La fonction
enseignante : fonction paternelle, fonction
maternelle
La fonction
paternelle
Françoise
Hurstel rappelle que la fonction fondamentale du
père telle que Jacques Lacan la
définie, est de sinterposer dans la
relation fusionnelle mère-enfant. Selon
Lacan, dans le contexte socio-historique quil
a nommé « déclin social de
limage du père », la fonction
fondamentale du père consiste à agir
en tant que coupure symbolique permettant à
lenfant dentrer dans le monde du
langage et de la culture, et à la
mère, de devenir mère, en
référence à linterdit
fondateur de la parenté, linterdit de
linceste, loi dont le père est le
représentant.
Un parent,
cest quelquun qui a sa place dans un
système de nominations, dans une structure
de parenté. Et, si la mère ou le
père ont à advenir comme parents de
lenfant, inscrits à leur place dans la
différence des générations,
lenfant, lui, a à advenir comme «
fils de, ou fille de ». Il peut à
partir de cette loi, se différencier selon
la double différence : celle des
générations et celle des sexes,
cest-à-dire entrer dans lOedipe
et constituer son identité : lenfant
naît deux fois, une première fois au
monde, une seconde fois à
lhumanité.
Ainsi, le
père dans sa fonction fondamentale, est
dabord un nom, lié à une loi,
qui structure les parentés. Sa fonction
symbolique correspond à une fonction de
tiers, qui doit être garantie à
chaque enfant par la société et la
famille. Certes, il sagit dune approche
structuraliste dérivée du
modèle proposé par Claude
Levi-Strauss, mais cette théorisation,
annoncée par Freud, montre que
lautorité paternelle nest plus
liée dans sa théorie à un
pouvoir politique et social, mais est
rattachée au Nom du père, dans sa
dimension interdictrice, et à la parole de
celui qui la porte. Elle prend acte implicitement,
de la privatisation du père. La fonction
paternelle se déploierait entre deux
pôles : celui de la dénomination et de
la désignation des pères par le
Droit.
A
lécole, comment lenseignant-e
parvient-il/elle à endosser cette fonction
?
La fonction
maternelle
Tenter de
définir la fonction maternelle dans sa
dimension symbolique revient à faire la
distinction entre la fonction maternelle en
référence à lenfant,
à ce qui lui est nécessaire, et la
manière dont un sujet incarne cette
fonction.
Daprès
B. Golse, cest sur la
bisexualité psychique que se
fondent les fonctions maternelle ou
paternelle ; du reste, le maternel et le
féminin ne seraient pas
réservés à la femme, pas
plus que les hommes nauraient
lexclusivité du masculin ou du
paternel.
Le
bébé sollicite chacun des deux
parents dans lun de deux registres, et
pas forcément la mère dans le
registre maternel ou le père dans le
registre paternel.
De leur
côté, « le père et la
mère, par le biais de leurs identifications
régressives qui les renvoient à leur
histoire infantile précoce, vont entrer avec
lui dans une relation marquée par un dosage
variable de leurs propres composantes masculines et
féminines », précise B.
Golse.
Pour lui, les
enveloppes psychiques, tout comme le père ou
la mère, assure un mixte de fonctions ; on
peut ainsi ranger la réceptivité, la
capacité dattention ou de
rêverie (selon Bion) et le holding, du
côté maternel, alors quon
rattacherait plutôt la capacité de
limitation, de consistance et dinterdictions
du côté paternel.
Mais
quest-ce qui ferait tout de même la
spécificité de la fonction maternelle
? Winnicott a décrit trois fonctions
caractérisant la mère-environnement :
le holding, la manière dont lenfant
est porté, le handling,la manière
dont il est traité, manipulé, et
lobject-presenting, le mode de
présentation de lobjet. Ces fonctions
assumées par une « mère
suffisamment bonne » assurent au
bébé « le sentiment continu
dexister » en lui offrant le soutien
psychique nécessaire à son
développement.
Winnicott
définit la notion de «
préoccupation maternelle primaire
» comme un état psychique particulier
développé par la mère, sorte
« détat organisé
[
] qui pourrait être
comparé à un état de repli, ou
à un état de dissociation, ou
à une fugue » et qui, grâce
à la rythmicité des échanges
et à la ritualisation des soins maternels,
constitue un facteur structurant pour le
développement de lenfant.
D. Meltzer
quant à lui, utilise le concept de «
vie privée » pour qualifier la
relation intime qui se noue entre la mère et
lenfant, relation garantissant un espace,
sorte de « serre chaude »
permettant à lenfant de
grandir.
Mais la
qualité optimale de lobjet maternant
est dassurer une fonction symbolisante ;
« laccordage affectif »
décrit par Daniel Stern, caractérise
les échanges entre la mère et
lenfant au cours desquels « la
mère traduit par son comportement un
éprouvé affectif ou émotionnel
du bébé dont elle reproduira les
propriétés (lintensité,
le rythme, la forme), ce qui donne au
bébé non seulement une
représentation de son état subjectif
laccordage est une première
forme de symbolisation mais aussi et surtout
lexpérience dun partage
subjectif de laffect, de létat
émotionnel ».
Aussi, la
malléabilité, linconditionnelle
disponibilité, ou lextrême
sensibilité sont des modalités
spécifiques de lobjet maternant en
tant que médiateur de la symbolisation
(medium malléable, notion
développée par R.
Roussillon).
Lenseignant-e
à lécole maternelle
naurait-il/elle pas à
développer cette capacité
« daccordage affectif » afin
daider lenfant dans ses
premières symbolisations, notamment en
petite section ? Mais cette fonction
maternelle ne peut pas être suffisante
pour assurer léquilibre dans la
relation
enseignantenseignés.
La fonction enseignante
à lécole
maternelle
Liliane
Lurçat considère que le sens des mots
« école maternelle » met en
avant à la fois les fonctions de maternage
spécifique aux soins des petits mais aussi,
une certaine façon dappréhender
lenfant en tant quêtre total,
« dans la non-séparation des besoins
matériels, affectifs et intellectuels
»
En
dautres termes, lécole
maternelle prendrait à son compte ce
que la fonction maternelle permet,
cest-à-dire penser lenfant
dans sa globalité et non pas comme un
être morcelé dont les dimensions
qui composent sa personne seraient
dissociées et laissées aux
soins de personnels
différents.
Les
enseignants hommes ont été
écartés de lenseignement
préélémentaire, pendant un
temps, depuis la loi de 1886 qui imposait un
recrutement uniquement féminin pour
lenseignement préscolaire. Cette loi a
été abrogée en 1977,
donnant aux hommes loccasion de
réapparaître dans
léducation des tout petits, remettant
ainsi en cause la notion de compétence
maternelle innée. La circulaire du 2
août 1977 précise que la
pédagogie « ne peut relever comme on
le croît trop souvent du seul bon sens et de
lintuition » ; lobjectif de la
maîtresse nest pas de «
remplacer la mère mais de parvenir
à ce que chaque enfant se plaise à
vivre à côté delle et de
ses pairs ».
Ce
sont alors des modèles dordre
culturel qui sont proposés aux
enseignants de la petite enfance, dont les
compétences procèdent avant
tout dune connaissance de «
lenfant, des formes et des besoins
de son développement » ; de
même, le savoir de lenseignant
résulte de « la formation
initiale et permanente des instituteurs
».
Depuis
1977, lenseignant décole
maternelle nest plus motivé par la
« vocation maternelle
» mais simpose par son
savoir. Ce déplacement de fonction
permet-il denvisager la fonction enseignante
différemment ?
Pourrait-elle
senvisager comme la résultante des
fonctions maternelle et paternelle ? Ou bien
lenseignant déploie-t-il sa fonction
tantôt dans un registre tantôt dans
lautre ?
La notion de
« parents combinés bons »
développée par Salomon Resnik
(sappuyant sur celle de « parents
combinés » chez Mélanie
Klein) « rend compte de cet alliage entre la
fonction maternelle qui contient
lexpérience, et la fonction paternelle
qui la structure, la coordonne, lorganise.
Les fonctions maternelle et paternelle doivent
être harmonieusement combinées dans
lespace interne de lobjet contenant (et
dans lespace social des relations aux
premiers objets externes) afin que lenfant
puisse introjecter une image de parents
combinés bons », rappellent A. Ciccone
et M. Lhopital.
Dans son
article intitulé : « Lenseignant
et la transmission dans lespace psychique de
la classe
», C. Blanchard-Laville montre en transposant
le concept « denveloppe psychique »
à lespace de la classe, la
nécessité de sattacher à
la double polarité de cette enveloppe pour
appréhender la fonction enseignante. A
partir dobservations de situations de classe,
elle constate que lenseignant construit
« une organisation spatio-temporelle
» qui autorise lélève
à « se mouvoir »,
cest-à-dire à apprendre sous le
contrôle de lenseignant, malgré
le fait que ces organisations puissent
paraître parfois contraignantes pour
lélève, mais assurent toutefois
une certaine sécurité. «
La capacité à exercer une fonction
contenante » permettrait à
lenseignant de se laisser solliciter à
la fois dans les fonctions dordre paternel et
maternel, cest-à-dire à limiter
ou se laisser distendre, pour répondre aux
appels émanant des
élèves.
Cette fonction
contenant invite à envisager la fonction
enseignante comme intégrant des aspects
différents. Les perspectives de
réflexions quoffre la transposition de
la notion de fonction contenante à la
fonction enseignante, consistent à
appréhender celle-ci, non plus par rapport
à la dichotomie entre les fonctions
maternelle on paternelle, mais dans une
visée dintégration de ces
fonctions.
En transposant
la notion « denveloppe psychique »
à lespace didactique, C.
Blanchard-Laville rapproche la situation du sujet
enseigné dans la classe à un certain
niveau, celui de « létat de
dépendance provisoire à
lenseignant/environnement, qui ne peut
manquer de réveiller en lui cette
détresse archaïque du nourrisson
dépendant absolu » ; cest la
raison pour laquelle lauteure estime
opérante la transposition de la
modélisation des liens décrivant la
relation primitive mère-enfant à
celle de la relation enseignant-enseignés,
car pouvant apporter un éclairage pertinent
du lien didactique.
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