Des salles
dasiles à lécole
« maternelle ».
Les
objectifs fixés dans les
années 1830
à propos des salles
dasiles témoignent de
lintérêt
des
pouvoirs publiques pour la petite enfance,
et des espoirs suscités par son
éducation,
laissée
jusqualors à lemprise
familiale ; « commencer
linstruction dès
lâge le plus tendre
»,
selon
la Circulaire du 5 mars
1833,
puis « accueillir les petits
enfants de lâge de deux
à six
ans,
trop jeunes encore pour fréquenter
les écoles primaires proprement
dites, et que leurs
parents
pauvres et occupés ne savent
comment garder chez eux »,
daprès la Circulaire du
4
juillet
1833, telles sont les ambitions du
discours officiel concernant la petite
enfance, qui
apparaît
comme un « âge
embarrassant », susceptible de
retenir les mères au foyer.
Cest ainsi
que
les salles dasiles se
présentent comme la chance des
familles ouvrières dans une
période
où
est encouragé le travail
féminin. Les travaux de
Jean-Noël Luc mettent en
évidence le
fait
que pour léducation des
petits, la mère est le
modèle obligé même si
elle fait défaut
dans
la vie
de lenfant au regard des nouvelles
modalités du travail
féminin.
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Laccueil
et
léducation
de la petite enfance deviennent une affaire de
femmes ou plutôt de mères,
comme
le souligne le
projet de Loi du 15 décembre
1848,
« Là où il sagit aussi
de donner des soins à
la
première enfance, cest-à-dire
des mains de femmes, et surtout à des mains
maternelles
quil
faut laisser cette tendre et minutieuse
vigilance ». Le nouveau sentiment familial
et
lexaltation
de la fonction maternelle, ont, de fait,
influencé la conception du
fonctionnement
idéal de
lasile. Dans une famille resserrée
autour du couple et de ses enfants,
revalorisée par
le recul de la
mortalité infantile,
lintérêt porté aux
enfants et à leur mère
saccroît, mais ne
concerne que
les familles aisées. Les enfants des classes
populaires urbaines, privés de
toute
éducation
maternelle, donnent limage dun
dysfonctionnement familial. La
charité
traditionnelle
devenant inadaptée, lasile, à
linitiative de philanthropes et de
dames
charitables
préoccupées par le sort de
lenfant, sinstitue comme foyer de
rechange, et la
« dame
patronnesse » comme mère
éducative par substitution. Au nom
dune vocation
maternelle
exemplaire, lasile prétend faire plus
que remplacer périodiquement la
mère.
A partir de
1836,
lorsque le Ministère de lInstruction
Publique prend le contrôle des
salles
dasile,
il conserve lobjectif initial
dassistance, en chargeant les « dames
patronnesses »
den
organiser la
gestion. Mais les salles dasiles exigent la
présence dun personnel
qualifié. Une
fois
lambition scolaire proclamée au niveau
des principes et de la définition des
programmes
détudes,
les autorités sen remettent au «
sentiment maternel » pour adapter
lenseignement
et la conduite
de létablissement au public
concerné.
Le projet de
1848
présente les asiles
comme «
de véritables écoles où
lenfance apprend déjà beaucoup
quoique sous une discipline
beaucoup
plus douce et presque maternelle ».
LArrêté
consécutif au Décret organique
de 1855
définit
leur règlement comme « un code
maternel [
] inspiré par des
sentiments
daffection
vraie pour lenfance ».
Dans la
Circulaire du 8 août 1880,
la classe enfantine est désignée
comme relevant dun
fonctionnement
particulier, nécessitant dapporter
auprès des enfants, des soins maternels
:
«
Dans les écoles mixtes, qui comptent
un certain effectif de population, il arrive
souvent que
linstituteur
se fait aider dans sa tâche par une
personne de sa famille, à qui, sans
titre officiel,
il
confie le soin de faire la classe aux plus
jeunes enfants pour pouvoir soccuper
avec plus de
fruit
de linstruction des aînés.
Il a été reconnu que cette
manière de procéder produisait
de
bons
résultats : elle permet
daméliorer lenseignement,
elle facilite la fréquentation
en
donnant
aux familles la certitude que leurs enfants
trouveront à lécole des
soins pour dire
maternels
[
]. Or, il me paraît
incontournable, que dans beaucoup de communes
dépourvue de salle dasile et
où, par conséquent,
lécole doit recevoir des enfants
tout jeunes, une
adjointe,
qui sera la femme ou la mère, ou la
fille de linstituteur, rendrait plus de
services
quun
maître étranger, souvent jeune
et novice. [
] Dans toute
commune où lécole
de
garçons
dune part, lécole de
filles de lautre, sont
encombrées par un trop grand
nombre
délèves
de moins de sept ans, le mieux est de
réunir ces tout petits enfants dans
une salle
spéciale,
et de former, avec ce trop plein des deux
écoles, une bonne classe
préparatoire,
sorte
dintermédiaire
entre lasile et lécole.
Cette classe enfantine sera naturellement
dirigée par
une
femme [
]. »
Le passage de
la notion de « classe enfantine »
à celle « décole
maternelle » sinstitue par
le
Décret
du 2 août 1881,
sans justification précise apportée
à sa nouvelle appellation qui
semble
aller de soi.
Le terme remplace simplement celui de « salle
dasile », mis entre parenthèses.
Il
nest pas
explicité. Le passage se fait sous le
silence de limplicite : lécole
maternelle, cest
lécole
de la mère, dans ses fonctions
déducatrice, assurant les soins
corporels, intellectuels
et moraux :
«
Les écoles maternelles (salles
dasiles), publiques ou libres, sont
des
établissements
déducation où les enfants
des deux sexes reçoivent des soins que
réclament
leur
développement physique, intellectuel
et moral [
] ; les écoles
maternelles sont
exclusivement
dirigées par des femmes
».
On peut
constater que cest dans le
fonctionnement
« familial
» de lécole, que lon trouve
la justification de lappellation «
maternelle »
réservée
aux plus
petits. Linstituteur, afin de mieux se
consacrer aux enfants plus âgés et du
fait quil
est
amené à confier la classe des petits
à une personne de sa famille, ouvre la voie
à la
fonction
maternelle de lécole, en tant que
prolongement de la vie familiale.
Le
couple
enseignant
devient la reproduction du couple parental,
à lintérieur duquel, chacun
assure des
rôles
différents. Le discours officiel
considère lécole «
maternelle », comme une
école
calquée
sur le modèle familial, où la
fonction maternelle sinscrit sur fond de
présence
paternelle.
Par la suite,
lArrêté du 28 juillet
1882
réglant lorganisation
pédagogique des
écoles
maternelles
confirme le fait que :
«
[
] lécole
maternelle nest pas une école au
sens
ordinaire
du mot : elle forme le passage de la famille
à lécole, elle garde la
douceur
affectueuse
et indulgente de la famille, en même
temps quelle initie au travail et
à la
régularité
de lécole »
De la
même façon, la méthode
quil conviendra dappliquer aux
écoles
maternelles
sinspireront « du nom même de
létablissement,
cest-à-dire celle qui consiste
à
imiter
le plus possible les procédés
déducation dune mère
intelligente et dévouée.»
Pour
Pauline
Kergomard, lécole maternelle est
« un mal nécessaire, ou plutôt
latténuation
dun
mal
», car dit-elle, la place normale du jeune
enfant est « auprès de sa
mère ». Mais
pour
protéger
les enfants issus des milieux populaires des
dangers de la rue, elle reconnaît que
:
«
Lécole maternelle est dabord un
gîte dans la grande et noble acceptation du
mot, un gîte
où
lenfant de la classe travailleuse et celui de
la classe indigente sont à labri des
éléments,
à
labri
des accidents, à labri des mauvais
exemples, à labri de toutes les
laideurs ».
Eric
Plaisance
rapporte que P. Kergomard fut sans doute la seule
à poser la question, avec
Alain,
de savoir ce
« quest une école », ou plus
exactement : « quest-ce quune
école pour la petite
enfance
» ?
Selon P.
Kergomard, lécole maternelle ne peut
se confondre avec une école
;
cest
avant tout, un lieu dépanouissement
pour lenfant dans lequel il peut exercer
son
intelligence,
ses capacités physiques ou morales. Elle
considère même quil faudrait
la
renommer :
« maison déducation »
ou « la maternelle », car dit-elle
: « lécole
doit
désormais
être pour lenfant et non lenfant
pour lécole ». Au regard des
différents textesétudiés,
lécole de la petite enfance
qualifiée de « maternelle »
préconise de calquer ses
méthodes
sur le modèle éducatif dune
mère « intelligente et
dévouée » ; mais
jusquà
aujourdhui,
quelles sont les limites, les confusions dun
tel modèle dans les
représentations
des
enseignantes ? Le registre maternel de la fonction
enseignante nest-il pas, de fait,
plus
spécifiquement
convoqué ?
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