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Le silence de l’enfant à l’école : un symptôme ?

 Chantal COSTANTINI  

            Le silence de l’enfant à l’école questionne : comment les enseignantes accueillent-t-elles ce comportement ? Se sentent-elles personnellement concernées ? Quels sentiments les animent elles face à un enfant silencieux à l’école ? Est-ce que cette conduite modifie leurs stratégies pédagogiques ? Sont-elles amenées à s’investir plus intensément dans leurs pratiques, ou relâchent-elles leur investissement ? Face au silence de l’enfant, comment le rapport au savoir de l’enseignante est-il interrogé ? Silence ou mutisme, ce comportement ne témoigne-t-il pas avant tout de l’expression d’une souffrance interne ?

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 Différent sens

             Le silence correspond au « fait de se taire, de s’abstenir de parler. Le fait de ne pas parler d’une chose, de ne rien dire, de ne rien divulguer. Absence de bruit ». (Dictionnaire Larousse Multimédia Encyclopédique)

             Dans le domaine de la musique, le silence est considéré comme « une interruption du son d’une durée déterminée ». Le silence est « un signe qui indique, dans la notation musicale, cette interruption et sa durée ». On dit parfois, savoir « garder le silence ». Le silence est un acte volontaire, conscient, mais qui, si l’on se déplace dans le champ musical, fait « signe » ; aussi, comprendre ce qui fait signe dans le silence de l’enfant à l’école est souvent une préoccupation pour l’enseignant-e.

             Dans le domaine de la rééducation, les enfants qui ne parlent pas à l’école sont signalés comme étant « mutiques ».

             Le mutisme caractérise « l’attitude de celui qui refuse de parler, déterminée par des facteurs psychologiques, refuse […] de s’exprimer ou qui est contraint au silence ». (Dictionnaire Fondamental de la Psychologie. Paris : Larousse) Le mutisme est aussi : « absence de parole soit par défaut de développement du langage, soit par inhibition volontaire ou involontaire, soit par refus délibéré comme dans la réticence ».

             Chez l’enfant, on distingue un mutisme complet dans certaines formes de psychose infantile et un mutisme électif en particulier extra-familial – par exemple lorsque l’enfant rentre à l’école et refuse totalement d’y parler – d’origine névrotique ou réactionnelle. Annie Anzieu rapporte à propos des enfants qui se retiennent de parler, toutes les luttes internes dont ils sont l’objet : « A l’époque de son développement où il affirme sa personne, le petit homme [...] prend possession de ses capacités de contrôle somatique et psychique. Il devient un sujet parlant, susceptible d’opposer un refus par la parole à qui contrarie son désir. Le risque, il le connaît déjà : perdre l’amour des personnes aimées ou tout au moins s’attirer leur agressivité. Le débat intérieur entre la partie du moi désirant et celle qui tend à le maintenir sans reproche, provoque certainement des oscillations dans l’acquisition du vocabulaire, de la syntaxe, de l’émission verbale. […] La culpabilité de parler sous-entend un Surmoi très précoce […] ».

             Selon cette auteure, la lutte contre l’angoisse de la perte de l’objet absent se traduit dans le langage. Dans les relations fusionnelles mère/enfant, le langage ne pourrait être investi positivement, au sens où ce moyen de communication deviendrait superflu. L’enfant se replierait dans une position archaïque de dépendance dont il se satisferait. Dès lors, l’accès au langage sera redouté avec angoisse, car mettant en danger les liens mère/enfant. Il signifierait pour l’enfant l’éloignement ou la perte de la mère, et pour celle-ci, la perte de l’enfant ou de la valeur symbolique dont elle l’aurait investi ; parler ou ne pas parler devient comme un code entre la mère et l’enfant. Le mutisme excluant tout menace de dialogue entre la mère et l’enfant apparaît, ainsi, efficace en terme de mécanisme de défense pour l’organisation psychique de l’enfant.

 

             S’interrogeant sur la problématique des enfants de migrants à l’école, le psychanalyste Olivier Douville qualifie ces enfants de « passeurs d’entre-deux rives ». Pour lui, le silence dans lequel se replient ces enfants « a pour but de maintenir l’amour qu’un des deux parents porte à l’origine » ; ce silence à l’intérieur duquel ces enfants s’emmurent « est une mise à l’abri du champ de la parole, non un refus des enjeux éthiques de la parole ». O. Douville précise que si ces enfants se taisent, c’est pour exprimer « l’épuisement qu’ils éprouvent entre les exigences de la famille et celles de l’école ». Il rajoute que : « Au mutisme de l’enfant, coïncident souvent des renoncements chez les parents pris par une nostalgie à déplacer et à partager des mémoires de l’origine. Tant qu’ils sont nostalgiques ou brisés, il est très souvent difficile à ces pères ou à ces mères de redonner ailleurs, ici en France, présence à leurs souvenirs et à leurs rêves. Des morceaux de sons et de sens ne semblent plus encryptés que dans un là-bas impossible à partager avec un enfant qui, lui, est né ici »687. A ce titre, la fonction du mutisme serait « de remettre en chantier les espaces de transition et de traduction ».

             Denise Morel et Maryse du Souchet-Robert pour leur part, émettent l’hypothèse selon laquelle les enfants de migrants seraient pris au piège d’un entre-deux culturel à l’intérieur duquel la connaissance approximative de chaque langue gèlerait « les productions de l’imaginaire », barrant de ce fait l’accès au symbolique. Ces enfants seraient pris dans un double-bind, tiraillés entre « plusieurs désirs implicites qui peuvent être ressentis par l’enfant comme antagonistes ». Aussi, c’est la souffrance d’une intériorisation difficile de volontés contradictoires que le silence de l’enfant mettrait en évidence : d’une part, les parents de ces enfants désirent ardemment s’intégrer à la vie socio-culturelle du pays d’accueil, d’autre part, tenant à rester fidèles à leurs origines, ils pensent qu’une démarche d’intégration trahirait l’enseignement de leurs pères. Cette double position serait insoutenable pour les enfants qui reprendraient à leur compte ces injonctions paradoxales les conduisant parfois au silence.

 

             Mais le silence permettrait-il de rester malgré tout relier au langage ? Dans son ouvrage « Le nom sur le bout de la langue » l’écrivain Pascal Quignard décrit la tension dans laquelle sa mère maintenait son entourage dans sa quête à retrouver un mot perdu, un mot qui se tenait « sur le bout de la langue », comme il le rappelle :

« Brusquement, ma mère nous faisait taire. Son visage se dressait. Son regard s’éloignait de nous, se perdait dans le vague. [...] Maman cherchait un mot. Tout s’arrêtait soudain. Plus rien n’existait soudain. […] Nous étions aux aguets, comme elle. Nous l’aidions de notre silence. [...] Nous savions qu’elle allait faire revenir le mot perdu, le mot qui la désespérait. [...] Et son visage s’épanouissait. Elle le retrouvait : elle le prononçait comme une merveille. [...] Tout mot retrouvé est une merveille »693. C’est à cette attente, à cette tension de l’attente provoquée par l’espoir de retrouver le mot perdu, que l’écrivain dit s’être identifié lorsque, par deux fois, il devint mutique, épreuve dont il garde la trace : « J’étais cet enfant précipité sous la forme de cet échange silencieux avec le langage qui manque. Je fus ce guet silencieux. Je devins ce silence, cet enfant en "retenue" dans le mot absent sous forme de silence ».

             Ayant investi l’espace de l’attente du mot, l’auteur dit s’être identifié, non pas au silence, mais à la tension qui précède les retrouvailles avec le mot perdu. Car de ce lieu, il pouvait observer ce qui rendait sa mère curieusement présente à elle-même, alors qu’elle « s’absentait » des siens pour ne se consacrer qu’à cette quête d’un mot perdu ; c’est à l’intérieur de cette absence que l’enfant ressentait le plus sa présence. Le silence fut, pour l’auteur, un moyen de ne pas tout à fait « s’exiler du langage », comme si le silence dans lequel il s’était réfugié, lui permettait paradoxalement, de rester relier au langage.

 

À quelle énigme l’enfant qui ne parle pas nous renvoie-t-il ?

             Pour Julia Kristeva, le principe fondamental sur lequel le monde est érigé, est celui de la logique de séparation, de la distinction, qui constitue l’ordre symbolique. Elle compare la relation archaïque à la mère, au monde d’avant la séparation, d’avant la partage et la nomination ; elle rappelle que dans le texte biblique, après la séparation des éléments, c’est au tour de l’homme de nommer. Par cette nomination, on passe « du monde du silence au monde de la parole, qui distingue ce dont il est parlé ». Si le silence de l’enfant inquiète ou questionne serait-ce parce qu’il renverrait à l’énigme de l’origine, à la nostalgie (ou à la tentation) de ce monde de l’inséparé ?

 

             Face à ces interrogations, je me suis demandé quelles « compétences » l’enseignante dans sa classe devait-elle développer pour « entendre » le silence de l’élève. Il m’a semblé que la modalité d’écoute particulière développée par le psychanalyste dans le cadre de la cure représente un outil dont l’enseignant pourrait s’inspirer. Il ne s’agit pas de confondre le travail de l’analyste avec celui de l’enseignant ; pour autant, la conduite que le psychanalyste adopte dans le cadre de la cure concernant la règle d’abstinence de la parole de son côté pour libérer celle du patient peut-elle enrichir la posture du maître dans sa classe ? Cette mise en retrait temporaire, cette présence qui soutient la psyché du patient en retenant sa propre parole peuvent-elles constituer des modalités sur lesquelles l’enseignant pourrait s’appuyer pour « entendre » le silence de l’élève ?
Bibliographie

BENSLAMA F. 2004. « Il n’existe pas un silence », in Silences. Paroles de psychanalystes, sous la direction de PERIAC-DAOUD S. et PLATIER-ZEITOUN D. Ramonville Saint-Agne : Éres.

ANZIEU A. 2003. Le travail du psychothérapeute d’enfant. Paris : DUNOD, p. 85.

DOUVILLE O. 1999. « Sur des moments de mutisme persistant chez des enfants de migrants », in La Lettre du GRAPE. Ramonville Saint-Agne : Érès, n°35.

MOREL D. et du SOUCHET-ROBERT M. 1995. « La double parole dans certaines familles étrangères », in Les recherches du GRAPE : A l’aube du sens, la parole à l’enfant, sous la direction de BASS D. Ramonville Saint-Agne : Érès.

QUIGNARD P. 1993. Le nom sur le bout de la langue. Paris : P.O.L. éditeur.

KRISTEVA J. 1980. Pouvoirs de l’horreur. Essai sur l’abjection. Paris : Le Seuil.

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<<Le mutisme sélectif (ou électif) n’est pas facile à estimer, car souvent, il est mal compris et donc il n'est pas diagnostiqué ou arrive à l'attention du clinicien trop tard. Il s’agit d’une manifestation psychopathologique qui prend l’attention des parents et des enseignants, mais elle est autant problématique pour l'enfant. Qu’est ce que ? Les enfants d'âge scolaire et préscolaire qui ont déjà acquis un langage normal ne parlent pas du tout (ou de façon limitée, à voix basse ou par le biais de la communication non verbale) dans certains contextes, dont le plus fréquent est l'école. Il peut s’agir aussi du contraire : que l'enfant s’exprime avec les camarades et les enseignants et devient muet à la maison. C'est un trouble anxieux dans lequel l'enfant se sent «coincé» et incapable de parler, comme si dans telle situation il est vraiment impossible pour lui de le faire. All '«incapacité» pour parler peut être associé l'anxiété, l'hyperréactivité à de nouveaux environnements et à des stimulations fortes, l'inhibition motrice, l'opposition et l’énurésie.Il est important de ne pas confondre la timidité (transitoire et qui n'affecte pas l’intégration scolaire et sociale) avec le mutisme sélectif, qui, pour être tel devrait durer au moins un mois et interférer avec une vie normale. D’où cela vient? Il s'agit d'un symptôme d'un problème psychologique sous-jacent où l’anxiété inhibe dans le petit l'occasion de s’exprimer verbalement dans certains contextes. Un état d'anxiété et de peur très forte fait blocage et empêche la communication avec les autres. Identifier les causes profondes du problème est la tâche du psychothérapeute.Dans certains cas, à la base de cela il y a une forte relation mère-enfant ; le langage qui ouvre à l’autre et au monde est vécu comme une «menace». On y retrouve souvent des «secrets de famille" non-dit et activement cachés ; l'enfant les perçoit et les «protège» en clôturant toute communication avec l’extérieur. Que faire? Le problème identifié, il est important d’amener l’enfant chez un psychothérapeute. Il saura trouver la meilleure façon de travailler avec l'enfant. Avec un «bon» travail thérapeutique le mutisme sélectif est résolu. Il est aussi important de respecter la souffrance de l’enfant: il ne faut pas le gronder de son silence, ne pas se fâcher avec lui et ni le forcer à parler, ce qui est contre-productive et inutile parce que l'enfant n’est pas «en mesure» de parler, et il ne fait pas un caprice ou il ne veut pas. Il est sans doute utile d'essayer de réduire l'anxiété, de le mettre à l'aise en respectant son temps et ses modes d'interaction et en travaillant sur le renforcement de l'estime de soi de l'enfant.>>

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