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APPROCHE DE L'INTRICATION DE

L'AFFECTIF ET DU COGNITIF

Benoît MAURET

           Dans la partie théorique nous avions montré l'intérêt d'une confrontation entre les travaux de Freud et Piaget. Il apparaissait de nombreuses difficultés dues à la subordination respective entre les évolutions cognitives et affectives. Si Piaget a beaucoup travaillé pour la construction d'une synthèse entre les deux théories, ses conclusions se sont surtout orientées vers la prédominance du cognitif (structural) sur l'affectif (énergétique).

           Tous les travaux plus récents s'orientent désormais vers la participation active des deux composantes mais leurs analyses demeurent le plus souvent descriptives. Pour obtenir une approche plus fonctionnaliste nous partirons des travaux de Vergnaud sur la représentation. Nous considérerons son analyse de la notion de schème et de concept comme particulièrement intéressante pour constituer les bases de notre propre construction théorique.

           Dans un premier temps nous serons amenés à présenter différentes conceptions qu'il décrit dans un article : "Concepts et schèmes dans une théorie opératoire de la représentation". Vergnaud souhaite dépasser la conception Piagétienne du schème en tant que "totalité dynamique organisée". Après avoir souligné l'importance de la distinction entre signifié et signifiant il décompose le schème en quatre éléments significatifs :

 

 

 

Des invariants opératoires

Des inférences ou calculs

Des règles d'action

Des prédictions ou attentes

 Pour préciser la notion d'invariant opératoire il est nécessaire de considérer des classes de situations dont le traitement se réalise avec l'aide d'opérations de pensée qui: "reposent toujours sur la reconnaissance d'invariants, soit qu'il s'agisse d'extraire une propriété, une relation ou un ensemble de relations (c'est à dire de modéliser une situation) soit qu'il s'agisse de lui appliquer un théorème vrai, non nécessairement explicite" (1).

           Par conséquent c'est dans l'observation de la conduite du sujet en situation qu'il est possible de considérer l'acquisition d'un invariant. Cela conduit Vergnaud à parler de "théorème en acte" pour caractériser les invariants relationnels sous-jacents à l'activité de traitement mise en oeuvre par le sujet.

           Dans la fonction de la représentation les invariants opératoires occupent une place importante.

Selon Vergnaud : "ils constituent le noyau dur de la représentation, celui sans lequel ni les inférences, ni les règles d'action, ni les prédictions, ni les signifiants n'ont de sens".

           La science constituée se construit principalement autour d'invariants associés à des signifiants reconnus et élaborés pour la communication.

           Par contre au niveau des schèmes individuels peuvent apparaître des faux invariants ou des invariants distincts de ceux retenus par le savoir social.

           Cela met en évidence le caractère privé des schèmes et la nécessité de l'acquisition d'invariants opératoires pour la construction des connaissances chez un sujet individuel.

           La notion d'invariant opératoire a fait l'objet de nombreux travaux chez Piaget (2)Nous nous attacherons à montrer les relations que les invariants peuvent entretenir avec l'affectivité dans l'organisation et le fonctionnement des schèmes.

Voir: AFFECTIVITÉ ET INVARIANTS OPÉRATOIRES

 

           Comme les invariants, une règle d'action concerne une classe de situations. Proche également d'un invariant sur cette classe, elle s'applique principalement à l'aspect fonctionnel. Par conséquent elle constitue l'essentiel du comportement observable en situation.

           Vergnaud la décrit comme faisant partie du versant pratique de la représentation: "Elle ne se définit pas de la même façon que des concepts ou des préconcepts, elle ne donne pas lieu au même type de discours" (3)les règles d'action organisent des comportements qui permettent la transformation du réel et "conduisent de ce fait à l'évolution adaptative du système d'invariants constitutif de la représentation".

 Voir: AFFECTIVITE ET RÈGLE D'ACTION

 

           Le calcul relationnel correspond à des inférences que le sujet fait dans une situation. Selon Vergnaud ces inférences sont fonction des invariants opératoires dont le sujet dispose et de la mise en relation entre ces différents invariants opératoires et les règles d'action. Par conséquent, le calcul relationnel correspond à l'activité pratique et théorique du sujet dans la dynamique du système représentatif.

 Voir: AFFECTIVITE ET INFERENCES OU CALCULS

 

           Les prédictions ou attentes sont peut être la composante la moins développée dans l'article de Vergnaud. Il nous semble important de souligner la différence entre les concepts d'inférence et de prédiction. Inférer c'est tirer une conséquence d'une proposition, d'un fait, tandis que prédire est annoncer ce qui doit arriver. Entre les deux actes apparaît principalement une relation au temps. L'inférence succède à une proposition, un état antérieur, une morphologie préexistante. La prédiction construit une anticipation d'un état futur, hypothétique et susceptible d'une évolution probable. Cela rejoint la notion d'attente qui se réfère également au temps.

 

 Voir: PREDICTIONS OU ATTENTES ET AFFECTIVITÉ

 

           Si pour chaque composante du schème décrit par Vergnaud nous avons pu mettre en évidence cette intrication, a fortiori elle apparaîtra pour la totalité que constitue le schème.

           De nombreuses interrelations entre ces quatre composantes peuvent accentuer ces dynamiques d'intrication. C'est pour cela, que nous considérerons qu'il est préférable de décrire le schème comme une "totalité affectivo-cognitive dynamique".

           Cette considération de la participation effective de l'affectivité, nous conduit également à penser qu'il n'existe pas "un" schème particulier pour le traitement d'une situation. Au contraire, compte tenu de l'évolution des états affectifs, il serait préférable de considérer une expression particulière du schème à un instant donné. Pour évoquer cette relation au temps et le caractère évolutif du schème nous pourrions distinguer un schème générateur d'un ensemble de schèmes que nous appellerions des "schémons" avec toutes les variantes que peuvent leur conférer la dynamique des états affectifs. En fait, il existe un schème directeur et l'espace "schémal" qui lui est associé. Ce que nous observons dans des situations expérimentales, correspond à différents schémons originaires d'un même schème théorique et général. Il n'existe pas un schème unique du dénombrement mais une infinité de schémons du dénombrement tous associés au même schème générateur théorique. Il en est de même pour tous les schèmes et en particulier dans le champ des activités mathématiques. Chaque sujet construira les schémons personnels et singuliers dont il aura besoin dans le traitement d'une situation. Ces schémons, résultant d'une interaction avec le réel, devront satisfaire aux mécanismes de l'assimilation et. de l'accommodation. A la fois personnels, privés ils ne doivent pas rentrer en contradiction avec le réseau des représentations et les schèmes théoriques dont ils sont issus. Cette diversité nuancée, singulière des schémons constitue, à notre point de vue, la complexité "infinie" et la richesse du psychisme humain.

 

  

CONCLUSION

           Ces différents axes de notre recherche nous ont permis de mieux comprendre les mécanismes d'investissement entre un sujet et un objet mathématique particulier. Contrairement à beaucoup d'auteurs nous n'avons pas voulu considérer la relation aux mathématiques comme un tout indissociable mais comme une somme d'objets différents conduisant à favoriser des relations variées et singulières.

           Une approche historique de l'origine des nombres et plus particulièrement des pratiques anthropocentristes nous a apporté une aide efficace dans la compréhension de certaines dynamiques fantasmatiques et des constructions symboliques qu'elles peuvent élaborer. Le choix retenu, d'un rapport au corps humain souligne l'influence de la subjectivité et de l'affectivité dans les structures même du système numérique.

           L'analyse de nombreux travaux théoriques sur la relation d'un sujet à l'objet mathématique et plus particulièrement à l'objet nombre a permis de décrire un large éventail de composantes possibles. Dans la phénoménologie des conduites observées il nous est apparu très difficile de pouvoir isoler et privilégier une étiologie particulière des difficultés et des réussites en mathématiques.

           Aussi nous préférerons considérer que la relation à un contenu didactique constitue une dynamique singulière et subit des évolutions circonstanciées selon le vécu et les modes d'investissement de chaque élève. L'importance de ces rapports personnels dans la relation à un objet mathématique nous a conduit à considérer une approche de l'intrication entre l'affectif et le cognitif.

           Les analyses des nombreux travaux de Piaget (1919 - 1923 - 1954 - 1970 - 1971 - 1972), Gressot (1956), Goin-Décarie (1962), Tran Thong (1986), Dolle (1987), Huteau (1985) soulignent le clivage structural entre le sujet affectif et le sujet cognitif. Certes la nécessité de tenir compte des deux composantes s'impose chez presque tous les auteurs mais les approches conceptuelles d'une telle intrication sont souvent limitées à des modèles analogiques physico-chimiques. Nous avons le modèle Piagétien avec la métaphore du "carburant" dans le fonctionnement du moteur, prolongé chez Huteau dans le rôle de "guidage" de l'activité cognitive par la motivation et l'affectivité. Puis le modèle de concaténation chez Nimier avec une "chaîne formée de maillons affectifs et cognitifs" et les "prises directes" avec prévalence provisoire entre pôle sujet et pôle milieu chez Dolle.

           Pour chercher à éviter cette dichotomie nous avons orienté notre recherche sur l'analyse des représentations et les expressions symboliques qu'elles expriment. A l'aide de tests projectifs et d'entretiens cliniques nous avons pu observer comment toute une dynamique affective détermine et conditionne la relation d'un sujet à l'objet nombre. Soit dans la projection d'une fantasmatique personnelle, soit dans la construction de représentations à partir de signifiants externes, chaque sujet manifeste d'une façon singulière, unique, sa relation à l'objet nombre. Tout comme Jacques Nimier l'avait montré pour les mathématiques en général, nous avons retrouvé pour les nombres de semblables mécanismes d'investissement avec les dynamiques pulsionnelles et les mécanismes de défense qui peuvent en résulter. Nos observations s'inscrivent dans un prolongement de ses travaux et nous sommes conscients de lui devoir beaucoup. Cependant l'intérêt pour un champ conceptuel particulier, nous a permis de mettre en évidence la spécificité de l'objet nombre par rapport à l'objet mathématique en général. Cette spécificité des nombres s'observe déjà à l'intérieur des chiffres. Nous soulignerons la singularité du trois qui pouvant devenir substitut symbolique de la triangulation favorise une fantasmatique oedipienne. Nous soulignerons également la singularité du zéro qui réactualise la fantasmatique originaire et peut raviver certaines blessures narcissiques (zéro étant associé à nul, ou à l'origine des nombres). Nous avons aussi observé la spécificité du 1 en tant que substitut symbolique phallique, la spécificité des nombres pairs et impairs, les grands nombres, l'infini etc...

           Toutes nos observations expérimentales justifient pleinement la nécessité de ne pas considérer la relation aux chiffres ou aux nombres comme une totalité indifférenciée. En évitant les approches d'une conception séparée et hiérarchique des systèmes affectifs et cognitifs nos observations expérimentales nous ont montré la nécessité de privilégier une approche hollistique et élargie du fonctionnement du système représentatif.

           Pour cela nous nous sommes appuyés sur les travaux de Vergnaud qui en dépassant la conception Piagétienne de "totalité dynamique organisée" considère quatre catégories d'éléments: "les invariants opératoires, Les inférences ou calculs, Les règles d'action, Les prédictions ou attentes".

           Cette approche analytique nous est apparue particulièrement riche et intéressante pour observer l'intrication d'éléments affectivo-motivationnels et cognitifs qui interviennent et participent à la dynamique du schème. A l'intérieur de chacune des composantes nous avons pu mettre en évidence différentes dynamiques d'intrication. Cela nous a conduit à décrire le schème comme une totalité affectivo-cognitive dynamique avec un caractère évolutif en fonction du vécu singulier de chaque sujet.

           Cet aspect privé du schème permet de distinguer un schème générateur d'un ensemble de schèmes que nous avons appelé schémons à l'intérieur d'un espace schémal. Ainsi le schème du dénombrement doit être associé à une variété infinie de schémons dans la diversité des sujets, de leur développement génétique et des situations contextuelles rencontrées. Chaque sujet construira les nouveaux schémons adaptés au traitement d'une situation particulière en fonction de son potentiel affectivo-cognitif. C'est la distinction que Kant (4) établit entre le schème et l'image dans la critique de la raison pure: "Tout ce que nous pouvons dire c'est que l'image est un produit du pouvoir empirique de l'imagination productrice, et que le schème des concepts sensible comme des figures dans l'espace est un produit, en quelque sorte un monogramme de l'imagination pure à priori, au moyen duquel et suivant lequel les images sont d'abord possibles, et que ces images ne doivent toujours être liées au concepts qu'au moyen du schème qu'elles désignent et auquel elles ne sont pas entièrement adéquates". Nous insisterons donc sur la structuration du schème dans laquelle interfèrent des éléments affectifs et cognitifs fortement intriqués, totalement inséparables et irréductibles. Cette importance de l'intrication de l'affectif et du cognitif devrait conduire les chercheurs en didactique à tenir compte de ces éclairages réciproques pour une meilleure compréhension des conduites observables et des procédures mises en place par le sujet dans le traitement d'une situation didactique. Comme élargissement à notre recherche nous pensons qu'il serait intéressant d'observer de semblables mécanismes d'investissement pour d'autres objets du champ mathématique. Cela permettrait de développer une meilleure connaissance de la relation personnelle élève-savoir.

           Devant la multiplicité et l'originalité des rapports possibles à un objet mathématique nous ne pouvons que dénoncer les limites de toutes psychologies "scientifiques". Comme les philosophes : Kant, Merleau Ponti, Bergson, Sartre se plaisent à nous le rappeler, nous sommes conscients des limites de notre rationalité. Penser l'intériorité, l'organisation de la dynamique du système représentatif c'est faire de l'objet d'étude l'outil de sa propre analyse. Soit d'une autre façon il s'agit de penser la pensée. La représentation en tant que processus psychique n'échappe pas à cette difficulté d'objectivation. Dans les processus de la représentation il est important de considérer que ce n'est pas l'objet que l'on se représente mais les rapports à cet objet. A la suite de Schopenhauer, Freud établit cette relation entre la représentation et l'objectivité. Il parle de la notion de concept de "représentant - représentatif de la pulsion". La représentation apparaît alors comme le représentant d'un mouvement pulsionnel. Comment séparer la représentation du vécu et de l'expérience singulière du sujet qui échappe le plus souvent à toute approche totalement structuraliste ? En fonction de la spécificité du contenu des connaissances la représentation n'est pas seulement une reproduction du milieu mais constitue une fonction dynamique qui met en évidence l'importance du signifié et du signifiant. C'est avec la volonté d'éviter ce clivage entre le sujet affectif et le sujet cognitif que nous avons construit cette approche d'une complète intrication.

 

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Réaction
<<Bonjour C’est pas la peine de faire des études doctorales pour savoir qu’il y a intrication de l’affectif et du cognitif. Cela est vrai dans toutes sortes de domaines,individuels ou collectifs:à l’école,dans le domaine politique,dans l’entreprise... Mais cette vision large des réalités n’implique pas qu’on mélange tout. L’approche des élèves par l’enseignant ne doit pas se confondre avec l’approche du patient par le psychothérapeute. A chacun son métier,sinon c’est le bordel assuré.>>

 

Affectivité dans
les invariants opératoires
les inférences ou calculs
les règles d'action
les prédictions ou attentes

Textes tirés de la thèse de Benoît MAURET , Nombres et affectivité

dans l'U.E.R. de Sciences de l'Éducation de PARIS V sous la direction du Professeur Gérard VERGNAUD

Sommaire de la thèse de Mauret

Ethnologie et nombre

Entretien avec Sophie
Entretien avec Christelle
Approche de l'intrication de l'affectif et du cognitif

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