à ma complétude. A l'objectiver, à le rendre objet. Si la relation au visage est d'emblée éthique, s'il y a de l'homme dans tout visage qu'advient-il de l'éthique, de l'humanité à partir du moment où l'homme est objectiver ? Hélas, l'histoire nous a déjà répondu sur ce point. Ainsi lorsque la philosophie parle de l'Autre ou de l'altérité, elle en parle parce qu'il est le Même.Tant qu'il a un corps qui ressemble au mien.

             Il n'en va pas de même avec le corps altéré qui se livre dans sa nudité, presque dans son obscénité.

           Il y a de l'autre et de l'autre altéré. L'Autre qui quitte le semblable, la symétrie, la réciprocité, l'altérité, le reconnaissable, le " entre-nous ", etc. La philosophie ne traite pas de celui-là. Quand nous rencontrons l'autre dissymétrique, l'autre méconnaissable, l'autre altéré. L'autre altéré, c'est l'autre difforme, qui bave, qui " pue ", monstrueux parfois, im-monde, c'est l'autre qui résiste.

C'est à partir de là que se posent les vrais problèmes. Comment fait-on avec ces humains im-monde, en dehors du monde ?

 

             Le corps altéré est un corps qui ne peut se cacher.

             La " personne " handicapée ne peut pas avancer masquée, le sujet handicapé ne peut justement pas avancer comme personne, persona . Or le masque est celui que tout individu porte pour s'avancer en société et qui permet " d'apparaître sous tel ou tel jour ", " se cacher derrière tel ou tel masque ", prendre un visage de circonstance. Le persona, au-delà de la connotation négative est justement ce qui permet la socialisation, qui permet l'intégration sociale. Et parfois, les masques tombent où l'autre apparaît dans sa nudité. Humaine ? Inhumaine ?

             La question de l'humanité du sujet qui n'en a plus les attributs, qui se situe par-delà les affirmations de principe s'ouvre sur une autre question, celle de la fondation d'une éthique.

             Si il y a, et il y a toujours, au cœur de l'humanité une part incompressible d'inhumanité, que faire de cette part d'inhumanité.

             L'être humain peut-il être dépossédé de son humanité ? Si oui, par quels garde-fous (si l'on peut dire) peut-on l'en protéger ? Une morale ? Qui reposerait sur le devoir auquel on serait d'obéir ? Elle a marqué ses limites. Une hyperéthique, une éthique renforcée ? Sur le cœur ou sur la raison ? Sur la conscience professionnelle… ?

 "Vous avez dit démence ?": Ouvrage collectif à paraître en 2006 sur le statut de sujet de l'individu dément

Voir:

Le site de Didier Martz: http://www.cyberphilo.org/

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