Les
enseignants du second degré accueillent dans
le cadre du collège unique, des
élèves de niveaux parfois très
hétérogènes, avec pour
objectif de préparer les uns à des
études longues tout en assurant une
formation utile aux autres dans un souci
d'égalité et d'efficacité. Ils
gardent une certaine autonomie dans chaque
établissement concernant le choix de leur
pédagogie même s'ils sont
appelés à définir de
façon commune le projet
d'établissement. Ils vont donc essayer de
construire leur propre pédagogie en fonction
des directives, de ce qu'ils perçoivent de
leur environnement (élèves, parents,
collègues
) et de leur valeurs.
Principaux détenteurs des savoirs scolaires,
ils ont la responsabilité de les transmettre
de façon intelligible à leurs
élèves.
Cependant, ces savoirs
encyclopédiques apparaissent
concurrencés aujourd'hui par d'autres
savoirs auxquels accèdent les
élèves en dehors de
l'établissement (logiciels éducatifs,
ressources Internet
). Les enseignants peuvent
alors faire le choix de se saisir des mesures
incitatives en faveur de l'usage des TIC et les
utiliser selon leur propre logique ou choisir de
les ignorer.
La plupart des enseignants sont souvent
considérés par les politiques et les
industriels promoteurs des TIC comme des obstacles
aux innovations pédagogiques, en raison de
leur conservatisme.
Cependant A. Chaptal [CHAPTAL 03]
note que cette position de stabilité peut
être dûe également aux
nombreuses contraintes professionnelles qu'ils ont
à gérer comme un programme
particulièrement chargé ou des
horaires peu souples au niveau du
collège.
D'autres se sont déjà
investis fortement dans la mise en place et
l'usage de précédentes technologies
et ont pu être déçus au point
qu'il est pour eux aujourd'hui urgent d'attendre
avant de penser à s'impliquer à
nouveau.
Toutefois
certains enseignants jouent depuis longtemps un
rôle actif à travers des
expérimentations sur le terrain. Ils
sont souvent à la base de projets-pilotes,
récupérés ensuite par les
institutions qui leur ont néanmoins permis
cette marge de manuvre.
Dans le cadre de notre démarche
exploratoire, deux enseignants de technologie ont
été rencontrés. Lors de cette
seconde étape, les disciplines
concernées étaient
l'histoire-géographie (collège centre
ville), les sciences de la vie et de la terre
(collège rural) et le latin pour les deux
collèges ZEP (Zone d'Education Prioritaire),
les deux enseignants organisant des échanges
par Internet entre leurs classes de niveaux
différents (5e et 3e).
Ces enseignants ont été
choisis grâce aux sentinelles que sont les
conseillers TICE des académies, capables, de
par leurs connaissances des pratiques et des
acteurs de terrain, de nous informer au mieux pour
la constitution de notre corpus. Ils nous ont
orientés vers des enseignants reconnus pour
leur forte expérience dans le domaine, mais
très peu nombreux en
réalité.
Ces enseignants utilisent depuis plusieurs
années les TICE dans leur classe (depuis 30
ans pour le plus expérimenté) et ont
une pratique effective d'Internet qu'ils ont
découvert grâce à leur
curiosité intellectuelle. Certains sont plus
aguerris que d'autres en raison de
l'ancienneté et de la
régularité de leurs pratiques, mais
tous sont passionnés et se sont
particulièrement investis dans leur travail.
Néanmoins les pratiques utilisant
Internet restent marginales dans le cadre des
collèges très différents
visités.
Si nous pouvons ressentir l'amorce d'une
nouvelle situation par l'intérêt
porté par de nouveaux professeurs à
cette démarche, la situation reste fragile
et dépend pour l'instant de la
détermination de ces enseignants pionniers
dans le domaine. Le turn-over des jeunes
enseignants ne peut faciliter l'habitude
nécessaire à ces pratiques qui
demandent un temps long pour se mettre en place,
comme ce fut d'ailleurs le cas pour l'enseignement
plus traditionnel. Nous constatons que dans
certains établissements, les échanges
entre enseignants ont plus souvent lieu dans le
cadre de forums spécialisés dans la
discipline qu'à l'intérieur du
collège où la règle est
toujours le " chacun chez soi " et où la
culture d'expertise existe peu.
Les IDD (Itinéraires De
Découverte) permettent cette ouverture.
L'exemplarité des pratiques semble susciter
un grand intérêt chez certains
enseignants mais également la
réprobation d'autres qui réfutent
cette vision et ces méthodes d'apprentissage
d'autant plus qu'elles sont parfois
médiatisées. Face à
l'incompréhension de leurs collègues
et malgré le soutien de leur inspection
académique dans la plupart des cas, les
enseignants auteurs de ces dispositifs ont
le
sentiment d'un grand manque de
reconnaissance
de l'Institution. Ils ont pourtant accompli un
énorme travail bien au-delà des
heures prévues pour leur enseignement.
Certains vont donc se décourager d'autant
que les conditions sont plus difficiles (manque de
soutien, de matériel, démarche
solitaire
).
L'apport des pratiques
pour les élèves selon les
enseignants
Ils estiment que l'apport de ces pratiques
pour les élèves,
réalisées dans le cadre des IDD ou
des cours, reste très variable. De
façon commune ils citent néanmoins
des cas d'élèves faibles qui tirent
nettement avantage de ce genre de situation au
niveau de l'estime de soi et de la reconnaissance
des autres. Il peuvent également
s'intéresser davantage à la
discipline. Mais leurs difficultés sont
aussi soulignées.
Ces pratiques ont souvent rendu leurs
élèves plus autonomes et
dynamisé le cours, voire au-delà,
la communauté des apprenants, grâce
à un travail collaboratif
(récupération de textes et d'images
à retravailler, discussions virtuelles,
échanges avec d'autres classes).
Toutefois, les élèves les
plus " scolaires " semblent rejeter ce dispositif
qui ne fait pas sens dans leur parcours
scolaire. Beaucoup d'élèves ont
d'ailleurs des difficultés à
s'adapter à cette forme d'apprentissage qui
entre en contradiction avec les méthodes
traditionnelles adoptées
généralement par leur
établissement.
Certains enseignants considèrent
essentiellement cet apport au niveau technique pour
leurs élèves tandis que d'autres
évoquent davantage leur motivation, le
plaisir des apprentissages, de se cultiver mais
aussi une plus grande maturité des
élèves, une plus grande assurance
chez les plus timides.
Les conditions favorables
à ces pratiques relèvent selon ces
enseignants :
- de
l'Institution (assurant des équipements
adéquats, une organisation plus souple,
la possibilité d'enseigner à des
groupes restreints, une certaine liberté
et le temps nécessaire aux enseignants
pour expérimenter ce domaine). Les IDD
constituent un cadre favorable à ces
usages mais ils ne sont que ponctuels.
- de
l'équipe pédagogique
(créant une dynamique)
- des parents
d'élèves (accordant leur confiance
aux enseignants)
et bien entendu des
enseignants eux-mêmes qui doivent en effet
construire un dispositif à partir d'un
projet pédagogique banalisant l'usage
d'Internet en interaction avec d'autres outils. Ils
doivent en outre avoir une bonne maîtrise
à la fois de la technique et de la
discipline et une certaine rigueur pour mener
à bien leur projet. Il est également
nécessaire d'avoir une certaine ambition
pour leurs élèves et
considérer au-delà de leur
discipline, une approche culturelle de ces
usages.
Les enjeux pour les
documentalistes
Etant donné le faible nombre de
personnes interrogées, il s'agit d'une
première approche de leurs enjeux. Les
enseignants-documentalistes assurent une partie de
la formation méthodologique concernant
l'usage d'Internet et sont
généralement à la disposition
des élèves pour les aider dans leurs
recherches au CDI (Centre de Documentation et
d'Information).
Les documentalistes interrogées
évoquent d'ailleurs des situations
très différentes, l'une devant
faire face à de difficiles conditions
d'exercice de son métier et ne pouvant
uvrer que très progressivement en
faveur de ces pratiques, l'autre peut le pratiquer
quotidiennement même si des
difficultés demeurent (manque de temps et
accueil restreint du nombre
d'élèves).
Toutefois une représentation commune
semble apparaître en rapport avec Internet
(un outil complexe) et les élèves
(plutôt immatures intellectuellement face
à cet outil). C'est pourquoi elles
préconisent de façon sous-tendue une
formation adaptée.
Des contextes
d'usages très variés
Selon ces différents enjeux
institutionnels et pédagogiques, nous
constatons des cadres d'usages très divers
:
Une même
volonté politique est affichée par
les deux académies concernées mais
avec des priorités selon les collèges
(situation, projet d'établissement). Ces
établissements diffèrent tant au
niveau des objectifs poursuivis par les enseignants
(de l'alphabétisation numérique
à une plus grande implication dans leurs
apprentissages) qu'au niveau des équipements
(de sept ordinateurs dans une salle exigüe peu
accessible à quinze ordinateurs dans une
salle multimédia très moderne
accessible tous les midis en dehors des cours
notamment).
Internet est utilisé en cours
(de façon épisodique ou
régulière, à partir d'un
ordinateur au fond de la classe ou d'un par
élève), dans les IDD associant
deux disciplines, au CDI mais aussi dans le
cadre du club Internet ou dans une salle
multimédia accessible le midi.
En cours, les élèves
utilisent Internet dans plusieurs disciplines.
En technologie (la formation des TIC est incluse
dans le programme) en histoire-géographie,
en Sciences de la Vie et de la Terre, en
français, en mathématiques, en
langues (actuelles et anciennes), en arts
plastiques
Nous pouvons remarquer d'ailleurs
que les enseignants d'histoire-géographie
ainsi que ceux de langues anciennes ont
été des pionniers des usages
d'Internet formant des communautés
particulièrement dynamiques.
Le CDI est utilisé principalement
par les élèves non connectés
à l'extérieur (collège
rural et ZEP). Ils vont y faire des recherches
scolaires demandées par leurs enseignants
pour la très grande majorité d'entre
eux.
Le club Internet permet de faire des
recherches personnelles et scolaires dans un lieu
convivial encadré par les enseignants
volontaires ou des animateurs.
Les pratiques varient également (de
quelques heures en cours, plusieurs heures dans le
cadre des IDD ou régulières dans le
cadre de tous les cours). Intéressons-nous
de plus près à ces
pratiques.
Des pratiques
diverses:
Ainsi, pour les
élèves du collège ZEP de
banlieue nord de
Paris,
tous les cours
de latin ont lieu en demi-groupes dans la salle
multimédia. Les pratiques dépendent
du niveau des élèves et du travail
attendu. Parfois l'enseignant leur donne des
recherches à faire à partir d'un
carnet d'adresses spécifique afin qu'ils ne
perdent pas trop de temps. D'autres fois, il estime
que les élèves sont capables de faire
les recherches par eux-mêmes, mais il leur
met tout de même son carnet d'adresses en "
favoris " afin qu'ils aient un premier filtre s'ils
le désirent. Différents types de
travaux sont donc réalisés par les
élèves dans le cadre de ce cours
:
- des
recherches rapides sur le web à
partir d'un questionnaire en latin (les
réponses sont attendues en latin).
L'objectif est de tester la rapidité des
élèves à faire des
recherches mais aussi de tester leur
capacité à lire les langues
anciennes et de façon non
linéaire.
- la
réalisation de petits dossiers (sur
les Etrusques, la Gaule de Jules
César
) plutôt au
troisième trimestre à partir de
tableaux du Louvre par exemple via les services
de Louvre-edu. L'objectif est d'apprendre
à mieux connaître
différentes civilisations anciennes tout
en apprenant l'utilisation d'Internet (recherche
documentaire, production des pages
web).
-la
correspondance avec d'autres classes
situées dans d'autres
établissements. L'objectif est de
demontrer aux élèves que le latin
n'est pas seulement une discipline où on
apprend des déclinaisons par cur ou
de simples déchiffrements de textes mais
peut être aussi un instrument de
communication même par jeu. Des
échanges ont été
réalisés avec deux autres
établissements, dont l'un était
situé aux Etats-Unis, avec un double
objectif, la révision de la grammaire et
des connaissances sur la civilisation
(mythologie et vie quotidienne). Les mêmes
livres de latin et les mêmes sites
Internet constituaient la base de ces exercices
pour les différents
établissements. Ces échanges avec
des élèves d'origines et
d'âges différents devaient
permettre de faire sauter les barrières
de la classe. Un réseau dynamique
s'est constitué alimenté par des
experts dans le domaine qui ont pu aider par
exemple à l'interprétation d'un
passage de texte, en liaison avec un tableau
exposé au Louvre. Des rencontres
multimédia sont aussi organisées
entre classes de l'académie autour d'un
jeu questions-réponses.
Le tableau interactif est
également expérimenté dans ces
classes de latin depuis 2004.
Ces
élèves utilisent Internet dans
d'autres cours (technologie, arts
plastiques..)
Les élèves
du collège ZEP de banlieue sud de
Paris
font de la
recherche documentaire
(récupération de textes et
d'images à retravailler) réalisent
donc des échanges (discussions
virtuelles, travail collaboratif) avec leurs
camarades cités
précédemment.
Les
élèves sont aussi invités
à continuer d'échanger sur les
forums internationaux de latin,
particulièrement dynamiques, en dehors du
cadre scolaire.
Les
échanges avec une classe de
province ont déjà permis
à une classe précédente de
traduire des recettes de plats antiques
(dont le plat préféré de
César) puis de les préparer avant
de les déguster lors d'un banquet antique
en fin d'année. Mais arrivé depuis
peu dans ce collège l'enseignant
intègre progressivement Internet dans son
cours.
Ses
élèves utilisent une messagerie
simultanée en interne. Elle permet
aux élèves de poser des questions
à l'enseignant sans perturber le cours "
en posant une question à voix haute
toutes les trois secondes " et à
l'ensemble de la classe de lire la
réponse si les élèves le
souhaitent.
Les élèves
du collège rural
utilisent
plutôt des logiciels et de
façon épisodique Internet dans les
cours (recherche documentaire, visite de
musées virtuels
) mais davantage
dans le cadre des IDD (Itinéraires de
découverte) et pour satisfaire au B2I
(cours de technologie).
Les accès
à Internet à partir d'un poste
dans certaines classes ne peuvent permettre des
recherches individuelles mais une
visualisation collective.
Les IDD permettent de croiser les
sciences de la vie et de la terre et les
mathématiques autour d'un thème
commun comme " le corps en chiffres ".Les
élèves doivent dans le cadre de ce
projet construire des énigmes sur le
corps humain à partir de données
chiffrées. Ils construisent un
questionnaire grâce au logiciel " Hot
potatoes " qui permet de créer des pages
web. Les énigmes des
différents groupes sont réunies
ensuite sur un mini-site en vue
d'être proposées à d'autres
élèves de 5e qui devront alors
faire une " chasse au trésor ". Des
affiches sont créées pour les
prévenir du début du jeu. Ils
peuvent résoudre ces énigmes en se
connectant sur ce site à partir de la
salle multimédia en dehors des heures de
cours. Plusieurs lots sont mis en jeu. Les
élèves producteurs pourront
participer à leur tour lors de l'IDD du
second semestre en répondant aux
questions de leurs camarades sur un autre
thème.
Les élèves
du collège de centre ville de Province
utilisent
Internet essentiellement dans le cadre des IDD
notamment parce que les classes peuvent
être divisées en deux. Les IDD
représentent douze heures par discipline
soit vingt-quatre heures pour les
élèves mais en
réalité quatre heures sont
consacrées généralement aux
usages d'Internet dont deux heures de recherche
documentaire.
Un de ces IDD a permis à des
classes de 4e de faire un voyage en
Angleterre. Les élèves ont
fait une première recherche sur un
thème précis (personnage ou
monument célèbre) en relation avec
leur voyage, puis ont recueilli des informations
sur place permettant de compléter cette
recherche et enfin créer une page
web à destination du site du
collège. Ils devaient envoyer à
tour de rôle par équipe un
compte-rendu à leur enseignant via
Internet (textes et photos prises grâce
à l'appareil photo numérique du
collège).
Les parents pouvaient accéder
à ces informations mises en pages par
l'enseignant.
Un autre IDD en
relation avec les sciences de la vie et de la
terre a porté sur le thème de la
canicule de 2003. Les élèves
devaient problématiser le sujet puis
faire des recherches en gardant un regard
critique sur les données recueillies et
la validité des sites
questionnés avant de créer une
page web.
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