LE PÈRE
<<Le
père en venant rompre la relation
duelle exclusive de l'enfant à sa
mère, en s'interposant entre la
mère et l'enfant, devient aussi, et
nécessairement, un
médiateur. Dans le pays d'origine,
le père même le plus faible,
assure cette fonction. Même
s'il ne parvient pas à l'assumer
personnellement.
Il
est épaulé par "le groupe des
pères" (pairs) qui le soutient et le
maintient. Le groupe des pères sert
donc de béquille et de contenant au
père défaillant. Or dans le pays
d'accueil, ces groupes de pères ne
fonctionnent pas de la même
façon. Ils sont d'ailleurs souvent
absents....Le père immigré continue
à véhiculer le vécu de sa
culture d'origine sans qu'il y ait l'étayage
social du pays d'origine...Souvent ses enfants
connaissent mieux le dehors que lui, tandis qu'ils
parlent très mal, voir pas du tout la langue
du dedans, celle de la maison et du pays d'origine
des parents. Ici l'enfant se trouve
confronté au non-dit et à la
défaillance de ce rôle
médiateur du
père.>>(p.202)
<<Cette
défaillance du père
transplanté, analphabète, fait
naître chez le fils aîné et
lettré le désir de le remplacer au
sein de la dynamique familiale en le
dégradant, parfois, dans un statut tout
à fait subalterne Parfois c'est
l'inverse qui s'observe. Le père
sentant son pouvoir diminué et
contesté tente en un dernier sursaut de
s'affirmer avec violence au sein de la famille par
une reprise des traditions qu'il rigidifie à
l'extrême.>>(p.228)
<<Dans la
société traditionnelle un père
n'est jamais défaillant. Cela ne veut
pas dire qu'il n'y a pas de père
faible. Même le père le plus
faible, le plus absent est porté, contenu
par le "groupe des
pères/pairs". C'était aussi le
cas en France: l'absence du père ou sa
défaillance n'a pas empêché
Napoléon, Balzac ou d'autres de devenir des
grands hommes. Mais ici l'individu issu de la
société traditionnelle est
confronté à de nouvelles
données qu'on ne lui laisse même pas
le temps nécessaire pour pouvoir les
métaboliser. Il passe subitement du
monde où le sujet n'est défini que
comme "fils de" (Ben en arabe, Aït ou Aith en
berbère) à une société
où on est reconnu avant tout par sa carte
d'identité. Il passe d'une
société groupale où on est
reconnu avant tout comme rôle, à une
société où à la notion
de couple et la notion de sujet sont
prévalantes. Il passe d'une
société monosexuelle où la
séparation des sexes est de rigueur à
une société ou la mixité, ne
serait-ce qu'au travail, est de plus en plus
importante. Ceci invite à la
modestie. On ne peut pas demander à ces
personnes issues pour la majorité du monde
rural traditionnel de faire un tel saut en quelques
années, en deux-trois-quatre ans alors que
les occidentaux ont mis plus d'un siècle
pour en arriver
là.>>(p.281) Textes tirés de la
thèse d'État de Hossaïn
BENDAHMAN Ô ! PÈRE, JE
T'ATTENDS. Père, toi
le gardien de mes jardins d'enfance
! Et même si
le temps s'engouffre en ton regard, Tu veilles mes
sanglots d'une égale
vaillance. De nul autre que
toi, je n'ai pareil égard. Les iris
améthyste irradiant nos
prunelles, Signent ce
même sang qui teinte notre
chair, Celles de tes
cousins nourris aux mirabelles Celle d'une
bretonne aux yeux couleur de mer. Quand je vais,
suffoquant, que l'heure se gaspille, Ravalant ma
souffrance et mon rêve
brisé, Je m'accroche
apeurée à ton pas qui
vacille Au portail de ta
voix, à ton visage
usé. Quand la vie a
blessé le pur songe du
souffle D'un orage
automnal, c'est bien toi que
j'entends Éponger
le malheur dont mon front se
boursoufle. Lorsque au loin
tout a fui, mon père, je
t'attends. Mai
1996 __