Description du
processus
Des
"bonnes idées" apparaissent dans des cercles
de chercheurs, de praticiens ou d'acteurs du
terrain, elles font du "buzz", comme on dirait
maintenant, puis elles sont reprises par les
responsables (ministère, inspection ...) et
deviennent "officielles".
On a vu ainsi
apparaître
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- la
pédagogie par objectifs:
N'est-ce pas une bonne idée de
vouloir se fixer un objectif avant
d'agir?
- l'enseignement
programmé.qui permettait
d'attirer l'attention sur la rigueur et
l'enchaînement dans les
explications d'une notion.
- la
pédagogie de projet. Agir c'est
bien définir un
projet?
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- on a
voulu remettre en cause la notation,
avec combien de bonnes raisons ! et on
a proposé des méthodes
nouvelles: utilisation de lettres, par
exemple.
- on voit
maintenant apparaître
l'évaluation par
compétences; n'est-ce pas aussi
une bonne idée de vouloir
élargir la vision étroite
de la connaissance disciplinaire pour
prendre en compte d'autres dimensions
de savoir-faire et de
savoir-être?
- enfin le
remplacement de la notation des
enseignants (infantilisante) par un
"entretien
d'évaluation"
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Mais
dans tous ces cas (et j'ai bien peur aussi dans le
prochain qui s'annonce) on voit apparaitre "un
processus", toujours le même, qui se
répète et dont il est urgent de
prendre conscience pour ne pas perdre le
bénéfice de ces bonnes
idées.Il s'agit du "processus de
dégradation des bonnes
idées":
Les
différentes phases
Après
les premières phases: apparition de
l'idée, propagation et
officialisation:
- les officiels
désirent "préciser les choses":
Qu'est-ce qu'on entend par objectif, projet,
evaluation,
compétences...entretien...
- c'est alors que des
précisions dans l'application et les
conditions d'utilisation font le sujet de
décrets et de circulaires qui, à
chaque fois, définissent les choses et
ceci dans un but d'uniformisation des conduites,
pour éviter le "n'importe
quoi".
- les enseignants et
groupes d'enseignants se saisissent alors de la
chose et fabriquent des "outils" pour appliquer
et instrumentaliser "la bonne idée"
.Ainsi pensent-ils rendre service à leurs
collègues : il n'est qu'à voir
fleurir de plus en plus d'outils sur les blogs
maintenant .
- enfin l'autorité
peut parfois se saisir elle-même d'un de
ces outils pour le rendre quasi obligatoire (le
cahier de compétences du primaire par
exemple). Et on verra bientôt, sans doute,
un "modèle d'entretien
d'évaluation des enseignants" à
l'usage des chefs d'établissement pour
éviter des contentieux avec les
syndicats.
Dans tous ces cas
l'intention est louable:
"il faut bien donner des
repères", il faut "aider les
enseignants dans ces nouvelles tâches",
il faut "éviter les dispersions
préjudiciables aux
enfants"..."L'esprit républicain
exige que ce soit partout pareil sinon il y aura
des injustices"...
Résultats
On
a pu voir ainsi
-la pédagogie
par objectifs se transformer en
taxinomie
en divisant les objectifs en
sous-objectifs et ceci en
sous-sous-objectifs...
-la pédagogie
par projets se perdre dans la recherche
sans fin d'indicateurs et sous-
indicateurs..
-les
compétences se noyer dans des
tableaux démesurés à
remplir
On
verra, sans doute, les entretiens
d'évaluation tellement
formalisés qu'ils en seront
pratiquement vides, sans saveur et sans
vie.
Le
même processus risque
également de se produire pour la
disposition CLAIR où le chef
d'établissement peut choisir ses
enseignants. Les syndicats
réclament déjà des
règles précises pour
encadrer et uniformiser ce
recrutement.
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Et devant tout
cela que devient l'enseignant de base au bout de la
chaîne?
Certains
groupes de discussions reflètent bien ses
réactions
- Des enseignants cherchent
à obtenir plus de précisions encore !
<<Savez-vous
s'il y a une obligation (ou interdiction) quant
au commentaire à écrire ou
à ne pas écrire, chaque fin de
trimestre dans le livret scolaire des
élèves de l'école primaire
?>>
<<Avez-vous
trouvé des infos concernant la validation
des items ? En effet, pour chaque domaine
appelé ici "compétence" (7 en
CM2), il y a plusieurs items. Faut-il avoir un
"oui" à chaque item pour valider la
compétence ?Jusqu'à
présent, nous avions dans notre
circonscription travaillé sur les langues
vivantes. Il y avait une grille très
précise avec une tolérance
(exemple : pour "réagir et dialoguer",
l'enfant devait avoir 3 items positifs pour
valider cette compétence).>>
- Certains voient le ridicule
de ce qui est demandé et cherchent à
"contourner" cette demande:
<<Il n'y a
pas besoin de commentaires puisqu'il va falloir
cocher oui ou non. Certains
éléments sont tellement vastes que
cela en est ridicule (comme
l'élément "utiliser les techniques
opératoires des quatre opérations
sur les nombres entiers et décimaux).
Quand un enfant n'aura pas vraiment tout acquis,
qu'allons-nous répondre ?????? J'ai
même une suggestion : mettre les croix
avant de photocopier le document, cela ira +
vite !>>
<<Nous
évaluons du vent, des micro
compétences acquises pendant une micro
seconde>>
- D'autres la transforment en
opération purement formelle sans aucun
sens:
<<Donc
l'évaluation par compétences ne
serait pas une obligation ? L'obligation sera de
remplir les grilles, nous délaissons des
outils qui sont ceux de notre métier :
enseigner, pour ceux essentiellement
tournés vers la mesure>>
- Enfin beaucoup doutent de
l'utilité de la chose et s'en
désintéressent:
<<Finalement,
ce fameux document, que nous avons
déjà rempli l'an dernier
chez nous, ce n'est qu'une redite du
livret d'évaluation à
fournir aux parents, sauf que pour les
collègues chargés de le
lire au collège, on simplifie
encore le code (de couleur chez nous,
vert/orange/rouge ou de lettre
A/ACE/NA) en le binarisant, comme si
les profs de collèges ne
comprenaient pas la nuance "parfois
oui, parfois non". J'avoue que pour
certains trucs je fais un peu au pif,
en fonction du ressenti en classe. Et
de toute façon, de l'avis
même des collègues qui les
accueillent au collège, il est
rare qu'ils s'attachent à lire
ce fameux dossier; en tout cas c'est
comme ça chez
nous.>>
<<C'est
un peu ma crainte.... Passer encore de
nombreuses heures pour remplir un
document qui risque de finir dans des
dossiers bien rangés dans une
armoire...>>
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<<Jai
toujours dit que la notion de
compétence avait deux
avantages : dune part,
sopposer à l
« idéologie des dons
» par son caractère
volontariste (les dons, on les a,
mais les compétences, on
peut les acquérir) et,
dautre part, attirer notre
attention sur la question du
transfert des connaissances,
cest-à-dire de la
possibilité
dutiliser des savoirs en
dehors du contexte de leur
acquisition. Mais je me suis
aussi toujours
méfié de la
totémisation des
compétences et, a
fortiori, de leur
hégémonie, pour
plusieurs raisons fondamentales.
Dabord, parce que le
pilotage de lenseignement
ou de la formation par les
référentiels de
compétences me
paraît porter en lui la
dérive de
latomisation des savoirs en
une multitude de «
comportements observables ».
Dès lors, en effet, que
lon veut absolument
vérifier
lacquisition des
compétences de
manière «
parfaitement objective », on
est amené à
découper cette acquisition
en unités sur lesquelles
aucune hésitation ne sera
possible et à propos
desquelles on pourra dire sans
hésitation « acquis
» ou « non acquis
».>>
P.Meirieu
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Autrement dit:
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-il y a les
appliqués qui cherchent à
faire le mieux possible et passent
beaucoup de temps à tout
remplir
- il y a les pervers
qui mettent n'importe quoi dans les
tableaux pour faire croire que c'est
fait
-Il y a ceux qui
s'en fichent et ceux qui se culpabilisent
de ne pas faire ce qu'on attend
d'eux...
- il y a le plus
grand nombre qui cherche un compromis
entre la demande de l'institution et le
travail auprès des
élèves qui leur paraît
le plus important....
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Conséquences
de cet état de chose:
- Une perte de temps et de
motivation pour les enseignants qui finissent par
passer plus de temps sur le remplissage de tableaux
que sur l'enseignement lui-même
- une attention de plus en
plus grande portée sur des aspects
administratifs, formels, plutôt que sur
l'élève lui-même, sur sa
singularité et non sur les catégories
auxquelles il appartiendrait. Or "Se focaliser
sur les apprentissages peut améliorer les
performances alors que se focaliser sur la
performance peut abaisser la performance". C'est le
principal enseignement d'une étude de Chris
Watkins, de l'Institute of Education de
Londres." (Cafépédagogique)
-une centration des
échanges d'enseignants sur des
difficultés administratives plutôt que
sur leurs difficultés relationnelles ou de
compléhension de celles des
élèves
-l'illusion possible d'une
maîtrise de la situation d'évaluation
entrainant une assurance (incongrue) sur les
jugements d'évaluation et
d'orientation
- une augmentation des
redoublements...puisque on est sûr de son
jugement !
Les causes de ce
processus
Je
voudrais proposer une analyse pour la
compréhension de ce processus.
Il y a bien sûr ce
désir de maîtrise absolue que
nous avons tous en nous ( administratifs,
enseignants, parents...) Mais il y a aussi la
croyance que cette maîtrise peut être
obtenue par "la mesure", les chiffres (faire
du chiffre): les mathématiques sont toujours
sous-jacentes comme moyen idéal d'obtenir la
maîtrise des événements.
"Nous savons" que
c'est faux..."mais tout de même" !
Nous savons
que cette reherche de mesure dans les
phénomènes humains est
inappopriée (docimologie...)
...
mais tout de
même nous continuons à y croire
(car c'est de l'ordre de la croyance
!).
Plus
profondément,
Il
me semble que cette recherche de mesure est une
façon de nous défendre contre la
"subjectivité". Nous
sommes à la recherche d'une
objectivité improbable, introuvable,
idéalisée car non applicable dans les
sciences humaines. Dans ces sciences
l'objectivité ne peut être qu'une
"direction" qui sera d'autant plus suivie que la
subjectivité de l'observateur, du chercheur,
de l'enseignant sera prise en compte.
Supportons-nous,
nous et nos élèves, le "subjectif"
(par exemple une ou des appréciations du
prof) ou cherchons- nous à "objectiver"
obligatoirement (ça vaut un 8 et non un 7...
il y a 25% de réponses justes)
En effet la mesure, les maths,
les statistiques (Pisa et compagnie..) peuvent
être utiles pour "gérer" un ensemble
comme l'E.N. Elles
permettent d'avoir une "vue
générale"; mais elles gomment
toute singularité, toute différence,
toute subjectivité. (voir:
les
deux logiques). Or
c'est cette attention à la
singularité, aux différences,
à la subjectivité qui fait le propre
des métiers sur l'humain tels celui de
l'enseignement.
Tout
enseignant sent bien que son travail
repose sur l'attention à sa
singularité, à sa
subjectivité s'il veut aider tel
élève, l'accompagner, le
tutorer.
Alors pourquoi
cette peur de la
subjectivité?
C'est
peut-être parce qu'elle nous oblige
à:
- faire face
à l'incertitude
Pourquoi
cette élève ne comprend-elle
pas alors que c'est si facile? Chercher
à comprendre ce qu'il (ou elle) ne
comprend pas est plus incertain, plus
difficile que de redonner l'explication
que l'on a en tête.
Pourquoi
cet élève ne
réussit-il pas? Se lancer dans une
recherche des causes, ou de ce qui peut
l'aider ou lui convenir au besoin dans un
entretien
avec les parents
est plus incertain que de dire
qu'il
n'est pas motivé ou qu'il ne
travaille pas assez.
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- faire face au risque de
ne pas savoir, de ne pas comprendre, d'être
désarçonné
D'autant
plus que dans tous ces cas on n'est pas sûr
de trouver, de savoir ce qu'on pourra faire en
définitive même si on comprend ! Or un
enseignant par "définition" c'est celui qui
sait ! C'est d'autant plus difficile d'avoir
à faire face à son ignorance,
à son impuissance.
- faire face à
l'étranger, à
l'étrange...à la folie de
l'autre
Et
puis, même si l'on est conscient, un peu,
que l'élève ou le parent qui
est en face ne pensera pas forcément comme
nous, on risque de se trouver devant des
pensées étranges, des sentiments
bizarres ( pour nous), inhabituels qui pourraient
déclancher cette fuite ou cette
agressivité que l'on n'aime pas
ressentir. Il peut même arriver que l'on
sente chez l'élève ou chez le parent
une angoisse déstabilisante qui a un
écho en nous et qu'on préfère
ignorer.
- faire face à une
aventure dont on ne sait pas jusqu'où elle
nous entrainerait
Peut-être
que cet élève, ce parent nous
séduisent par leur intelligence, leur
vivacité d'esprit, leur capacité
à nous deviner, à répondre
à notre désir... Il est
préférable de rester sur un
échange plus technique: les notes, le
passage de classe, la "quantité" de travail
nécessaire dans cette classe.
On comprend alors un
certain besoin de s'en
protéger
Heureusement
que l'institution s'empare de nos "bonnes
idées" pour les transformer (les
dégrader) par une normalisation
contraignantes qui répond, en
définitive, à notre propre besoin de
protection.C'est une régle
générale. Elliot
Jaques a
montré que c'était la fonction des
institutions de renforcer les défenses des
individus. (Voir: Tension
systémique entre créateurs et
administratifs.
Mais
si nous acceptions davantage la
subjectivité une attitude
plus souple devant les demandes
institutionnelles pourrait
être trouvée:
- par une réflexion
sur nos conflits internes, sur nos besoin de
protection, sur les marges de manoeuvre que nous
pouvons nous accorder. Et ceci est bien
sûr variable pour chacun .
- par une réflexion
collective (d'équipe) sur les marges de
manoeuvre que l'institution nous laisse dans les
régles édictées par
elle.
- par un partage (en
GAPP
par exemple) sur les difficultées que
nous ressentons vis-à-vis de ces
règles et sur l'esprit qui nous anime en
les exécutant.
- par une utilisation de
tous ces "instruments", "outils" (restes de la
dégradation des "bonnes idées")
que l'on nous fabrique comme "objets
intermédiaires"
permettant un dialogue entre nous et
l'élève ou le parent.
C'est
comme cela que nous serons un peu moins le
jouet de nos pulsions internes et des
exigences intempestives de l'institution.
C'est comme cela que nous tiendrons un peu
plus compte de notre subjectivité
et de celle des autres. Les "bonnes
idées" garderont alors leur
puissance de stimulation sans se
"dégrader" de trop.
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