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Agressions verbales,

dialogue et processus de pensée

 

             Il est bien évident que nous n'avons pas à nous laisser injurier, agresser verbalement (et encore moins physiquement!). Il est certain que nous avons à chercher, dans ces cas, à mettre les limites nécessaires et utiles aux jeunes et à nous-mêmes.

              Mais quand cela se produit, nous réagissons et, sans doute, fortement, avec nos processus de pensée habituels et bien souvent dans une dynamique de défense. Ceci nous amène, peut-être, après coup, à réfléchir [tout seul, avec un(e) collègue ou en groupe d'analyse de la pratique professionnelle] sur ce qui s'est passé. Ainsi petit à petit nous pouvons devenir plus sensibles à la complexité de ces agressions verbales et à y réagir de façon moins automatique, plus diversifiée, plus adaptée donc plus efficace.

Ce n'est pas la même chose qu'un jeune dise:

- "je vais te mettre mon poing sur la gueule", "je vais te pécho à la sortie" "je vais le dire à mon daron, il va te foncedé la teutê"

- ou "t'es une pute", "je vais te niquer", "elle est bonne la prof"

- ou "j'suis québlo, c'est trop des trucs de ouf" ,"tu me fais chier", "tu nous prends pour des teubés".

  * Le contenu verbal n'est pas le même

             Dans le premier cas on est en présence d'un "pré-acte" ou encore d'une "parole-acte"; et on comprend qu'il est nécessaire d'y mettre rapidement une limite pour que le jeune ne "passe pas à l'acte".

             Dans le 2 ème cas, en plus du caractère agressif il existe une composante érotique évidente . C'est peut être du reste cette composante qui nous atteindra le plus!

             Dans le 3 ème cas, il existe un début d'expression personnelle: le jeune dit ce que l'enseignant produit sur lui.,ou projette ses fantasmes sur l'enseignant. Il exprime donc quelque chose de lui.

* Le langage

             Le jeune reste-t-il dans son langage de groupe en utilisant, en particulier, le verlan ou tient-il compte de nous en cherchant à se raprocher de notre propre langage?

 

* A coté du contenu il y a le contexte

             Ces mêmes phrases ont-elles été exprimées en face à face, dans une relation à deux sans "spectateur" ou au contraire devant le groupe classe?

             Dans le premier cas il peut y avoir début de dialogue . Dans le 2 ème, la provocation narcissique vis-à-vis du groupe est prégnant. Le jeune risque de se laisser piéger par le phénomène groupe qui l'amène à agir malgré lui (il faut qu'il "assure" devant les autres, il ne doit pas "perdre la face", il cherche à être reconnu par ses pairs, car il sait qu'il y a le "après - classe" et qu'il va les retrouver.

Qu’est-ce qu’un « dialogue » ?

<<C’est quand chacun peut exposer sa thèse, produire ses arguments et qu’on n’interdit pas à l’Autre de le faire. >>

Edgard Morin (voir plus bas)

 * On peut encore se poser la question de savoir s'il s'agit d'un phénomène à dominante personnelle ou groupale

- Cette phrase est-elle l'expression de l'état psychique de cet élève, des conditions dans lesquelles il est etc. ou celui-ci est-il aussi, en quelque sorte, le "porte parole " de la classe?

-Est-ce l'expression d'un élève, ( la relation aux parents se posera peut être alors...), un symptôme de ma classe ou plus encore un symptôme du climat de mon établissement?

             Dans un cas j'aurai la partie la plus importante à résoudre, dans l'autre, seul un travail de réflexion en équipe enseignante pourra apporter une réponse appropriée.

 

Bien sûr dans les faits de tous les jours

...nous n'avons pas le temps de nous poser toutes ces questions et nous "réagissons" ; c'est-à-dire que nous utilisons les processus de réaction qui nous sont propres, habituels, automatiques (voir "La machine à café"). Nous prenons ces mots comme adressés à nous-mêmes, nous sommes plus ou moins "atteints, déstabilisés" (le jeune peut le ressentir : "j'ai fait mouche") et nous sommes tentés, à notre tour, par une réponse agressive pas forcément adaptée et qui provoquera, peut-être, une "boule de neige d'agressions". Nous serons alors, sur un terrain certainement beaucoup plus familier au jeune et par conséquent nous prenons le risque de nous laisser mettre dans une situation fragilisée, une "position inférieure " qui ne pourra pas jouer en notre faveur au regard du groupe.

             Bien sûr, impossible de se poser ces questions sur le moment, nous n'en aurons pas le temps. 

             Mais c'est par un travail d'analyse ( seul, avec un(e) collègue, en GAPP) sur nous-mêmes, sur nos processus de pensée, de réaction, sur les circonstances dans lesquelles s'est produite l'agression verbale que petit à petit nous serons amenés à "entendre" ce qui se passe "ici et maintenant" soit pour l'élève soit pour le groupe, dans telle circonstance, et à y réagir de façon plus diversifiée et donc plus adaptée. Notre réaction pourra être alors plus efficace en s'inscrivant dans un processus de formation sans esprit d'agressivité (c'est nous qui ferons "mouche"!).

L'agression verbale sera alors entendue comme

une parole appartenant au jeune ou au groupe et porteuse de signification

             Cette attitude plus sereine n'est pas le signe que nous acceptons tout et n'importe quoi, mais qu'au contraire nous nous tenons "solidement" devant le jeune en adulte responsable. Il est bien évident que le processus d'agressivité entre le jeune et l'adulte augmente ou diminue d'intensité selon l'attitude de l'adulte, et le plus souvent, en fonction de la forme (ton, gestes...) plutôt que du fond (les paroles).

 

Chez certains jeunes, ces agressions verbales peuvent signifier un véritable "mode de vie", un habituel "mode de relation".

             Ce serait le seul qu'ils connaissent bien (voir le film "L'esquive"), le seul dont ils disposent et sans lui c'est :

- le repli , le silence, l'enfermement, c'est-à-dire une impossibilité de communication avec l'autre

- l'isolement, l'exclusion, la désolidarisation, c'est-à-dire une impossibilité d'appartenir à un groupe

- le risque d'endosser un rôle de bouc émissaire, et de se retrouver l'objet de nombreux jugements de valeur ou encore une impossibilité d'affirmer sa différence

 

             Notre objectif est alors, peut-être, de leur apprendre d'autres modes de relations basées sur l'écoute, la tendresse, l'argumentation, l'expression de ses sentiments...

             C'est en pratiquant nous-mêmes d'autres formes de relation qu'ils pourront en interaction en découvrir l'existence et en apprendre l'intérêt.

             La mise en oeuvre de cet objectif va poser problème: les mots tendresse, expression de ses sentiments... ne sont pas souvent recevables dans la mesure où ils renvoient à une position de faiblesse: "on va passer pour un con".

             Il faudra accepter une étape difficile dans laquelle nous passerons pour des "cons" sans pour cela nous sentir faibles à nos propres yeux, avant qu'il y ait une évolution vers la découverte d'un intérêt pour ces autres modes de relation.

 

Nous sommes aussi, enseignants, dans l'ambiance générale.

             Nous sommes ainsi parfois tentés d'utiliser un mode de relation verbale agressive. Il suffit de lire certains messages des groupes de discussion d'enseignants pour s'en convaincre (voir des exemples ci-contre)

             Evidemment le langage n'est pas le même (on ne trouve pas de verlan!), mais le moyen "d'éloigner l'autre" reste le même.

<<A part enfoncer des portes ouvertes et manier des idées reçues, vous avez des contributions constructives ?>>

<<"Je t'emmerde connard", "abruti de ton espèce..." "Quelle grossièreté! :-] avec vos élèves ?"  "Foutre avec ses élèves", comme vous y allez..">>

<<Que tu dis. Mauvaise foi, mais c'est une habitude.>>

<<Gardez pour vous vos jeux de mots vaseux voire nauséeux.>>

<<"je pense que vous êtes tous des poux"; "C'est donc pour cela que tu nous cherches ?">>

 

             Cette tendance agressive peut parfois aller très loin à l'égard des élèves.

 

Voir ci-contre ce que dit Pascale d'un des professeurs de maths qu'elle a eu autrefois et qui utilisait les mathématiques pour agresser ses élèves avec dans ce cas une composante érotique.

<<Pascale - C'était un type qui dictait un cours. Il marchait de long en large dans la salle, et il s'arrêtait au milieu d'une phrase et disait: «Un tel, continuez. » Et le "un tel", c'était toujours les filles, ma copine et moi. Alors que nous, on "ramait" et on était terrorisées. On ne savait pas de quoi il s'agissait, on ne comprenait rien... on n'a plus rien compris toute l'année. On essayait de s'en tirer, d'apprendre pour les colles. C'était affreux, mais vraiment épouvantable! (... ) Son grand plaisir, c'était de fourguer des exercices qu'on ne pouvait pas trouver et, en colle, ce n'était que cela, des exercices avec des astuces.

N. - Comment as-tu vécu cette année?

P. -J'ai été malade, j'ai eu une colite toute l'année. A la fin, mes parents sont venus me chercher, affolés... Je veux dire qu'il y a même eu des symptômes physiques. On arrivait à deux heures de l'après-midi, après le repas. On attendait, on le guettait: il va arriver... il va arriver... la porte s'ouvrait: il rentrait. Tu vois, c'était du théâtre: «Interrogation écrite. Prenez une feuille. » Sur le repas! On ne digérait pas, nous. Ce n'est pas étonnant que j'aie eu une colite! ... Je me suis laissée avoir parce que je ne voyais pas le grotesque de la situation, je marchais dans la terreur, le sadisme et tout ça! Je marchais complètement.>> La machine à café

 

L'agression verbale" repose principalement sur la dichotomie

fort/faible, position supérieure/position inférieure.

             Elle est à rapprocher, de notre point de vue, de cette logique binaire qui se développe actuellement dans les débats de société: pour le voile ou contre le voile; répression ou prévention; juge de gauche ou flic sévère....et si on n'adopte pas une de ces positions on se voit traiter d'inefficace ou d'utopiste : une sorte d'anti-intellectualisme disent certains. On est loin de la prise en compte de la complexité du réel !

             Comment se fait-il qu'une société de plus en plus "instruite" devienne de plus en plus sensible aux arguments simplistes, aux positions binaires ?

En tant qu'enseignants ne sommes nous pas concernés ?

             Nous avons toujours insisté sur la formation "à l'esprit critique" de nos élèves , mais cela ne paraît plus suffisant ! Pourquoi?

 

<<Mots, choses, fantasmes sont trois ordres de réalité : monde extérieur régi par des lois , monde du fantasme régi par des scénarios ; monde de la langue régi par des règles : les trois ordres ont des statuts épistémologiques différents. Le monde des pensées, caractérisé par la réflexivité et la réflexion, essaie de réfléchir ces trois mondes et de réfléchir sur eux. Il se peut que ce soient ces différences qui suscitent, dans l'esprit, l'émergence du penser comme tentative, sinon de les réduire, du moins de contenir la tension qui l'écartèle.

Il faut introduire une autre distinction : celle du penser et des pensées. Les pensées préexistent au penser ; elles l'appellent, le suscitent ; le penser se construit par auto-organisation, pour que les pensées deviennent pensables. >> Anzieu "Le Penser". Ed. Dunod p.6

             Ne serions-nous pas suffisamment attentifs aux "processus de pensée", pas aussi rationnels que nous le pensons?

             L'esprit critique devrait prémunir contre les arguments simplistes, mais cela demande plus d'effort et nous sommes là dans le domaine de l'affect, de l'imaginaire, du sens de notre démarche de réflexion

Par exemple:

- En cas d'incohérence l'esprit occulte certaines informations pour reconstruire un sens approprié, acceptable pour soi.

- Nous avons tendance à rétablir la cohérence en substituant un concept soit différent soit flou ou vide en ne retenant que les connotations qu'il véhicule sans que ce processus soit conscient à la conscience.

<<nous sommes enclins à croire ce qui comble nos désirs, ce qui parle à nos pulsions, ce qui assouvit notre besoin de symbolisation, de conformité au groupe et de construction identitaire et cela au dépend de cet autre besoin, celui de vérité>> "Discours populistes et loi du moindre effort"

Louis de Saussure. Le monde 7/2/04

<<Un premier niveau, [dans Les mythologiques de C. Levy-Strauss] correspondant au premier volume, Le cru et le cuit (1964), concerne « des oppositions entre des qualités sensibles : cru et cuit, frais et pourri, sec et humide, etc. » J'ajouterai doux et rugueux, solide et mou, chaud et froid, clair et obscur... Ainsi la logique des sensations comprend-elle (sans prétendre être exhaustif) comme opérations mentales l'opposition binaire, la correspondance terme à terme, la constance de l'objet.>>

Anzieu "Le Penser". Ed. Dunod

             Prenons-nous suffisamment en compte les processus de pensée autres que purement rationnels tels que les associations d'idées, les glissements de signifiés sur un même signifiant, les métaphores etc...

             C'est par la connaissance de ces processus de pensée que l'esprit critique pourra s'enrichir, se développer et avoir un effet sur nos modes de pensée.

<<Il n'y a rien dans l'esprit qui ne soit passé par les sens et la motricité. L'esprit a tendance à se concevoir comme un apareil analogique du corps vivant et de son organisation...>> Anzieu "Le Penser". Ed. Dunod p.13

Les situations manichéennes rendent le dialogue impossible

<<Lutter contre le discours à deux sous pour des problèmes complexes relève d'une gageure éducative à long terme, car elle fait intervenir la nécessité de développer de nouveaux points de repères dans un monde de l'information tellement surchargé que, pour une part importante des jeunes, plus les discours sont élaborés, plus ils sont potentiellement trompeurs ou sans intérêt suffisant.>> (Louis de Saussure. Le monde 7/2/04)

             Or seul le dialogue permet la prise en compte de la complexité: c'est par le dialogue que l'on peut percevoir ce qu'on occulte, ce qu'on transforme, nos parti-pris en un mot nos représentations tronquées, approximatives, limitées, de la réalité.

 

             Dialoguer avec quelqu'un qui nous agresse verbalement? Est-ce possible? ou est-ce inefficace, utopique, dangereux?

Le dialogue n'est pas toujours possible:

<<De mon point de vue, les civilisations ou les cultures ne dialoguent pas. Seuls peuvent dialoguer des individus. Il s’agit de ceux qui, au sein d’une culture, ont une position ouverte et reconnaissent l’existence de l’Autre. Ils pensent qu’à partir de différences, on peut trouver une base commune, un langage commun – par exemple, « nous recherchons la paix les uns et les autres ». Si vous prenez le monde chrétien du Moyen Âge au moment des Croisades, il n’y avait de dialogue possible ni avec les musulmans ni avec les juifs. Avec les fanatiques intégristes islamiques d’aujourd’hui, il n’y a pas non plus de dialogue possible parce que, pour eux, les autres sont des « chiens d’infidèles ». Dès que l’autre devient un mécréant ou un infidèle, il n’y a plus de dialogue possible. >> Edgar Morin (voir la référence plus loin)

Avec la dichotomie binaire mécréant/fidèle, bons/ mauvais, le dialogue est impossible.

Peut-on éviter cette dichotomie: agression verbale/parole polie?

             Est-il possible de prendre en compte la complexité de ces agressions verbales ? d'apprendre à reconnaître celles qui demandent la pose d'une limite ferme avec sanction et celles qui permettent d'accrocher un début de dialogue, un début de construction d'un autre mode de relation?

Dans tout cela il ne s'agit pas de comprendre le jeune mais de l' entendre.

Pour compléter

Vos  Réactions

Adresse mail facultative

Commentaire

Un texte d'Edgar Morin

sur le dialogue

http://portal.unesco.org/

L'idée républicaine aujourd'hui :

http://www.education.gouv.fr/

 

 

Un forum enseignant sur le sujet

http://80.65.226.209/viewforum

 

commentaires

<< Que pensez vous des enseignants qui tapent des enfants?(entre 4ans et 6ans)? >>

<<J'approuve l'idée de commentaires plutôt que des notes! Mais le risque avec les commentaires, comme avec "l'évaluation de l'investissement ou de l'autorité des enseignants", c'est que le peu de prestige et de "pseudo objectivité" de la fonction soit tuée également avec la fin du chiffre... Chiffre qui ne serait ici utile qu'à des fins de pseudo-technicité mais qui protégerait du "vous faites cela car vous ne m'aimez pas" régulièrement prononcé par des élèves lorsqu'on leur explique que l'on est pas convaincu de leurs compétences à poursuivre leurs études même si l'on peut se tromper.>>

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