Comme
tout enseignant, je suis sensible, actuellement,
à tout un ensemble de symptômes qui me
paraissent avoir un point commun:
"l'autorité".
Les
enseignants savent concrètement, tous les
jours, combien le problème de
l'autorité est permanent dans leur classe.
Beaucoup aimeraient avoir des "recettes",
connaître les "bonnes pratiques", les "gestes
professionnels" qui assurent l'autorité
indispensable à qui veut se faire entendre
sans avoir à passer une partie importante de
son temps à faire de la
discipline.
Des
paradoxes
Alors
que cela n'empêche pas certains enseignants
de se déclarer
"désobéisseurs", refusant
d'obéir à certaines lois !
Hors de l'école,
on retrouve aussi un refus de l'autorité
sous des formes et avec des intentions diverses.
Par exemple:
- <<Ce
mercredi 30 juin, les députés
auditionnent les responsables du football
français sur le fiasco des Tricolores en
Afrique du Sud. Laudience a lieu, à
leur demande, à huis clos. Mais
sitôt la porte close, un
député se met à «
twitter » la teneur des propos. Lionel
Tardy (UMP, Haute-Savoie) justifie ce geste au
nom dune transparence qui devrait
être, selon lui, la règle dans le
travail parlementaire.>>
La
Croix (article
très intéressant sur le sujet de
la transparence si complexe)
- le
dévoilement par certains
journalistes des fiches des ambassades
sur le site WikiLeaks au nom de la
"transparence" (ces mêmes
journalistes, eux, paradoxalement, ne
désirent pas la transparence de
leurs sources!)
- on ne citera
que pour mémoire les sacages de
champs d'OGM, les voitures
incendiées. le secret de
l'instruction non respecté
continuellement etc...toutes actions
contre des lois.
- le soutien aux
clandestins, "sans papiers" (donc hors
la loi) même si une certaine
forme de soutien humanitaire s'impose
bien souvent
|
<<Une
société pourrit
d'un excès d'ombre, une
société peut
pourrir aussi d'une
surexposition, de rage
panoptique. C'est le péril
où conduit d'abord un
journalisme qui prétend se
substituer à la police et
à la justice, et qui de
ses proies, fait un spectacle. Un
monde se définit par la
qualité de secrets qu'il
est capable de préserver
sans porter atteinte à la
liberté» : ainsi
s'exprime Jean
Lacouture.qui a
été journaliste
à Combat, Le Monde,et au
Nouvel Observateur. Auteur de
"L'éloge
du
secret"
|
|
Ces comportements
provoquent des réactions, paradoxales
parfois, chez chacun d'entre nous:
- désir de
"serrer la vis" par de nouvelles lois plus
contraignantes, demande de "régulation
économique" (autrement dit, de nouvelles
lois) , demande de plus d'évaluation, de
"plus d'état" (redonner de
l'autorité aux états)
- ou inversement
désir de "libération" du
marché, de la carte scolaire, des notes,
de la possibilité d'initiatives, une plus
grande autonomie des établissements, une
demande de moins d'état (moins de lois,
de contraintes, de contrôle,
d'évaluation, d'inspection,
etc)
Certains se posent la
question: pourquoi l'autorité est-elle donc
si souvent en question actuellement?
- est-ce un
résidu de mai 68 (révolte contre
l'autorité)?
- est-ce l'effet du
"libéralisme", de la "marchandisation"
à tout va, de la
dérégulation financière
liée aux lois du marché bien
vagues et non aux lois concrétes des
états? Tous ces
symptômes posent la question des limites,
des cadres, de
l'autorité.
Ce qui se
vit dans nos classes
est lié
(interagit) avec ce qui se vit dans le monde
Et peut être
également avec ce que nous vivons à
l'intérieur de nous-mêmes
|
Par exemple
dans cette contradiction entre notre
désir de liberté,
d'absence de contraintes et en
même temps notre besoin de
sécurité assuré
par des repères, des cadres et
des limites. C'est ainsi que nous
pouvons porter en nous-mêmes des
paradoxes: être pour la
supression des notes et en même
temps pour la régulation
économique. Etre pour la carte
scolaire mais nous arranger pour placer
notre enfant dans l'école que
l'on désir...
|
Fonction
d'autorité et compétence
psychologique
d'autorité
D'autre
part on a souvent tendance à
réduire la question de
l'autorité à des
"capacités psychologiques" (qu'on a
ou qu'on n'a pas !)
Or
il y a , me semble-t-il, confusion entre
"la fonction d'autorité" et
"les compétences psychologiques
de
l'autorité".
La "fonction
d'autorité" est
attribuée à quelqu'un par
une institution. L'Education Nationale
pour l'enseignant. Celui-ci a
été recruté pour
exercer cette fonction, entre autres, dans
telle classe, qu'il ait ou non des
"capacités psychologiques
d'autorité"; Ce qui pose,
d'ailleurs, le problème du mode de
recrutement des enseignants!
Mais
la réduction de la question
d'autorité à celle des
compétences d'autorité me
paraît être une façon
inconsciente (ou non!) de "refuser,
nier..." l'institution, ce tiers entre
l'enseignant et ses élèves
ou leurs parents. Et ceci n'est pas sans
conséquences sur cette
"autorité"!
Concrétisation
dans un imaginaire
collectif
Cette
tendance à nier l'importance de
l'institution se retrouve plus
particulièrement dans
un
imaginaire
collectif
(une idéologie) :
l'anarchisme.
<<L'anarchisme
est un courant de philosophie politique
développé depuis le XIXe
siècle sur un ensemble de
théories et pratiques
anti-autoritaires. Fondé sur la
négation du principe
d'autorité dans l'organisation
sociale et le refus de toutes
contraintes découlant des
institutions basées sur ce
principe, l'anarchisme a pour but de
développer une
société sans domination,
où les individus
coopèrent librement dans une
dynamique d'autogestion>>
http://fr.wikipedia.org/wiki/Anarchisme
Après
avoir proposé cette
définition sur Facebook et
posé la question: "A quoi cela
vous fait-il penser actuellement ?" ,
il y a eu plus de 65 commentaires qui ont
tourné autour des thèmes:
société sans état et
sans classe, liberté de la femme,
égalité, inspection, utopie,
limite, angoisse, chaos... avec pour
certains une certaine "fascination" du
chaos, (voir l'appel de Cantona à
retirer son argent des banques!) comme on
peut avoir une certaine fascination de la
mort !
Capacités
psychologiques de
l'autorité
Ces
thèmes montrent que beaucoup sont
conscients du lien qui existe entre
absence de limites et angoisse. Les
enseignants en font l'expérience
dans leur classe, mais ceci reste vrai
également pour chacun d'entre nous
avec notre limite psychique, notre
"frontière
psychique"
(l'équivalent de notre
peau). Voir le croquis
ci-dessous
Avoir
une frontière trop poreuse risque
de nous faire prendre "pour argent
comptant" ce que dit un
élève "elle
est bonne la prof"
et de n'avoir pas la distance suffisante
pour réagir de façon
adaptée à la situation.
Inversement avoir une frontière
trop rigide ne permet pas d'entendre ce
que disent les élèves et de
ne pas entendre
ce qui se passe dans la
classe. On
voit qu'on est loin des "recettes", des
"bonnes pratiques" et des "gestes
professionnels" ! Seule une formation
clinique peut apporter un progrès
dans ce domaine.
Cette
sécurité intérieure
est une des conditions de notre
capacité psychologique
d'autorité
|
Extraits
des commentaires de
Facebook
"une
societé sans etat et sans classes a
eté un espoir qui nous a
donné les plus mauvaises
expériences de vie publique;.dans
l'absence des regles homo homini
lupus,dans l'education aussi."
"Culture
marchandisation ou
émancipation?"
"les
pensées des hommes ne sont-elles qu
'un immense jeu de miroirs dans un palais
des glaces sans limites?"
"c'est un
constat que l'on fait souvent aussi dans
une classe: si l'enseignant refuse
d'être "chef", "maître" ou
"ma...îtresse", le retour de
bâton risque d'être que les
enfants le considèrent alors comme
"un copain" qu'il n'est
nullement."
"Le
modèle anarchiste me paraît
utopiste, mais il n'empêche que nous
devons aller vers moins d'autorité
(dans toutes les structures de la
société et pas seulement au
niveau politique) et vers plus
d'égalité (et pas seulement
hommes-femmes). Je crois que les
structures hiérarchiques doivent
faire place à des modèles
plus participatifs (chacun a un rôle
bien défini à jouer
-"
"les
femmes ont dû se battre pour obtenir
leur égalité et leur
liberté"
"Le
problème, c'est qu'aujourd'hui on
peut être incompétent pour un
poste et être nommé (dans
l'éducation et partout ailleurs).
Pas étonnant qu'ensuite personne ne
...respecte ces pseudo-professionnels qui
ne sont pas à la bonne place.
"
"l'inspecteur
peut sanctionner. Je vois l'inspecteur
comme un relais entre les enseignants et
l'employeur (et oui, je ne parle pas
d'autorité, mais d'employeur).
C'est une courroie de transmission qui
fait circuler les informations (les bonnes
nouvelles aussi). Quant à
l'établissement, il doit avoir plus
d'autonomie financière,
administrative et pédagogique
"
"Pour moi,
l'autorité est nécessaire
tant qu'elle reste un tuteur pour l'autre.
A l'origine, le mot latin "auctoritas"
désigne la capacité à
faire grandir, on pourrait dire aussi
"à devenir auteur de
soi-même". Ell...e est alors
fondée sur le
désintérêt et la
bienveillance.Malheureusement, elle glisse
souvent vers l'autoritarisme, dans une
relation agressive, où l'un tente
de dominer l'autre qui cherche à
lui échapper.."
"Mais
l'utopie véritable n'est ni le
passé, ni le présent, ni
l'avenir, c'est un lieu où
justement passé et avenir se
confondent dans le présent. C'est
pour cela que chez les anarchistes, c'est
une accumulation de PRATIQUES
réelles inscrites dans le
présent, le seul moment existant,
qui définit le projet
révolutionnaire. Chez les
anarchistes, ce qui compte vraiment, c'est
de travailler avec l'états actuel
des choses et d'en explorer ses
possibilités émancipatrices.
Comme on le voit, la révolution
libertaire (et non pas égalitaire,
comme certains pensent le croire) est un
ABOUTISSEMENT, l'aboutissement d'une
transformation déjà
réalisée."
"Le cadre
est extensible mais pas sans limite."
-"c'est quoi la limite sinon ta propre
limite, et ta propre peur, " - "Mes
limites, je me les suis imposés
larges certes, mais la peur en reste le
garant. Elles ne sont pas extensibles
à l'infini, car je vivrais dans un
état d'angoisse
extrême."
"un point
essentiel de l'anarchie, qui est aussi
quelque part une métaphysique
angoissante à propos justement de
cette question de la limite. L'anarchie
est aussi un doute et une angoisse devant
le vertige du Chaos..."
- " Les
limites sont posées pour calmer une
angoisse, et l'hypothèse anarchiste
est de dépasser cette angoisse, de
ne plus avoir peur, car on ne construit
rien de bien beau sur la peur et sur
l'angoisse."
"Seule
certitude, je ne crois pas aux
réponses uniques qui sont
imposées, comme étant la
Vérité. Je
préfère les questionnements,
les doutes et les tâtonnements qui
permettent d'avancer dans les
réflexions, en se nourrissant des
parcelles du savoir / du vécu
partagé par les autres."
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Nos
recherches pédagogiques
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Cette
accumulation de symptômes concernant
l'autorité montre que cette
dernière a besoin d'évoluer
en ce moment comme elle a
évolué au cours des
siècles. Ces symptômes
demandent à être entendus ou
ce sera la rébellion (dans nos
classes comme dans le monde).
Nous
avons besoin de trouver de nouvelles
formes d'autorité qui ne nient pas
l'existence de ce tiers qu'est
l'institution, de nouvelles limites
acceptables, de nouveaux cadres
sécurisants.
A
coté de nos actions politiques,
syndicales... nous pouvons travailler
à cette recherche d'une nouvelle
forme d'autorité dans nos
initiatives pédagogiques, dans nos
classes avec nos
élèves: Disposer
la classe autrement
pour
favoriser la circulation et le dialogue
des élèves, n'est qu'un
exemple de ce que nous pouvons faire
concrètement pour faire avancer
cette question de
l'autorité. On
peut aussi rechercher dans les interstices
de l'institution les espaces de
liberté, plus nombreux qu'on ne le
pense souvent, dans lesquels il serait
possible d'expérimenter de
nouvelles organisations porteuses
d'une
autorité
différente.
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