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Clinique du travail

Dominique Lhuilier

 

            Professeure de psychologie du travail, université de Rouen. Membre du laboratoire PRIS Clinique et Société, du CIRFIP et du comité de rédaction de la Nouvelle revue de psychosociologie

              Stress, souffrance, harcèlement moral, relégation, placardisation, pathologies de la suractivité ou du sous-emploi, fatigue et usure professionnelles, violences et expériences traumatiques… De la scène du travail nous parviennent de sombres échos.

             Sans prétendre réaliser un diagnostic de l'état du monde du travail, la montée des préoccupations et des demandes sociales et collectives témoigne bien d'un malaise qui tient aux transformations à la fois des organisations productives et du rapport au travail. Depuis les années 1980, les exigences du monde du travail sont devenues plus fortes, alors que dans le même temps, les moyens nécessaires pour y répondre ont été réduits. Ce double processus d'alourdissement des contraintes et de fragilisation des individus génère un mal-être au travail et une marginalisation progressive de nombre de salariés.

             La montée des demandes sociales et collectives témoigne bien du malaise actuel dans le monde du travail : cette prolifération des plaintes s'accompagne d'une recrudescence de grands types de pathologies du travail.

             Les pathologies de surcharge tout d'abord, qui se manifestent par l'importance croissante des TMS (troubles musculo-squelettiques) liées aux activités répétitives sous contrainte de temps.

             Dans les métiers de la relation, comme dans l'enseignement, l'usure psychique se présente sous la forme du " stress " tout d'abord, synonyme d'insatisfaction, frustration, fatigue, puis sous la forme du " burn-out " : initialement décrit chez les infirmières et les travailleurs sociaux, il se généralise à l'ensemble des professions de la relation.

             Dans les services sociaux, dans les secteurs de la santé, de l'enseignement, mais aussi dans les services commerciaux, les transports… la " matière " travaillée prend la forme du service rendu, de la relation à l'autre. Ici, les prescriptions, les procédures, les consignes standardisées trouvent vite leurs limites.

             La relation pédagogique ne relève ni d'une simple relation interpersonnelle entre l'enseignant et l'enseigné, ni d'une relation aseptisée par l'uniformisation du traitement des " objets " du travail enseignant.

             Entre ces deux écueils, la construction d'une position professionnelle en mesure de concilier, d'arbitrer entre les différentes exigences contradictoires auxquelles sont confrontés les enseignants dans leurs pratiques (ajuster ses pratiques aux singularités des élèves tout en assurant la conduite du groupe-classe, jongler entre différentes postures éducatives, formatives, didactives, ajuster la standardisation des contenus et méthodes pédagogiques à la réalité mouvante et complexe des situations de travail…) suppose de pouvoir compter sur des ressources qui permettent de contenir la relation et y inscrire la référence à un tiers institutionnel et professionnel. Tiers qui, bien souvent, fait défaut tant l'institution scolaire et les collectifs de travail enseignant n'apparaissent plus comme cadres et moyens d'une élaboration et d'échanges sur la pratique professionnelle.

 

L'enseignant autosuffisant

             Reste alors la solitude de l'enseignant censé trouver dans ses ressources personnelles les modes de résolution des situations auxquelles il est nécessairement confronté ; un enseignant autosuffisant, capable de faire face, de s'adapter à la diversité de ses élèves, aux caractéristiques des établissements, d'absorber les réformes successives, prescrites par l'institution… Le défaut de cadres de construction et d'élaboration autour du métier d'enseignant et ses évolutions au profit d'une individualisation des pratiques et de la valorisation de " l'adaptabilité " fait peser sur chacun le poids de l'isolement et des stratégies par essais-erreurs. La montée de la violence est encore le produit de ces forces de désintégration sociale qui constituent des individus solitaires aux prises avec les élèves ou l'établissement. Violences des élèves ou violence dans les rapports entre professionnels, maltraitances, harcèlement moral… autant de formes prises par la destructivité d'un-de sujets, qui ne peut s'analyser hors de la prise en compte des contextes qui permettent son actualisation, son déploiement, son efficacité. Contextes caractérisés par la déliaison, l'individualisation, la désinstitutionalisation.

 

La souffrance au travail

             La souffrance au travail est l'objet de nombreuses études et publications, comme de dispositifs de prise en charge et soutien psychologique. Les modalités de traitement dépendent des grilles d'analyse et des objectifs visés. Elles peuvent se focaliser sur les symptômes de la souffrance au travail et tenter de " réparer " les professionnels usés, " cassés ". Elles peuvent s'inscrire dans une perspective préventive et tenter d'accroître la résistance des personnes aux contraintes et épreuves du travail.

 

La clinique du travail

             La clinique du travail est une approche alternative : loin de l'orthopédie psychologique à visée adaptative visant à s'ajuster aux contraintes du travail, elle poursuit un autre objectif, celui d'un développement des possibles individuels et collectifs, d'un accroissement des capacités d'action sur et dans le travail.

             Il s'agit bien de gagner des marges de liberté d'action et de décision, de se dégager des impasses problématiques pour inventer des nouvelles manières de faire et de penser. Cette visée repose sur l'hypothèse centrale que les changements - entendus comme inventions de nouvelles pratiques - doivent être accompagnés par un travail d'élaboration collectif.

 

             Le groupe de travail joue un rôle essentiel de médiation entre l'individu et la situation de travail. Il constitue un cadre indispensable à la régulation des contraintes de travail, non pas seulement dans une perspective adaptative mais pour permettre un développement des capacités de transformation, voire de subversion de ces contraintes.

 

             L'identité professionnelle constitue le principal outil de travail des professions de relation. C'est elle qui rend possible la triangulation du rapport aux usagers : elle signifie que, entre le professionnel et son client, une référence extérieure fait loi et définit les limites de l'exercice. La rencontre n'est pas seulement interpersonnelle : par la référence aux missions dévolues, aux valeurs et aux principes professionnels, elle engage la communauté professionnelle d'appartenance. Elle apparaît comme un frein au risque de " contagion psychique ", et comme un cadre de régulation des mécanismes identificatoires et contre-identificatoires toujours activés dans les professions de l'aide.

             La relation s'inscrit dans un cadre qui attribue les places respectives, qui délimite les droits et les devoirs, qui prévient l'indifférenciation, les relations d'emprise et l'usage de la position professionnelle à des fins personnelles.

             La référence au collectif de travail et à la communauté professionnelle d'appartenance apparaît comme indispensable à la fois aux plans réel, imaginaire et symbolique.

- Au plan de la réalité parce que, le plus souvent, l'activité est collective : elle implique une distribution et une répartition des tâches, une co-activité et une coordination. La régulation des contraintes de travail ne peut être l'affaire d'un seul et la coopération constitue bien une nécessité opératoire.

- Au plan de l'imaginaire, le sentiment d'appartenance constitue le ciment du groupe et induit des attentes de rôles respectifs auxquels chacun ne peut déroger. Se sentir appartenir à un groupe, à une communauté professionnelle et être reconnu par elle comme un de ses membres aide à soutenir la confrontation aux contraintes de travail.

             L'appartenance permet l'inscription dans les processus de construction de stratégies défensives collectives qui portent sur les représentations de la situation de travail et/ou sur les affects qui lui sont associés.

- Au plan symbolique enfin, l'identité professionnelle permet de se situer et d'être situé, de s'appuyer sur des repères qui encadrent les pratiques et qui leur donnent sens.

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<< Article particulièrement intéressant.>>

<<Très intéressant, je suis pour développer l'aspect collectif du travail comme vous le proposez mais par où commencer qd le problème est précisément institutionnel ? Par ex, ici en Belgique, bcp d'enseignants se sentent seuls dépassés par tous les probl ou questions qui leur arrivent mais il n'ont pas d'heures de travail en équipe payées ou rarement ou pour les bulletins ! Ce qui veut dire que ceux qui sont intéressés par ce travail d'équipe seront encire une fois des individus motivés, prêts à consacre de l'extra time pour leur boulot pour l'améliorer mais là on tombe de nouveau ds une démarche plus personnelle, individuelle que collective ou institutionnelle. Ma question est donc : quels premiers pas qd l'institution est manquante ?>>

<<Passionnant. Analyse extrêmement utile pour prendre des distances par rapport au monde du travail qui se caractérise entre autre par le fait de constituer le plus souvent une structure invisible. Merci pour le dossier.>> Benjamin

<<bravo pour votre analyse du "burn-out" professionnel. j'en ai vécu un en 2002, à mettre en relation avec un climat détestable dans le lycée où j'exerçais depuis 8 ans. Le harcèlement est devenu pratique inconsciente (j'ose l'espérer telle) et j'en ai fait les frais, à mon insu. Il a fallu que je mute pour me rendre compte à quel point je m'étais laisser pressée comme un citron par l'institution, sans rien recevoir en échange, sinon une note administrative excellente, comme un "pompon" jeté à un enfant! Après une dépression nerveurse liée à trop de stress, j'exerce aujourd'hui dans un collège à la campagne, et je ménage mes efforts. Non, l'enseignant ne peut pas faire face à tous les problèmes , seul, sans l'aide institutionnelle; du reste, il serait temps de délimiter à nouveau les compétences des uns et des autres. Les donneurs d'ordre ne sont pas forcément ceux qui mouillent le plus la chemise... merci pour votre site>> C.

<<Sur votre site, j'ai découvert le RIS. Merci pour toutes ces informations qui me permettent d'élaborer et de relancer ma pensée. Cordialement>> F.C.

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