Esprit du site
Moteur de recherche
Recherche d'article par auteur
Pedagopsy.eu
Recherche de livres par motsclefs
Plan du site
L'auteur

 

Historique des classes maternelles

 Chantal COSTANTINI  

 

         Les questions liées à la représentation de l’école maternelle m’ont amenée à chercher comment cette école s’est installé institutionnellement par rapport à l’école en général ; c’est pourquoi, j’ai voulu étudier dans un premier temps, à quel moment et pourquoi les salles d’asiles crées pour l’accueil des petits de deux à six ans se sont-elles transformées en « école maternelle ».

PLAN DU SITE

Extraits de la THÈSE Pour l’obtention du grade de Docteur en Sciences de l’éducation présentée et soutenue publiquement par Chantal COSTANTINI le 17 juin 2008 sous la direction du Professeur Claudine BLANCHARD-LAVILLE

 

Des salles d’asiles à l’école « maternelle ».

         Les objectifs fixés dans les années 1830 à propos des salles d’asiles témoignent de l’intérêt des pouvoirs publiques pour la petite enfance, et des espoirs suscités par son éducation, laissée jusqu’alors à l’emprise familiale ; « commencer l’instruction dès l’âge le plus tendre », selon la Circulaire du 5 mars 1833, puis « accueillir les petits enfants de l’âge de deux à six ans, trop jeunes encore pour fréquenter les écoles primaires proprement dites, et que leurs parents pauvres et occupés ne savent comment garder chez eux », d’après la Circulaire du 4 juillet 1833, telles sont les ambitions du discours officiel concernant la petite enfance, qui apparaît comme un « âge embarrassant », susceptible de retenir les mères au foyer. C’est ainsi que les salles d’asiles se présentent comme la chance des familles ouvrières dans une période où est encouragé le travail féminin. Les travaux de Jean-Noël Luc mettent en évidence le fait que pour l’éducation des petits, la mère est le modèle obligé même si elle fait défaut dans la vie de l’enfant au regard des nouvelles modalités du travail féminin.

         L’accueil et l’éducation de la petite enfance deviennent une affaire de femmes ou plutôt de mères, comme le souligne le projet de Loi du 15 décembre 1848, « Là où il s’agit aussi de donner des soins à la première enfance, c’est-à-dire des mains de femmes, et surtout à des mains maternelles qu’il faut laisser cette tendre et minutieuse vigilance ». Le nouveau sentiment familial et l’exaltation de la fonction maternelle, ont, de fait, influencé la conception du fonctionnement idéal de l’asile. Dans une famille resserrée autour du couple et de ses enfants, revalorisée par le recul de la mortalité infantile, l’intérêt porté aux enfants et à leur mère s’accroît, mais ne concerne que les familles aisées. Les enfants des classes populaires urbaines, privés de toute éducation maternelle, donnent l’image d’un dysfonctionnement familial. La charité traditionnelle devenant inadaptée, l’asile, à l’initiative de philanthropes et de dames charitables préoccupées par le sort de l’enfant, s’institue comme foyer de rechange, et la « dame patronnesse » comme mère éducative par substitution. Au nom d’une vocation maternelle exemplaire, l’asile prétend faire plus que remplacer périodiquement la mère.

         A partir de 1836, lorsque le Ministère de l’Instruction Publique prend le contrôle des salles d’asile, il conserve l’objectif initial d’assistance, en chargeant les « dames patronnesses » d’en organiser la gestion. Mais les salles d’asiles exigent la présence d’un personnel qualifié. Une fois l’ambition scolaire proclamée au niveau des principes et de la définition des programmes d’études, les autorités s’en remettent au « sentiment maternel » pour adapter l’enseignement et la conduite de l’établissement au public concerné.

         Le projet de 1848 présente les asiles comme « de véritables écoles où l’enfance apprend déjà beaucoup quoique sous une discipline beaucoup plus douce et presque maternelle ».

         L’Arrêté consécutif au Décret organique de 1855 définit leur règlement comme « un code maternel […] inspiré par des sentiments d’affection vraie pour l’enfance ».

         Dans la Circulaire du 8 août 1880, la classe enfantine est désignée comme relevant d’un fonctionnement particulier, nécessitant d’apporter auprès des enfants, des soins maternels :

« Dans les écoles mixtes, qui comptent un certain effectif de population, il arrive souvent que l’instituteur se fait aider dans sa tâche par une personne de sa famille, à qui, sans titre officiel, il confie le soin de faire la classe aux plus jeunes enfants pour pouvoir s’occuper avec plus de fruit de l’instruction des aînés. Il a été reconnu que cette manière de procéder produisait de bons résultats : elle permet d’améliorer l’enseignement, elle facilite la fréquentation en donnant aux familles la certitude que leurs enfants trouveront à l’école des soins pour dire maternels […]. Or, il me paraît incontournable, que dans beaucoup de communes dépourvue de salle d’asile et où, par conséquent, l’école doit recevoir des enfants tout jeunes, une adjointe, qui sera la femme ou la mère, ou la fille de l’instituteur, rendrait plus de services qu’un maître étranger, souvent jeune et novice. […] Dans toute commune où l’école de garçons d’une part, l’école de filles de l’autre, sont encombrées par un trop grand nombre d’élèves de moins de sept ans, le mieux est de réunir ces tout petits enfants dans une salle spéciale, et de former, avec ce trop plein des deux écoles, une bonne classe préparatoire, sorte d’intermédiaire entre l’asile et l’école. Cette classe enfantine sera naturellement dirigée par une femme […]. »

         Le passage de la notion de « classe enfantine » à celle « d’école maternelle » s’institue par le Décret du 2 août 1881, sans justification précise apportée à sa nouvelle appellation qui semble aller de soi. Le terme remplace simplement celui de « salle d’asile », mis entre parenthèses. Il n’est pas explicité. Le passage se fait sous le silence de l’implicite : l’école maternelle, c’est l’école de la mère, dans ses fonctions d’éducatrice, assurant les soins corporels, intellectuels et moraux :

« Les écoles maternelles (salles d’asiles), publiques ou libres, sont des établissements d’éducation où les enfants des deux sexes reçoivent des soins que réclament leur développement physique, intellectuel et moral […] ; les écoles maternelles sont exclusivement dirigées par des femmes ».

         On peut constater que c’est dans le fonctionnement « familial » de l’école, que l’on trouve la justification de l’appellation « maternelle » réservée aux plus petits. L’instituteur, afin de mieux se consacrer aux enfants plus âgés et du fait qu’il est amené à confier la classe des petits à une personne de sa famille, ouvre la voie à la fonction maternelle de l’école, en tant que prolongement de la vie familiale.

         Le couple enseignant devient la reproduction du couple parental, à l’intérieur duquel, chacun assure des rôles différents. Le discours officiel considère l’école « maternelle », comme une école calquée sur le modèle familial, où la fonction maternelle s’inscrit sur fond de présence paternelle.

         Par la suite, l’Arrêté du 28 juillet 1882 réglant l’organisation pédagogique des écoles maternelles confirme le fait que :

« […] l’école maternelle n’est pas une école au sens ordinaire du mot : elle forme le passage de la famille à l’école, elle garde la douceur affectueuse et indulgente de la famille, en même temps qu’elle initie au travail et à la régularité de l’école »

         De la même façon, la méthode qu’il conviendra d’appliquer aux écoles maternelles s’inspireront « du nom même de l’établissement, c’est-à-dire celle qui consiste à imiter le plus possible les procédés d’éducation d’une mère intelligente et dévouée

         Pour Pauline Kergomard, l’école maternelle est « un mal nécessaire, ou plutôt l’atténuation d’un mal », car dit-elle, la place normale du jeune enfant est « auprès de sa mère ». Mais pour protéger les enfants issus des milieux populaires des dangers de la rue, elle reconnaît que : « L’école maternelle est d’abord un gîte dans la grande et noble acceptation du mot, un gîte où l’enfant de la classe travailleuse et celui de la classe indigente sont à l’abri des éléments, à l’abri des accidents, à l’abri des mauvais exemples, à l’abri de toutes les laideurs ».

         Eric Plaisance rapporte que P. Kergomard fut sans doute la seule à poser la question, avec Alain, de savoir ce « qu’est une école », ou plus exactement : « qu’est-ce qu’une école pour la petite enfance » ?

         Selon P. Kergomard, l’école maternelle ne peut se confondre avec une école ; c’est avant tout, un lieu d’épanouissement pour l’enfant dans lequel il peut exercer son intelligence, ses capacités physiques ou morales. Elle considère même qu’il faudrait la renommer : « maison d’éducation » ou « la maternelle », car dit-elle : « l’école doit désormais être pour l’enfant et non l’enfant pour l’école ». Au regard des différents textesétudiés, l’école de la petite enfance qualifiée de « maternelle » préconise de calquer ses méthodes sur le modèle éducatif d’une mère « intelligente et dévouée » ; mais jusqu’à aujourd’hui, quelles sont les limites, les confusions d’un tel modèle dans les représentations des enseignantes ? Le registre maternel de la fonction enseignante n’est-il pas, de fait, plus spécifiquement convoqué ?

  Bibliographie

- LUC J-N. 1982. La petite enfance à l’école. XIXème-XXème siècles. Textes officiels présentés et annotés par LUC J-N. Paris : INRP.

- KERGOMARD P. 1886. « L’éducation nouvelle dans l’école », in L’Education enfantine. Paris : Hachette

PLAISANCE E. 1996. Pauline Kergomard et l’école maternelle. Paris : PUF

 

Voir: les autres passages de la thèse de Chantal COSTANTINI  

Vos  Réactions

Adresse mail facultative

Commentaire

Esprit du site
Moteur de recherche
Recherche d'article par auteur
Pedagopsy.eu
Recherche de livres par motsclefs
Plan du site
L'auteur