Esprit du site
Moteur de recherche
Recherche d'article par auteur
Pedagopsy.eu
Recherche de livres par motsclefs
Plan du site
L'auteur

PLAN DU SITE

 

Comment l’enfant entre dans la langue ?

Chantal COSTANTINI    

             Je vais retracer ici, les étapes qui m’ont conduite à penser que : si le désir de parler se fonde dans la relation duelle entre la mère et l’enfant, on ne parlerait réellement qu’avec l’apparition d’un tiers.

             Afin de comprendre comment s’effectue l’entrée dans la langue chez un sujet, j’ai été amenée à croiser divers champs tels que la linguistique, la psychanalyse, la philosophie.

Extraits de la THÈSE Pour l’obtention du grade de Docteur en Sciences de l’éducation présentée et soutenue publiquement par Chantal COSTANTINI le 17 juin 2008 sous la direction du Professeur Claudine BLANCHARD-LAVILLE

              Je me suis appuyée tout d’abord sur les travaux de Claude Hagège pour tenter de mieux saisir la distinction entre langue, langage et discours ou parole. Cet auteur constate que si tous les linguistes parlent de langage, de langue, de discours, « le besoin de proposer des définitions explicites apparaît comme un aboutissement, non comme un a priori » Il souligne que « ce qui est reçu est de la langue, ce qui est produit (plus ou moins bien) est de la parole ».

L’auteur précise ainsi que « le langage » est le premier des concepts de base : « C’est pour l’espèce une aptitude définitoire. Etudier le langage, c’est considérer le rapport de l’homme avec cette aptitude, depuis les "origines" […]. C’est examiner, par exemple, les formes autres que verbales (langages gestuels, langages des signes de sourd etc.) ou la pathologie (types divers d’aphasie) ».

             Pour C. Hagège, la langue se situe en « contrepoint du langage », distincte d’une langue ou des langues mais en tant que « concept de langue ». Car, une langue, « c’est-à-dire un système de systèmes, utilisé dans la relation d’interlocution, et répartissant des signes à deux face, sonore et sémantique », correspond quant à elle à « un objet dont l’épistémologie peut fixer les contours »...

 

             Mes premières investigations m’ont conduite vers les travaux de Françoise Dolto, qui dans son ouvrage : « L’image inconsciente du corps » développe la notion de castration symboligène pour retracer les étapes du développement psychique de l’enfant. Jusqu’à aujourd’hui, et malgré mes nombreuses lectures s’intéressant à la naissance du langage chez l’enfant, je reste attachée (ou je n’ai pas réussi à m’en détacher) à cette modélisation qui consiste à montrer que

chaque progrès implique à la fois un gain mais aussi une perte, dont le but consiste en son élaboration.

 

La notion de castration symboligène

             F. Dolto définit la notion de castration symboligène comme représentant l’interdit par lequel le sujet désirant sera « initié à la puissance de son désir, qui est une valeur, en même temps qu’il s’initie à la Loi, laquelle lui donne d’autres voies à l’identification des autres êtres humains, marqués eux aussi par la Loi ». Ainsi, pour cette auteure, c’est dans la confrontation de son désir à la loi, que l’enfant va se constituer en tant que sujet, lui permettant l’accès au langage.

             La notion d’interdit ne correspond pas seulement à un arrêt barrant l’accès à un objet poursuivi ; la notion de castration, telle que F. Dolto le précise, montre qu’à chaque stade d’évolution de la libido, il y aura un deuil à accomplir, une perte à supporter d’un objet à jamais perdu qui nous satisfaisait jusque-là et sous une forme particulière.

             La castration implique que le renoncement à la satisfaction d’un désir engendre le refoulement des pulsions, et de ce fait, permet l’accès à la symbolisation. Ce qui est perdu, considère F. Dolto, représente en quelque sorte la base de ce qui va être conquis. C’est parce que le désir de l’enfant se heurte à la castration qui représente l’interdit que la symbolisation sera possible.

             Comme le souligne F. Dolto, « c’est grâce à la castration que la communication subtile à distance des corps devient créatrice, de sujet à sujet, par la communication, à travers l’image du corps actuel et le langage, au cours de chaque stade évolutif de la libido ».

"A travers la notion de « castration symboligène », j’ai cru reconnaître une part de ce qui m’avait personnellement fait défaut dans mon accès à la parole ; de même, il m’a semblé que l’émission du mot « non » n’a pas eu sa place en tant qu’organisateur de « ma » propre vie psychique, si bien que ma période de silence à l’école aurait peut-être ressemblé à un « non » n’ayant pu s’exprimer en son temps. Par ailleurs, j’ai cru identifier dans ma difficulté à exprimer une parole qui m’appartienne en propre et non pas « portée » par une autre ainsi que le dirait Piera Aulagnier, comme une sorte de « barrage » à un espace tiers permettant l’ouverture à l’altérité. C’est pourquoi le choix de certaines théories correspond peut-être à une sorte de « reconstitution » de mon propre accès au langage et de ses empêchements ; ainsi, j’ai le sentiment que ce repérage pour moi-même m’a permis d’appréhender certains aspects de ces empêchements chez autrui." CC

             Le processus de castration dans sa dimension symboligène ne sera assuré que si l’enfant voit en l’adulte qui pose les limites, un modèle dans lequel il percevra que ce qu’il va perdre est la promesse de satisfactions plus grandes.

 

             Ainsi, chaque étape du développement libidinal de l’enfant sera marqué par une castration qui produira des effets symboligènes ou non, dont le but est d’éloigner « progressivement le sujet du recours au plaisir du corps à corps » qui empêche la relation de sujet à sujet, qui elle, se fonde sur la communication langagière. Mais la castration se réactualisera à chaque stade du développement de la libido. Afin de mieux appréhender ce processus symboligène en lien avec l’entrée dans le langage, je vais plus particulièrement me pencher sur la définition de castration orale.

             La castration orale « aboutit au désir et à la possibilité de parler » C’est par la découverte de nouveaux moyens de communication hors du corps à corps, avec des objets dont l’incorporation n’est pas ou plus possible, que l’enfant va rencontrer les plaisirs nouveaux liés aux premiers renoncements.

             Le sevrage correspond à la privation imposée au bébé vis à vis de sa mère, impliquant d’elle qu’elle accepte également la rupture du corps à corps. Il est nécessaire que le corps à corps mère/enfant soit érotisant, mais le sevrage doit marquer cependant la mutation symbolique pour accéder à la communication à distance de ce corps à corps. En se séparant du sein en tant qu’objet partiel, l’enfant s’initie à d’autres « nourritures » par le renoncement à l’illusion de cannibalisme à l’égard de cet objet partiel.

             En d’autres termes, la relation du corps à corps entre la mère et l’enfant est indispensable pour soutenir les pulsions libidinales de l’enfant, mais les formes de satisfaction qu’elle implique, arrêtées par le sevrage vont permettre au langage de s’installer en se réorientant vers d’autres voies pour assouvir le désir poursuivi. F. Dolto emploie une métaphore pour montrer que le langage, en se mutant en « circuit long » par les vocalisations et le sens des mots qui recouvrent des perceptions sensorielles différentes, toutes transformées par la voix de la mère, devient symbolique du « circuit court » que représente la relation de corps à corps. Cette relation représente la voie la plus facile pour accéder à la satisfaction du désir ; la castration orale qu’impose le sevrage, en permettant la symbolisation implique le refoulement des pulsions exprimées pour atteindre l’objet visé.

 

             F. Dolto considère que l’assimilation du langage ne commence à se faire qu’après le sevrage du corps à corps et pose l’hypothèse qu’elle débute par les « premiers mots répétitifs de deux syllabes correspondant au sentiment d’exister de l’enfant lorsqu’il est conjoint comme un semblable à sa mère, et doublure de leur sensation » ; comme elle le suppose, c’est la répétition des deux syllabes identiques (mama, papa), qui provoque chez l’enfant « lui-autre, pareil, appareillé », le début du parler. La période qui se situe autour du sevrage correspond à une « époque de rythme à deux temps » dans laquelle l’enfant est « la doublure de la mère », ainsi qu’elle le précise : « Evidemment, cela s’enracine d’abord dans le coeur et ses battements, mais surtout par le fait qu’il faut être double, se dédoubler avec déplaisir quand la mère s’en va, et se réunifier avec plaisir quand on se retrouve double et se re-dédoubler pour que le symbolique advienne à la notion de sentiment différent de sensations avec la mère et sans elle ». Selon F. Dolto, c’est l’ensemble de cette métaphorisation des présences/absences de la mère qui expliquerait la syllabisation double constituant les premiers signifiants entre l’enfant et la mère. On peut se poser la question de savoir si les premiers mots doublés tels que mama, papa correspondent à la définition d’un début de langage véritable, qui ne serait en fait que la réplique symbolique d’une relation à deux. Autrement dit, l’émission de ces premières apparitions linguistiques signerait l’entrée dans la symbolisation, sans être toutefois le début du langage même si cela commence par des mots.

 

             F. Dolto considère que l’ensemble des castrations (ombilicale, orale, anale, génitale) modèle l’image du corps, sans laquelle les mots ne peuvent prendre sens, comme elle le dit :

« les mots, pour prendre sens, doivent d’abord prendre corps, être du moins métabolisés dans une image du corps relationnelle ». ..

             Pour F. Dolto, le mot dépend de la constitution de l’image du corps de chacun, « reliée aux échanges vivants qui ont accompagné, pour lui, l’intégration, l’acquisition de ce même mot ». Pour que les mots du langage deviennent les mots qui appartiennent à une personne, ils doivent être incorporés, pris en soi. Mais comment ces mots s’organisent-ils pour que le sujet entre dans la communication ?

 

Pour parler, faut-il savoir dire « non » ? :

             En m’interrogeant sur les conditions favorisant l’entrée dans le langage, j’ai été particulièrement intéressée par les travaux de R. Spitz. Ces travaux, antérieurs à ceux de F. Dolto, m’ont fait prendre conscience que la notion « d’organisateur » de la vie psychique et en particulier le rôle du mot « non » dans la construction identitaire de l’enfant rencontraient mes propres préoccupations ; mon silence à l’école n’était-il pas une forme de revendication de soi ? Pourquoi avais-je choisi cette forme d’expression ? Etait-ce une forme détournée du mot « non » ?

             En s’appuyant sur l’observation directe des nourrissons, R. Spitz a proposé le concept d’organisateur psychique. Ce concept permet de rendre compte du fonctionnement de l’appareil psychique, comme résultant des processus de déplacements des investissements libidinaux, et où plaisir/déplaisir, satisfaction/frustration ont un rôle de façonnement de cet appareil. R. Spitz montre que trois organisateurs psychiques jalonnent la vie de l’enfant afin de le conduire à la parole :

le sourire de l’enfant adressé à un autre, l’angoisse du huitième mois, et le geste de secouement de la tête associé au mot non.

 

           Je vais plus particulièrement m’attacher à comprendre comment l’auteur appréhende ce troisième organisateur psychique qui correspond au mot « non ». Dans le langage courant, « un organisateur » est un outil qui permet à quelque chose de fonctionner grâce à la combinaison de plusieurs éléments ; pour Spitz un organisateur correspond à « des processus de convergence menant à l’induction d’agents et d’éléments régulateurs ». La communication au départ égocentrique, expression de processus internes puis allocentrique, c’est-à-dire dirigée, se constitue par le développement de la fonction symbolique. La psychanalyse insiste sur le fait que toutes les fonctions psychiques, sensations, perceptions, pensées ou action, s’exercent grâce à des déplacements d’investissements libidinaux perçus par l’individu en tant qu’affects et processus affectifs ; en retour, les manifestations affectives indiquent les déplacements d’investissements fournissant la motivation pour activer les fonctions psychiques, plaisir et déplaisir ayant un rôle de « façonnement de l’appareil psychique et de la personnalité ».

             Spitz insiste sur l’importance de la frustration dans l’apprentissage et le développement. Il considère que c’est dans la capacité de tolérance vis-à-vis de la frustration que le principe de réalité trouve son origine, ce principe étant la reformulation d’une fonction de détour. Cette capacité de pouvoir surseoir à la satisfaction d’une pulsion, de tolérer un délai dans la décharge de la tension, de renoncer à un plaisir immédiat dans le but d’avoir la certitude d’un plaisir plus lointain constitue, pour Spitz, « une étape mémorable dans l’humanisation de l’homme »

 

             Spitz observe qu’autour d’un an, l’enfant en acquérant la capacité de se déplacer lutte pour gagner son autonomie et se mettre hors de portée de sa mère. Il peut échapper au regard de sa mère, mais ne peut pas se soustraire à sa voix. Par conséquent, les relations objectales fondées sur la proximité et le contact, subissent un changement radical ; la mère intervient davantage par la parole que par les gestes.

             La nature des échanges se transforme également ; la mère, libre jusqu’alors de satisfaire ou non les désirs et besoins de l’enfant, est forcée dorénavant de réfréner et d’empêcher les initiatives de l’enfant pour lui éviter les dangers au moment où les activités infantiles accusent une poussée. Les échanges mère/enfant s’effectuent donc autour des poussées d’activité de l’enfant et des ordres d’interdiction de la mère.

             L’enfant commence avec la marche, à comprendre les interdictions maternelles à travers les processus d’identification. Le geste de secouement de la tête et le mot « non » sont, d’après R. Spitz, les premiers symboles sémantiques au cours de l’établissement du code de communication sémantique de l’enfant. De ce point de vue, ces premiers symboles sémantiques différent fondamentalement des mots globaux papa, maman, représentant un grand nombre de besoins et de désirs infantiles (par exemple maman peut signifier : « maman j’ai faim », « maman je m’ennuie », etc.). Le secouement de la tête associé au mot non représentent, par contraste, « un concept ». Ce concept de négation correspond au premier concept d’abstraction pour l’enfant, même s’il imite d’abord sa mère au niveau du geste, par le fait que l’enfant choisit les circonstances dans lesquelles il utilise ce geste et le moment où il exprime le mot non.

 

             Chaque non de la mère représente une frustration émotionnelle pour l’enfant, assumée en tant qu’expérience mnémonique relative à l’expérience. L’interdiction de la mère interrompt une initiative de l’enfant, le poussant alors à la passivité et provoquant chez lui, un conflit entre ses liens libidinaux l’attachant à sa mère, et son agressivité suscitée par la frustration qui lui est imposée. L’enfant se retrouve alors, entre son propre désir et l’interdiction émanant de l’objet, c’est-à-dire entre le déplaisir de s’opposer à sa mère et le risque de la perte de l’objet.

             Dans un ouvrage récent, B. Golse qualifie, lui, de « triomphes nostalgiques », les progrès d’un être humain, comme il le précise : « Pour l’adulte comme pour l’enfant, nombre de progrès s’avèrent être des progrès tristes, des triomphes nostalgiques, ne serait-ce que parce que tout progrès s’originent dans la perte, ou, à tout le moins, le remaniement de l’état précédent » [...]

 

             Avec l’acquisition du geste de secouement de la tête et du mot non, l’action est remplacée par les messages, et la communication à distance s’instaure peu à peu. C’est ici que R. Spitz situe l’origine de la communication verbale, avec l’avènement des symboles sémantiques qu’instaurent les échanges de messages intentionnels et dirigés. Le non constitue l’expression sémantique de la négation du jugement. Cette première abstraction s’acquiert avec l’aide d’un déplacement d’investissement agressif qui, selon R. Spitz est caractéristique de toute abstraction. R. Spitz montre ainsi que ce premier mot a un sens particulier, celui de l’intériorisation de l’interdiction. C’est par l’emploi du mot non que l’enfant signale qu’il a intériorisé la fonction symbolisante de la mère, prouvant par là qu’il peut reprendre cette fonction à son compte, l’aidant ainsi à se constituer en tant que sujet différencié de la mère.

             Pour R. Spitz, le début du langage ne s’installe pas après l’émission des premières unités linguistiques telles que papa, maman ; le premier signifiant qui a valeur de mot, en tant que support de symbolisation est le mot non qui signe dans la relation à l’autre, la notion d’interdiction. Par ce terme, l’enfant commence à affirmer son identité face à autrui. Pour R. Spitz comme pour F. Dolto, c’est par la signification de l’interdiction liée à la frustration qui s’ensuit, que se construit le sujet dans son rapport au langage.

Le langage se façonnerait entre le désir et la loi symbolisante.[...]

             Mais le langage en tant que production destinée à un autre, nécessiterait l’intervention d’un espace tiers, comme le montre B. Golse dans les travaux qu’il a rassemblés autour du thème : « le père comme processus ».

 

Pour parler, il faut un tiers ?

..            .Par mes précédentes lectures, j’étais pour ma part plutôt habituée à envisager la fonction paternelle comme séparatrice de la relation mère-enfant, et de ce fait portée à considérer cette fonction comme nécessaire et structurante pour l’accès au langage. Or, des travaux plus récents montrent que la fonction paternelle peut être tout autant une fonction séparatrice qu’une fonction contenante d’une part, d’autre part peut aussi jouer le rôle de fonction réparatrice ou protectrice de la dyade mère-enfant.

             B. Golse rapporte les travaux de D. Rosenfeld qui soulignent que le père peut jouer le rôle de « décodeur » des messages maternels paradoxaux, devenant ainsi « le traducteur de la langue maternelle à l’intention du bébé ».

             Pour un auteur comme Donald Meltzer, le rôle qu’il attribue au père est à la fois « d’intervenir auprès de l’enfant en tant que protection et en tant que défense contre la position dépressive et contre l’impact de ce conflit particulier ». Selon cet auteur, le père intervient en protégeant l’enfant de l’énigme maternelle, « d’une part, en adoucissant cette énigme grâce à son rôle d’approvisionnement nourricier de la dyade ( Maman doit être nourrie avant de pouvoir nourrir le bébé ), et d’autre part, en distanciant l’enfant de l’objet maternel total par le biais d’une aide à son clivage en objets partiels ».

             En d’autres termes, le rôle du père n’est pas exclusivement séparateur mais aussi réparateur d’une relation tout de même complexe entre la mère et l’enfant, ces rôles étant envisagés dans une dynamique de processus dont la position de la mère occupe une place centrale de pivot à l’intérieur même de ces processus.

 

 Alors comment intervient la fonction (ou le rôle) du père dans l’accès au langage ?

             En posant l’Interdit dans la relation mère-enfant, le père agit en tant qu’instituant la Loi qui garantit et préserve de la transgression de l’inceste. Cet interdit est structurant de la vie psychique et fonde la loi de l’espèce humaine ; mais on l’a vu, le père intervient aussi comme contenant et protecteur, pas seulement séparateur. Si l’on se situe uniquement du côté de l’aspect structurant de la fonction paternelle, on imagine que cette fonction est comme toujours déjà-là ; or, d’après ce que j’ai pu saisir de ce que les travaux récents apportent est que cette fonction se construit dans un système de relations à l’intérieur desquelles la mère et l’enfant ont une part active. Ainsi que le précise B. Golse, rapportant les propos de Didier Houzel : « Certes, […], il y a deux manières de penser la structure oedipienne : soit on l’envisage d’une manière presque transcendantale (telle une structure qui se révèlerait à l’enfant et s’imposerait directement à lui sous sa forme achevée), soit on la conceptualise d’un point de vue plus constructiviste à partir de précurseurs partiels […] qui vont avoir à se jouer, s’organiser et s’agencer dans le cadre des interactions précoces ». Ce qui permet à l’auteur de penser le père non pas comme représentation mentale mais comme processus.

Pour que l’enfant parle, l’intervention d’un tiers semble nécessaire.

             Les travaux évoqués montrent qu’il ne s’agit pas de trois personnes isolées, mais de trois personnes prises dans un réseau relationnel interagissant. Par ailleurs, chacun des trois transportant à son insu son « propre trois interne », c’est-à-dire le paternel, le maternel et l’enfant qui subsiste en eux, le réseau s’étend bien au-delà des personnes réelles à l’intérieur duquel s’opèreront liaisons et déliaisons. Le langage apparaît comme le lieu dans lequel s’actualisent ces liens de liaisons ou de déliaisons, et traduit, selon B. Golse, ce « dilemme tragique du langage » tenant en ceci « qu’il signe la séparation par le fait même qu’il joue comme lien »

 

Qu’est-ce que la « langue maternelle » ?

             L’enfant découvre le langage à travers la langue que la mère lui adresse que l’on associe souvent à l’expression de « langue maternelle ». Que recouvre précisément ce terme ?

« Langue de la mère, langue première, langue préférée, langue maîtrisée, langue choisie ou imposée, langue fantasmée, langue aimée ou au contraire rejetée », selon la linguiste Marina Yaguello, la langue maternelle peut recouvrir tous ces termes-là. La langue maternelle serait-elle une langue vouée à être abandonnée au profit d’une « autre » langue, celle-ci socialisée ? Ou bien perdure-t-elle à l’intérieur de soi, et sous quelle forme ? Dans quelle mesure cette « langue maternelle » empêche ou favorise l’accès au langage de l’enfant ? Les travaux menés par les psychanalystes Jacqueline Amati Mehler, Simona Argentieri et Jorge Canestri consacrés à « la langue maternelle, langues étrangères et psychanalyse » ont particulièrement retenu mon attention.[...]

             « Le langage est fondamental dans l’acquisition de l’épreuve de réalité en termes de vérité du vécu affectif de soi et des autres et de la transformation de l’empathie en connaissance.

             Mais le langage devient aussi le champ de bataille dans lequel […] les conflits inconscients et les manoeuvres défensives opèrent en déformant le langage et les aptitudes linguistiques

Bibliographie

HAGEGE C. 1996. L’homme de paroles. Contribution linguistique aux sciences humaines. Paris : Fayard, Le temps des sciences, p. 289.

 AULAGNIER P., 1986. La violence de l’interprétation, Paris : PUF.

DOLTO F., 1984. L’image inconsciente du corps, Paris : Editions du Seuil, p. 79.

SPITZ R. 1968, 1984, 7ème édition. De la naissance à la parole. La première année de la vie. Paris : PUF.

GOLSE B., 2006. « Le père comme processus », in L’être-bébé. Les questions du bébé à la théorie de

l’attachement, à la psychanalyse, et à la phénoménologie, Paris : PUF, p. 149-170.

LAPLANCHE J., 1986. « De la théorie de la séduction restreinte à la théorie de la séduction généralisée », in

Etudes freudiennes, 27, 7-25.

ROSENFELD D., 1992. « Le rôle du père dans la psychose », in Journal de la psychanalyse de l’enfant : La

fonction paternelle, 11, cité par GOLSE B., op. cit. p. 156.

Vos  Réactions

Adresse mail facultative

Commentaire

Présentation de la thèse

Esprit du site
Moteur de recherche
Recherche d'article par auteur
Pedagopsy.eu
Recherche de livres par motsclefs
Plan du site
L'auteur