Je
n'entrerai pas ici sur le fond théorique et
idéologique du débat qui tourne
autour de la notion de genre. Les arguments ont
été largement déployés
ici et là et il ne me semble pas utile d'y
revenir. Qu'il y ait une nature humaine, une nature
féminine et une nature masculine me semble
évident. Comme chez les animaux, il y a des
femelles et des mâles dont la tâche
principale est de reproduire leur espèce.
Soit. Lorsqu'on a dit ça on n'a rien dit ou
presque. Mais, comme disait mon acolyte de comptoir
: " on n'est pas des bufs ", encore
que, entre le " buf " et le " beauf ", il y a
l'espace de quelques voyelles. Mais laissons cela.
Nous ne sommes pas en effet des
bufs. Même si l'on veut bien
accorder au buf d'avoir appris
à se mettre devant la charrue qui
lui a permis de se sortir de la stricte
animalité, il ne s'agit que d'un
apprentissage. Certes, cela ne l'a pas
promu, comme son compère le cheval,
au rang de meilleur ami de l'homme mais au
moins l'autorise à se distinguer de
l'araignée qui, infatigablement,
depuis des milliers d'années tisse
la même toile. Sauf que son
apprentissage - celui du buf -
n'aura duré qu'un temps et il est
probable qu'il en reste là pour
l'éternité. D'ailleurs,le
problème est réglé
puisqu'il n'y a plus de charrues qui comme
chacun sait ont été
détrônées par le
tracteur lequel s'est " mis avant les
bufs. "
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Si nous ne sommes pas des bufs, des
araignées ou des fourmis, il faut bien nous
accorder, comme l'avait pointé Rousseau,
la perfectibilité. Je ne parle pas
ici de perfectibilité morale parce que dans
ce domaine, on se prend à rêver
d'être des animaux : faire le mal leur est
étranger. Non, la perfectibilité dont
parle Rousseau est celle que nous gagnons par
l'éducation.
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Et il faut bien, si nous voulons nous
distinguer des animaux, postuler que nous
disposons d'une forme de liberté
qui nous permet, notamment grâce
à l'éducation de faire
des écarts. Certes,
écarts quelques fois et peut
être assez souvent, dommageables
à l'espèce humaine mais au
bout du compte ils sont la manifestation
de cette liberté qui nous fait
prendre nos distances par rapport aux "
programmes de la nature ". Le termite
programmé pour aller se jeter dans
la gueule des voraces fourmis rouges pour
retarder leur repas n'a pas le choix et ne
fait pas preuve de courage. Il ne peut pas
décider d'y aller ou de ne pas y
aller, d'aller boire un verre ou de
combattre.
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L'homme ou la femme, oui. Ils peuvent choisir et
souvent en fonction de l'éducation qu'ils
auront reçue. Comme ils peuvent
décider d'avoir ou de ne pas avoir des
enfants même si leur " nature " les a
programmés pour.
Comme le dit Sartre dans L'existentialisme
est un humanisme, si l'homme est libre alors il n'y
a pas de nature humaine, il n'y a pas d'essence de
l'homme qui précéderait son
existence.
Cela signifie, dit Sartre
" que
l'homme existe d'abord, se rencontre,
surgit dans le monde, et qu'il se
définit après. L'homme
[
] s'il n'est pas
définissable, c'est qu'il n'est
d'abord rien. Il ne sera qu'ensuite, et
il sera tel qu'il se sera fait. Nous
voulons dire, poursuit Sartre, que
l'homme existe d'abord,
c'est-à-dire que l'homme est
d'abord ce qui se projette vers un
avenir, et ce qui est conscient de se
projeter dans l'avenir. L'homme est
d'abord un projet qui se vit
subjectivement, au lieu d'être
une mousse, une pourriture ou un
choufleur; rien n'existe
préalablement à ce
projet; rien n'est au ciel
intelligible, et l'homme sera d'abord
ce qu'il aura projeté
d'être."
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Il y a une essence du buf, du termite ou de
tous les animaux de la terre qui
précède leur existence, une sorte de
programme naturel qu'ils " doivent respecter ".
Devoir d'ailleurs n'a pas de sens. Et si l'on casse
trois pattes à un canard, ce n'est plus un
canard. Il ne correspond plus à son essence,
il n'est plus rien. L'homme ou la femme avec deux
pattes en moins est toujours un homme parce qu'il
est toujours en mesure de dépasser sa
condition. Il peut toujours s'évader de
ses déterminismes.
Bien sûr nous naissons homme, femme, pauvre,
riche et ce n'est pas toujours facile de devenir,
d'être le sujet de sa propre existence comme
le propose Sartre. Il est d'ailleurs plus commode
parfois - ou souvent - de s'en remettre à
une sorte de fatalité : " je suis
né ainsi ", "je ne suis pas
doué pour faire cela ", " mon
environnement social m'a conditionné
à être ceci", etc.
Évidemment, je gagne en innocence mais
qu'est-ce que je perds en puissance d'action et en
possibilité d'être.
L'éducation surtout lorsqu'elle est
nationale et républicaine tente
d'atténuer, de gommer les
déterminismes sociaux ou biologiques. En
droit, elle est le lieu et le moment où il
est offert aux petits d'hommes la
possibilité de devenir les sujets de leur
existence. Pour se faire, elle leur met en main les
éléments, tous les
éléments qui leur permettront de
choisir, de décider, de se faire une
idée et, sinon d'êtres libres, d'avoir
des préférences, d'opter.
Aussi, les tentatives qui visent à
ôter aux individus cette possibilité
portent atteinte à leur devenir et poussent
à en faire des " mousses " ou des "
choux-fleurs ". Ce qui est toujours tentant pour
obtenir facilement des consentements.
2 octobre
2011
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