Le tragique du
Formateur Didier
Martz
A
quoi
attribuer la " joie triste" du formateur
à la fin du stage ?
Décompensation après
une implication forte ? Angoisse à
l'éclatement du groupe ? Certes.
Mais il y a plus. Plus profond. Plus
grave. Lié à l'acte
même, fondamentalement
intriqué dans le processus de
transformation lui-même. Une
question ontologique.
Si l'on veut bien se lover quelques
instants dans la thèse de Hegel
développée dans la
dialectique du Maître et de
l'Esclave, l'homme lui-même est le
résultat de son propre travail,
car, en travaillant, il transforme la
nature et, par là, se transforme
lui-même. C'est par le travail que
l'homme acquière un attribut
éminemment humain : la
conscience.
Le premier point va de soi dans
l'acte de former et dans sa visée, la
transformation de l'individu.
Pour preuve, les évaluations de
stage portent principalement sur le stagiaire,
les conditions matérielles, la saveur du
café , etc. mais rarement sur les
modifications dont le formateur a pu être
l'objet. On sait que cette dissimulation du
formateur repose sur l'idée de sa
séparation radicale avec le formé,
condition sine qua non au bon déroulement de
l'acte, la trop fameuse " distance ".
On oublie aussi, à l'heure de la
pensée systémique et complexe dont on
se gargarise, que la situation de stage est une
construction sociale et qu'elle fait
système. En sorte que tous les
éléments qui la composent
interagissent entre eux, s'affectent mutuellement.
On n'en sort pas indemne. Et s'il ne
s'agissait que de compétences acquises, de
savoirs, de savoirs-faire ou de
savoirs-être
Mais il y a
plus.
C'est en effet d'être
qu'il s'agit mais pas de celui pris dans
le savoir et dans les grilles qui
l'enferment, au niveau d'une
compétence, d'une compétence
à être comme ceci ou comme
cela. Non, nous sommes au niveau
ontologique, au niveau de l'Etre car il y
va de la réalisation de
l'homme.
L'incomplétude, de la nature et des
hommes, donnent l'occasion à l'homme de se
faire comme homme. L'incomplétude est le
moteur de l'humanisation. Elle permet à
chacun de " devenir ce qu'il est " (Pindare). Le
travail, l'action transformatrice est donc
formatrice, formatrice
d'humanité.
Mais comme le bateau contient le
naufrage, le formateur s'appauvrit dans le temps
même où il s'enrichit de la relation
à l'autre. Et c'est
là que commence le tragique de
l'affaire.
Car en formant - son " produit "
vient s'opposer à lui comme un
être étranger , comme une
puissance indépendante. C'est
d'ailleurs bien le projet qui est de
rendre les individus auto-nome (ce qui est
en-soi une contradiction dans les
termes).
Mais il faut bien que quelque
chose se perde. La relation
parent-enfant est significative de ce
point de vue.
Elle montre bien comment le
processus éducatif se traduit
nécessairement par une
déperdition, un
dépouillement.
En sorte que, comme la fort bien
montré Marx dans son analyse du
travail, la formation d'un individu, ou
son éducation, est
nécessairement
aliénante.
Cela posé, il
est évident que plus
l'éducateur se
dépense dans son travail,
plus il est crée de
l'autre, de
l'étrangeté ; plus
il crée en face de lui un
monde puissant et plus il
s'appauvrit lui-même.
Comme dans la religion, plus
l'homme place en Dieu, moins il conserve
en lui-même. Il met quelque chose de
sa vie dans le produit et voilà
qu'il lui échappe. En somme, plus
l'activité grandit, plus grande est
l'occasion de se réaliser, de "
devenir ce qu'on est " et plus on perd de
son être, moins on est
soi-même. <<Est-ce peut
être lindustrialisation de certaines
actions de formation (Accompagnement) ? un contexte
dans lequel l'ambition et l'objectif visé se
heurtent à un timing restreint ... (?)
>> <<Notion de
temps intéressante, en effet, puisque
à travers elle nous en arrivons à la
fin d'un stage de formation ou d'accompagnement
à ressentir parfois de la tristesse (pour
revenir à la discussion de départ)
alors que, peut-être, il suffit d'être
en phase avec ce qui est là,
présentement, sans notion de fin ni
d'aboutissement donc de certitudes ; porte ouverte
dès lors à l'incomplétude,
à l'inachevé, porte ouverte aussi au
mouvement et non à la sanctuarisation d'un
système qui s'évertuerait à
figer l'instant. Ne serait-ce pas le propre de
l'être humain ? >> <<Le vrai
sens de la formation ? Un entre-deux dombre
et de lumière, de présence et
dabsence, de maîtrise et de
dé-maîtrise, de vie et de mort, qui
sinvitent souvent inconsciemment dans les
situations de formation ou daccompagnement ;
situations aux ambivalences porteuses de
conjonction et de disjonction et qui, finalement,
invitent le formateur ou la formatrice (ou
l'accompagnant(e)) à lâcher prise...
>> <<Entre gout
de l'inachevé, deuil de la toute puissance
et de la maitrise, il me semble que bien plus que
le contenu, la posture du formateur, reste ce que
le stagiaire retient le plus.C'est donc, pour moi,
l'être, par la relation à la personne,
qu'on peut arriver à développer la
capacité d'apprendre en autonomie: n'est ce
pas là le vrai sens de la formation?
>> <<Oui, bien
sûr, dans les temps souvent très
restreints qui nous sont accordés par les
décideurs pour assurer nos prestations, nous
avons le sentiments de l'inachevé, d'autant
que nous avons souvent aidé à ouvrir
d'autres fenêtres, à élargir ou
approfondir des éléments peu
soupçonnés ou gardés
prisonniers des apprenants. Par ailleurs, nous
appartient-il d'évaluer, de juger de ce que
fera de ce travail l'apprenant dans les semaines,
mois ou plus tard, de ce qu'il aura entendu,
vécu, analysé, construit avec le
formateur ou/et les autres membres du groupe ? Des
rencontres très longtemps après une
formation, j'ai pu être étonné
de constater la transformation de certains
salariés. Donc, beaucoup de modestie, nous
ne savons pas toujours ce qui est important pour
celui (celle) qui apprend, qui cherche.... et
parfois nous éveillons davantage par
l'esprit que nous proposons dans une animation que
par les contenus savamment élaborés
que nous proposons. C'est la confiance absolue que
nous avons dans les personnes, dans leur
capacité d'évolution, qui est la base
de tout. >> <<Hummm ...
voici ce que je pense: Les réalisations ne
font pas de nous des êtres de grandeurs,
c'est notre grandeur qui expérimente les
réalisations. >> <<Un grand
moment de solitude On se sent "tout
chose">> <<M. Nimier,
jaime bien vos articles! Un sage don
joublie le nom (cest bien mi , je ne
peux en prendre le crédit mais ,
sénélité précoce ou
sur-plein dinformation?, je ne peux me
rappeler de tout ce que je lis!)...DONC un sage a
un jour dit :"enseigner, cest apprendre deux
fois." Un autre a ajouter :"Apprendre cest
accepter de changer!" Et comme lincomplitude
est le moteur de lhumanisation....Oui,
former, cest aussi changer! Quel merveilleux
espoir pour tous les formateurs imparfaits que nous
sommes! Quelle bell leçon
dhumilité!>> <<Que de
philosophie! Jaime beaucoup cette analogie
« daventure et de roman » Pour ma
part, jai parfois une petite chagrine
à la fin dune formation. Ce sentiment
je lattribue à la dissolution du
groupe et de lentité que nous avons
créée. >> <<Javoue
ne jamais avoir envisagé la formation sous
cette forme. Et je ne me reconnais pas dans le
propos.>> <<Cela
mevoque aussi ... LOuroboros, le
serpent qui mange sa queue...>> <<Rien ne se
perd... Rien ne se crée tout se
transforme"... Le propre du formateur n'est il pas
d'amener de la ou de l'in- formation pour aider les
autres à se construire ?... Ce n'est pas une
dépossession mais un partage, un
échange de connaissances sont nul n'est
propriétaire.>> MP <<N'exagerons
rien quand meme,sinon on se suicide tous
!!!!!!!!!!!!>> <<
Pensée "dynamique" binaire : le
mécanisme de la perte ne se résume
pas dans l'addition/soustraction. Quant à la
"transformation", il faudrait supposer que le
désir ne s'épanoirait que dans
l'identique. Enseigner ressort de la praxis...
quelle nouveauté !>> <<L'article
de Didier Martz, original, très
dérangeant et stimulant, m'inspire deux
réactions qui s'adressent à deux
niveaux différents de la vitalité du
formateur, qui me questionnent aussi. Je distingue
en effet l'usure du formateur et l'appauvrissement
du formateur. L'usure concerne l'aspect "
fonctionnel " de la formation. C'est un vieux sujet
déjà débattu dans les
années prospères de la formation. Ce
risque peut être diminué par un
renouvellement des méthodes et des champs
d'action, du travail sur soi, du partage des
pratiques dans des groupes de supervision, de
paroles, de pairs avec ou sans père, qui
font sortir de l'isolement . La pratique de la
co-animation - hélas, restreinte partout par
économie- est aussi un antidote reconnu
à cette usure. On peut aussi en
désespoir de cause, changer de métier
! Le risque d'appauvrissement me parait relever
d'un questionnement existentiel autant que
professionnel qui concerne en effet aussi
l'enseignement et l'éducation parentale
"Dieu a créé le monde comme la mer a
créé la terre, en se retirant".
...rappelait le poète Hölderlin " Aux
delà des savoirs, savoirs-faire et savoirs-
être, la mise en route du savoir-devenir chez
l'autre n'appartient plus en effet, au formateur.
Dans l'acte de formation, l'acceptation de cet
appauvrissement à chaque fois
renouvelé, est pallié par la
dimension créatrice qu'il met en jeu. Je
partage avec D. Martz cette conviction que le
formateur, -comme le formé- est
trans-formé, et cela renvoie non plus
à l'isolement évoqué plus haut
mais à la solitude. Cet acte de
transformation ne lui appartient pas , il se fait
à travers lui comme passeur. Comme le
héros de Michel Butor dans " La modification
", le formateur est embarqué avec le
formé dans " une aventure et un roman " .
L'enseignement, la formation sont les lieux d'une
nouvelle naissance où tente de se
découvrir sans succès l'énigme
de la vie ( Jacky Beillerot). C'est pourquoi vivre,
c'est perdre. C'est en effet tragique !Mais c'est
le prix à payer pour contribuer au processus
de " réparation du monde " jamais
achevé ( Le Talmud) et dans celui d'une "
amplification de la vie "( J. Salomé) et
rester des formateurs inquiets et
vivants.>>