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Anatomie du goût philosophique

Didier Martz

 

 

             Une étude de Charles Soulié 1 interroge une représentation dominante,...

(1) Charles Soulié, Anatomie du goût philosophique, Actes de la recherche en sciences sociales, Octobre 1995

...une évidence, selon laquelle la philosophie " se présente souvent comme une activité qui est à elle-même sa propre détermination ". Les enseignants ou les étudiants de cette discipline interrogés sur leur parcours intellectuel décrivent leur choix comme étant principalement déterminé par des raisons essentiellement intellectuelles. Si on les écoute, c'est avant tout leur intérêt pour tel auteur, telle question ou telle problématique qui les a orientés.

             Ils se pensent comme des professionnels de la lucidité et de la réflexivité, pensée qui n'est pas sans effet sur l'origine de la condamnation des autres disciplines, incapables, elles, de ce retour réflexif ; condamnation aussi et pour les mêmes raisons de la doxa ou l'opinion, des mythes et de l'imagination, " maîtresse d'erreur et de fausseté " comme dirait Pascal.

             Ainsi, les philosophes professionnels ou ceux qui aspirent à l'être, manifestent une franche hostilité vis-à-vis de toute démarche, sociologique - ou philosophique - tendant à mettre à jour ce qui fonde leur position.

             C'est ce à quoi s'est employé un philosophe comme Rorty interrogeant, entre autres, ce qui fait le " fond de commerce " de la philosophie :

la séparation corps/esprit ou rationnel/irrationnel

Discipline théorique et de pure culture, elle n'attire pas spécialement les bacheliers d'origine populaire.

             Elle puise principalement dans les autres couches sociales et elle résiste farouchement à élargir son enseignement à des élèves issues de catégories sociales autres. On peut voir par exemple le sort réservé aux élèves des filières technique et a fortiori, l'absence de sort réservé à ceux des filières professionnelles. Il est probable, que comme pour les femmes, leur " sensibilité conceptuelle " est éloignée de la réputation d'excellence de la philosophie qui présuppose des élèves dotés d'un capital culturel conséquent.

             " But time are changing ". La domination des filières scientifiques, la concurrence des filières économique et sociale et celle des sciences humaines, l'arrivée massive d'élèves d'origine sociale moins " dotés " de plus en plus éloignés des valeurs culturelles dominantes et la féminisation accrue tant chez les étudiants que chez les enseignants n'est pas sans poser problème à ceux qui font profession d'enseigner " la discipline du couronnement ".

             L'approche statistique et sociologique de Soulié, comme ses qualificatifs l'indique, interroge l'évidence par d'autres biais que ces présupposés théoriques.

             Tout d'abord, la philosophie est une affaire essentiellement masculine. La philosophie était, en 1995, la matière la plus masculine des disciplines d'enseignement général. Ainsi, 60 % des professeurs de philosophie sont des hommes et 52 % des maîtrises délivrées le sont à des hommes alors qu'en sociologie le pourcentage est de 33 %, en anglais 21 % et sur l'ensemble des disciplines de lettres et sciences humaines il est de 29 %. Si le sexe des anges ne fait plus problème celui des concepts et de la discipline en est un pour les enseignantes de philosophie.

             Secondement, le fait qu'elle soit la plus parisienne des disciplines n'indique pas seulement une origine géographique mais aussi et fortement une origine sociale.

             Ainsi, si la philosophie était " à elle-même sa propre pédagogie ", on la voit aujourd'hui - et ses philosophes professionnels - puiser, non sans quelques réticences, dans les principes, méthodes et outils des sciences de l'éducation et écorner l'idée que la philosophie s'apprend par sa seule vertu.

             Malgré ces coups portés, la philosophie bénéficie encore d'un fort capital symbolique qui joue surtout dans le domaine social mais de moins en moins dans le domaine universitaire sauf peut être pour les étudiants qui espèrent en tirer un maximum de profit symbolique pour un minimum d'investissement scolaire.

 

Nietzsche dans la IIe inactuelles, cité par Soulié, interroge le choix des auteurs par les philosophes professionnels.

             A priori, dans une telle discipline on peut s'attendre, dans le souci de traiter chacun à égalité, à une sorte d'œcuménisme de bon aloi. " Admettons, dit Nietzsche, que l'un deux s'occupe de Démocrite.[…] Pourquoi donc Démocrite ? Pourquoi pas Héraclite ? Ou Philon ? Ou Bacon ? Ou Descartes et ainsi de suite ? Et encore pourquoi précisément un philosophe ? ". Sans doute que le choix d'auteurs canoniques et de l'histoire de la philosophie dans un souci de " docilité " est déterminé par des considérations institutionnelles qui fait que les futurs philosophes professionnels les mieux " dotés " vont privilégiés Kant, Spinoza, Hegel et consorts et que les moins " dotés " se tourneront vers des auteurs académiquement moins prestigieux comme Kierkegaard, Sartre, Nietzsche, Montaigne… laissant ainsi des pans entiers de la philosophie dans l'ombre, dans l'oubli voire l'ignorance.

             C'est que " pour devenir philosophe ", pour celui qui veut entrer dans le champ philosophique et s'y faire reconnaître, il est indispensable de passer sous quelques fourches caudines, ce qui sonne comme un paradoxe pour ceux qui font métier de passer outre !.

             Pouvoir citer, dit Soulié, ou mieux convoquer, Kant, Aristote, Hegel, Husserl, etc. permet aussi de capter à son profit un peu du capital d'autorité déposé dans ces auteurs par la croyance collective.

Mais ce n'est pas tout.

             Fut-il un homme plutôt qu'une femme, parisien plutôt que provincial, plutôt doté d'un capital culturel que pas, docile plutôt que révolté, il faut faire l'hypothèse que le choix de la discipline philosophie, le choix de tel auteur plutôt que de tel autre, même s'il repose sur des déterminants sociologiques, suppose une affinité "éléctive " qui repose sur des considérants psychologiques.

             La rationalité kantienne ou hégelienne, la discursivité husserlienne ou heidegérienne, font entrer dans des univers rigoureux, froids et glacés qui n'invitent pas à leur table des esprits plus friands des arrondis comme on les trouve dans la philosophie de Montaigne, Sartre, Camus et autres.

             Pour ceux-là, étudiants d'origine populaire, femmes, ces minores- ci, paraissent offrir une solution de rechange. Ils peuvent travailler sur un auteur académiquement reconnu tout en se sentant scolairement ou socialement ou sexuellement pas suffisamment autorisés pour aborder un auteur canonique. Plus qu'une alternative, ce choix prend l'aspect d'une revanche permettant de critiquer par l'utilisation de ces auteurs l'institution : " Nietzsche, le philosophe artiste est fréquemment opposé aux ouvriers de la philosophie que sont Kant et Hegel " (Soulié, 95).

             La philosophie en s'interrogeant sur elle-même, sur les conditions de sa production, sur ses déterminants sociologique et psychologique, sur ces fondements théoriques, sur ces problématiques ; en s'élucidant gagnerait dans la lucidité dont elle fait profession.

Le site de Didier Martz: http://www.cyberphilo.org/

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