Le corps
altéré
On n'est pas
pareils "Handicap,
handicapé, dément,
malade". Ce sont d'abord des mots, des
abstractions qui tentent de
désigner quelque chose, quelque
chose de perçu d'abord avant
d'être nommé. Qu'on
perçoit, non pas comme "
handicapé " ou comme "
handicap " - ça, c'est le
mot, la catégorie qui vient
après, qui vient recouvrir ce qu'on
perçoit - mais comme
différent, comme " pas
pareil ". "
Pourquoi il est pas comme nous ? "
dit l'enfant. " Pourquoi il est dans
une chaise roulante ? " " Pourquoi
y parle drôle ".
La
différence est d'abord, avant tout discours,
physique.
Un fait brut porteur d'une
vérité qui dépasse le
discours.
On voit des gens qui ne marchent pas bien,
qui n'ont pas de bras ou un seul, pas de jambes ou
une seule, des problèmes de peau, qui ne
voient pas bien, qui se déplacent dans une
chaise roulante, etc. Des gens qui ont de "
drôles d'attitudes ". On voit ce qui
se voit. Au moins lorsque ce n'est pas
caché.
La différence, on la voit
aussi parce qu'elle est supposée à
travers des dispositifs, des dispositions qui sont
prises ici ou là. Elle est
matérialisée. On voit bien dans la
ville des trottoirs abaissés, des places de
parking réservées qu'on aimerait bien
occuper parfois (mais la raison raisonnable est
là qui veille, pas chez tous, hélas,
où elle sommeille), des marches
électriques qui montent et qui descendent
dans les bus.
Quand on les croise, ceux qu'on voit, on
ne sait pas comment se tenir.
On les regarde ou on les regarde pas ; on
les aide ou on les aide pas. Ou on fait " comme
si " ou comme ça. ". On est
gauche. Quoiqu'il en soit on ne peut pas ne pas en
tenir compte. Ils ne passent pas inaperçus.
Ils font irruption, effraction, ils nous "
interpellent " comme on dit. Etre
interpellé, c'est être amené
à sortir du flux habituel, tranquille,
régulier des choses et être
plongé dans un autre univers qui nous oblige
à penser ce qui fait irruption.
C'est de là qu'on doit partir quand
on veut réfléchir. Et ce " pas
pareil " est le fond irréductible,
incompressible. Et il ne s'agit pas là d'une
différence de circonstance, conjoncturelle,
liée à la production d'une norme
sociale qui dit ce qui va et ce qui ne va pas
à un moment donné ou une
époque donnée.
Non,
c'est une différence de nature,
métaphysique, fondamentale et on peut
l'habiller comme on veut, elle demeure.
On est bien
lorsqu'on est entre nous
Les philosophies du sujet qui placent
l'homme au centre de leurs préoccupations
reposent sur un postulat : il s'agit toujours du
même homme, celui qui me ressemble.. Quand
elles traitent de l'Autre, c'est " entre nous "
qu'elles en parlent. On est bien entre nous :
pareils et tellement différents. On est
tolérant.
C'est
l'altérité.
L'Autre qui fait partie du Même, celui
qui est reconnaissable, celui qui, à
condition que nous "restions entre nous ",
diffère. La différence s'accommode
bien du reconnaissable. Dans cet espace de la
re-connaissance, la tolérance peut
s'exercer.
Nous sommes dans une altérité
qui fonctionne dans le semblable, qui permet de
traiter sereinement du " rapport à l'autre
", de la" différence " comme on dit
aujourd'hui. Contrairement à ce que peut
dire Derrida, il n'y a pas " dans la
reconnaissance, le risque de la
méconnaissance de l'autre. " Car cet autre
est implicitement reconnu " comme tel "
.
L'accès à l'Autre,
accès direct et global à l'Autre
décrit par Lévinas s'effectue lui
aussi dans l'espace de la Mêmeté et
notamment la Mêmeté la plus
évidente, celle du corps.
Il
n'en va pas de même pour l'Autre
altéré, l'Autre dissemblable,
méconnaissable.
La saisie globale de l'Autre, comme
humain, comme celui qu'on ne peut tuer n'est
possible que dans l'espace du Même, que dans
la mesure où un élément ne
m'oblige pas à le " détailler ". Je
peux faire abstraction comme le dit Lévinas
d'un nez, de la couleur des yeux, etc. parce que
tellement évident, tellement présent,
tellement ressemblant. " Je me demande si l'on peut
parler d'un regard tourné vers le visage,
car le regard est connaissance, perception. Je
pense plutôt que l'accès au visage est
d'emblée éthique. C'est lorsque vous
voyez un nez, des yeux, un front, un menton, et que
vous pouvez les décrire, que vous vous
tournez vers autrui comme vers un objet. La
meilleure manière de rencontrer autrui, c
'est de ne pas même remarquer la couleur de
ses yeux".
Mais la perception d'une
déformation, d'une " diformation " me pousse
à l'objectivation de l'Autre, à
le détailler à le regarder dans son
manque, dans ce qui lui manque. A regarder son
altération par rapport à ce que je
suis. Son incomplétude par rapport à
ma complétude. A l'objectiver, à le
rendre objet. Si la relation au visage est
d'emblée éthique, s'il y a de l'homme
dans tout visage qu'advient-il de l'éthique,
de l'humanité à partir du moment
où l'homme est objectiver ? Hélas,
l'histoire nous a déjà répondu
sur ce point. Ainsi
lorsque la philosophie parle de l'Autre ou de
l'altérité, elle en parle parce qu'il
est le Même.Tant qu'il a un corps qui
ressemble au mien.
Il n'en va pas de même avec le
corps altéré qui se livre dans sa
nudité, presque dans son
obscénité.
Il y a de l'autre et de l'autre
altéré. L'Autre qui quitte le
semblable, la symétrie, la
réciprocité,
l'altérité, le reconnaissable, le "
entre-nous ", etc. La philosophie ne traite pas de
celui-là. Quand nous rencontrons l'autre
dissymétrique, l'autre
méconnaissable, l'autre
altéré. L'autre altéré,
c'est l'autre difforme, qui bave, qui " pue ",
monstrueux parfois, im-monde, c'est l'autre qui
résiste.
Le corps
altéré est un corps qui ne peut se
cacher.
La " personne " handicapée ne peut
pas avancer masquée, le sujet
handicapé ne peut justement pas avancer
comme personne, persona . Or le masque est celui
que tout individu porte pour s'avancer en
société et qui permet "
d'apparaître sous tel ou tel jour ",
" se cacher derrière tel ou tel
masque ", prendre un visage de circonstance. Le
persona, au-delà de la connotation
négative est justement ce qui permet la
socialisation, qui permet l'intégration
sociale. Et
parfois, les masques tombent où l'autre
apparaît dans sa nudité. Humaine ?
Inhumaine ?
La question de l'humanité
du sujet qui n'en a plus les
attributs, qui se situe
par-delà les affirmations de
principe s'ouvre sur une autre question,
celle de la fondation d'une
éthique.
L'être humain peut-il
être dépossédé
de son humanité ? Si oui, par quels
garde-fous (si l'on peut dire) peut-on
l'en protéger ? Une morale ? Qui
reposerait sur le devoir auquel on serait
d'obéir ? Elle a marqué ses
limites. Une hyperéthique, une
éthique renforcée ? Sur le
cur ou sur la raison ? Sur la
conscience professionnelle
? "Vous
avez dit démence ?": Ouvrage
collectif à paraître en 2006
sur le statut de sujet de l'individu
dément Le site de
Didier Martz: http://www.cyberphilo.org/ Un
site clair sur l'handicape 1.2.3...contact
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