Ce
désir de prendre la place des parents ou
d'autres figure parentales peut être ressenti
comme agressif et s'accompagner de
culpabilité. Le réaliser ne se
justifie que d'être " parfait ", sans
failles, ce qui implique d'exclure de soi la
négativité, sa propre violence, son
désir d'emprise
. On aime les enfants,
on ne veut que leur bien.
L'image idéalisée
de certains enseignants constitue une
référence à l'aune de
laquelle le professeur se mesure.
Cet idéal
du Moi
professionnel
appelle, de manière
complémentaire, une image de
l'élève
idéal,
désireux d'apprendre, demandeur,
confiant, docile, admiratif... Comme dans
une sorte de miroir, le professeur
cherche, dans les attitudes des
élèves à son
égard, à être
conforté, rassuré sur
l'image qu'il donne de
lui-même.
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Dans la réalité de la
situation d'enseignement, les
élèves réels, en tant
qu'individus, correspondent rarement à cet
l'élève
idéal,
pour de multiples raisons, liées à
leurs caractéristiques psychologiques, leur
éducation familiale, leur origine sociale,
leur culture, leur parcours scolaire
Ils
subissent la situation scolaire et leur
désir d'apprendre ce qu'on leur enseigne
n'est pas acquis d'emblée. Qui plus est,
ils sont en groupe. Bien qu'à peu
près du même âge, ils sont tous
différents. Leur inévitable
hétérogénéité
renvoie une image fragmentée qui s'oppose
à la recherche d'une image unifiée de
soi, ce qui peut expliquer la tendance à
concevoir la relation pédagogique comme
duelle (professeur/élève).
La relation
pédagogique
Le professeur est seul face à un
nombre d'enfants ou d'adolescents ; même si
cette situation a été
désirée (être " seul
maître à bord "...), le groupe est
ressenti comme une force dangereuse. En
témoignent des expressions telles que "
cage
aux lions
", " masse ", " magma ", " meute " qui
évoquent le chaos, le désordre et la
sauvagerie.
Car tout groupe est en
lui-même source d'angoisse.
Quelle que soit sa raison d'être,
la co-présence d'un ensemble de
personnes dans un même lieu, pendant
un temps assez long, fait naître
entre elles des processus "
socio-affectifs ", émotionnels, des
mouvements psychiques de liaison ou de
déliaison, qui provoquent des
résonances en chacun. La situation
groupale éveille des " angoisses
archaïques ", notamment celle de
perdre son unité physique et
psychique. Le groupe est ressenti par
chacun de ses membres comme un miroir
à multiples facettes lui renvoyant
une image de lui-même
déformée et
morcelée.
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La communication dans les
groupes
Dans les classes comme dans tous les
groupes, il y a, non seulement des communications
d'ordre rationnel, liées à la
tâche (" informations " sur les contenus de
savoirs et l'organisation du travail), mais
d'autres liées aux relations, à la "
structure socio-affective".
Inévitablement, les communications
entre élèves, verbales ou non,
bruyantes ou silencieuses, forment un réseau
de lignes entremêlées, partant de
chaque membre vers tous les autres qui
véhiculent des émotions et des
fantasmes positifs ou négatifs, ayant pour
objets les autres, la tâche, la situation
elle-même, le professeur. De plus, les
groupes dans le cadre scolaire ont ceci de
particulier qu'ils mettent en présence un
adulte et des enfants/adolescents, avec des enjeux
de savoir.
La relation
professeur-élèves est une relation
éducative,
intergénérationnelle, dans une
certaine mesure analogue à celle de la
famille. Or, dans l'école comme dans la
famille, le processus éducatif implique
d'exercer des contraintes, d'imposer, de diriger,
d'évaluer, de sanctionner. Enfants et
adolescents vivent des frustrations, parfois des
humiliations et des injustices, dans tous les cas,
des limites à leurs désirs, à
leur recherche de satisfactions immédiates,
à leur égocentrisme et leur
toute-puissance. Ils ne sont pas tous
également capables de contrôler leurs
mouvements pulsionnels et de supporter la
frustration ; ils résistent à
l'inculcation, aux contraintes inhérentes
à la situation scolaire, avec plus ou moins
d'agressivité, voire de violence.
Du fait de son statut, le professeur
incarne, aux yeux des élèves, une "
imago parentale ". Parce qu'il entrave la
réalisation des désirs et inflige des
blessures narcissiques, comme les parents, il est
l'objet de sentiments positifs et négatifs,
d'amour
et haine.
Les relations éducatives et
pédagogiques sont toujours
conflictuelles.
Le professeur, quant à lui, peut
se sentir exclu par les communications "
latérales " entre élèves, dont
il n'est pas le centre. Celles-ci sont
généralement
considérées comme incompatibles avec
la transmission du savoir et n'ayant pas lieu
d'être dans l'espace pédagogique. Le
groupe est plutôt perçu comme source
d'obstacles au processus enseigner-apprendre ; il
semble inconcevable que les élèves
puissent apprendre les uns des autres, et non
seulement de la bouche du maître.
Les manifestations de résistance,
d'opposition, de manque d'investissement de la part
des élèves, qui entravent le
pouvoir du professeur, suscitent également
chez lui/elle des sentiments négatifs :
frustration, colère, hostilité, voire
violence (envie de hurler, de frapper, de jeter
dehors). L'émergence de ceux-ci, dont
il/elle se voulait exempt-e, viennent contrarier
l'idéal et démentir le fantasme selon
lequel la perfection, l'infaillibilité lui
épargnerait d'être l'objet de tels
mouvements négatifs de la part des
élèves. Leurs manifestations
signifient qu'il/elle n'est pas à la hauteur
de cet idéal et les mérite, tout
comme, enfant, il/elle a considéré
que les adultes étaient seuls responsables
de sa propre agressivité.
La manière dont le
professeur investit son rôle, ses
relations avec ses élèves
mettent en jeu différentes
composantes personnelles, conscientes et
inconscientes, son rapport aux autres et
au monde.
Il semble que les
dimensions groupales des
situations d'enseignement, plus
particulièrement, parce
qu'elles font vivre
l'altérité,
l'irréductibilité
de l'autre et des autres,
qu'elles mettent en
présence de la vie
affective et pulsionnelle,
entrent en résonance avec
certaines configurations
psychiques (désirs et
mécanismes de
défense) et cristallisent
des enjeux narcissiques. Ainsi
peut-on comprendre qu'il soit si
peu investi, et même
impensé, dans
l'enseignement.
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