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La violence est un langage

Jacques Salomé

Psychosociologue, diplômé de l'EHESS- Paris

             <<Je suis indigné au sujet des informations (télé, journaux, radio) à propos de l'agression d'une professeur par un garçon de 13 ans, on ne dit rien de l'essentiel, on se focalise sur le sécuritaire.>>

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La violence est un langage

             C'est aujourd'hui un des langages les plus utilisés dans l'univers par des adultes de toutes races, de toutes cultures, de toutes religions. Langage privilégié par de plus en plus d'enfants et cela quel que soit leur âge. Chaque jour nous le rappelle, des enfants s'agressent mutuellement, des enfants et des adolescents blessent des adultes, des élèves passent à l'acte sur des enseignants, des enfants battent leurs mères….

             Oui la violence est un langage. Un langage inadapté, déviant, mais un langage essentiel avec lequel les enfants s'expriment, non pas faute de vocabulaire (ils en ont) mais faute de mots sensibles avec lesquels ils pourraient se dire dans leurs ressentis intimes, dans leurs sentiments réels, dans leurs besoins profonds.

 

             Car ce qui domine chez beaucoup, c'est la notion du dû (on me doit), c'est la force en eux d'une exigence primitive ( je veux me sentir accepté inconditionnellement, que le monde réponde à mes désirs, tout de suite, sans autres conditions), l'immersion dans une culture du plaisir facile (je veux jouir de l'instant). La violence comme langage va permettre d'évacuer (provisoirement) des frustrations, d'ignorer les incompréhensions, de diminuer la sensation d'être rejeté, mal aimé.

             Peut être est-il souhaitable de rappeler qu'un langage sert essentiellement à communiquer à travers quatre enjeux : demander, recevoir, donner, refuser et que sa finalité ultime est de tenter de combler le fossé (plus ou moins grand, toujours mouvant) entre des attentes (vécues parfois comme des exigences) et des réponses (plus ou moins gratifiantes), proposées par l'environnement immédiat :famille, école, société.

 

             Parmi ces attentes il y a des besoins et surtout des désirs, et ce qui domine chez les enfants et les adolescents ce sont des pulsions autour des désirs. Tout se passe comme s'ils laissaient libre cours, se laissaient submerger par la toute-puissance infantile de désirs primaires, qui réclament satisfaction immédiate face à une réalité qui va être vécue inévitablement (à certains moments) comme décevante et frustrante. Déceptions et frustrations qui sont intériorisées par eux comme agressantes et qui vont susciter en retour de la violence contre ce même environnement proche et en particulier sur ceux qui incarnent des limites, des exigences, des contraintes. Et sur ce plan les enseignants sont en première ligne.

 

Nous venons d'en avoir, une fois de plus, un exemple concret:

             Un élève de treize ans, que son entourage, (familiers et professeurs) nous présentent sans problème, bien inséré, gentil, rieur, (nous disent ses camarades de classe) et qui face au refus de son professeur de lever une punition, lui plante un couteau dans la poitrine. Aussitôt c'est l'amalgame, la collusion entre la violence manifestée et l'insécurité à l'école, les difficultés des enseignants à enseigner, à transmettre, à se faire respecter. L'établissement scolaire était paisible jusque là, il n'était pas dans une zone d'éducation prioritaire et on avance des solutions (présence d'un policier dans l'école, comme en Angleterre, fouille, contrôles et précautions matérielles ….

 

             On veut, comme chaque fois, résoudre le problème en amont, sans entendre ou vouloir entendre, qu'il ne faut pas confondre l'expression d'un symptôme et sa résonnance avec les causes amplifiantes de la violence et la nature de ses origines.

 

L'origine de la violence, nous la voyons en permanence sous nos yeux.

             Depuis plusieurs décennies, les enfants sont élevés à partir de leurs désirs, sans que nous, les adultes, nous entendions leurs véritables besoins. Et en particulier leurs besoins relationnels, dont je me permets de rappeler les plus vitaux:

             * Besoin de se dire: de se dire avec des mots qui sont les leurs. Et cela dans différents registres (niveau des idées, des ressentis, des sentiments, du faire, des croyances, des émotions, des besoins et des désirs)

             * Besoin d'être entendu dans l'un ou l'autre de registres que l'enfant va privilégier à un moment ou l'autre de son développement. Ce qui ne veut pas dire qu'il sera satisfait, mais il attend implicitement des proches, d'être reçu dans ce qu'il exprime.

             * Besoin d'être reconnu, tel qu'il se sent et pas seulement pour ce qu'il fait, mais pour ce qu'il est comme personne.

             * Besoin d'être valorisé. Et pas uniquement dans ses réussites, mais au delà, par des mots d'encouragement, par des confirmations, par des attentions particulières, pour ce qu'il est.

             * Besoin d'intimité, qui donne une sécurité, besoin d'un temps et d'un espace sans intrusion des adultes.

*             Besoin de créer et d'influencer son environnement immédiat. D'avoir le sentiment, que ses propositions, ses suggestions pour améliorer tel ou tel aspect de sa vie ne tombent pas aux oubliettes, qu'il existe comme sujet.

             * Besoin de rêver : De rêver que demain sera meilleur qu'aujourd'hui et après après-demain meilleur que demain. Ce dernier besoin est violenté aujourd'hui, car ils se sont transformés en consommateurs, dépendants d'une technologie qui les coupe du réel et les propulsent vers des mondes virtuels, avec l'illusion qu'ils ont une emprise sur ces mondes là.

 

             Des enfants dont les besoins relationnels ne sont pas pris en compte et qui vont tenter de compenser vers des désirs de plus en plus factices et vains, qui s'imposent à eux et qu'ils veulent imposer à leur entourage.

             Des enfants qui sont donc quotidiennement soumis à des pressions consuméristes valorisant leurs désirs et qui sont très souvent frustrés dans leurs besoins profonds.

             Des enfants qui n'ont plus de références claires pour dissocier la fiction du réel, qui sont sollicités, conditionnés par des univers virtuels, sans avoir la maitrise suffisante ou les moyens de s'ajuster au déferlement de stimulations, de sollicitations dont ils sont l'objet.

             Des enfants normaux et non des cas, comme on voudrait nous le laisser croire, qui vont avoir recours aux langages des maux (contre autrui ou contre soi). Langage de la violence, quand les mots sont impuissants pour crier ce qu'ils vivent comme une succession d'injustices : " J'ai un désir et vous devez y répondre, tout de suite, sans contrepartie, sinon vous êtes un obstacle. Et je n'hésite pas à me débarrasser de l'obstacle, à le supprimer quand il s'oppose à mes désirs ! ".

 

             La violence est devenu le langage le plus utilisé pour supprimer le plus vieux des malentendus : le décalage entre des attentes envahissantes et des réponses insatisfaisantes. La non adéquation entre ce que je veux et ce qui m'est donné ou imposé. L'abime entre ce que j'ai imaginé et rêvé et ce que je suis obligé de vivre.

 

             Ainsi un enfant de sept ans est capable de menacer de mort (exemple réel) une enseignante de trente cinq ans, qui refuse de le laisser sortir en récréation sans son blouson, parce qu'il fait froid dehors !

             Un enfant de dix ans, va mettre le feu à la voiture de l'enseignant qui suite à un devoir incomplet, a refusé d'augmenter sa note.

             Un enfant de douze ans, menacera son enseignante, (qui a une fillette de cinq ans à l'école maternelle voisine) : " si vous continuez comme ça avec moi, avec vos questions merdiques, il faudra pas vous plaindre si votre fille se fait troncher…. "

             Les exemples sont innombrables, parfois encore plus violents que ceux que je viens d'énoncer. Ils ont tous la même connotation :

             ils expriment un refus de se soumettre à des frustrations, à des limites, à des interdits, ils prétendent imposer un désir, ils entretiennent le mythe que la réalité doit répondre impérativement à toutes les demandes et combler toutes les attentes.

 

             Nous savions que les mots n'étaient pas suffisants, nous avons du mal à admettre qu'ils sont devenus impuissants pour servir de médiateurs, qu'ils sont insuffisants pour mettre en commun, pour développer une possibilité d'échange et de partage.

             Dans les cours de récréation les mots sont utilisés pour disqualifier, dévaloriser, agresser. Ils ont perdu leur pouvoir symbolique fondamental qui était justement d'éviter le passage à l'acte.

             C'est ainsi que les passages à l'acte font irruption dans le quotidien familial, scolaire ou le monde des loisirs. Le monde de la famille, de l'école ou la société plus élargie, n'entrevoit pour l'instant d'autres ressources que de se protéger, de se durcir, de répondre par…de la violence.

Et si on apprenait la communication à l'école comme une discipline à part entière !

Et si on enseignait quelques règles d'hygiène relationnelles communes aux enfants et aux adultes !

Et si on découvrait qu'il est plus important de répondre aux besoins des enfants qu'à leurs désirs !

Alors la violence ne serait plus un langage dominant, mais l'expression ponctuelle d'une difficulté, d'une souffrance à identifier.

Jacques Salomé est l'auteur de

· Pour ne plus vivre sur la planète taire ; Albin Michel 1997

· Charte de vie relationnelle à l'école. Albin Michel 1995

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Commentaire

Réaction:

<

<Arriver au point de poignarder un professeur et par qui , par un élève, Ce n’est pas un signe de la violence mais une preuve de l’absence de l’humain à l’école, qui est conséquence des nouvelles relations établies dans dans la famille. Dans cette dernière il y a absence de communication et d’écoute.>>

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