La violence est un
langage
C'est
aujourd'hui un des langages les plus
utilisés dans l'univers par des adultes de
toutes races, de toutes cultures, de toutes
religions. Langage privilégié par de
plus en plus d'enfants et cela quel que soit leur
âge. Chaque jour nous le rappelle, des
enfants s'agressent mutuellement, des enfants et
des adolescents blessent des adultes, des
élèves passent à l'acte sur
des enseignants, des enfants battent leurs
mères
.
Oui la violence est un langage.
Un langage inadapté,
déviant, mais un langage essentiel
avec lequel les enfants s'expriment, non
pas faute de vocabulaire (ils en ont) mais
faute de mots sensibles avec lesquels ils
pourraient se dire dans leurs ressentis
intimes, dans leurs sentiments
réels, dans leurs besoins profonds.
Car ce qui domine chez beaucoup, c'est la
notion du dû (on me doit), c'est la force
en eux d'une exigence primitive ( je veux me sentir
accepté inconditionnellement, que le monde
réponde à mes désirs, tout de
suite, sans autres conditions), l'immersion dans
une culture du plaisir facile (je veux jouir de
l'instant). La violence comme langage va permettre
d'évacuer (provisoirement) des frustrations,
d'ignorer les incompréhensions, de diminuer
la sensation d'être rejeté, mal
aimé.
Peut être est-il
souhaitable de rappeler qu'un langage sert
essentiellement à communiquer
à travers quatre enjeux :
demander,
recevoir, donner,
refuser
et que sa finalité ultime est de
tenter de combler le fossé (plus ou
moins grand, toujours mouvant) entre des
attentes (vécues parfois comme des
exigences) et des réponses (plus ou
moins gratifiantes), proposées par
l'environnement immédiat :famille,
école,
société.
Parmi ces attentes il y a des besoins et
surtout des désirs, et ce qui domine chez
les enfants et les adolescents ce sont des pulsions
autour des désirs. Tout se passe comme s'ils
laissaient libre cours, se laissaient submerger par
la toute-puissance
infantile
de désirs primaires, qui réclament
satisfaction immédiate face à une
réalité qui va être
vécue inévitablement (à
certains moments) comme décevante et
frustrante. Déceptions et frustrations qui
sont intériorisées par eux comme
agressantes et qui vont susciter en retour de la
violence contre ce même environnement proche
et en particulier sur ceux qui incarnent des
limites, des exigences, des contraintes. Et sur
ce plan les enseignants sont en première
ligne.
Nous venons d'en avoir,
une fois de plus, un exemple
concret:
Un élève de treize
ans, que son entourage, (familiers et
professeurs) nous présentent sans
problème, bien
inséré, gentil, rieur, (nous
disent ses camarades de classe) et qui
face au refus de son professeur de lever
une punition, lui plante un couteau dans
la poitrine. Aussitôt c'est
l'amalgame, la collusion entre la violence
manifestée et
l'insécurité à
l'école, les difficultés des
enseignants à enseigner, à
transmettre, à se faire respecter.
L'établissement scolaire
était paisible jusque là, il
n'était pas dans une zone
d'éducation prioritaire et on
avance des solutions (présence d'un
policier dans l'école, comme en
Angleterre, fouille, contrôles et
précautions matérielles
.
On veut, comme chaque fois,
résoudre le problème en amont,
sans entendre ou vouloir entendre, qu'il ne faut
pas confondre l'expression d'un symptôme et
sa résonnance avec les causes amplifiantes
de la violence et la nature de ses
origines.
L'origine de la violence,
nous la voyons en permanence sous nos yeux.
Depuis plusieurs décennies, les
enfants sont élevés à partir
de leurs désirs, sans que nous, les adultes,
nous entendions leurs véritables besoins. Et
en particulier leurs besoins relationnels, dont je
me permets de rappeler les plus
vitaux:
* Besoin de se dire: de se dire
avec des mots qui sont les leurs. Et cela dans
différents registres (niveau des
idées, des ressentis, des sentiments, du
faire, des croyances, des émotions, des
besoins et des désirs)
* Besoin d'être entendu dans
l'un ou l'autre de registres que l'enfant va
privilégier à un moment ou l'autre
de son développement. Ce qui ne veut pas
dire qu'il sera satisfait, mais il attend
implicitement des proches, d'être
reçu dans ce qu'il exprime.
* Besoin d'être reconnu, tel
qu'il se sent et pas seulement pour ce qu'il
fait, mais pour ce qu'il est comme
personne.
* Besoin d'être
valorisé. Et pas uniquement dans ses
réussites, mais au delà, par des
mots d'encouragement, par des confirmations, par
des attentions particulières, pour ce
qu'il est.
* Besoin d'intimité, qui
donne une sécurité, besoin d'un
temps et d'un espace sans intrusion des adultes.
*
Besoin de créer et d'influencer
son environnement immédiat. D'avoir
le sentiment, que ses propositions, ses
suggestions pour améliorer tel ou tel
aspect de sa vie ne tombent pas aux oubliettes,
qu'il existe comme sujet.
* Besoin de rêver : De
rêver que demain sera meilleur
qu'aujourd'hui et après
après-demain meilleur que demain. Ce
dernier besoin est violenté aujourd'hui,
car ils se sont transformés en
consommateurs, dépendants d'une
technologie qui les coupe du réel et les
propulsent vers des mondes virtuels, avec
l'illusion qu'ils ont une emprise sur ces mondes
là.
Des enfants dont les besoins relationnels ne
sont pas pris en compte et qui vont tenter de
compenser vers des désirs de plus en plus
factices et vains, qui s'imposent à eux et
qu'ils veulent imposer à leur
entourage.
Des enfants qui sont donc quotidiennement
soumis à des pressions consuméristes
valorisant leurs désirs et qui sont
très souvent frustrés dans leurs
besoins profonds.
Des enfants qui n'ont plus de
références claires pour dissocier la
fiction du réel, qui sont sollicités,
conditionnés par des univers virtuels, sans
avoir la maitrise suffisante ou les moyens de
s'ajuster au déferlement de stimulations, de
sollicitations dont ils sont l'objet.
Des enfants normaux et non des cas, comme on
voudrait nous le laisser croire, qui vont avoir
recours aux langages des maux (contre autrui ou
contre soi). Langage de la violence, quand les mots
sont impuissants pour crier ce qu'ils vivent comme
une succession d'injustices : " J'ai un
désir et vous devez y répondre, tout
de suite, sans contrepartie, sinon vous êtes
un obstacle. Et je n'hésite pas à me
débarrasser de l'obstacle, à le
supprimer quand il s'oppose à mes
désirs ! ".
La violence est devenu le
langage le plus utilisé pour
supprimer le plus vieux des malentendus :
le décalage entre des attentes
envahissantes et des réponses
insatisfaisantes. La non adéquation
entre ce que je veux et ce qui m'est
donné ou imposé. L'abime
entre ce que j'ai imaginé et
rêvé et ce que je suis
obligé de vivre.
Ainsi un enfant de sept ans est
capable de menacer de mort (exemple réel)
une enseignante de trente cinq ans, qui refuse de
le laisser sortir en récréation sans
son blouson, parce qu'il fait froid dehors
!
Un enfant de dix ans, va mettre le
feu à la voiture de l'enseignant qui suite
à un devoir incomplet, a refusé
d'augmenter sa note.
Un enfant de douze ans, menacera son
enseignante, (qui a une fillette de cinq ans
à l'école maternelle voisine) : "
si vous continuez comme ça avec moi, avec
vos questions merdiques, il faudra pas vous
plaindre si votre fille se fait troncher
.
"
Les exemples sont innombrables, parfois
encore plus violents que ceux que je viens
d'énoncer. Ils ont tous la même
connotation :
ils expriment un refus de se
soumettre à des frustrations,
à des limites, à des
interdits, ils prétendent imposer
un désir, ils entretiennent le
mythe que la réalité doit
répondre impérativement
à toutes les demandes et combler
toutes les attentes.
Nous savions que les mots n'étaient
pas suffisants, nous avons du mal à admettre
qu'ils sont devenus impuissants pour servir de
médiateurs, qu'ils sont insuffisants pour
mettre en commun, pour développer une
possibilité d'échange et de partage.
Dans les cours de
récréation les mots sont
utilisés pour disqualifier,
dévaloriser, agresser. Ils ont perdu leur
pouvoir symbolique fondamental qui était
justement d'éviter
le
passage à
l'acte.
C'est ainsi que les
passages à
l'acte
font irruption dans le quotidien familial,
scolaire ou le monde des loisirs. Le monde de la
famille, de l'école ou la
société plus élargie,
n'entrevoit pour l'instant d'autres ressources
que de se protéger, de se durcir, de
répondre par
de la
violence.
|