Présentation
de la recherche
Lorsque
jai entrepris cette recherche,
jétais animée par des questions
dordre pédagogique issues de ma propre
expérience professionnelle. Je
minterrogeais sur les stratégies mises
en oeuvre par des enseignantes décole
maternelle pour aider des élèves
« silencieux » à entrer dans la
langue de lécole. Portée par
quelques intuitions, jai choisi
dinscrire ma recherche dans le cadre de
lapproche clinique dorientation
psychanalytique ; jétais
particulièrement intéressée
à appréhender certains processus
psychiques à loeuvre en situation
denseignement en lien avec ces questions.
Sans vraiment se transformer, mon questionnement
sest déployé progressivement en
empruntant des chemins qui mont amenée
à explorer dautres pistes me
permettant dapprofondir mes premières
questions.
Ainsi, à
la suite de la lecture « clinique » du
conte de la Petite Sirène que je vais
présenter en guise de prologue, jai
été amenée à interroger
mon propre rapport au silence. En me
remémorant le contexte dans lequel jai
entendu ce conte pour la première fois,
jai pris conscience de limpact
quil avait eu sur moi, ou plus
précisément, jai
réalisé que je lui avais
attribué un sens sur lequel certains aspects
de mon parcours personnel et professionnel avaient
pu se fonder.
Linstitutrice
qui me fit connaître ce conte était ma
mère ; jétais dans sa
classe en grande section de maternelle. Cet
élément a renforcé
lidée selon laquelle une sorte de
« message psychique » me fut transmis ;
le contenu de ce conte mest apparu comme une
réponse à une question jamais
formulée par des mots mais sans doute
entendue à un autre niveau : pour grandir,
il faudrait accepter de sacrifier quelque chose de
soi. Mais si la « langue » est
sacrifiée comme chez la Petite Sirène
qui accepte déchanger sa voix pour
posséder deux jambes, alors comment grandir
sans parler ?
Elève
« mutique » durant mes deux
premières années de scolarité
en maternelle, jai longtemps pensé
que la seule manière dentrer dans la
langue de lécole ne pouvait être
facilitée que par une
enseignante-mère, seule apte à «
entendre » le silence de son
élève-fille. Or, si je fus une
très bonne élève jusquen
classe de troisième prouvant ainsi que
javais pu accéder à « la
langue de lécole », mes
résultats moyens jusquà
lobtention du baccalauréat et mon
désintérêt progressif à
légard des matières
enseignées à lécole
mont laissé supposer que mon rapport
à lécole et à
lapprentissage avait peut-être
été marqué par certains
événements ; peut-être que cet
attachement aux premiers liens établis entre
ma mère et moi furent un obstacle pour
conquérir une « autre langue » que
la langue maternelle. Ce que javais
réussi à recouvrir durant la
première partie de ma scolarité
sest comme désagrégé par
la suite.
Cest en
prenant connaissance de la conversion et du
changement de nom de Georges Devereux que jai
été amenée à
questionner mon propre rapport à
lorigine et à lidentité ;
en mintéressant à la «
méthode » quil préconisait
dans le cadre des « sciences du comportement
», je me suis retrouvée
confrontée à des questions que je
naurais pas imaginé mettre au jour, en
particulier dans le contexte
universitaire.
Convaincue de
lintérêt que pouvait
revêtir lanalyse des
élaborations contre-transférentielles
du chercheur, jai estimé
nécessaire de maintenir constant ce travail
délaboration à chaque
étape de la recherche et de rendre visibles
certains éléments, comme le
soulignent les auteurs de la note de
synthèse concernant les recherches cliniques
en sciences de léducation1
:
«
cest le contre-transfert du
chercheur qui est exposé comme fil
méthodologique majeur et permet les
avancées du travail sur les objets
étudiés »
.Ainsi,
jai été conduite à
approfondir lidée
développée par Jacqueline
Barus-Michel concernant le rapport que le
chercheur entretient avec son objet de
recherche, à savoir : « que
cherche-t-on si ce nest ce qui pose
question à soi-même »
?
La connaissance
du nouveau nom de G. Devereux et des
hypothèses formulées par Tobie Nathan
pour saisir le sens de sa construction (D. evereu,)
ma ramenée à une période
de ma scolarité au cours de laquelle je
percevais mon nom de famille comme dévoilant
trop mes origines ; je me souvins du sentiment de
honte que jéprouvais à
lépoque de toujours me sentir «
dailleurs ».
Aussi, à
la suite de ces investigations, jai pris
conscience que lécole na pas
toujours été pour moi le lieu
familier et protecteur quelle pouvait
représenter lorsque jétais
élève dans la classe de ma
mère. Voulant taire mes origines par la
suite, cest toute une partie de moi que
jai tue, développant ainsi une sorte
de « faux rapport » à
lécole et au savoir ; japprenais
comme si jétais une autre, ou
plutôt, comme si une autre que moi apprenait,
tandis que la « vraie » moi
sasphyxiait.
Mes
premières interrogations dordre
pédagogique prenaient alors une autre
épaisseur ; en investiguant du
côté de mon rapport au silence
à lécole, je me retrouvais
aussi confrontée à la question de la
langue parlée à lécole :
en quoi différait-elle de celle
échangée à la maison
?
Ainsi que le
précisent les programmes de 2002 : «
Quand il arrive pour la première fois
à lécole maternelle,
lenfant découvre quil ne se fait
plus comprendre aussi facilement et que
lui-même ne comprend plus très bien ce
qui se passe et ce qui se dit autour de lui. La
communication avec les adultes, comme avec les
autres enfants, perd lévidence
attachée au milieu familial
».
En
cherchant à cerner cet objet particulier que
représente la langue de lécole,
jai été amenée à
étudier ce que lon a coutume
dappeler la « langue maternelle »,
expression faisant tout autant
référence à la langue de la
mère-patrie quà la langue
adressée par la mère à
lenfant. Mes investigations mont alors
menée à appréhender le silence
de lenfant à lécole en
référence à ce que
javais moi-même ressenti enfant ;
jai supposé que peut-être, la
problématique à laquelle jai
été confrontée pouvait se
rapprocher de celle que rencontrent certains
enfants entrant pour la première fois
à lécole, et que leffort
quils avaient à produire pour adapter
leur langue maternelle à celle de
lécole correspondait à «
la tâche du traducteur ». Jai
alors imaginé que pour ces
enfants-là, le silence correspondait
à lexpression de leur errance dans un
espace de traduction prouvant en même temps
le lien qui les retenait au langage.
Ce travail
de recherches théoriques et personnelles
ma permis dappréhender
lanalyse des entretiens effectués
auprès de sept enseignantes
décole maternelle, «
désencombrée » du poids de la
responsabilité que jattribuais
à lécole, dont ma mère
fut une des premières représentantes.
Ainsi, jai abordé ces entretiens dans
une disposition desprit me permettant de
saisir une part de la complexité de
lacte denseigner ; en me penchant sur
ce qui « faisait silence » en moi, je me
sentais davantage « outillée »
pour atteindre certains processus psychiques
à loeuvre chez dautres
enseignantes.
En effet, si
jai dans un premier temps, imaginé que
le silence de lenfant à
lécole pouvait « arranger »
léquilibre psychique des enseignantes
les poussant à maintenir parfois certains de
leurs élèves dans ce «
symptôme », jai été
amenée chemin faisant, à nuancer la
vision un peu schématique dans laquelle je
métais enfermée ;
considérant les stratégies mises en
oeuvre par les enseignantes en termes de
facilitation ou dempêchement, jai
pris conscience progressivement du caractère
ambivalent que pouvait revêtir chacune de ces
stratégies.
Mon travail
rend compte des résonances produites par les
investigations théoriques sur des recherches
dordre plus personnel ou issues de ma
pratique denseignante, qui ont répondu
elles-mêmes en écho aux recherches
empiriques effectuées à la suite de
lanalyse dentretiens menés
auprès de sept enseignantes
décole maternelle.
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