Résumé
du conte « La Petite Sirène
»
Bien loin dans la mer, la Petite Sirène,
entourée de ses cinq soeurs, vit dans le
château de son père, le roi des
océans, veuf depuis de nombreuses
années. Les princesses sont
élevées par la grand-mère
paternelle qui dirige toute la maison. Leur corps
se termine par une queue de poisson. Les
sirènes, qui jouissent des fastes dune
vie princière, soccupent chacune
dun petit terrain dans le jardin du
château quelles cultivent à leur
goût.
La Petite Sirène qui est la cadette et la
plus belle de toutes, ny cultive que des
fleurs rouges comme le soleil ; elle affectionne
également une statuette de marbre blanc
représentant un garçon, quelle
a récupérée sur un navire
naufragé. La Petite Sirène est une
enfant bizarre, silencieuse et
réfléchie. Lorsque chaque princesse
atteint lâge de quinze ans, elle a le
droit de monter à la surface de la mer afin
de découvrir les différents paysages
de la terre ; mais, une fois le plaisir de la
découverte passé, les princesses
retournent à leurs occupations habituelles
et se satisfont de leur vie dans le royaume de la
mer. La Petite Sirène, quant à elle,
attend avec impatience le jour où elle
pourra sortir hors de leau, car elle sait
quelle aimera le monde des hommes ; sa
curiosité est telle que les récits
rapportés pas ses soeurs sur les merveilles
aperçues sur la terre, ne suffisent jamais
assez à satisfaire sa soif de savoir. Aussi,
elle se tourne souvent vers sa grand-mère
afin de la questionner davantage sur le monde
den haut.
Enfin, le jour où la Petite Sirène
peut monter à la surface de leau,
arrive ; elle assiste par hasard, à une
fête sur un navire, donnée en
lhonneur de lanniversaire dun
prince. Elle ne se lasse pas dadmirer les
danses, les tenues des passagers ; elle est
transportée par les musiques. Mais
dès quelle aperçoit le prince,
son regard ne peut plus se détacher de lui.
La fête nest pas finie quand, à
la suite dun violent orage, le navire fait
naufrage, emportant dans les vagues tous les
passagers se trouvant à son bord. La Petite
Sirène veut ramener le prince avec elle dans
le château de son père. Mais elle se
souvient des propos que lui tint sa
grand-mère : les hommes ne peuvent vivre
sous leau. Elle sauve alors le prince de la
noyade en le ramenant sur la rive, et le
dépose près dun couvent
où des jeunes filles le recueillent et le
soignent. Depuis ce jour, la Petite Sirène
ne cesse de penser au prince ; son souvenir
lattriste, mais elle ne raconte rien de ce
quelle a vécu à ses soeurs.
Elle interroge sa grandmère sur son devenir
de sirène ; elle apprend que les
sirènes vivent trois cents ans, puis,
à leur mort, se transforment en écume
à la surface de leau. Une
sirène peut cependant mériter une
âme immortelle si elle est aimée
dun homme qui nourrit pour elle un amour plus
fort que celui quil porte à son
père et à sa mère. Or,
daprès la grand-mère, cette
situation ne peut jamais se présenter, car
les sirènes nont pas de jambes, et
leur queue de poisson ne plait pas aux hommes.
La Petite Sirène, de plus en plus
affligée à la pensée
du prince quelle a sauvé de
la mort et quelle rêve de
revoir, finit par confier à
lune de ses soeurs les causes de son
chagrin. Les autres soeurs,
informées, accompagnent la Petite
Sirène jusquà la
demeure du prince : elle
laperçoit enfin. Mais son
désir de vivre près du
prince est si fort, que la Petite
Sirène décide de se rendre
auprès de la sorcière de la
mer afin de solliciter son aide pour
trouver une issue à son tourment.
La sorcière lui propose alors un
élixir qui aura pour effet de
transformer sa queue de poisson en deux
belles jambes afin de séduire le
prince. Toutefois, la sorcière met
en garde la princesse sur les souffrances
quelle aura à endurer avec
ses nouveaux attributs qui provoqueront en
elle des douleurs pareilles à des
coups dépées ; par
ailleurs, la sorcière
linforme que si le prince en venait
à épouser une autre femme
quelle, elle mourra.
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|
Malgré ces avertissements, la Petite
Sirène est prête à tout
supporter. La sorcière exige en
échange du breuvage, ce que la petite
sirène possède de plus
précieux : sa voix enchanteresse ; la
princesse accepte le marché. La
sorcière lui coupe la langue. La Petite
Sirène devenue muette, quitte le
château de son père pour rejoindre la
côte ; après avoir absorbé
lélixir, sa queue de poisson se
transforme en deux jambes.
La Petite Sirène peut alors se rendre au
château du prince, qui, surpris,
laccueille, mais ne la reconnaît pas
comme étant celle qui la sauvé
de la noyade. La Petite Sirène, sans voix,
ne peut pas dire qui elle est, et le prince, bien
quattaché à elle comme on
lest envers une enfant, ne conçut pas
damour à son égard. Aussi,
lorsquon lui propose de prendre pour
épouse une princesse voisine quil crut
identifier comme étant la jeune fille du
couvent layant recueilli après son
naufrage, il accepte sans plus attendre. Lors des
préparatifs du mariage auquel elle assiste
éplorée, la Petite Sirène se
sachant vouée à la mort, regarde au
dessus des flots et aperçoit ses soeurs qui,
pour la sauver, ont sacrifié leur chevelure
à la sorcière de la mer. Les soeurs
tendent un couteau à la Petite sirène
et la supplient de tuer le prince ; car ainsi, le
sang tombé sur ses jambes, les transformera
à nouveau en queue de poisson, permettant
ainsi à la Petite Sirène de rejoindre
son royaume. Mais au moment daccomplir son
geste, la Petite Sirène jette son couteau
à la mer, se transforme en créature
céleste, et senvole vers le monde des
filles de lair, qui, comme elle, par le
mérite de leurs bonnes actions, ont acquis
une âme éternelle.
Lecture
clinique
Après avoir montré comment le
récit est situé dans lespace et
dans le temps, je présenterai les
personnages du conte ainsi que les
évènements qui le ponctuent en
proposant les premières mises en sens qui me
sont venues. Dans un second temps, malgré
limpression de mélancolie qui se
dégage de ce récit pouvant laisser
imaginer un dénouement dramatique, je
montrerai comment jai été
amenée à considérer la
solution choisie par lhéroïne
pour prendre « son envol » en termes de
résolution psychique. Je développerai
la problématique qui sexprime de
manière sous-jacente dans ce conte : «
vouloir grandir », à
lintérieur de laquelle sont contenues
des questions appartenant aux épreuves
inhérentes à la croissance psychique
dun sujet telles que : le désir de
savoir, la quête de lobjet absent,
lélaboration de la perte,
laccès à la parole ou le
silence et la voix. Jévoquerai ensuite
la portée que ce conte a eu pour moi, en
rapportant mes souvenirs
délève, éléments
qui ont ressurgi quand il ma fallu
élaborer la question de mon objet de
recherche. Je préciserai enfin, comment ce
conte, en tant que métaphore, a rempli pour
moi une fonction organisatrice pour entrer dans
lécriture de la thèse
dune part, dautre part, ma permis
de « disposer » autrement les questions
soulevées par la problématique de ma
recherche.
Le conte,
situé dans lespace et dans le
temps
Les contes débutent toujours par la
situation du récit dans
lespace et dans le temps ; le conte
de la Petite Sirène se
déroule dans un lieu, la mer,
élément qui nest pas
celui de lespèce humaine ; un
être humain ne survit pas longtemps
dans un milieu aquatique, sauf un
être humain encore inachevé,
le foetus, qui baigne dans le liquide
amniotique du ventre de sa mère
[...] les représentations
que ce terme suscite évoquent le
lieu des premières
expériences infantiles, le lieu
où se sont tissées les
premières relations entre la
mère et lenfant. Les images
reflétant un espace
inquiétant, inaccessible, « la
profondeur de la mer », sont
néanmoins rassurantes par le fait
que, bien quil sagisse
dun espace imaginaire, la
résonance à laquelle renvoie
le mot « mer », fait allusion
à un espace que lon a
certainement connu, un jour, il y a
longtemps : lieu à partir duquel
une histoire singulière du sujet
sest construite, dans les
profondeurs de ce lieu dont parfois les
traces sont encore vives quand elles se
réactualisent à linsu
du sujet.
Cet espace se situe donc dans un
élément différent de
celui auquel lêtre humain est
soumis,mais le temps, aussi, nous projette
dans une autre dimension : « Depuis
plusieurs années le roi de la mer
était veuf, et sa vieille
mère dirigeait sa maison ».
Entre cet espace réservé aux
créatures aquatiques et
lévocation dun
passé lointain, ce nest pas
à une réalité
physique que le texte nous confronte, mais
à une autre réalité,
celle où lespace et la
temporalité renvoient au
début de lexistence, aux
commencements. Le conte nous replonge en
effet dans cet « état
desprit » enfantin, où
les questions que lon se posait
à cette époque de
lenfance, se situaient plus dans le
domaine de limaginaire que dans
celui dune réalité
quil nétait pas encore
possible denvisager.
[...]
|
Comme le rappelle Bruno
Bettheleim12 : « Le conte de
fées, bien quil
puisse commencer avec
létat desprit
psychologique de lenfant
[
] ne souvre
jamais sur sa
réalité physique
[
]. Le conte de
fées laisse entendre
dès son début, tout
au long de lintrigue, et
dans sa conclusion, quil ne
nous parle pas de faits
tangibles, ni de personnes et
dendroits réels.
Quant à lenfant
lui-même, les
évènements
réels ne prennent pour lui
de limportance
quà travers la
signification symbolique
quil leur prête ou
quil trouve en eux. "Il
était une fois", "dans un
certain pays"
ces
débuts laissent entendre
que ce qui va suivre
échappe aux
réalités
immédiates que nous
connaissons. Cette
imprécision voulue exprime
de façon symbolique que
nous quittons le monde de la
réalité
quotidienne. Les vieux
châteaux, les chambres
closes où il est interdit
dentrer suggèrent
quon va nous
révéler quelque
chose qui, normalement, nous est
caché, tandis que le "il y
a de cela bien longtemps"
implique que nous allons
connaître des
évènements plus
archaïques »
BETTHELEIM
B. 1976. Psychanalyse des contes
de fées. Paris : Ed.
Robert Laffont.
|
|
Les
personnages
Le père Veuf depuis de
nombreuses années, le père
de la Petite Sirène est le roi du
peuple de la mer. Mais labsence
totale de détails sur sa personne
ou sur ses qualités renvoie
limage dun être aux
contours flous, imprécis.
Personnage le plus important du royaume de
la mer, il semble navoir aucune
place, aucun rôle à jouer.
Dans quel monde peut-on évoluer
sans une place accordée au
père ?
La mère Si le père,
peu défini, est néanmoins
nommé, la mère, quant
à elle, nest jamais
évoquée ; de même
quaucune donnée sur son
apparence, sur son caractère ou sur
les relations quelle a pu entretenir
avec le roi ou ses filles, nest
mentionnée. Son existence
antérieure ne sexprime
quà travers la qualité
de « veuf » du père.
Cest une présence « en
creux » qui apparaît ;
labsence du nom de la mère
suscite néanmoins
léquivoque :
lélément « mer
» nest-il pas
omniprésent dans le texte
entretenant ainsi la confusion
?
|
«
dès linstant
où les pères ne
prennent plus leur place, ou
plutôt où lon
ne leur prescrit plus leur place,
lenfant flotte ou
appartient trop. Sil
nappartient
quà une seule
personne, quà un
seul groupe, il entre dans une
prison affective. Lorsque ces
hommes acceptent de prendre leur
place, que la
société accepte de
les désigner à leur
place de père,
lenfant peut
échapper à la
prison affective et devenir
progressivement lui-même
»CYRULNIK B. 2004. La petite
sirène de Copenhague.
Paris : Editions de
lAube.
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|
« La mer » en tant quespace
contenant à la fois les personnages et
lintrigue du conte, ne renvoie-t-elle pas
à une présence envahissante dans
laquelle tout le monde est « plongé
», y compris le lecteur ? [...] Cette
ambiguïté que lon perçoit
se maintient tout au long du récit : la
« mer » est le contenant dun
contenu absent : à quelles identifications
est promise la Petite Sirène ? Est-elle
vouée à sidentifier à
« une absence », à une place
vacante quelle a peut-être comme
mission psychique de combler ? Labsence de la
mère réelle constitue probablement le
coeur du drame : est-ce au silence de la «
mère/mer » que la Petite Sirène
va nouer son destin, à une mère morte
? [...]
La grand-mère paternelle Elle
représente le substitut maternel de la
famille :« Depuis plusieurs années
le roi de la mer était veuf, et sa vieille
mère dirigeait sa
maison.>>.[...] Le « couple
» parental représenté par le
père et sa propre mère,
sinscrit dans une relation dont on
perçoit la complexité. Avec la
grand-mère en tant que figure
remplaçante du maternel, mais figure
autoritaire, se repose un peu plus la question de
la place et du rôle du père dans la
construction psychique de la Petite Sirène.
[...] <<Pauvres hommes ! Pour
être beaux, ils simaginent quil
leur faut deux supports grossiers quils
appellent jambes ! » Le savoir de la
grand-mère attise la curiosité de la
Petite Sirène ; la tentation prend naissance
dans le fantasme dune situation inconcevable.
La Petite Sirène sadresse à sa
grand-mère pour trouver des réponses
à ses tourments ; serait-ce dans les
représentations des adultes que se fondent
celles des enfants ? Mais ces
représentations du monde ne portent-elles
pas en elles des éléments à
peine suggérés, incitant à en
savoir plus ?
Le désir de savoir,
déjà présent en elle, se
serait-il renforcé chez la Petite
Sirène à partir du désir non
formulé en tant que tel par la
grand-mère ?
Les soeurs Les
descriptions concernant la personnalité ou
lapparence des soeurs de la Petite
Sirène sont peu nombreuses ; nous savons
juste que lune dentre elles est plus
hardie que les autres, car elle se hasarde à
vouloir sapprocher des petits enfants qui se
baignent dans la mer. Elles sunissent entre
elles pour aider la Petite Sirène afin de
soulager sa tristesse ; elles sorganisent
ainsi, dans un grand élan de compassion et
de solidarité pour monter ensemble à
la surface de leau, et la conduire vers le
château où demeure le prince. Cette
union des soeurs qui se solidarisent entre elles
ma renvoyée à la
représentation des « forces psychiques
» qui se concentrent et sunissent pour
« défendre » un projet
[...]
La sorcière La sorcière
incarne celle, qui, par ses pouvoirs, a le droit de
vie ou de mort sur lhéroïne elle
possède, sur la Petite Sirène, le
droit de vie, en lui faisant miroiter quelle
peut satisfaire ses volontés. La mort, quant
à elle, est le prix à payer «
lorsque lon croit aux contes de
fées » cest-à-dire
lorsque lon pense que répondre au
principe de plaisir est plus satisfaisant parce que
plus immédiat que ce à quoi contraint
le principe de réalité, qui consiste
à différer, à savoir saisir le
bon moment. [...] Afin de faire aboutir son
projet, la Petite Sirène sassocie en
secret à la sorcière dans une
complicité qui la mènera à la
mort ; en acceptant lélixir qui lui
permettra dacquérir des jambes, elle
se condamne à ne plus pouvoir parler,
à se priver « de toute humanité
», comme le dit Bettelheim.
Le prince Le prince est
présenté comme un naufragé ;
avant que son bateau ne chavire à la suite
dune violente tempête, la Petite
Sirène laperçoit au milieu
dune foule dinvités et
séprit immédiatement de lui. Le
prince se situe à la frontière des
deux mondes, de la terre et des profondeurs des
océans : il flotte (lui aussi). Après
son naufrage, il perd conscience avant
déchouer sur la rive ; cest la
Petite Sirène qui le sauve de la mort. Je me
suis demandé si on pouvait entendre cet
évènement, le naufrage, comme
étant celui dun être lui aussi
« flottant » entre deux eaux, en latence,
tel un enfant que la Petite Sirène va
ré-animer. Je perçois pour ma part,
cette idée de réanimation en termes
de « réanimation psychique », en
le ramenant sur la rive, cette rive des hommes dont
elle est exclue et à laquelle elle aspire.
Mais, habituellement, les contes de fées
rapportent des histoires dans lesquelles ce sont
les princes qui sauvent les princesses. Que peut-on
apprendre alors de cet évènement qui
présente le prince comme un être
« faible », puisque naufragé, et
la Petite Sirène comme un être fort,
puissant ? [ ...]. La Petite Sirène
représenterait-elle cette « force
psychique » que lon puise en soi et qui
permet de sortir hors de leau, hors du monde
de la « mer-mère » afin
déviter la noyade, donc la mort ?
Cette représentation du sauvetage fait
penser au passage de ladolescence vers le
monde adulte : la Petite Sirène aide-t-elle
le prince à échapper, avant tout, au
« naufrage » de lengloutissement
maternel, image que mévoque le
naufrage maritime ? [...]
Lhéroïne : La Petite
Sirène Cest la seule qui est
décrite avec lattribut qui
caractérise son personnage,
cest-à-dire son appendice caudal, sa
queue de poisson ; en ce qui concerne les autres
membres de sa famille, nous supposons quils
en sont tous dotés, mais le récit ne
lexprime pas de façon explicite. Ne
serait-on pas dailleurs troublé par
limage dun roi, le père des
sirènes, ou de la grand-mère
représentés avec une queue de poisson
?[...] .Lemploi des métaphores
pour décrire la Petite Sirène (la
peau douce et diaphane comme une feuille de rose,
les yeux bleus comme un lac profond) indiquerait
que la réalité, les mots de la langue
sont trop limités, insuffisants pour
appréhender la complexité du
personnage. Mais la description poétique
sarrête pour nous inviter à
percevoir une autre réalité, la
réalité psychique de
lhéroïne, laissant
soupçonner sa différence : «
cétait une enfant bizarre,
silencieuse et réfléchie » ;
de même, « Cependant, la plus jeune
était plus belle encore que les autres
» ; cette précision qui accentue la
beauté de lhéroïne invite
le lecteur à sidentifier à
elle, comme pour inciter à penser que la
Petite Sirène, en se distinguant ainsi, est
vouée à un autre destin. La Petite
Sirène est aussi la seule qui na pas
connu sa mère, ou pas longtemps ; les autres
soeurs ont pu vivre avec leur mère au moins
jusquà la naissance de la
dernière. Ce qui permet de comprendre la
différence entre le comportement des
aînées et celui de la cadette ; la
manière dont celle-ci cultive son jardin, et
les fleurs rouges quelle entretient
évoquent un univers sensuel, féminin,
celui qui lui aurait manqué. La couleur
rouge exprime la féminité,
laspiration à une figure maternelle,
absente, probablement recherchée. Cest
limage dun « jardin
intérieur » qui me vient à
lesprit à la suite de la description
du jardin et des fleurs quelle cultive, comme
si la Petite Sirène entretenait une relation
particulière avec son
intériorité ; par rapport à
ses soeurs, « son jardin »,
cest-à-dire sa vison personnelle du
monde, lui laisse entrevoir un autre
avenir.
Les
éléments du
récit
Le monde «
den haut » et le monde de la
mer
Lattirance de la Petite Sirène vers
« le monde où vivent les hommes
» sexprime sans ambiguïté ;
je me suis demandé si on pouvait
lentendre comme une aspiration au monde du
« symbolique » et au renoncement au monde
de « larchaïque ». La Petite
Sirène récupère un objet
provenant des naufrages marins, une statuette de
marbre blanc « représentant un charmant
petit garçon » ; quelle fonction assure
pour elle cet objet auquel elle sattache ? La
Petite Sirène sest approprié un
objet-fétiche, objet comme faisant le lien
entre une absence et un désir ; mais les
petites filles jouent plutôt à la
poupée, en général, imitant
les gestes de la relation mère-enfant. Or,
labsence de la mère semble propulser
la Petite Sirène dans une projection
où, comme le précise Bettelheim
« lenfant peut donner corps à de
profonds désirs [par exemple le
désir oedipien davoir un enfant du
père ou de la mère] dune
façon indirecte en entourant de sollicitude
un animal réel ou un animal jouet comme
sil sagissait dun vrai
bébé. Ce faisant, en
extériorisant son désir,
lenfant satisfait un besoin
profondément ressenti »24. Que penser
alors de lobjet quaffectionne la petite
sirène ? Une statuette qui ne
représente pas un bébé, mais
bien un compagnon, un objet de désir,
cest comme si le désir de la Petite
Sirène était déjà
présent avant quil ne se projette sur
la personne du prince. [...]
Lénigme de lorigine semble
puissante pour la Petite Sirène qui na
pas connu sa mère, et se trouve à une
place dans la fratrie qui lautorise, sans
doute plus que les autres puisque cest la
dernière, à semparer de cette
question : comment naissent les enfants, de qui, de
quelle union ? La réponse se trouve-t-elle
dans les récits imagés de la
grand-mère, ou bien dans un autre monde, un
« ailleurs » qui lattire de
manière irrésistible ?
Lopposition spatiale entre le monde den
haut (celui des hommes) et le monde des profondeurs
de la mer, nest cependant pas aussi
marqué quon pourrait le penser ; la
montée à la surface de leau est
la limite, la frontière molle, liquide, que
lon peut traverser aisément. Les
sirènes peuvent quitter un espace tout en y
étant relié par la moitié de
leur corps, et se hisser à un autre espace
en maintenant leur tête hors de leau.
« Le monde den bas » peut tout
aussi bien représenter le monde dun
lieu fusionnel, archaïque, tout autant que le
monde de lintériorité, du
subjectif. De la même manière, «
le monde den haut », celui des hommes,
renvoie à lidée dun monde
symbolique, du monde de lobjectivité,
de celui auquel on accède quand on est
« grand ». Mais la surface de leau,
mouvante, incite à penser que ces univers ne
sont pas aussi distincts quil ny
paraît : les circulations entre lun et
lautre sont possibles. Dailleurs,
laspect des sirènes témoigne de
leur ancrage dans les deux mondes : la
moitié supérieure de leur corps est
humaine alors que la partie inférieure
appartient à lespèce aquatique.
Leur constitution rend donc possible les relations
entre les deux mondes, tout en se gardant la
possibilité dun retour.
La problématique du « dedans-dehors
» telle quelle semble exposée
sexprimerait en fait, non pas en termes
dopposition, mais en tant que relation du
sujet dans son rapport au monde. La question
mapparaît se situer à ce
niveau-là pour la Petite Sirène, dans
son rapport aux mondes, à celui dont elle
est issue et quelle veut quitter, et à
celui auquel elle veut prétendre,
accéder, quelle convoite ; ici,
sexprime, me semble-t-il, la question de la
quête de lidentité, de son
affirmation en tant que sujet pour
lêtre en devenir quelle
représente à mes yeux.
Le rite de passage institue
la traversée officielle de ces deux espaces
; cest à quinze ans, et suivant un
rituel de préparations établies dans
la parure de la jeune sirène que la voie
« hors de leau » est permise
et promise : « Lorsque vous aurez quinze
ans, dit la grand-mère, je vous donnerai la
permission de monter à la surface de la mer
et de vous asseoir au clair de lune sur des rochers
pour voir passer les grands vaisseaux et faire
connaissance avec les forêts et les villes
». Quinze ans, cest lâge
de la puberté, lâge du passage
de lenfance au processus de construction de
ladulte, lâge des transformations
physiques et psychiques, des remises en causes
familiales, des bouleversements intérieurs
et des tensions.[...] On observe ce
processus chez la Petite Sirène qui se
précipite chez la sorcière,
affrontant les endroits les plus obscurs et plein
de dangers ; rien ne larrête dans sa
course, même si la crainte face à des
éléments inquiétants
latteint, elle
persévère.
Le désir
de savoir et les préparatifs pour la
sortie hors de leau
Le désir de savoir augmente au fur et
à mesure que les soeurs montent à la
surface de leau: «
Lannée suivante,
laînée des soeurs allait
atteindre sa quinzième année, et
comme il ny avait quune année de
différence entre chaque soeur, la plus jeune
devait attendre encore cinq ans pour sortir du fond
de la mer. Mais lune promettait toujours
à lautre de lui faire le récit
des merveilles quelle aurait vues à sa
première sortie ; car leur grand-mère
ne parlait jamais assez, et il y avait tant de
choses quelles brûlaient de savoir ! La
plus curieuse, cétait certes la plus
jeune ». La « pulsion de savoir
» est une énergie qui contient sa force
et sa faiblesse, car ce désir qui permet de
penser que lon peut soulever des montagnes
empêche en même temps de voir les
obstacles qui barrent la route.[...].
« Oh ! Si javais quinze ans !
disait-elle, je sens déjà combien
jaimerais le monde den haut et les
hommes qui lhabitent », insiste la
Petite Sirène.
Lorsque arrive le tour de la Petite Sirène
de monter à la surface de leau afin de
découvrir par elle-même ce
quelle supposait dans son imagination, la
grand-mère procède aux
préparatifs, la pare de tas dattributs
qui alourdissent son physique mais lui assure ainsi
que « si lon veut être bien
habillé, il faut souffrir un peu ». La
préparation est nécessaire pour
passer dun monde à lautre, du
monde aquatique, foetal, maternel au monde
terrestre, celui des humains.
Mais
lextériorité ne suffit pas, le
chemin vers la construction psychique nest-il
pas fait dépreuves douloureuses
inscrites dans la chair ? Le passage est
chargé de promesses, mais comme pour tout
projet existant dans le fantasme, la confrontation
avec la réalité sera douloureuse, la
Petite Sirène en fera
lexpérience.
Le retour au
château, désespoir et
mélancolie
Lexistence de la Petite Sirène ne peut
plus jamais être comme avant sa rencontre
avec le prince : lorsquelle dépose le
prince naufragé sur la rive, des jeunes
filles dun couvent voisin le recueillent et
le soignent ; « aussi, lorsquelle le
vit conduire dans une grande maison,
elle
plongea tristement et
retourna au château de son père
». Cest assurément son apparence
de sirène, celle dun être ni
entièrement femme ni vraiment animal, qui
est la cause de ces tourments. Si elle avait
été humaine, donc, femme, elle
naurait pas laissé les autres jeunes
filles semparer de son bien (aimé ?).
Ou du moins, elle aurait pu lutter à «
armes égales » ; mais du fait de son
état, elle doit retourner à son pays
dorigine, à son monde
dappartenance ; le retour, après ce
que son expérience lui a laissé
entrevoir, perd tout intérêt. En
même temps que lévènement
de la rencontre avec un autre monde, naît en
elle un sentiment, un attachement soudain dont elle
ne peut plus se défaire. La tristesse qui
lenvahit provient à la fois de la
perte de lobjet tout autant que de
limpuissance à laquelle son aspect
physique la contraint : « Elle avait
toujours été silencieuse et
réfléchie ; à partir de ce
jour, elle le devint encore davantage. Ses soeurs
la questionnèrent sur ce quelle avait
vu là-haut, mais elle ne raconta rien
».
Le secret
dévoilé : la complicité des
soeurs
La Petite Sirène ne contient plus le secret
de sa tristesse ; elle révèle ce
quelle a vu et vécu à une de
ses soeurs. Ses soeurs qui ne la trahissent pas
auprès du couple parental formé par
le père et par la grand-mère, vont
former une coalition ; cette coalition pour
soutenir et faciliter lentreprise de leur
petite soeur pourrait indiquer que la Petite
Sirène se bat aussi pour elles ; elle
accomplirait en quelque sorte leurs aspirations
quelles ne peuvent mettre en oeuvre. Mais
doù lui vient cette force qui
lanime pour conduire son projet ? La Petite
Sirène sinterroge sur la vie, la mort,
le futur, son devenir, et cest comme si les
réponses que lui apportait la
grand-mère la rassuraient sur « le prix
à payer » pour transformer son destin :
« Je donnerai volontiers les centaines
dannées qui me restent à vivre
pour être homme, ne fut-ce quun jour,
et participer ensuite au monde céleste
», dit-elle.
La
décision
La grand-mère, après avoir
informé la Petite Sirène sur sa
condition future et sur son éventuelle
transformation si un homme venait à
lépouser, la décourage : «
ne pense pas à de pareilles sottises,
répliqua la vieille ; nous sommes bien plus
heureux ici, en bas, que les hommes
là-haut ». Malgré cet
avertissement, la décision de la
transformation se confirme chez la Petite
Sirène. Celle-ci fait le choix de
séloigner dune vie sans
conflits, confortable, mais sans désirs.
Cette sorte de vie assure une
sérénité que ne procure pas la
rencontre avec dautres que soi-même,
rencontres auxquelles aspire la Petite
Sirène. Elle lutte afin de se
réaliser, en quête de son
identité, ainsi quon est amené
à lentendre à travers ce
passage : « Le voilà qui passe,
celui que jaime de tout mon coeur et de toute
mon âme, celui qui occupe toutes mes
pensées, à qui je voudrais confier le
bonheur de ma vie ! Je risquerais tout pour lui et
pour gagner une âme immortelle. Pendant que
mes soeurs dansent dans le château de
monpère, je vais aller trouver la
sorcière de la mer, que jai tant en
horreur jusquà ce jour. Elle pourra
peut-être me donner des conseils et me venir
en aide ». [...] Ce qui pousse un
être à grandir est si puissant que
rien sur sa route napparaît comme un
obstacle, alors que ce même obstacle,
quelques instants avant, peut sembler
insurmontable.
La mutilation et
la métamorphose
La sorcière reçoit la Petite
Sirène en précédant ses
questions : elle connaît les raisons de sa
venue, telle une mère toute-puissante
simmisçant dans lintimité
de son enfant et croyant tout connaître de
lui/delle : « Je sais ce que tu veux,
sécria-t-elle en apercevant la
princesse : tes désirs sont stupides ;
néanmoins je my prêterai, car je
sais quils te porteront malheur. Tu veux te
débarrasser de ta queue de poisson, et la
remplacer par deux de ces pièces avec
lesquelles marchent les hommes, afin que le prince
samourache de toi, tépouse et te
donne une âme immortelle ». La
Petite Sirène est surprise de constater que
la sorcière ait pu percer le secret
quelle pensait avoir tenu si bien
caché. La sorcière va accéder
à son souhait en lui donnant un «
élixir » qui transformera sa
queue de poisson en « deux de ces
pièces avec lesquelles marchent les
hommes ».
La métamorphose renvoie à la
période de la puberté, des
transformations physiologiques, psychiques, et
surtout au fait que cette transformation
paraîtra invisible aux yeux de tous, puisque,
en apparence, lhéroïne conservera
la même physionomie que nimporte quelle
femme : « Enfin tu as bien fait de venir ;
demain, au lever du soleil, ceût
été trop tard, et il taurait
fallu attendre encore une année. Je vais te
préparer un élixir que tu emporteras
à terre avant le point du jour. Assieds-toi
sur le côté et bois-le. Aussitôt
ta queue se rétrécira et se partagera
en ce que les hommes appellent deux belles jambes.
Mais je te préviens que cela te fera
souffrir comme si lon te coupait avec une
épée tranchante. Tout le monde
admirera ta beauté, tu conserveras ta marche
légère et gracieuse, mais chacun de
tes pas te causera autant de douleur que si tu
marchais sur des pointes dépingle, et
fera couler ton sang ». Cependant, la
particularité de cette transformation va
savérer irréversible, comme
toutes les transformations, du reste [...]
Les étapes que lon gravit pour grandir
contiennent un caractère irréversible
ainsi que F. Dolto le montre à travers la
notion de « castration symboligène
». Grandir est une conquête, mais
celle-ci implique nécessairement une perte.
Le passage dune étape de croissance
à une autre contient à la fois une
perte mais aussi un gain ; accepter la perte,
cest accepter de grandir,
définitivement, se mettre en marche vers
lhumanité. Du reste, la Petite
Sirène accepte « le processus
» en quelque sorte : « jy
consens, dit la princesse, pâle comme la
mort ». Mais son consentement
lentraîne à conclure une
transaction insensée : « En ce cas,
poursuivit la sorcière, il faut aussi que tu
me payes ; et je ne demande pas peu de chose. Ta
voix est la plus belle parmi celles du fond de la
mer, tu penses avec elle enchanter le prince, mais
cest précisément ta voix que
jexige en paiement. Je veux ce que tu as de
plus beau en échange de mon précieux
élixir » [
] Soit !
répondit la princesse, et la sorcière
lui coupa la langue. La pauvre enfant resta
muette ». La mutilation entraîne la
perte de la voix, mais je me suis demandé si
on pouvait entendre cette phrase comme
correspondant à une prise de conscience
soudaine de la part de la Petite Sirène :
« elle resta muette »,
cest-à-dire comme
sidérée après la mutilation
quelle venait de subir, sans avoir
réalisé les conséquences que
cet acte allait impliquer. Pour quelles raisons la
Petite Sirène sexpose-t-elle à
une telle mutilation ? [...]
La rencontre
avec le prince : une relation
impossible
Le prince ne « reconnaîtra » jamais
la femme à travers la jeune fille muette
quil a devant lui : « Tous les jours
le prince laimait de plus en plus, mais il
laimait comme on aime une enfant bonne et
gentille, sans avoir lidée den
faire sa femme ». Une femme sans voix,
même avec lapparence et les attributs
de la féminité reste « une
enfant » ; en revanche, une enfant, une
femme mutilée, nest pas
menaçante pour le prince dont la
virilité est naissante, puisquelle ne
peut pas exprimer son désir.[...].
Voilà semble-t-il lépreuve de
la Petite Sirène qui, malgré les
signes de la féminité, malgré
les attributs qui lenferment dans une «
image », une représentation
fantasmée de femme, ne la constituent pas
pour autant comme sujet. Ce qui définit le
sujet, cest son accès à la
langue, en tant que discours qui linscrit
dans la chaîne de lhumanité, et
à la parole, sur laquelle se fonde le besoin
de rencontre et de communication et par laquelle
sexprime le
désir.[...]
Si on se laisse porter par le mouvement
identificatoire que ma imposé, pour ma
part, ce récit, la fin du conte est tragique
: jamais la Petite Sirène ne pourra
dévoiler au prince quelle la
sauvé de la noyade et quil lui doit la
vie. Quant au prince, pris dans sa nostalgie
dun visage brouillé aperçu lors
de son naufrage, il choisira dépouser
une autre femme. Au moment où ses soeurs la
supplient de tuer le prince pour retourner dans le
monde aquatique, la Petite Sirène retient
son geste, et jette son couteau à la mer.
Grâce à cet acte, cette «
bonne action », elle rejoint le monde
céleste des filles de lair, et «
prend son envol ».
La
trame de ce conte
Aspiration à grandir, mort
symbolique et re-naissance, sont les
étapes qui mapparaissent constituer la
trame de ce conte, où saffirme que la
douleur des épreuves à traverser est
intrinsèque à la croissance psychique
du sujet.[...] Sirène qui, dans un
premier temps apparaît comme un conte de mise
en garde, relate en fait le récit dune
naissance dont le drame sinscrit dans un
mouvement ascensionnel. Ce dont témoigne ce
conte nest-il pas la mise au monde, la
naissance dun sujet à lui-même
?
A travers ce récit, nous traversons trois
espaces, trois dimensions, trois mondes : le
monde aquatique, le monde terrestre, le monde
céleste. Entre chaque monde, existent des
frontières molles, liquides, flottantes,
poreuses, des espaces de transition. Ce qui
sépare le monde aquatique du monde terrestre
est la surface de leau : on peut sortir la
tête hors de leau, mais on peut y
replonger aussitôt. Puis, il y a la rive sur
laquelle on se pose. Quant aux limites entre le
monde terrestre et le monde céleste,
lair relie les deux. Mais dans le conte,
cest lacte de suspendre une action, de
la retenir et qui transforme radicalement le sujet,
qui permet le passage de lun à
lautre. La Petite Sirène, être
mi-humain, mi-aquatique, rejoint les « filles
de lair ». Son corps physique auquel
elle a attaché tant dimportance,
devient immatériel et lui permet de
senvoler. Le passage du monde terrestre,
symbolisant la matérialité, au monde
céleste, représentant
lélévation de
lêtre, peut être perçu en
termes de résolution psychique: la
transformation de lenfant/de
ladolescente en être adulte qui prend
« son envol ».
Dans ce conte, la puissance des
éléments, leau, la terre, le
ciel inscrit les personnages dans une dimension
universelle: tout être humain ne
traverse-t-il pas ces trois dimensions ? Le foetus
sort du « bain », le liquide amniotique :
leau est le premier élément
contenant qui, lorsquon le quitte, permet la
naissance à la vie. Puis, la naissance
à la vie psychique représente un
parcours à travers lequel lenfant
gravit les étapes de son
développement accompagnées de
régressions, davancées
spectaculaires suivies parfois de «
plongées » dans linfantile,
pour ensuite, à travers le choix de ses
actes, devenir un adulte. Cest ce que
symbolise le monde céleste ; mais pour cela,
lépreuve de la parole mise en
scène dans ce conte, nous enseignerait que
le passage de lenfance à la
maturité se définit par le langage,
le langage qui dit le sujet que lon veut
être, qui permet la rencontre avec
laltérité, mais peut aussi
lempêcher.
La Petite Sirène est attirée par le
monde des humains, le monde terrestre, un monde qui
nest pas le sien, dont elle nest pas
issue, elle, fille de leau ; la Petite
Sirène rêve dun ailleurs, qui
lui procurerait dautres
bénéfices que la simple existence
à laquelle son essence la prédestine.
Cette attirance qui la pousse de manière
irrésistible vers un autre univers semble
légitime ; ne pas quitter lespace
originel nest pas propice à la
croissance de lêtre. Mais toute soif de
devenir, de grandir comporte des risques ; la
Petite Sirène les prend, les accepte, sans
discuter les termes dun contrat inconcevable
si lon se place en tant que spectateur de la
scène. Mais si lon prend le parti de
lhéroïne, on est porté
à adhérer à sa tentative. La
Petite Sirène franchit une à une, les
étapes du but quelle veut atteindre.
Or, la fin du conte montre que son projet
initialement conçu, échoue ; la
Petite Sirène natteint pas son
objectif. A première vue, cette fin tragique
semble illustrer limpuissance de la rencontre
avec autrui, et nous désole. La fin de ce
conte contient en effet un drame, puisque le projet
naboutit pas, mais il contient en même
temps sa résolution, car par son acte, la
Petite Sirène rejoint le monde des «
filles de lair », le monde
céleste ; cela ne mest pas apparu tout
de suite comme une issue positive. Je suis
restée longtemps sous le choc de ce destin
entravé, dont la route est barrée par
lincapacité à « dire
» de la Petite Sirène, et par
lincapacité à « voir
» du prince. [...] Cependant, de
lécart inéluctable entre
plaisir attendu et satisfaction obtenue naît
un sentiment dinachevé qui le pousse
en avant, toujours en avant. Cest pourquoi il
se trouve irrémédiablement
"condamné à investir", ainsi que le
propose P. Aulagnier Condamnée «
à grandir » semble être le
processus dans lequel sest engagée la
Petite Sirène.
La mutilation réelle de la perte de
lorgane-langue subie par la Petite
Sirène renvoie au concept de castration
symboligène dun sujet, castration
symbolique en tant quorganisateur du
désir humain tel que le développe F.
Dolto dans « Limage inconsciente du
corps »40.
Limportance de ces épreuves auxquelles
se heurte le désir de lenfant,
épreuves appelées « castrations
» sont nécessaires en ce sens
quelles permettent la symbolisation. Au sens
propre, la castration est la mutilation physique
dun individu qui le rend
irréversiblement stérile. En
psychanalyse, la notion de castration « rend
compte dun processus qui saccomplit
chez un être humain lorsquun autre
être humain lui signifie que
laccomplissement de son désir sous la
forme quil voudrait lui donner, est interdit
par la loi »41. Ne peut-on pas
considérer la voie choisie par La Petite
Sirène en termes de processus de
symbolisation ? En renonçant à
lacte qui laurait ramenée
à sa condition initiale de sirène,
elle renonce définitivement à
lemprise des pulsions ; la retenue de cet
acte lentraîne dans une autre
dimension. La Petite Sirène, pour laquelle
le support identificatoire féminin de type
génital fait défaut, va se mettre en
quête : désir de savoir, pulsion
dexhumer, recherche de « sa voie/voix
».
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