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L'imaginaire en classe de français

Lucette TURBET (Professeur de Français, documentaliste)

 

          Tout prof de Lettres - de l'être ? - cherche à former des individus rassemblés au sein d'un groupe appelé classe dans une institution nommée Education Nationale. Son action, définie par les instances ministérielles dans des programmes , passe par deux outils principaux : l'oral et l'écrit. Par les techniques du dialogue et de l'étude des textes, il va chercher à amener une attitude critique chez ses élèves, une mise à distance qui permette la réflexion personnelle. Cette réflexion originale sur le monde, les autres et soi doit s'incarner dans une action conforme à certains idéaux. Car comment vivre en société, dans une société dite civilisée, si on ne partage pas les bases d'un accord minimal sur quelques grandes règles de vie respectées par tous ?

L'imaginaire fait de la résistance

           Le système éducatif français affiche trois objectifs : premièrement : transmettre des connaissances, des savoirs, une culture ; deuxièmement : préparer à la vie professionnelle ; troisièmement : former à la vie en société, à la citoyenneté et contribuer ainsi à la construction et à l'identité du pays. Selon le moment de l'histoire de l'institution, un de ces objectifs est monté en première ligne.

           Vaste programme dans lequel s'inscrit le professeur de français - certains ajoutent langue maternelle ; d'autres préfèrent professeur de langue ; ou de lettres ou d'Humanités … et ces dénominations ne sont pas innocentes : il convient de les interroger pour débusquer les représentations induites . Cet enseignant, plutôt enseignanTE , a mission de corriger les inégalités sociales, éviter les ghettos linguistiques, construire une culture commune et ainsi bâtir une identité nationale qui permette aux individus qui la constituent de vivre le plus harmonieusement possible, en paix.

Au XIXe siècle, l'école représentait la base de la République et constituait la force d'opposition à l'Eglise et la Royauté ; avec la montée du chômage dans les années quatre-vingts, la formation professionnelle est passée au premier plan ;

aujourd'hui, le système éducatif est chargé d'un des maux de notre société : l'exclusion - sociale, économique, intellectuelle … - incompatible avec notre devise républicaine, notamment l'égalité qui se traduit en langage éducatif par " égalité des chances ". En simplifiant, tout enfant ou adolescent doit sortir de ses années de formation en sachant lire et écrire. En adaptant évidemment la formule aux niveaux de formation de ces jeunes. Il faudrait ajouter aujourd'hui "parler " aux " lire et écrire " historiques : " Le premier degré dans l'illettrisme, écrit Alain Bentolila, concerne la confrontation à la langue parlée ". L'écrivain Daniel Pennac est également de cet avis.

 

             Et la paix est au prix du déploiement d'une machine de guerre pacifique : la culture dont l'instrument principal s'appelle " lecture ".

           Le professeur de Lettres - de l'Etre - va donc mettre en pratique divers " exercices " pour amener ses élèves à lire des livres, vecteurs de la culture. Car c'est la représentation la plus répandue que suscite le mot " Lecture ". Chacun, professeur et élèves, arrive en classe avec des pratiques et des représentations de cette activité. Les jeunes, selon leur âge, ont une image plutôt négative de l'acte de lecture. Ils l'expriment :

" J'aime pas lire ; c'est chiant ; c'est long ; ça prend la tête, votre truc ; ça sert à rien ; c'est compliqué, l'histoire ; c'est pour les pédés … "

             L'écrit occupe une place prépondérante dans l'enseignement du français langue maternelle. Nous étudions l'orthographe " Madame, à quoi ça sert ? Vous avez dit qu'on écrivait comme on voulait au Moyen-Age ! " ; nous enseignons la syntaxe " Qu'est-ce qu'y a à corriger ? Moi, j'me comprends, ça suffit. C'est vous qui savez pas lire ! " ; nous essayons d'apporter quantité et variété au vocabulaire " T'as vu les keufs ? Y rancardent à l'entrée du bahut. Kisékafélcon ? " Bon, c'est une classe particulière mais certain(e)s reconnaîtront la réalité de ces propos.

           Ceux qui " adorent lire " sont une minorité, même en classes littéraires, où les jeunes se contentent de lire " les textes au programme " dans un esprit utilitariste que regrettent souvent leurs enseignants-tes.

Le travail s'avère donc difficile pour les professeurs

d'autant qu'eux aussi

ont leurs représentations de l'acte de lecture !

 

           Ils disent le plaisir qu'il leur procure : la lecture est évasion, voyage, émotions, détente ; les enseignants apprécient la beauté des mots, l'histoire, le silence, les livres ; c'est une passion, non une obligation ; c'est le contraire de l'ennui.

Tout professeur de français est aussi professeur de mots.

           Et sa première réaction devant celui d' " imaginaire " le porte vers Molière " Le malade imaginaire " ! Nous rions aux plaintes d'Argan, sachant pertinemment qu'il ne souffre d'aucune affection grave, ce qui nous permet de nous moquer de lui. Il s'invente des maladies ; son mal est le produit de son imagination comme " l'imaginaire " est le produit de notre faculté à créer par l'esprit des objets, des faits, des mondes, sous forme d'images mentales aussi prégnantes que la réalité perceptible.

<<Si en m'interrogeant vous imaginez interroger un intellectuel, vous vous trompez, je suis romancier. C'est-à-dire presque le contraire d'un intellectuel. La première obligation du romancier est, en effet, de poser ses valises conceptuelles et de faire en sorte que toute idée soit incarnée. Si vous pouvez résumer un roman par l'idée qui l'a fait naître, il est raté en tant que roman. C'est un essai dissimulé en roman, ce qui est une spécialité française. Céline, qui n'était pas à une provocation près, a tout de même dit quelque chose de très juste : " En matière de roman, il n'y a rien de plus vulgaire qu'une idée. " Je me définirais donc comme un raconteur d'histoires métaphorant.

             L'urgence est de réconcilier ces enfants avec la lecture. Personnellement, je le fais dans les classes en lisant les romans à voix haute, en leur parlant de littérature, en leur " racontant des histoires "....

             Le problème des enfants qui vivent dans les énièmes cercles de la banlieue, ce n'est pas qu'ils sont atteints d'illettrisme, ce n'est pas qu'ils perdent le goût de lire, c'est qu'ils n'ont même plus le langage oral, parce qu'ils n'ont personne à qui parler. L'oralité est la première des choses qui se perd dans les banlieues où les gosses sont " parqués " dans des blocs, où ils se constituent nécessairement en bandes, où le langage est réduit à des codes de reconnaissance internes à la bande, donc à sa plus simple expression. Les seuls endroits où les jeunes peuvent aller, c'est l'hypermarché, et au bout de la chaîne de l'hypermarché, il y a la caissière, à laquelle on ne parle que de chiffres.>>  Interview de D Pennac

L'imagination a plutôt bonne presse chez les littéraires

           Ils n'ont pas la méfiance des scientifiques qui ne veulent pas se laisser égarer par la " folle du logis " et ses chimères. Elle représente pour eux la réserve d'idées, la créativité, l'invention, la fantaisie, la possibilité d'expression personnelle. Elle fait partie des finalités des programmes de toutes les classes d'enseignement : le professeur de français doit " enrichir l'imaginaire de ses élèves " au même titre que " développer leur capacité d'expression "ou " structurer leur jugement pour former des citoyens ". L'enseignant a donc mission de faire travailler l'imagination des jeunes qu'il a devant lui pour produire de l'imaginaire.

Imagination, imaginaire, image …

           Les images ! Elles font immédiatement référence au dessin, à l'écran de cinéma et de télévision. Elles séduisent les jeunes, abreuvés de Bandes Dessinées ;ce n'est plus la langue faite de sons et de signes , d'oral et d'écrit , de dialogues et de textes.

           Professeur et élèves s'accordent sur le matériau tangible qu'ils ont sous les yeux. Ils décortiquent un spot publicitaire, une séquence de film, un journal télévisé … comme un objet mesurable, concret, comme un oignon doux dont on découvre les différentes peaux pour découvrir le cœur du sens.

           Le langage des mots est d'un abord plus complexe, moins immédiat, parce que chargé de conventions et domaine de la vie intérieure. Il exprime des images immatérielles, symboliques.

         Image, comparaison, métaphore, allégorie … naissent de l'agencement des mots et créent un lieu magique où le temps a suspendu son vol.

           Lieu de prédilection des littéraires qui aimeraient à n'avoir en classe qu'à enseigner des disciples, c'est à dire baigner voluptueusement dans les textes des grands auteurs et élever les jeunes esprits jusqu'au monde des jouissances du texte et de la liberté intellectuelle.

L'image surgit des mots :

" Le fleuve est pareil à ma peine :

Il s'écoule et ne tarit pas " (Apollinaire) ;

Les mots dessinent des images :

" Nous étions faits pour être heureux

Comme la vitre pour le givre… " (Aragon).

           Tableau idyllique qui explose face à la réalité d'une heure de cours : on ne communique pas d'imaginairE à imaginairES aussi facilement !

 

 Quel fossé entre ces deux types de représentations !

Un gouffre! Une fracture culturelle !

 

           Comment l'adulte, fort de ses représentations favorables, va-t-il pouvoir travailler face à trente ou quarante collégiens ou lycéens aux représentations tellement opposées ?

 

 Plusieurs attitudes sont possibles devant l'expression de ces représentations.

- L'enseignant peut les ignorer et chacun campe sur ses positions ; c'est un dialogue de sourds :

Le prof - Ce texte est magnifique ! Comment pouvez-vous ne pas l'aimer ? "

Les élèves - C'est pas intéressant ; c'est nul ! … "

Et l'adulte désespère de faire progresser ses apprenants et affronte les résistances.

- Beaucoup d'enseignants pensent qu'il suffit de combattre les représentations en montrant l'erreur d'un jugement pour que la vérité la remplace.

Il dit : " Mais non ce n'est pas difficile de lire ! " et il pense que sa conviction sera communicative.

Mais: la représentation fait partie intégrante de la personnalité de l'élève avec toutes ses facettes, aussi bien cognitives qu'affectives.

Le collégien, le lycéen désire protéger son intégrité - le contraire serait anormal.

Il résiste donc à ce qui lui apparaît comme une violence. L'affectivité se mobilise et entre en résistance.

Les forces en jeu sont vitales et intenses, d'où la difficulté d'une évolution.

 

  - Que peut donc mettre en œuvre un enseignant pour tenter d'amener des représentations positives chez les adolescents, pour qu'ils passent du dégoût ou de l'indifférence au désir et au plaisir de lire ? … ou au moins pour qu'ils se mettent en marche vers ce désir de lire ?

En prenant en compte ces représentations.

 

           L'enseignant mobilise alors l'énergie affective et cognitive de l'apprenant qui se sent partie prenante dans l'activité proposée, et prend conscience de la construction de son savoir. Alors, la " motivation " est amorcée ;

la force de l'imaginaire travaille dans le sens d'une plus grande ouverture de l'esprit :

la peur d'apprendre qui freinait fait place à l'assurance d'aller vers quelque chose de nouveau qui sera mieux que ce que l'on quitte.

Voir: Des mots plein la tête - De la lecture méthodique à la lecture-plaisir

 

           Les travaux sur les représentations des élèves sont plus nombreux que ceux portant sur les représentations des enseignants. Car bien sûr, les enseignants ont des images au même titre que leurs élèves, que tout un chacun, puisque nous sommes tous égaux devant ces images mais certains " plus que d'autres " quand il s'agit d'en prendre conscience.

           Représentations sur la lecture - la sienne et celle des élèves - la classe - chacune de ses classes-, l'éducation nationale - et chacun de ses échelons, le rôle qu'il y joue - son identité de prof : compétent, malade, absent, syndiqué, qui s'investit, qui râle etc..-, mais aussi tout ce qui se joue dans la langue et autour de la langue.

          L'imaginaire investit les mots d'une puissance redoutable : " Les mots sont des armes intellectuelles ", écrit Alain Bentolila, qui s'inquiète des chiffres de l'illettrisme en France. Pour lui, l'inégalité linguistique entraîne un fossé culturel entre les classes sociales. Et le phénomène commence à l'école, dès la maternelle, d'après lui. Et si les pédagogues ont renoncé à leur mission, il met en cause également " les démagogues qui s'extasient devant la pseudo-culture des cités ".

           Par son analyse, il participe à la fabrication d'une image sociale de l'école, des médias et de la culture et alimente l'imaginaire collectif donc l'ensemble des représentations qui seront en contact avec ces idées. Ces représentations pourront à leur tour transformer, influencer l'imaginaire collectif si elles puisent suffisamment d'énergie dans leur propre imaginaire pour vaincre ses résistances et utiliser sa force créatrice.

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Des livres: http://perso.orange.fr/gisele.bienne/
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